Lorsque l’on flâne dans une ville chargée d’histoire, certains édifices ravivent la mémoire, narrent des destinées, nourrissent notre savoir. Après New York et Los Angeles, Philippe Brossat nous présente les hauts lieux de Chicago. Ses déambulations au cœur du pôle économique et culturel de l’Illinois revitalisent un passé glorieux, celui des pionniers du jazz, du blues, du gospel, de la soul-music et même… de la house-music !
Paru aux éditions « Le Mot et Le Reste », son livre « Streets of Chicago » illumine des bâtisses, des rues et avenues, arpentées pendant des décennies par des hommes et des femmes, témoins et acteurs de « L’épopée des Musiques Noires ».
Il y a, certes, les natifs de Chicago, Quincy Jones ou Herbie Hancock, mais aussi tous ceux qui firent de Chicago La Mecque des musiques afro-américaines. Alors que le Sud ségrégationniste n’offrait aucun avenir aux artistes noirs considérés comme citoyens de seconde classe, les États du Nord proposaient une alternative à une vie de misère et d’humiliations quotidiennes. C’est ainsi que nombre d’instrumentistes originaires du Mississippi, du Tennessee ou de Louisiane trouvèrent à Chicago l’eldorado qu’ils espéraient. Le jeune Louis Armstrong se rendit, dès 1922, dans cette ville bouillonnante pour tenter d’entrer dans le grand orchestre de King Oliver. Il enregistrera quelques années plus tard plusieurs classiques historiques dans les studios du label Okeh Records à Chicago dont le fameux « Chicago breakdown ».
L’une des firmes discographiques légendaires de Chicago fut Chess Records. C’est dans les studios du 2120 Michigan Avenue que Willie Dixon, Chuck Berry, Little Walter, Muddy Waters ou Bo Diddley gravèrent leurs plus grands standards. Aucun d’eux n’était originaire de la « Windy City » mais ils contribuèrent largement à hisser Chicago au rang des capitales mondiales du blues. Le style « Chicago Blues » fut d’ailleurs insufflé par ces musiciens sudistes venus électrifier les cités industrielles du Nord. Cette migration sociale et musicale concerna des milliers d’artistes dont l’expressivité trouvait alors un écho plus retentissant.
La reine du gospel, Mahalia Jackson, née à la Nouvelle-Orléans en 1911, séjourna de longues années à Chicago. C’est dans cette ville qu’un hommage émouvant lui sera rendu en 1972, après sa disparition, en présence de Sammy Davis Jr et d’Aretha Franklin. Partenaire du pasteur Martin Luther King et femme de cœur, Mahalia Jackson a vécu les soubresauts parfois violents de la lutte pour les droits civiques au cœur des années 60. Chicago fut certainement l’un des pôles de friction entre communautés noires et blanches à cette époque. La tragique destinée du jeune Emmett Till fut le point de départ de la fronde contestataire du peuple noir américain. Le corps meurtri et méconnaissable de ce gamin de 14 ans, froidement assassiné dans une bourgade du Mississippi, fut exposé au « Roberts Temple » de Chicago, à la demande de sa propre mère, pour que l’opinion publique prenne conscience des horreurs du racisme institutionnalisé. La ville de Chicago, ce 3 septembre 1955, devint l’épicentre de la rébellion africaine-américaine.
Si les murs pouvaient parler, Chicago serait intarissable. Les cimetières sont des « panthéons du blues » dans cette ville du nord-est des États-Unis, comme aime à le répéter Philippe Brossat dans « Streets of Chicago ». Cheminer sur place, c’est se plonger dans l’Amérique noire. Chaque coin de rue narre une aventure humaine que le temps ne doit pas effacer.
► «Streets of Chicago», éditions Le Mot et Le Reste.