Sommet des Brics: «Créer des monnaies alternatives au dollar prendra du temps»
22 October 2024

Sommet des Brics: «Créer des monnaies alternatives au dollar prendra du temps»

Le grand invité Afrique
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C'est aujourd'hui, mardi 22 octobre, à Kazan, en Russie, que s'ouvre le sommet 2024 des Brics, ce club des pays qui veulent faire contrepoids à l'Occident, et mettre fin à l'hégémonie du dollar dans le commerce international. Outre les présidents chinois et indien, Vladimir Poutine attend sur place trois personnalités africaines : les chefs d'État sud-africain et égyptien, ainsi que le Premier ministre éthiopien. Quel est l'enjeu de ce sommet ? Ahmedou Ould Abdallah, l'ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, préside aujourd'hui une société de conseil, le Centre 4S : Stratégie, Sécurité, Sahel et Sahara.

RFI : Vu d'Afrique, est-ce que l'avenir est avec l'Occident ou avec les Brics ?

Ahmedou Ould Abdallah : L'avenir est avec les libertés, les libertés politiques à l'intérieur des pays, liberté d'expression, de gestion, mais aussi les libertés de mouvement dans l'espace. Alors les Africains, comme le dit l'expression populaire, « ils votent avec leurs pieds ». Ils émigrent où ? Ils émigrent la plupart du temps en Amérique ou en Europe. Même si cette migration est de plus en plus rejetée en Europe, je pense que le sentiment des Africains est pour la liberté de mouvement, de commerce, donc pour les pays où cela est possible, et ça se trouve en Occident, effectivement.

La grande ambition des Brics, c'est de mettre fin à l'hégémonie occidentale sur les marchés financiers et de trouver une alternative au dollar. Est-ce que vous pensez qu'ils vont y arriver ?

D'abord, aujourd'hui, la puissance du dollar, c'est surtout l'économie américaine et la plupart des grandes économies, de l'Arabie saoudite à la Chine, ont leurs réserves en dollar, à la Federal Reserve Board. Quand on regarde le commerce, le dollar doit être à 60 % des échanges et des réserves. Mais si on ajoute les monnaies alliées, l'euro, le sterling et le yen, c'est très probablement proche de 80 % des échanges mondiaux qui s'effectuent dans ces devises. L'idée de créer des monnaies alternatives, je pense que ça prendra du temps.

Alors la nouveauté cette année à Kazan, c'est notamment l'arrivée dans les Brics de deux nouveaux pays africains : l'Égypte et l'Éthiopie. Pourquoi ces deux pays ? Et pourquoi pas tous les autres pays du continent qui se sont portés candidats ?

L’Egypte et l’Ethiopie, ce sont des pays voisins qui ne sont pas souvent amis à propos du Nil. Est-ce que le but est de les aider à se réconcilier ? Ces deux pays très peuplés, même si le Nigeria est beaucoup plus peuplé, ont leur place dans cette institution. Et ils ont des régimes aussi qui vont beaucoup plus avec les régimes russes et chinois dans la gestion de l'économie, c'est-à-dire l'économie nationale, beaucoup moins libérale.

Certains pensent que l'Éthiopie a été préférée au Nigeria parce que le Nigeria abriterait une branche du système de commandement américain et parce que le Nigeria est en compétition économique avec l'Afrique du Sud…

C'est très possible. Mais pour ce que je connais du Nigeria, ils sont autosuffisants sur le plan politique et diplomatique. Je pense que le Nigeria est très introverti.

Il y a deux ans, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé l'entrée prochaine de l'Algérie dans les Brics. Mais rien n'est venu. Et aujourd'hui, le chef d'État algérien déclare que son pays ne souhaite pas intégrer un groupe dans lequel il n'est pas désiré. « C'est vrai », dit-il, « on a déposé notre candidature il y a deux ans, mais avec la tournure que prend cette organisation, notre volonté a changé ». Peut-on parler d'un revers diplomatique pour l'Algérie ?

Si l'Algérie l'a vu comme une continuation du G77, c’est-à-dire du groupe des non-alignés où elle a joué un rôle important, effectivement, cet objectif n'a pas été atteint.

Est-ce le signe que l'Algérie pèse moins qu'avant dans les relations internationales ?

Depuis la guerre civile [des années 1990], l'Algérie a eu à se pencher beaucoup plus sur des problèmes internes. Mais la plupart des pays de ma région ont des préoccupations plus internes qu'externes.

En coulisses, à Alger, on accuse un pays des Brics d'avoir mis son veto à l'entrée de l'Algérie dans ce club, et cela sous les ordres « d'un modeste émirat du Golfe », précise le journal El Moudjahid. Quels sont ces deux pays ?

Alors, sur le fond du problème, je ne suis pas au courant d'un malentendu entre l'Algérie et l'un de ces pays, en l'occurrence le Qatar ou les Émirats Arabes Unis.

Vu les bons rapports entre le Maroc et les Émirats, n'est-ce pas justement ce pays, les Émirats, qui est visé par l'article d'El Moudjahid ?

Je crois que ce qui est important, c'est d'être dans les Brics. Ils peuvent ouvrir des perspectives à tous nos pays, y compris pour les productions énergétiques d'Algérie et pour les productions agricoles et de phosphate du Maroc. Et je pense que le mérite du Maroc et de l'Algérie, c'est ne pas s'entendre, mais, Dieu merci, ils se refusent à faire une guerre ouverte, comme leurs frères et cousins du Moyen-Orient. Je pense que cet aspect doit continuer, quels que soient les appuis financiers, militaires, diplomatiques qu'ils entretiennent, et j'espère bientôt qu'ils ouvriront leur frontière. Les populations qui sont très liées pourront aller rapidement d'un endroit à l'autre, comme elles le faisaient au cours des siècles et des dernières décennies.