Dans le Jura, soigner des lynx pour conserver l'espèce

Dans le Jura, soigner des lynx pour conserver l'espèce

RFI
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Le lynx boréal est un grand prédateur discret et méconnu. Ce grand félin aux oreilles surmontées de « pinceaux » noirs est menacé en France. Il n’y en a que 150 individus, principalement dans le Jura, à l’est du pays. Et malgré son statut d’espèce protégée, l’animal est victime du braconnage et de la circulation routière. Pour aider à la conservation de cette espèce forestière, le centre de soins Athénas, unique en France, accueille depuis 1987 des lynx en difficulté.

Pour les lynx, la présence humaine est source de stress. Afin de les déranger le moins souvent possible, le directeur du centre Athénas, Gilles Moyne, suit ce qu’il se passe dans les enclos en consultant, via son smartphone, un système de vidéosurveillance. « Ici, je vois ce qui se passe dans l'enclos où on a une jeune femelle et une femelle adulte, détaille-t-il en zoomant sur l'écran. Je constate que tout va bien, les deux sont perchées sur une plateforme. »

Pour pouvoir secourir les lynx en difficultés, l'association de protection de la faune sauvage, créée par trois passionnés en 1987, a sensibilisé les habitants alentour. Un réseau de 240 bénévoles sentinelles signalent désormais les lynx qui ont besoin de soins. Ils les repèrent surtout sur les réseaux sociaux où celles et ceux qui ont croisé un lynx postent des photos ou des vidéos. « Ce sont soit de jeunes lynx qui ont perdu leur mère et qui, affamés et incapables de se nourrir seul, se rapprochent des villagesSoit des adultes qui ont été blessés par des chasseurs qui refusent la cohabitation avec un prédateur de chevreuils, ou bien des adultes qui se sont fait renverser sur la route », explique Gilles Moyne.

Collisions routières

Pourquoi ces animaux sauvages s'approchent-ils de lieux aussi bruyants que les routes ? « Il faut inverser notre façon de voir, réagit le directeur et co-fondateur du centre Athénas. C'est le territoire des lynx qui est parcouru par des routes et des autoroutes. Le territoire d'un lynx couvre en moyenne 15 à 20 communes, de 130 à 300 km², donc il y a nécessairement des voies de communication... C'est à nous de faire attention. » Le lynx se déplace normalement en suivant les forêts et les haies, mais beaucoup ont été détruites ces dernières décennies. Les villages et les routes fragmentent désormais son espace.

Le centre Athénas milite donc pour la réduction de la vitesse sur les tronçons de routes souvent traversés par les lynx et il propose aux communes d'y installer des panneaux de signalisation spécifiques pour inciter les automobilistes à la prudence.

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« La France compte aujourd'hui seulement 150 lynx, c'est une population fragile », poursuit Gilles Moyne. Ces super-prédateurs forestiers, mangeurs de chevreuils et de renards, avaient disparu de France en raison des pressions humaines. Ils sont revenus dans le Massif du Jura grâce à leur réintroduction en Suisse, le pays voisin. Mais tous ces lynx descendent « d'une quinzaine d'individus fondateurs », souligne le spécialiste autodidacte. Ils souffrent donc d'une perte de diversité génétique : « cela provoque des troubles de la fertilité, une moins bonne survie des jeunes, une moindre résistance aux conditions environnementales. » Pour y remédier, l'association aimerait que les autorités acceptent d'échanger un lynx français avec un lynx allemand, afin de diversifier le patrimoine génétique.

Les yeux dans les yeux, avec les lynx

Ce matin de mars, le directeur du centre et sa collègue biologiste Lorane Mouzon m’ont attendue pour nourrir les lynx. « J'ai pris trois lapins pour nourrir la femelle qui est blessée, pour le vieux mâle et sa compagne d'enclos, et puis des morceaux de bœuf pour les deux femelles dont la jeune », détaille Gilles Moyne en empoignant ces animaux morts, conservés congelés dans un ancien camion frigorifique. Arrivés au bâtiment des lynx, nous entrons dans un sas, passons par un pédiluve pour désinfecter nos chaussures et éviter ainsi la transmission éventuelle du typhus aux animaux. Nous voici bientôt dans le couloir qui mène aux enclos des lynx. Désormais, il faudra chuchoter.

Par de petites fenêtres sans teint, nous les apercevons. Un vieux mâle de Sibérie à l'œil vert et au pelage gris nous surprend en attrapant au vol la nourriture que Lorane Mouzon jette dans l'entrebâillement de la porte. Victime du trafic d'espèces sauvages, ce lynx est « trop habitué aux humains, c'est pour ça qu'il s'approche », explique-t-elle.

Dans les enclos suivants, deux femelles nées dans la nature et qui pourront, elles, être relâchées, ont une tout autre réaction. Aplaties sur la plateforme au fond de l'enclos, elles tentent de se dissimuler dans le paysage, les yeux rivés sur nous, prêtes à bondir pour fuir si le danger approchait. Lorsque nous entrouvrons la porte pour déposer sa nourriture, Evalude, une femelle blessée à la patte par un chasseur, se met à grogner, ses babines se gonflant au passage de l'air dans sa gueule. Ce face-à-face, même très rapide, est saisissant.

« On voit des lynx tous les jours, mais à chaque fois, il y a quand même de l'émotion, acquiesce Lorane Mouzon. On passe beaucoup de temps à s'assurer qu'ils vont aller bien et qu'ils pourront être relâchés, alors le jour du relâché, c'est l'aboutissement de ce travail d'équipe », sourit-elle.

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Sur les 95 lynx accueillis depuis la création du centre à la fin des années 80, 27 ont survécu à leurs difficultés. Ils ont pu être relâchés dans la nature pour continuer à se reproduire et ainsi contribuer à la préservation de l'espèce. De retour dans son bureau, Gilles Moyne examine une vidéo envoyée par un citoyen sentinelle. On y voit une femelle lynx à l'oreille cassée. « On a relâché un adulte avec ces caractéristiques il y a neuf ans, murmure-t-il, si l'examen de son pelage confirme que c'est elle, ce serait une excellente nouvelle ! »

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