Annie Caldwell Brown chérit l’authenticité du gospel
20 February 2025

Annie Caldwell Brown chérit l’authenticité du gospel

L'Épopée des musiques noires
About

Pour nombre d’Afro-Américains, le gospel ne doit pas se détourner de ses valeurs sacrées. L’église doit rester au centre des préoccupations quotidiennes et la foi doit s’exprimer dans les cantiques religieux. Quand Annie Caldwell Brown s’est aperçue que sa fille aînée chantait le blues, elle a immédiatement réagi en fustigeant cette « musique du diable » et en incitant ses enfants à se tourner vers le seigneur.

Avec son mari, Willie Joe Caldwell, elle a créé un orchestre familial et peut ainsi veiller sur l’éducation musicale de sa progéniture. L’album Can’t lose my soul est le fruit de cette exigence parentale que la « Caldwell’s Family » revendiquait sur scène, le 7 février 2025, au festival « Sons d’hiver ».

 

Aux États-Unis, les spirituals sont indissociables du culte. Annie Caldwell Brown est d’ailleurs une femme pieuse qui défend une vision rigoriste de la célébration musicale. Livrer une prestation en public est un sacerdoce pour cette digne interprète du patrimoine noir. Depuis sa prime jeunesse, elle loue le Seigneur dans les églises locales du Mississippi. Originaire de West Point, elle a connu la ségrégation dans le Sud rural. Elle a vu sa maison brûler sous ses yeux. Elle a travaillé dur dans les champs de coton pour subvenir aux besoins de sa famille. Comment a-t-elle résisté à cette vie douloureuse ? En priant le bon Dieu !

Lorsqu’elle débuta sa carrière de chanteuse de gospel au début des années 70, sa ferveur narrait les affres d’une destinée percutée par les inégalités sociales. Avec ses frères, elle créa les Staples Jr Singers, un groupe vocal inspiré par la fougue des Staples Singers originels. Le premier et seul disque de cette formation de jeunes ouailles attachées à la tradition séculaire religieuse ne connut qu’un succès d’estime. When do we get paid, paru en 1975, fut toutefois redécouvert en 2022 et permit à la petite famille de porter la bonne parole sur les scènes internationales. La disparition en novembre 2024 d’Arceola Brown, le frère aîné d’Annie, mit fin à cette aventure unique.

Annie et son époux, Willie Joe Caldwell, ont donc décidé de reprendre la route avec leurs propres enfants pour poursuivre cette mission divine. L’album Can’t lose my soul est le fruit de cette insatiable quête spirituelle. Si la société a évolué, les convictions personnelles de la cheffe de famille sont toujours les mêmes. Elle a, certes, pris conscience des lentes améliorations de ses conditions de vie, mais reste perplexe face aux revendications de la jeune génération. Elle met d’ailleurs en garde ses filles dont elle perçoit la volonté d’émancipation : « Sans vouloir minimiser la place des femmes au XXIè siècle, je dirais que ce que nous avons vécu autrefois était beaucoup plus rude. Nos enfants n’ont pas connu les heures sombres de la ségrégation raciale de manière aussi intense et violente. Ils ne savent pas ce que la foi représentait pour nous. C’était la seule échappatoire à une vie terriblement difficile et pesante. Quand les brimades et les humiliations se répètent chaque jour, vous n’avez qu’une solution : survivre ! Aujourd’hui, et tant mieux pour elles, certaines jeunes femmes africaines-américaines peuvent devenir millionnaires. Je dirais donc humblement que les conditions de vie sont plus faciles aujourd’hui. J’espère juste que les femmes du XXIè siècle n’oublieront pas ce que nous avons traversé pour qu’elles parviennent à vivre pleinement leur citoyenneté américaine. J’espère également qu’elles n’oublieront pas ce que le Seigneur a pu leur apporter et qu’elles continueront à le célébrer. Aujourd’hui, nos enfants ont accès à l’éducation. Cela explique leur force de caractère. Les jeunes n’ont plus besoin de regarder en arrière. Ils peuvent pleinement embrasser l’avenir et revendiquer leurs droits civiques. Ils n’ont heureusement plus besoin de courber l’échine ». (Annie Caldwell Brown au micro de Joe Farmer)

Que l’on soit croyant ou non, ces propos fort respectables nous éclairent sur le drame de la discrimination et du racisme institutionnalisé. Écouter les mots de cette femme courageuse est une leçon d’humanisme que l’on se doit de chérir et de méditer. Si vous passez par West Point (Mississippi), allez rendre visite à Annie Caldwell Brown. Elle tient un magasin de vêtements dont elle assure, grâce à Dieu (dit-elle), la bonne tenue depuis 40 ans…

⇒ Le site d'Annie & The Caldwells.