Le poivre de Tiassalé, affaire de terroir en Côte d'Ivoire
03 June 2025

Le poivre de Tiassalé, affaire de terroir en Côte d'Ivoire

L'Afrique en marche

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Portrait d'un agriculteur - transformateur en Côte d’Ivoire. Jean-Eudes Kacou ne produit pas de cacao ou de l’anacarde, comme beaucoup dans le pays, mais du poivre. Un poivre de Tiassalé, qui est un produit bio et savoureux pour lequel Jean-Eudes voudrait, un jour obtenir une certification IGP, comme un autre poivre d'excellence, celui de Penja au Cameroun. 

Ce n'est pas dans ses vergers de Tiassalé mais dans la demeure familiale à Abidjan Cocody que Jean-Eudes Kakou vous donne rendez-vous. Et d'ailleurs, pendant qu'il livre quelques kilos de poivre en ville, c'est sa maman, Louise, qui vous accueille au jardin et vous raconte l'origine de la marque Kapecé

« Le logo Kapecé c’est l'initiale de mon mari » explique-t-elle avec un soupçon de fierté. « KPC c’est Kacou Pierre-Clavere et je lui dis vraiment merci, ça permet de ne pas oublier mon mari de le faire revivre. Je suis très contente qu'il (Jean-Eudes, ndr) ait repris cette activité, vraiment, il s'en sort très bien ! ». 

Car l'histoire de Kapecé, c'est une histoire de famille, un père décédé il y a quelques années, ancien haut magistrat, passionné d'agriculture et un fils qui reprend ses champs et tente une expérience un peu folle, celle de faire pousser du poivre au pays du cacao et de l'anacarde. Un pari osé et réussi puisque son poivre bio est considéré comme l'un des meilleurs de Côte d'Ivoire.

Une histoire de famille

Aussi Jean-Eudes Kakou a décidé de relever le challenge d’une culture rare en Côte d’Ivoire et écoresponsable. 

« Moi, mon défi, ça a été de dire que je veux vivre de cette agriculture-là. Et on ne peut pas vivre de l'agriculture sans transformation aujourd'hui. Vendre juste le fruit de l’agriculture n’est pas du tout rentable. On a vu qu’on pouvait transformer le poivre. Il fallait juste revoir un peu le processus, c'est-à-dire que nous avons arrêté l’usage des produits chimiques depuis onze ans maintenant. Aujourd'hui, on produit beaucoup moins, mais on produit de meilleure qualité. Ce qui m'a interpellé, c'est que ça n’avait pas de sens : tous les deux mois, il fallait acheter de nouveaux produits chimiques. Je me suis dit que ce n’était  pas la solution d’utiliser des produits chimiques qui appauvrissent  la terre. Il y a aussi plusieurs aspects, c'est l'aspect humain. Nous travaillons avec des personnes parfois qui ont une ancienneté de dix ans et c'est un peu plus que des travailleurs aujourd'hui, ils font partie de la famille. Aujourd'hui, c'est eux qui traitent les poivriers, on ne va pas les rendre malades. On tend plutôt vers des poivres d'origine qui sont produits avec beaucoup moins de produits chimiques sinon, voire même sans produits chimiques. C'est vraiment cette tendance ». 

Une tendance qui plaît sur les tables abidjanaises. Bruno Oustric est chef du restaurant de l'hôtel Tiama, au quartier du Plateau. 

« J'ai connu son poivre il y a à peu près trois ans, c'est. Un super produit, oui ! Un très, très bon produit qu’on ne trouve pas ailleurs. C'est un produit bio, il a une diversité sur le poivre noir, le blanc, le rouge et le poivre frais avec des saveurs incroyables. Je suis tombé amoureux de son poivre. C'est un petit peu le but du jeu quoi. C'est d’utiliser les produits locaux au maximum. Après c'est en pleine expansion. On utilisait beaucoup de produits importés auparavant. Et on essaie de minimiser tout ça parce que à l'importation, c’est quand même très, très cher ». 

Innover, structurer, rechercher et labelliser Jean-Eudes Kakou avec son poivre de Tiassalé entend bien parvenir à l'excellence, un peu à l'image du poivre camerounais de Penja qui a obtenu une IGP, une Indication Géographique Protégée. 

Tiassalé, zone de production pour le poivre 

« Le Cameroun est l'exemple. Pour nous l’IGP, c’est l’aboutissement, on veut vraiment arriver à ça. Je pense qu'on est plutôt bien parti. C'est qu'on est, quand même, les premiers en Côte d'Ivoire à avoir tenté cette expérience de culture du poivre. Chaque année, nous augmentons nos volumes, mais ce que nous faisons beaucoup plus, c'est de motiver d'autres producteurs à planter du poivre. Une hirondelle ne peut pas faire le printemps, mais on ne peut pas tout mettre autour de nous. On veut vraiment que Tiassalé soit une zone de production pour le poivre ».

Obtenir cette IGP marquerait l'excellence du produit, mais aussi la garantie de revenus. Delphine Marie-Vivien est chercheur, spécialisée en propriété intellectuelle au Cirad

« Le grand bénéfice de cette démarche, c'est vraiment sa dimension collective. Quand vous êtes sur un nom géographique, vous êtes forcément sur un produit qui est réputé du fait d'un ensemble de producteurs depuis plusieurs. Et avec l'idée derrière effectivement d'avoir la reconnaissance de la qualité spécifique grâce à l'usage exclusif du nom et de ce fait-là, du coup, de revenus améliorés. En tout cas, c'est ce qu'on a vu pour le poivre de Penja, c'est ce que l'on voit pour beaucoup d'appellations d'origine, indications géographiques ». 

Il y a dix ans, en décrochant le label IGP, le poivre du Penja au Cameroun a vu sa valeur tripler sur le marché et la surface de culture quintupler.