Olivier, Jean-Baptiste et Jean Bertrand. Ces trois Ivoiriens, comme tant d’autres africains, ont quitté malgré eux l’Ukraine qu’ils avaient choisie pour poursuivre leurs études supérieures. Se retrouvant sur les routes de l'exil dès le déclenchement de la guerre, ils ont choisi la France. Trois ans après, un autre parcours du combattant a commencé.
Depuis un an, ces anciens étudiants fraîchement diplômés, Olivier Gueu et Jean Bertrand Somlaré, ont posé leurs bagages à Nantes, dans l'ouest de la France. Chacun vit séparément. Direction le foyer des jeunes travailleurs, chez Jean-Baptiste Ahoua, le seul qui poursuit encore ses études tout en travaillant. Cheveux tressés, tous les trois sont à l'image des Mousquetaires, unis face à l'adversité. C'est en Ukraine et sur les routes de l'exil que cette fratrie s'est construite. Depuis, ils ne se sont plus quittés.
« Depuis l'Ukraine, c'est devenu plus qu'une amitié. Nous sommes davantage des frères que des amis. On sait que l'un peut compter sur l'autre, quel que soit le problème. On a fait le parcours ensemble depuis l'Ukraine jusqu'en France », raconte Jean-Baptiste, la gorge nouée. Le jeune homme a encore du mal à effacer de sa mémoire ce départ précipité sous les bombes : « J'avais seulement mon sac à dos avec mes documents et une paire de chaussure. Pour moi, c'était un déplacement du quotidien. Je me suis retrouvé du jour au lendemain en France, ce n'était pas facile. »
« Cela faisait onze ans que j'étais en Ukraine, explique son camarade Olivier Gueu, ingénieur. Quand tu arrives en France, tu sais vraiment pas quoi faire. Moi, j'étais en seconde année de doctorat en aéronautique. Laisser tout ça derrière et venir dans un pays, la France, où, même pour te régulariser, il n'y avait pas de visibilité. Tout cela, c'était un gros stress. Et j'étais devenu un peu ukrainien aussi ».
« Je pense qu'on se sent tous ukrainiens, d'une manière ou d'une autre, abonde Jean Bertrand, qui a débarqué à Kiev tout juste après son bac. Sur son portable, il reste encore connecté avec son ami Oleg. J'ai vu dernièrement que les autorités prenaient des jeunes gens pour la mobilisation, pour pouvoir aller au front. J'ai envoyé un message à mon ami que j'ai toujours en Ukraine, lui demandant s'il allait bien. Il vient de me répondre, il m'a dit qu'il allait bien, que c'est assez tendu autour de lui, mais que tout va bien. »
Olivier a été embauché chez l'un des fleurons de l’industrie aéronautique française. De l'aveu de ses camarades, c'est lui qui a le plus embrassé la culture ukrainienne, sachant parler couramment le russe. À 32 ans, ce jeune homme se considère comme le grand frère du groupe : « Ce sont mes petits, ce sont mes bébés, je ne sais pas ce qu'ils auraient pu faire sans moi », concède-t-il, ému. Car c'est un véritable parcours du combattant qui a débuté pour ses amis.
Alors qu'il était sur le point de terminer ses études après cinq années passées en Ukraine, Jean-Baptiste a dû tout recommencer à zéro et changer de filière. Toujours de bonne humeur et rieur, Jean Bertrand n'est pas encore sorti d'affaire. Avec un titre de séjour d'un an pour recherche d'emploi et création d'entreprise, il lui reste peu de temps. Le téléphone vibre à l'autre bout du fil. C'est Ben, le médecin du groupe, aujourd'hui installé en Côte d'Ivoire, qui a passé son diplôme en pleine guerre en Ukraine. Tous plaisantent pour oublier. Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas pu serrer leurs parents dans leurs bras.
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