Le grand invité Afrique
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Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

Sommet des Brics: «Créer des monnaies alternatives au dollar prendra du temps»
22 October 2024
Sommet des Brics: «Créer des monnaies alternatives au dollar prendra du temps»

C'est aujourd'hui, mardi 22 octobre, à Kazan, en Russie, que s'ouvre le sommet 2024 des Brics, ce club des pays qui veulent faire contrepoids à l'Occident, et mettre fin à l'hégémonie du dollar dans le commerce international. Outre les présidents chinois et indien, Vladimir Poutine attend sur place trois personnalités africaines : les chefs d'État sud-africain et égyptien, ainsi que le Premier ministre éthiopien. Quel est l'enjeu de ce sommet ? Ahmedou Ould Abdallah, l'ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, préside aujourd'hui une société de conseil, le Centre 4S : Stratégie, Sécurité, Sahel et Sahara.

RFI : Vu d'Afrique, est-ce que l'avenir est avec l'Occident ou avec les Brics ?

Ahmedou Ould Abdallah : L'avenir est avec les libertés, les libertés politiques à l'intérieur des pays, liberté d'expression, de gestion, mais aussi les libertés de mouvement dans l'espace. Alors les Africains, comme le dit l'expression populaire, « ils votent avec leurs pieds ». Ils émigrent où ? Ils émigrent la plupart du temps en Amérique ou en Europe. Même si cette migration est de plus en plus rejetée en Europe, je pense que le sentiment des Africains est pour la liberté de mouvement, de commerce, donc pour les pays où cela est possible, et ça se trouve en Occident, effectivement.

La grande ambition des Brics, c'est de mettre fin à l'hégémonie occidentale sur les marchés financiers et de trouver une alternative au dollar. Est-ce que vous pensez qu'ils vont y arriver ?

D'abord, aujourd'hui, la puissance du dollar, c'est surtout l'économie américaine et la plupart des grandes économies, de l'Arabie saoudite à la Chine, ont leurs réserves en dollar, à la Federal Reserve Board. Quand on regarde le commerce, le dollar doit être à 60 % des échanges et des réserves. Mais si on ajoute les monnaies alliées, l'euro, le sterling et le yen, c'est très probablement proche de 80 % des échanges mondiaux qui s'effectuent dans ces devises. L'idée de créer des monnaies alternatives, je pense que ça prendra du temps.

Alors la nouveauté cette année à Kazan, c'est notamment l'arrivée dans les Brics de deux nouveaux pays africains : l'Égypte et l'Éthiopie. Pourquoi ces deux pays ? Et pourquoi pas tous les autres pays du continent qui se sont portés candidats ?

L’Egypte et l’Ethiopie, ce sont des pays voisins qui ne sont pas souvent amis à propos du Nil. Est-ce que le but est de les aider à se réconcilier ? Ces deux pays très peuplés, même si le Nigeria est beaucoup plus peuplé, ont leur place dans cette institution. Et ils ont des régimes aussi qui vont beaucoup plus avec les régimes russes et chinois dans la gestion de l'économie, c'est-à-dire l'économie nationale, beaucoup moins libérale.

Certains pensent que l'Éthiopie a été préférée au Nigeria parce que le Nigeria abriterait une branche du système de commandement américain et parce que le Nigeria est en compétition économique avec l'Afrique du Sud…

C'est très possible. Mais pour ce que je connais du Nigeria, ils sont autosuffisants sur le plan politique et diplomatique. Je pense que le Nigeria est très introverti.

Il y a deux ans, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé l'entrée prochaine de l'Algérie dans les Brics. Mais rien n'est venu. Et aujourd'hui, le chef d'État algérien déclare que son pays ne souhaite pas intégrer un groupe dans lequel il n'est pas désiré. « C'est vrai », dit-il, « on a déposé notre candidature il y a deux ans, mais avec la tournure que prend cette organisation, notre volonté a changé ». Peut-on parler d'un revers diplomatique pour l'Algérie ?

Si l'Algérie l'a vu comme une continuation du G77, c’est-à-dire du groupe des non-alignés où elle a joué un rôle important, effectivement, cet objectif n'a pas été atteint.

Est-ce le signe que l'Algérie pèse moins qu'avant dans les relations internationales ?

Depuis la guerre civile [des années 1990], l'Algérie a eu à se pencher beaucoup plus sur des problèmes internes. Mais la plupart des pays de ma région ont des préoccupations plus internes qu'externes.

En coulisses, à Alger, on accuse un pays des Brics d'avoir mis son veto à l'entrée de l'Algérie dans ce club, et cela sous les ordres « d'un modeste émirat du Golfe », précise le journal El Moudjahid. Quels sont ces deux pays ?

Alors, sur le fond du problème, je ne suis pas au courant d'un malentendu entre l'Algérie et l'un de ces pays, en l'occurrence le Qatar ou les Émirats Arabes Unis.

Vu les bons rapports entre le Maroc et les Émirats, n'est-ce pas justement ce pays, les Émirats, qui est visé par l'article d'El Moudjahid ?

Je crois que ce qui est important, c'est d'être dans les Brics. Ils peuvent ouvrir des perspectives à tous nos pays, y compris pour les productions énergétiques d'Algérie et pour les productions agricoles et de phosphate du Maroc. Et je pense que le mérite du Maroc et de l'Algérie, c'est ne pas s'entendre, mais, Dieu merci, ils se refusent à faire une guerre ouverte, comme leurs frères et cousins du Moyen-Orient. Je pense que cet aspect doit continuer, quels que soient les appuis financiers, militaires, diplomatiques qu'ils entretiennent, et j'espère bientôt qu'ils ouvriront leur frontière. Les populations qui sont très liées pourront aller rapidement d'un endroit à l'autre, comme elles le faisaient au cours des siècles et des dernières décennies.

Hallal Bilal: «la Côte d'Ivoire a vu près de 80% de son couvert forestier et faunique disparaître»
21 October 2024
Hallal Bilal: «la Côte d'Ivoire a vu près de 80% de son couvert forestier et faunique disparaître»

Comment protéger les animaux sauvages dans un monde où le couvert forestier ne cesse de diminuer ? C’est l’un des principaux enjeux de la COP16, la conférence mondiale pour la biodiversité, qui s’ouvre ce lundi à Cali, en Colombie. En Afrique de l’Ouest, certaines espèces emblématiques comme l’éléphant sont même en voie d’extinction ! Depuis deux ans, Hallal Bilal préside la Roots Wild Foundation, basée en Côte d’Ivoire. En ligne d’Abidjan, il pousse un cri d’alarme.

RFI : Qu'est-ce que vous attendez de cette COP16 pour la biodiversité ?

Hallal Bilal : Que des mesures concrètes mais surtout obligatoires soient prises envers les différents gouvernements pour les obliger à s'investir beaucoup plus dans la protection de la biodiversité.

Et des animaux sauvages ?

Bien sûr.

Quels sont à vos yeux les pays africains où la situation est la plus catastrophique ?

Ecoutez, je vais déjà parler de mon propre pays. Donc la Côte d'Ivoire a vu près de 80 % de son couvert forestier et faunique disparaître. D'ailleurs, le gouvernement et les membres de la société civile mettent vraiment la main à la pâte et les choses sont en train de changer. Donc oui, déjà la Côte d'Ivoire et puis toute la zone ouest-africaine.

À cause de quoi ? À cause de l'urbanisation ou à cause du développement de l'agriculture ?

Donc l'urbanisation, bien évidemment, joue un rôle. Le chômage joue un rôle, un rôle très important. L'agriculture bien évidemment aussi, la culture du cacao, la culture du palmier, la culture de l'hévéa, toutes les cultures sont un facteur de déforestation.

En Côte d'Ivoire, l'animal emblématique, c'est l'éléphant… Les footballeurs ivoiriens sont bien placés pour le savoir, mais est-ce que ce pachyderme n'est pas en voie d'extinction ?

Je peux vous garantir que nous avons vu la quantité de spécimens d'éléphants chuter énormément chez nous en Côte d'Ivoire. Voilà pourquoi d'ailleurs le gouvernement a pris des mesures importantes. Donc, il y a un projet de loi qui a été voté il y a quelques mois par l'Assemblée nationale concernant la création de deux sanctuaires d'éléphants : un sanctuaire dans la zone sud, un sanctuaire dans la zone nord.

Est-ce qu'on a des chiffres sur la diminution de la population des éléphants en Côte d'Ivoire ?

Ecoutez, pour ma part, oui, je pense qu’actuellement, nous avons une population comprise entre 200 et 500 éléphants maximum.

Il y en avait combien il y a 20 ans ?

Oh, il y en avait plus de 1000.

Donc si on est à 200 éléphants, on peut dire que l'espèce est en voie d'extinction ?

Entre 200 et 500 éléphants, je dirais oui, c'est que l'éléphant est pratiquement en voie d'extinction en Côte d'Ivoire. C'est pour ça que, justement, il est primordial et vital de mener des actions en faveur de la reproduction et de leur protection. La déforestation, malheureusement, est un gros facteur de la disparition des éléphants. Les éléphants font des transhumances à travers les couloirs de forêt. Voilà pourquoi nous avons des éléphants qui se retrouvent dans des villages en divagation parce qu'ils sont complètement désorientés puisqu'il n'y a plus de forêt. Donc c'est catastrophique.

Et ces éléphants qui divaguent, ils sont tués par les villageois ?

Non, alors tout de suite, dès que le ministère des Eaux et Forêts a une information, tout de suite on dépêche une équipe pour protéger cet éléphant, pour sensibiliser la population. Les populations sont plutôt émerveillées de voir l'éléphant. Mais c'est de l'inconscience ou de l'ignorance, donc ils vont s'approcher de l'animal, donc ça peut être risqué. L'éléphant peut être paniqué, mais sinon non, non, non, les populations ne tuent pas l'animal. Et d'ailleurs nous avons soutenu le ministère des Eaux et Forêts afin de déplacer deux éléphants il n'y a pas très longtemps pour les mettre en sécurité.

Est-ce qu'il reste du braconnage ?

Oui, il reste du braconnage.

Pour l'ivoire ?

Pour l'ivoire, pour la peau, pour la viande, pour tout. Vous savez, n'oubliez pas qu’en Afrique, nous avons quand même la culture de la consommation de la viande de brousse, tout simplement.

Et vous ne craignez pas que, derrière les discours officiels, la déforestation continue et un certain nombre d'espèces disparaissent ?

On ne laissera pas faire parce que nous sommes des personnes assez engagées, assez passionnées. Donc nous avons dédié notre vie à la protection de la nature, donc on ne laissera pas faire.

Oui, mais si les gens sont d'accord avec cette évolution, vous ne pourrez rien faire ?

Alors, en toute sincérité, nous menons énormément de campagnes de sensibilisation aujourd'hui dans chacun de nos communiqués. C'est pour ça que nous en appelons à l'esprit de conservation qui anime chaque Ivoirienne et chaque Ivoirien, parce que c'est notre héritage. Et les populations comprennent, parce que ne serait-ce que depuis 2023, depuis l'année passée, nous avons récupéré énormément d'animaux. Jusqu'aujourd'hui, nous récupérons tous les jours des animaux à notre refuge. Donc c'est un refuge de transition où nous récupérons tous les animaux, victimes du braconnage et du trafic d'espèces. Ils sont mis à disposition par la population en vue de les préparer et de les soigner, en vue de leur future réintroduction dans la nature dans des zones surtout sécurisées. Donc moi, je peux vous garantir qu'une grande partie de la population aujourd'hui est très engagée dans la protection de la faune ivoirienne. Et on continue de mener nos actions de sensibilisation, même dans les écoles. Pas plus loin que hier, le vice-président de la Fondation a eu un entretien avec Adrienne Soundele, la présidente de la Fondation Soundele Konan qui lutte contre la déforestation, et avec une dame du ministère de l'Education nationale, afin de pouvoir inclure cette matière-là dans le programme scolaire.

RDC: au Parc national des Virunga «ceux qui tuent les animaux, ce sont les groupes armés»
18 October 2024
RDC: au Parc national des Virunga «ceux qui tuent les animaux, ce sont les groupes armés»

Comment protéger les animaux contre la furie des hommes ? C’est la bataille que mène le Congolais Bantu Lukambo pour sauvegarder les animaux sauvages dans le Parc national des Virunga, à l’Est de la République démocratique du Congo. Hier à Londres, ce militant environnementaliste de 51 ans a reçu le prix prestigieux du Fonds International pour la Protection des Animaux, le prix IFAW. En ligne de la capitale britannique, il raconte son combat au micro de Christophe. Boisbouvier.

RFI : Bantu Lukambo, vous êtes né dans un village de pêcheurs au cœur du parc des Virunga, pourquoi vous êtes-vous engagé très jeune dans ce combat pour la défense des animaux ?

Bantu Lukambo : En fait, il y avait du désordre, il y avait du braconnage, il y avait tout. Alors mon papa était pêcheur et papa surtout faisait allusion aux hippopotames. Il nous disait que c'est grâce aux hippopotames qu'il y a des poissons.

Et pourquoi est-ce grâce aux hippopotames qu'il y a du poisson ?

En fait, avec la bouse des hippopotames, les poissons trouvent de quoi manger. Donc, il ne fallait pas décimer les écosystèmes. En les décimant, on serait, nous aussi, candidats à la mort.

Est-ce que, dans votre village, les gens se moquaient de votre papa et de vous en vous disant que vous feriez mieux de défendre les humains que les animaux ?

Oui, oui, oui ! Même aujourd'hui, il y a des moments où on nous dit cela. Parfois, il y a ceux-là qui nous comparent à des fous. Ils disent, non, les gens sont en train de mourir, mais vous, vous défendez les animaux ! Bon, petit à petit, nous arrivons à convaincre les autres, puisque aujourd'hui, au moins 75% des communautés ont compris que nous avons l'obligation de protéger les écosystèmes, puisque sans les écosystèmes, on ne peut pas vivre.

Alors, vous dites qu'au village, aujourd'hui, les gens comprennent mieux le sens de votre combat, mais ça ne les empêche pas de continuer à chasser ces animaux, non ?

Bon, en fait, ceux qui tirent les animaux ne sont pas les communautés locales. Ce sont les groupes armés. Parce que tu vois, la plupart des groupes armés, ils se servent des animaux, les abattent pour avoir de quoi acheter les munitions, les uniformes et à manger. Mais les communautés, vraiment, non ! Et si nous réussissons le combat sur le terrain, c'est grâce à ces communautés-là.

Et quand vous parlez des groupes armés, il s'agit de qui ?

Il s'agit du M 23 par exemple, il y a les Wazalendos, il y a même les militaires de nos forces armées : les FARDC [NDLR : Les Forces armées de la République démocratique du Congo] qui abattent les animaux. C'est pourquoi j'ai dit : les porteurs d'armes.

Alors, face à ces porteurs d'armes, il y a quand même les écogardes, qu'est-ce-que ceux-ci peuvent faire pour protéger le parc ?

Bon, ces gens-là, vraiment, sont dans des difficultés totales, comme nous les défenseurs de l'environnement. Ils sont malmenés par les M 23, aussi par les FARDC. Aussi par les groupes Maï Maï, les Wazalendos-là. C'est pourquoi, aujourd'hui, le trafic illicite est vraiment visible, surtout à la frontière entre le Congo et l'Ouganda. C'est facilité par ces porteurs d'armes.

Et quels sont les animaux qu'ils abattent ?

Les éléphants pour leur ivoire, les hippopotames pour la viande et les gorilles pour leurs bébés.

Pour les revendre à des trafiquants ?

Oui, pour avoir un bébé gorille, il faut décimer soit la famille tout entière, ou bien la moitié de la famille.  D'ailleurs, récemment, nous avons écrit une lettre aux trois présidents du Rwanda, de l'Ouganda et du Congo, pour qu'ils puissent voir comment plaider pour cet espace et le laisser aux écogardes du Congo, du Rwanda et de l'Ouganda. Jusque-là, nous n'avons pas eu des réponses. Mais pour le moment, les gorilles sont en difficulté puisque la zone est occupée par les militaires du M 23.

Donc votre combat, c'est aussi pour que les montagnes des Virunga deviennent une zone démilitarisée ?

Oui ! Nous voulons vraiment que la zone où habitent les gorilles de la partie congolaise, la partie rwandaise et la partie ougandaise soit une zone neutre. No war. Qu'on la laisse entre les mains des écogardes de ces trois pays.

Une zone no war ? Une zone sans guerre ? Une zone démilitarisée ?

Oui. C'est ça notre combat !

Alors, il y a les groupes armés, il y a les trafiquants, est-ce qu'il n'y a pas aussi la surpopulation qui menace le Parc national des Virunga ?

Bon, au Congo, nous n'avons pas un problème de l'explosion démographique, surtout que nous avons beaucoup de terres qui sont vacantes. Mais, aujourd'hui, avec la présence des rescapés qui fuyaient les zones sous contrôle rebelle, ils ont quand même essayé de détruire une grande partie du Parc national des Virunga à la recherche du bois de chauffe. Bon, c'est ça !

Oui, il y a quand même des villageois qui s'installent dans le Parc des Virunga pour défricher, pour cultiver la terre ou pour chercher du bois de chauffe ?

Oui, oui, ça, c'est vrai. Il y a une partie qui est vraiment polluée et ça, c'est avec la bénédiction des groupes armés encore.

Et comment empêcher les populations de s'installer dans ce parc ?

Pour le moment, avec la guerre, ce n'est pas facile. Puisque tu vois, lorsque vous arrivez à Goma, vous pouvez pleurer. La population est, je peux dire, abandonnée. Les rescapés sont presque abandonnés et c'est ce qui pousse une partie des rescapés à aller dans le parc pour se débrouiller. Pour chercher comment trouver les bois de chauffe. Mais aussi, il y a une partie qui est détruite par nos militaires, qui ont placé des tronçonneuses pour fabriquer des planches là-bas.

Des planches de bois ?

Oui.

Pour la construction des maisons, c'est ça ?

Oui.

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Alexandre Didier Amani: «Il y a un véritable recul de la démocratie» en Afrique «mais nous avons de l'espoir»
17 October 2024
Alexandre Didier Amani: «Il y a un véritable recul de la démocratie» en Afrique «mais nous avons de l'espoir»

Cette semaine, l'ONG Tournons la page célèbre ses dix ans de lutte pour la démocratie et les droits de l'Homme en Afrique. Ses militants sont lucides : le bilan est sombre, au vu des coups d'État militaires de ces quatre dernières années en Afrique de l'Ouest. Alors dix ans pour rien ? L'Ivoirien Alexandre Didier Amani n'est pas d'accord. Depuis un an, il préside l'ONG et de passage à Paris, il explique au micro de Christophe Boisbouvier que le combat de Tournons la page est toujours nécessaire. Non seulement au Sahel et en Guinée, mais aussi au Togo, en Côte d'Ivoire et au Tchad.

 

RFI : Alexandre Didier Amani, voilà 10 ans que vous vous battez pour l'alternance démocratique et les droits de l'homme en Afrique, mais au vu des coups d'État militaires au Sahel, en Guinée, est ce que vous n'êtes pas saisi tout de même par un sentiment de désespoir ?

Alexandre Didier Amani : Le désespoir, c’est un peu trop dire. Il y a un doute, mais c'est normal parce que la lutte pour la démocratie est un processus. Il y a naturellement des moments de pics avec le Sénégal qui est une lueur d'espoir, mais aussi des moments de doute, lorsque nous avons les crises, les coups d’État militaires. Et surtout les coups d'État constitutionnels. On n'en parle pas beaucoup, mais ils participent à bâillonner la démocratie.

Et vous pensez à quel pays ?

Naturellement, le Togo et la Côte d'Ivoire.

La Côte d'Ivoire qui est votre propre pays. Des 3 pays de l'AES, l'Alliance des États du Sahel, quel est le pays qui vous paraît le plus dangereux aujourd'hui, pour les défenseurs des droits de l'homme et de la démocratie ?

On pourrait dire le Burkina Faso avec les enlèvements des militants pro-démocratie. C'est l'occasion d'adresser un message de soutien à Maître Kam qui a été enlevé.

Maître Guy Hervé Kam.

Oui, à Maître Guy Hervé Kam et à tous nos camarades militants du Balai citoyen qui aujourd'hui ont des difficultés à s'exprimer.

Parce que le droit est encore moins respecté dans ce pays ?

Effectivement

Qu’au Niger et qu’au Mali ?

Oui, on peut le dire, parce que les enlèvements sont légion avec les forces parallèles et les VDP qui, eux aussi, contribuent à cela.

En Guinée-Conakry, l'une des deux grandes figures de la société civile qui a disparu depuis 3 mois, Mamadou Billo Bah, n'est autre que le coordinateur de votre organisation « Tournons La Page » dans le pays. Qu'est-ce que vous faites pour lui depuis 3 mois ?

C’est pour nous la note noire de ces 10 ans. On ne peut pas parler d'un mouvement pro- démocratie et constater que son coordinateur pour la Guinée a été enlevé. Ça fait 100 jours qu'on n'a pas de nouvelles. Nous avons essayé de mobiliser aussi bien les bailleurs, les partenaires et même certaines chancelleries, et bien sûr les Nations-Unies pour avoir un positionnement clair, afin qu'on libère nos camarades. Aujourd'hui, on n'a pas de nouvelles. Un enlèvement dans un État actuellement au 21e siècle, ça nous fait peur. Et plus les jours passent, plus nous devenons de plus en plus inquiets par rapport à la situation de nos camarades.

Dans un an, Alexandre Didier Amani, vos compatriotes ivoiriens vont élire leur président. Au regard de la démocratie et des droits de l'homme, est-ce-que vous êtes optimiste ou inquiet pour l'année prochaine ?

Nous demeurons inquiets en Côte d'Ivoire. Parce que ces temps-ci, il y a eu une loi, l'ordonnance sur les organisations de la société civile, qui nous montre un bâillonnement. Il y a aussi l'appel de l'opposition au dialogue, pour que l’on puisse aller au consensus au niveau de la Commission électorale indépendante et aussi du code électoral. Pour le moment, il n'y a pas un retour favorable des autorités en place et, si ça continue ainsi, ça risque d'aller à l’embrasement.

Et par rapport au Togo qui vient d'instaurer un régime parlementaire, quel est votre point de vue ?

L’inquiétude au Togo est de plus en plus forte. Parce qu’il y a un coup d'État constitutionnel qui a été opéré, mais surtout la fermeture de l'espace civique. Nos militants sont menacés, pourchassés, bâillonnés. On a constaté que Guy Marius Sagna, député CEDEAO, a été bastonné en pleine conférence de presse.

À Lomé ?

Oui à Lomé. Ça montre combien de fois on atteint un pic, un pic de violence, mais aussi un pic de bâillonnement de toutes voix discordantes, de la part des pouvoirs en place. Surtout le pouvoir togolais.

Alors, l'un des pays où vous êtes le plus actif, c'est le Tchad ? Quel est votre regard sur la situation d'aujourd’hui ?

La situation demeure tendue. Parce que, aux dernières élections, « Tournons La Page » a déployé 1000 observateurs pour observer l'élection. Mais les retours n'ont pas été aussi favorables. Au Tchad, la répression des militants continu

 

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Amadou Ba (Pastef): «L’électeur sénégalais ne va pas se laisser tromper par une opposition en quête de rédemption et d'impunité»
16 October 2024
Amadou Ba (Pastef): «L’électeur sénégalais ne va pas se laisser tromper par une opposition en quête de rédemption et d'impunité»

Au Sénégal, la bataille électorale est lancée, en vue des législatives du 17 novembre. Hier, à la même heure, vous avez pu entendre un porte-parole de l'ancien président Macky Sall, qui affirmait que « les Sénégalais commencent à regretter l'ancien régime, car le nouveau pouvoir ne fait rien ». Aujourd'hui, voici la réponse de ce nouveau régime, par la voix d'Amadou Ba, qui est député du Pastef. Combien de députés espère-t-il pour son parti dans la future Assemblée ? Quel risque prendrait Macky Sall s'il rentrait faire campagne au Sénégal ? 

RFI : Monsieur Amadou Ba, le mois dernier, le chef de l'État a dissous l'Assemblée nationale, afin que les Sénégalais élisent une nouvelle Assemblée qui lui donnera les moyens d'agir, mais est-ce que vous ne craignez pas qu'un certain nombre de vos compatriotes, qui sont impatients de voir du changement, ne renoncent à voter pour le Pastef le mois prochain ?

Amadou Ba : Mais ils n'ont aucune raison de renoncer à voter pour le Pastef.  Ils savent tous que le changement ne peut pas être immédiat. Après l'audit et la présentation catastrophique de nos fondamentaux économiques et sociaux, je pense que les Sénégalais comprennent enfin que cette exigence de vérité qui a été faite par les autorités montre une volonté de transformation radicale du système économique et social. Ça prendra le temps nécessaire. Mais dans l'immédiat, ce que je peux dire aux Sénégalais, c'est qu'il n'y aura pas, comme cela a été annoncé, il n'y aura aucune rupture, le paiement des salaires sera garanti et assuré, et les autorités s'engagent dans un délai très court à réduire la facture d’électricité et les prix des denrées de première nécessité ! Et ça, je parle du court terme. Bientôt, ça va baisser, parce que le gouvernement a trouvé une nouvelle stratégie, qui est de lui-même s'impliquer dans la chaîne de commande des denrées que les Sénégalais consomment et qui sont majoritairement importées. Déjà, nous allons encourager l'agriculture à fournir nos besoins primaires. Mais surtout, l'État va s'impliquer dans la chaîne de commande de ces denrées pour essayer de contenir les prix et empêcher les spéculateurs de s’engraisser sur le dos des Sénégalais. Donc à court terme, que ce soit dans l'électricité et les denrées de première nécessité, je pense que, si les Sénégalais donnent une majorité suffisante au Pastef pour supporter le gouvernement dans ses actions, ils verront les fruits de la nouvelle politique économique et sociale.

Le 17 novembre, est-ce que vous visez la majorité simple ou la majorité qualifiée ?

Nous avons besoin d'une majorité qualifiée, mais au-delà, je pense qu'il y a un exercice de cohérence qui est nécessaire et que l'électeur sénégalais, qui a porté le président Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour avec 54%, ne va pas se laisser tromper par les chimères d'une opposition en quête de rédemption et d'impunité !

Donc, vous espérez la majorité des députés, voire la majorité qualifiée, c'est ça ?

Nous cherchons entre 110 et 115 députés minimum. Je pense que c'est un exercice de cohérence nécessaire. L'électeur sénégalais quand même ne va pas être amené par l'opposition à conférer, à ceux qui ont détourné les deniers publics pendant une dizaine d'années, le confort de l'immunité parlementaire et de l'impunité.

La majorité qualifiée, c'est combien de députés ?

C'est 99 députés et je pense que l'électeur sénégalais a la lourde responsabilité d'assainir l'espace politique et de plonger le Sénégal vers l'avenir.

Alors en face de vous, à ces législatives, il y a notamment 2 coalitions de l'opposition. Il y a « Jam Ak Njariñe » qui est conduit par l'ancien Premier ministre Amadou Ba, votre homonyme, et il y a « Takku Wallu Sénégal » qui est conduit notamment par Macky Sall et Karim Wade, est-ce que vous êtes sûr de battre des forces d'opposition représentées par des personnalités aussi fortes ?

Oui, des personnalités aussi fortes, mais qui ont les mains tachées de sang ou qui sont impliquées fortement dans des scandales financiers. Ces gens-là ne cherchent pas le suffrage pour représenter le peuple. Ils cherchent juste une immunité qui les protégera des poursuites qui certainement vont venir à la suite de leur gestion. Je pense que nous ne pouvons pas avoir peur de cette opposition-là, qui ne vise pas l'intérêt général, mais qui cherche à se protéger contre sûrement les poursuites judiciaires à venir. Ce qu'il faut savoir, c'est que l'électeur sénégalais ne va pas élire le Président Diomaye Faye au premier tour, et ne pas lui donner les moyens de concrétiser son projet. Ça n'a pas de sens et ce qui est important pour le Sénégal, c'est la stabilité retrouvée.

L'ancien président Macky Sall ne peut pas être arrêté avant une éventuelle mise en accusation par une future Assemblée nationale. Donc a priori aujourd'hui, il ne risque rien. Mais s'il rentre demain au pays, est-ce qu'il risque tout de même de perdre son passeport et de se voir interdit de sortie du territoire ?

Cette histoire de sortie de territoire a été réglée. Il n’y a plus d'interdiction de sortie de territoire. Le gouvernement a décidé de laisser la justice indépendante. C'est la justice qui avait décidé de lancer des interdictions de sortie. Mais il n'y a pas la main de l'exécutif derrière et ils le savent. Donc, le président Macky Sall ne risque rien. Aujourd'hui, il n'y a même pas de Haute Cour de justice installée à l'Assemblée nationale, elle ne peut pas se réunir, donc il peut venir battre campagne. Maintenant, justice se fera certainement après les élections législatives et il est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit impliqué ou mis en accusation par la Haute Cour de justice. Donc, je pense que, dans le Sénégal de demain, la rupture aussi, c'est de respecter les droits des opposants et les droits de l'opposition.

Législatives au Sénégal: «Le Président Macky Sall n'a peur de rien», dit l'ex-ministre Amadou Sall
15 October 2024
Législatives au Sénégal: «Le Président Macky Sall n'a peur de rien», dit l'ex-ministre Amadou Sall

Au Sénégal, les législatives, c'est dans un mois, le 17 novembre. Pour le PASTEF, qui a gagné la présidentielle de mars dernier, c'est une étape décisive, car le Premier ministre Ousmane Sonko a besoin d'une Assemblée nationale qui lui donne les moyens d'agir. Mais l'ancien président Macky Sall vient de prendre la tête d'une coalition, Takku Wallu Sénégal, qui cherche au contraire à imposer au PASTEF une cohabitation. L'avocat Amadou Sall a été ministre d'État, ministre de la Justice. Aujourd'hui, il est l'un des porte-parole de cette coalition anti-PASTEF. Il dévoile sa stratégie au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Maître Amadou Sall, sur le plan économique, quel est le point fort de la campagne que vous allez mener ?

Maître Amadou Sall : Vous savez, nous avons été au pouvoir pendant 12 ans, le projet que nous avons présenté aux Sénégalais a vu ses résultats, le bilan du président Macky Sall est un bilan que tous les Sénégalais approuvent, en termes en tout cas, d'infrastructures, en termes de projets, et en termes de perspectives. Malheureusement, sur la gouvernance, nous avons eu quelques petits soucis, mais ça, c'est un autre débat. Donc, nous n'avons pas d’autre projet que le projet qui était là, et sur lequel on s'était tous entendus. Bon, maintenant, il est évident qu’à l'aune de nos nouvelles orientations, il y a une autre réécriture qu'il faudra faire. Mais d'une manière générale, le PSE est le fondement sociétal, dans notre offre politique, de notre projet.

Le PSE, c'est donc le Plan Sénégal Emergent, mais aujourd'hui, les nouvelles autorités présentent le Plan Sénégal 2050, qui est très ambitieux, avec un taux de croissance moyen de 6% par an, est ce que vous approuvez ce programme ?

Vous savez, pour ce qui nous concerne, tout ce qui permet au Sénégal d'aller de l'avant, nous applaudissons. Mais nous avons ce projet qui n'est même pas leur projet. Pendant très longtemps, pendant des années et des années, le Pastef nous avait dit qu'il avait un projet, un projet cohérent. Il y avait même un livre qui avait été sorti, qui s'appelait « La solution ». Il s'est avéré 6 mois après qu’ils se sont adressés à un cabinet privé pour écrire un projet. Un projet politique, une perspective pour une nation, pour un peuple, ce n'est pas un cabinet qui fait cela, ça ne fait pas sérieux.

Alors, vous dites que les Sénégalais ont approuvé ce que vous avez fait pendant 12 ans. Mais en mars dernier, votre courant politique a essuyé une lourde défaite électorale, face au candidat du Pastef. Est-ce que vous ne craignez pas que les électeurs sénégalais revotent aujourd'hui pour le Pastef ?

Oui, c'est possible. Mais sur le contexte de l'époque, il faut ouvrir les yeux, ne pas faire dans la langue de bois. Il y a eu à la fois l'usure du pouvoir, il y a eu la volatilité de l'engagement de nos cadres envers un candidat [l’ancien Premier ministre Amadou Ba, NDLR]. Donc, on soutenait du bout des lèvres, c’était un soutien défectueux. C'est la vérité. Dans cette ambiance-là, il est vrai qu'il n'était pas possible de faire des résultats probants. Mais aujourd'hui, 6 mois après, les gens commencent à regretter déjà en se disant : « Ceux qui étaient là ont fait du bon travail, du bon boulot, et ceux qui sont là aujourd'hui ne font absolument rien. » Vous imaginez, entre le moment où ils sont venus et aujourd'hui, il y a encore plus de personnes qui sont au fond de l'Atlantique, parce que le désir de changement n'a pas de réponse de leur part. Et les gens n'ont qu'une seule perspective, aller au-delà de la Méditerranée.

Oui, mais vous le dites-vous même, Maître Amadou Sall, il y a eu quelques petits soucis sur la gouvernance sous la présidence Macky Sall.

Mais les soucis sur la gouvernance Macky Sall, ce sont des soucis politiques. Vous avez suivi avec nous, vous étiez là au Sénégal en ce moment-là, les péripéties des relations avec le Conseil constitutionnel, c'est de la gouvernance qui a été sanctionnée à la fois par le Conseil constitutionnel et par les Sénégalais. Oui, nous avons eu ce souci, nous l'acceptons. Il faut avoir le courage de dire la vérité aux Sénégalais et de reconnaître un peu les errements de sa gouvernance. Nous reconnaissons quelques errements, nous en sommes conscients, mais ce n'est pas ça le problème. Le problème aujourd'hui, en parlant d'approximation au niveau de nos chiffres, le résultat est que la perception que les investisseurs et les institutions financières ont de notre pays s'est effondrée totalement. Nous sommes, comme disent les Anglais, « down on the floor ». Nous sommes à terre, à cause des déclarations irresponsables d'un Premier ministre. Un Premier ministre, comme disait l'autre, « ne devrait pas parler comme ça ».

L’une des grandes surprises de ces législatives, c'est la décision de l'ancien président Macky Sall d'être tête de liste. Alors l'ancien président, pour l'instant, il n'est pas au Sénégal, il séjourne au Maroc, est-ce qu'il va revenir dans l'arène politique, sur le terrain à Dakar ?

Ça, je ne saurais le dire. Ça dépend à la fois de lui-même et de nous. Bon, il nous a déjà assez aidés et assez accompagnés en acceptant d'être tête de liste. Le reste du travail, c'est notre travail. Pour le moment on lui demande de faire une campagne au moins au niveau de la diaspora, ce qu'il est en train de faire dans une certaine mesure. Pour le reste, on verra bien si on lui demandera de venir ou pas. On verra, on appréciera.

Mais vous savez ce que vont dire beaucoup de Sénégalais : « S'il ne vient pas, c'est parce qu'il aura peur de venir et d'avoir des ennuis judiciaires ».

Mais quels ennuis judiciaires ? Il ne peut pas être interpellé par la police. On ne peut rien contre lui. Sauf à ce qu'une Assemblée le mette en accusation. Quelle est l'Assemblée qui le mettra en accusation ? Tant qu'il n'y a pas une Assemblée, on ne peut pas le mettre en accusation. De quoi aurait-il peur ?

On peut lui retirer son passeport et l'empêcher de quitter le territoire une fois qu'il est rentré.

Et pourquoi ? Ils n'ont pas le droit de le faire. Il n'y a pas de procédure contre lui. Le Président Macky Sall n'a peur de rien. Sa venue dépend à la fois de lui et de nous. Et seulement de lui et de nous.

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Adlene Mohammedi: «Les relations franco-algériennes sont utilisées à des fins de politique intérieure»
14 October 2024
Adlene Mohammedi: «Les relations franco-algériennes sont utilisées à des fins de politique intérieure»

Fin juillet 2024, la France reconnaissait la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Un changement de pied pour la diplomatie française dans la région. Paris avait jusque-là privilégié sa relation avec Alger plutôt qu’avec Rabat. Mais depuis cette annonce, les rapports entre la France et l’Algérie se sont considérablement dégradés. Abdelmadjid Tebboune a écarté l’idée, il y a huit jours, d’un prochain voyage en France. Annoncée depuis de longs mois, une visite du président algérien avait été repoussée à plusieurs reprises. Comment analyser cette nouvelle crise entre la France et l’Algérie ? Adlene Mohammedi, chercheur et enseignant en géopolitique, spécialiste notamment des relations franco-algériennes, est l’invité de Pierre Firtion.

RFI :  Adlene Mohammedi , la France a reconnu en juillet dernier la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Ne craignez-vous pas une dégradation durable des relations entre Paris et Alger suite à ce revirement français ?

Adlene Mohammedi : Effectivement, on voit déjà à l'œuvre cette dégradation dans les relations franco-algériennes puisqu'il y a eu un rappel de l'ambassadeur. Paradoxalement, je ne pense pas que la position française soit une vraie rupture dans l'histoire récente de la politique étrangère de la France vis-à-vis de cette région, puisque le soutien apporté par la France au Maroc sur le dossier du Sahara occidental était déjà là. On va dire qu'on sort un peu cette fois définitivement de l'ambiguïté. Mais effectivement, les dirigeants algériens l'ont mal pris et ça affecte les relations franco-algériennes.

Il y a huit jours, Abdelmadjid Tebboune s'en est pris assez directement à la France, l'accusant notamment de génocide pendant la colonisation. Comment est-ce qu'on peut analyser ses propos ? Est-ce qu'on peut parler d'instrumentalisation de la mémoire ?

On peut parler d'escalade dans les discours. Le problème des relations franco-algériennes, c'est que dans les deux pays, elles sont utilisées à des fins de politique intérieure. En France, on l'a très clairement vu et d'ailleurs y compris avec cette histoire de reconnaissance du plan marocain et de la souveraineté marocaine. C'est un clin d'œil évidemment à un camp politique en particulier, c'est-à-dire une certaine droite, voire une extrême droite. Et souvent, l'instrumentalisation des relations franco-algériennes en France vise à séduire l'extrême droite, il n'y a pas de doute là-dessus. En Algérie, on a un mouvement analogue, c'est flatter un petit peu certains instincts de l'opinion publique algérienne en montrant systématiquement du doigt la France. Et c'est commode malheureusement dans les deux pays, et ça se fait au détriment de relations diplomatiques normales.

Mais au-delà des questions mémorielles, est-ce que le vrai sujet qui fâche, ce n'est pas l'accord franco-algérien de 1968, accord que Bruno Retailleau, le ministre français de l'Intérieur, a dit vouloir remettre en question ?

Ça doit jouer un petit peu, bien sûr. Le problème de cet accord, en fait, c'est que c'est devenu le totem de l'extrême droite française. Certains électeurs, je pense, de bonne foi, sont persuadés que l'accord de 1968 donne une espèce de privilège aux ressortissants algériens en France. L'évolution du droit des étrangers ayant été ce qu'il a été ces dernières années, cet accord, en fait, a tendance le plus souvent à desservir les Algériens. Pour prendre un exemple tout simple, les étudiants algériens sont beaucoup moins bien lotis que d'autres étudiants étrangers en France. Par exemple, ils n'ont pas le droit à des cartes de séjour pluriannuelle comme d'autres, la carte talent, etc, le passeport talent, des choses comme ça, justement à cause de cet accord bilatéral. Donc, on sacralise cet accord bilatéral, on en fait une espèce d'instrument qui fait des Algériens une espèce de catégorie privilégiée, mais dans les faits, non. En fait, les étrangers algériens ne sont pas privilégiés en France, ça se saurait. Mais bien sûr, là encore, ça permet de flatter un certain électorat.

La nouvelle position de la France sur le Sahara occidental a pu surprendre. Emmanuel Macron avait jusque-là beaucoup plus investi la relation avec Alger, en ouvrant notamment la question mémorielle…

Effectivement, il y a quelques temps, on avait une vraie tension entre la France et le Maroc. On avait dans les médias marocains par exemple, une vraie propagande anti-française. Et puis là, on donne l'impression en fait de passer à une relation beaucoup plus douce et beaucoup plus fluide avec le Maroc, avec évidemment cet argument qui revient souvent, qui consiste à dire « de toutes les façons, avec les dirigeants algériens, on a tout essayé, autant maintenant privilégier la relation avec le Maroc ». Le problème, c'est que ça donne quand même l'impression de concevoir la diplomatie d'une manière assez particulière puisqu’on n'est pas obligé de choisir. La diplomatie américaine a de bonnes relations avec Alger et avec Rabat. La Russie a de bonnes relations avec l'Algérie et avec le Maroc. Il n'est pas besoin de choisir.

Mais à partir du moment où on se positionne sur le Sahara occidental, on a vu le cas de l'Espagne par exemple…

Non, non, bien sûr. Effectivement. Le fait de déclarer qu'on préfère le plan proposé par Rabat au détriment du processus onusien, c'est effectivement choisir le Maroc et déranger la diplomatie algérienne. Il n'y a pas de doute là-dessus. Pourquoi évoquer à un moment d'ailleurs où il n'y avait même pas de gouvernement, on était dans un gouvernement d'affaires courantes, pourquoi parler de ça ? On savait très bien que le risque allait être une crise diplomatique avec l'Algérie. Alors vous avez raison en fait d'un côté, parce que les deux pays, le Maroc et l'Algérie, ont tendance à faire du Sahara occidental une boussole dans leur diplomatie. Il n'empêche qu’on n'est pas obligé de choisir et il est toujours possible de faire des efforts pour avoir finalement de bonnes relations avec les deux et essayer même de faciliter le dialogue entre les deux. Parce que finalement, c'est dans l'intérêt de tout le monde.

Howard French: «L’esclavage a été la base de l'essor européen et de la création de l'Occident»
12 October 2024
Howard French: «L’esclavage a été la base de l'essor européen et de la création de l'Occident»

C'est l'un des essais historiques en lien avec l’Afrique les plus attendus de cette rentrée. Les éditions Calmann-Lévy publient la traduction en français de l'ouvrage d'Howard French Born in Blackness. L'universitaire et journaliste américain y décrit, au travers d’une fresque de plusieurs siècles, le rôle - selon lui - central de la traite négrière dans la naissance du monde moderne. Un rôle qui dit-il a souvent été sous-estimé, voire invisibilisé. La traduction française de ce livre est intitulée Noires origines. Howard French est notre invité pour en parler.

RFI : Dans Noires Origines, vous nous invitez à nous débarrasser d'un certain nombre d'œillères historiques sur la place de l'Afrique dans l'histoire mondiale et sur le rôle essentiel qu'elle a joué dans la construction de l'Occident tel qu'on le connaît aujourd'hui. Vous nous expliquez que l'essor européen a reposé en grande partie sur ses relations avec le continent africain avant même la colonisation...

Howard French : Effectivement, l'histoire de mon livre commence au XIVᵉ siècle, au début de ce siècle, quand les Africains, notamment dans l'empire du Mali, réalisent des contacts avec le Moyen-Orient. Ce faisant, l'Europe découvre l'existence d'une grande quantité d'or dans le Sahel, ce qu'on appelle le Sahel aujourd'hui. Et cela lance l'ère de l'exploration, des découvertes… et la traite des esclaves. L'année 1326, un empereur du Mali du nom de Mansa Moussa a fait un pèlerinage à La Mecque en passant par Le Caire. Il transportait avec lui un grand cortège de plus de 10 000 hommes et femmes… et aussi quelques tonnes d'or - la quantité exacte n'est pas connue, mais les historiens disent souvent à peu près 17 ou 18 tonnes d'or -. Il a distribué tout cet or sur son passage, à tel point qu'il a dû emprunter de l'argent pour retourner au Mali. Et cela a créé une vague de curiosité non seulement dans le Moyen-Orient, où le prix de l'or a chuté, mais aussi loin aussi que l'Espagne et le Portugal. Et cela les a encouragés, surtout les Portugais, à commencer à construire des navires pour essayer de découvrir le point d'origine de ces métaux. 

 

Vous nous livrez des pages fascinantes sur la façon dont l'Europe a fantasmé cet or africain, à partir d'ailleurs d'une représentation du monde : l'atlas catalan de 1375. Comment est-ce que cet atlas a été l'un des points de départ de l'histoire tragique qui va suivre ? 

Au centre de cette carte, de cet atlas catalan, figure le personnage de l'empereur Mansa Moussa. Il est assis sur un trône d'or avec un sceptre d'or. C'est la première fois que les Européens prennent connaissance de l'existence de grands empereurs en Afrique subsaharienne, des empereurs de la même sorte que ceux qu'ils ont chez eux. Cela crée toute une industrie de créateurs d'atlas et de cartes. Ça lance à côté une industrie de géographes pour savoir ce qui existe au sud du Sahara. Les Européens, pour la première fois, sont motivés à un degré extrême à découvrir le chemin de l'or en Afrique et à prendre contact avec les royaumes africains pour savoir d'où vient cet or. 

C'est l'un des points importants de votre ouvrage, Howard French : Vous soutenez la thèse, dans ce livre, que la recherche avide de cet or africain par les Portugais a été l'un des moteurs des grandes explorations portugaises… et que ce moteur a été complètement oublié de l'histoire. 

Effectivement, le Portugal avait une rivalité avec l'Espagne… et le Portugal avait pris les devants dans l'exploration du Nouveau Monde. À l'époque, le Nouveau monde n'était pas l'Amérique. Les Européens disaient de l'Afrique subsaharienne qu’elle était le nouveau monde. La dynastie Aviz au Portugal a donc donné l'autorité à un prince, Henri, dit « le navigateur », de prendre en charge l'exploration de l'Afrique subsaharienne. C'est lui qui montait les expéditions maritimes pour chercher à savoir d'où vient l’or du Mali. Avec les moyens de l'époque, les Portugais ne pouvaient avancer en une année typique que de 100 kilomètres ou 200 kilomètres vers le sud en suivant la côte africaine. En 1471, ils sont arrivés par hasard au pays qu'on appelle aujourd'hui le Ghana. Ils ne ciblaient pas le Ghana, mais il y avait une baie naturelle où ils se sont arrêtés pour ravitailler leurs navires en eau et en nourriture. Et en arrivant là, ils ont découvert que tous les habitants de ce lieu portaient des bijoux en or. Ils n'étaient pas arrivés au Mali, mais ils ont réalisé leur but un peu par accident, si vous voulez. Donc ils ont établi des relations de commerce au début avec les Ghanéens pour avoir accès à l'or du Ghana, pour établir un commerce entre l'Europe et l'Afrique. 

Ce commerce a permis d'apporter d'abondantes quantités d'or dans les cours européennes et notamment au Portugal. Quelle a été l'importance de cet or obtenu en Afrique pour les économies européennes, à la charnière du Moyen Âge et de l'époque moderne? 

Parlons d'abord du Portugal. Les quantités d'or étaient si importantes pour le Portugal, qui était un royaume pauvre à l'époque, qu’ils ont renommé leur Trésor « maison de l'Afrique ». 

Le Trésor public portugais a été renommé « la Maison de l'Afrique », Vu l'importance de l'or africain dans ces caisses portugaises de l'époque ? 

Oui, à l'époque, après la découverte de l'or au Ghana, à peu près un tiers, jusqu'à la moitié des recettes de ce royaume venaient désormais du Ghana. Et donc, les Espagnols, en voyant le succès des Portugais, ont à leur tour décidé d'investir dans la création de navires et le financement de gens comme Christophe Colomb pour « découvrir les Amériques » tel qu’on le dit maintenant. Mais ce n'est qu'en voyant la réussite des Portugais, avec la découverte de l'or en Afrique, que les Européens ont eu le courage d'essayer de découvrir de l'or ailleurs. Ça, c'était le premier but. Ce n'était pas de découvrir d'autres civilisations ou la richesse de l'Est en tant que telle, il s’agissait de rivaliser avec le Portugal pour le contrôle de l'or dans le monde. 

Quels liens est-ce que vous établissez entre cette exploitation de l'or et le commerce terrible qui va commencer à se développer rapidement ensuite, à savoir la traite esclavagiste ? 

Les racines de la traite esclavagiste sont très intéressantes. Au début, ce n'était pas le but des Européens et précisément des Portugais. Le Portugal était un royaume assez pauvre, qui n'avait pas beaucoup de ressources. Et donc, pour financer la recherche de l'or et la construction des bateaux nécessaires à cette recherche, Henri le navigateur et ses hommes ont commencé à faire, petit à petit, le commerce d'esclaves sur les côtes de l'Afrique : dans la Mauritanie d'aujourd'hui, au Sénégal, en Guinée, etc. Au fur et à mesure qu'ils descendaient vers le sud en suivant les côtes de l'Afrique jusqu'à ce qu'ils trouvent de l'or au Ghana. Et donc dans un premier lieu, ils ont fait le commerce d'hommes, d'esclaves vers l'Europe pour financer cet effort de découverte de l'or. l'Europe était en phase de reprise économique avec la catastrophe de la peste du Moyen âge… et donc la démographie européenne était écrasée par ces épidémies. Les Portugais ont découvert qu'ils pouvaient faire beaucoup d'argent en fournissant de la main d'œuvre africaine dans les marchés européens pour finalement financer leur effort de découverte de la source de l'or en Afrique de l'Ouest. Au XVIᵉ siècle, 10 à 15 % de la population de Lisbonne était africaine à cause de cette traite esclavagiste. Bien avant la soi-disant « découverte » des Amériques. 

On parle du Portugal, mais en fait toutes les puissances européennes à l'époque sont associées à ce commerce... 

Exactement. Ayant vu le succès des Portugais, les autres pays européens se sont rués sur ce commerce avec l'Afrique pour l'or. En faisant cela, ils ont découvert à leur tour qu'on pouvait faire beaucoup d'argent en se livrant à la traite des esclaves. Par accident aussi, par la suite, les Portugais ont découvert le Brésil. Ils ne cherchaient pas à traverser l'Atlantique. Ils cherchaient à mettre au point des méthodes de navigation plus efficaces, plus rapides, pour descendre vers le sud de l'Afrique et finalement entrer dans l’océan Indien. En faisant cela, ils sont « entrés en collision », si on peut dire, avec le Brésil. Ils ont découvert tout un continent. Les Portugais ont commencé à transférer les esclaves au Brésil, où s'est établie la première grande industrie de la canne à sucre. 

Cette industrie, découvre-t-on dans votre livre, trouve une de ses formes les plus abominables dans le système des plantations sucrières, à Sao Tomé dans un premier temps, puis dans les Caraïbes… et également au Brésil peut-être ? 

Oui. Les premières expérimentations ont effectivement été réalisées à Sao Tomé. Les Portugais, à la fin de ce XVᵉ siècle, explorant l'Afrique à la recherche d'autres sources d'or, ont découvert l'île de Sao Tomé, qui n'avait pas d'habitants et avait un climat parfait pour la culture de la canne à sucre. Et donc ils ont commencé à cultiver la canne à sucre, et toute une industrie est née de cela. Avec la naissance de cette industrie est aussi née une forme d'exploitation humaine qui n'avait jamais existé auparavant, qu'on appelle en anglais chattel slavery - Je pense que ce terme n'existe pas en français -. Chattel slavery, c'est une forme d'esclavage où les esclaves sont identifiés. Cette pratique est légitimée sur la base de la race et pérennisée à travers les générations : c'est-à-dire que non seulement vous êtes esclaves vous-même, mais vos enfants aussi seront esclaves, et ainsi de suite pour l’éternité.  

Les formes de travail qui sont mises en place dans ces plantations sucrières sont par ailleurs extrêmement brutales pour les esclaves… 

Extrêmement brutales. L'espérance de vie d'un esclave mis au travail sur ces plantations à l'époque, et aussi par la suite au Brésil et dans les Caraïbes, était à peu près de cinq ans.  

Après la production du sucre, c'est celle du coton qui a été développée par le commerce des esclaves. Au total, Howard French, vous décrivez une mécanique qui convertit des vies prises en Afrique, en richesses consommées en Europe. Vous montrez finalement comment l'Afrique a joué un rôle essentiel dans la construction du monde atlantique... 

Oui, j’irais encore plus loin : le travail qui a été extrait des Africains sur les plantations, sous cette forme d'esclavage qu'on appelle chattel slavery, a réellement été la base de l'essor européen et de la création, je dirais, de l'Occident, une sorte de condominium entre l'Europe de l'Ouest et les continents qui existent de l'autre côté de l'Atlantique. C'est le travail des Africains, sous forme d'esclavage, qui a rendu possible la rentabilité des colonies qui ont été fondées dans le Nouveau Monde et donc la fondation même de l'Occident.

De quelle manière est-ce que les pouvoirs africains de ces différentes époques ont réagi à ces appétits européens ? 

Les Africains, les chefs des sociétés africaines, les petits rois et même les empereurs qui existaient par-ci par-là dans les grands États de l'Afrique de l'Ouest et de l’Afrique centrale, n'avaient aucune idée des activités qui existaient de l'autre côté de l'Atlantique, où les Africains extraits du continent étaient mis au service des Européens. Ils n'avaient aucune image du monde des plantations. Ils n'avaient aucune image de l'existence d'une institution comme le chattel slavery dont j'ai parlé tout à l'heure. L'esclavage a existé depuis toujours chez les Africains, entre les Africains, mais ce n'est pas ce genre d'esclavage, où de génération en génération les gens sont toujours soumis à l'esclavage. Les Africains mariaient leurs esclaves… Sous les institutions de l'esclavage africain comme elles existaient, le but, la plupart du temps, était d'assimiler les esclaves, les vaincus, dans la société des vainqueurs. C'est tout à fait différent de l'esclavage pratiqué par l'Europe sur les Africains, cet esclavage que j'ai appelé chattel slavery. Donc il est bien vrai que les Africains participaient aussi à ce commerce des esclaves. Ils sont aussi responsables de ce commerce d'esclaves, mais ils n'avaient pas une information très complète sur ce qui se tramait. Il y avait un déséquilibre total entre les Européens et les Africains sur ce qu'est l'esclavage. 

On sent bien tout au long de votre ouvrage quelle est son ambition : contribuer à un autre récit sur l'histoire du décollage de l'Occident, dans lequel le rôle de la traite négrière cesserait d'être invisibilisé. Comment expliquez-vous d'ailleurs cette invisibilisation du rôle de l'Afrique dans la naissance du monde moderne ? Pourquoi ? 

Je pense que tout d'abord, toutes les civilisations cherchent à trouver leur propre mérite. Elles cherchent à mettre en exergue leurs propres qualités et donc, pour faire cela, elles créent leurs propres mythes. Que ce soit les Chinois, les Américains, les Français, les Brésiliens, les Russes, tout le monde fait ça... Mais si vous admettez que votre civilisation est montée en grande partie par une exploitation aussi grave et d'une aussi grande envergure que la traite des esclaves, le monde des plantations, la création d'une institution comme le chattel slavery, il est très difficile de maintenir ses propres qualités. 

Une dernière question, justement, à propos des enjeux de cette histoire. Pourquoi est-il important pour un citoyen du XXIᵉ siècle de remonter le temps et de réétudier ce qui s'est joué le long des côtes africaines à partir du XVᵉ siècle 

Il faut savoir d'où nous sommes venus pour savoir où nous allons aller. Au moment où l'Afrique prend une place différente dans le monde contemporain, il est important qu'on sache que l'Afrique a toujours contribué à la race humaine de façon importante. Il est important de remettre l'Afrique à sa propre place dans l'histoire de l'humanité. 

Sommet de l'OIF: «La RDC ne pouvait pas être omise dans la prise de parole du président Macron», estime Patrick Muyaya
11 October 2024
Sommet de l'OIF: «La RDC ne pouvait pas être omise dans la prise de parole du président Macron», estime Patrick Muyaya

À Kinshasa, les autorités confirment que le président congolais Félix Tshisekedi a boycotté, samedi dernier, le deuxième jour du sommet de la Francophonie. Et elles précisent que c'est en réaction au discours où le président français Emmanuel Macron avait oublié de mentionner la guerre dans l'Est du Congo. C'était une « omission coupable », déclare aujourd'hui, sur RFI, le ministre congolais de la Communication et des Médias, qui est aussi porte-parole du gouvernement. Patrick Muyaya répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI :  Pourquoi le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a-t-il boycotté la fin des travaux du sommet de la Francophonie le 5 octobre dernier ?

Patrick Muyaya : Le président de la République n'a pas participé à la dernière phase des travaux de la Francophonie parce qu'il y a eu une omission coupable de son homologue français, qu'il avait pourtant rencontré vendredi matin avec des échanges qui se sont plutôt bien déroulés. La République démocratique du Congo, étant le plus grand pays francophone et qui connaît l'une des plus graves crises humanitaires, ne pouvait pas être omise dans la prise de parole du président Macron à l'ouverture du sommet de Villers-Cotterêts, même s'il s'est rattrapé plus tard. Mais le mal était fait.

Donc il y a eu pour vous, de la part du président Macron lors de son discours d'ouverture du 4 octobre, une omission ?

Oui, une omission qui, à nos yeux, était coupable parce qu’il a parlé de la crise en République démocratique du Congo dans la même matinée, longuement avec le président de la République. Et c'est une crise pour laquelle le président Macron s'est toujours montré volontariste pour contribuer à sa résolution. Et le fait que, dans son énumération des crises mondiales, il ne l’ait pas mentionnée, c'était suffisant pour nous, République démocratique du Congo, de considérer que c'était une omission coupable.

Sur le fond, sur la guerre elle-même qui sévit dans l'est de votre pays, il y a un cessez-le-feu entre belligérants depuis la fin du mois de juillet et il y a un plan harmonisé qui est en négociation, sous médiation angolaise, entre les experts du Congo et ceux du Rwanda. Où en sont ces négociations ?

Il y a une nouvelle phase des discussions qui sont prévues ce 12 octobre, après celle du 14 septembre qui, malheureusement, a fait l'objet de beaucoup de spéculations et beaucoup de distorsions de la vérité. Je dois rappeler ici que les discussions à Luanda, ce sont des discussions ministérielles qui ont été précédées par des discussions entre experts. Les experts se sont mis d'accord, d'une part sur le plan de neutralisation des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, groupe rebelle hutu formé à l’origine d'anciens génocidaires rwandais, NDLR] pour ce qui concerne la République démocratique du Congo, et, d'autre part, pour le désengagement de forces rwandaises. Ce ne sont pas les experts techniques qui décident. La question a été portée au niveau politique le 14 septembre dernier à Luanda et la République démocratique du Congo a insisté pour que ces opérations se fassent de manière simultanée et concomitante. Donc, on ne peut pas commencer d’abord la traque pour la neutralisation des FDLR et attendre quelques mois pour que le Rwanda puisse désengager ses forces. Ici, il faut rappeler que nous avons des millions de compatriotes qui dorment à la belle étoile et dans des conditions infra humaines, parce que des pans entiers du territoire sont occupés par l'armée rwandaise, 4 000 hommes d'après le dernier rapport des Nations unies. Il est important pour nous que les opérations se fassent de manière concomitante. Cela nous permettra d'accélérer, entre autres, les retours de nos populations dans leurs régions respectives.

Que répondez-vous au ministre rwandais des Affaires étrangères qui affirmait  au sommet de la Francophonie que c'était vous qui bloquiez actuellement l'avancée des négociations ?

Je pense qu'il est de bonne coutume diplomatique, lorsque nous convenons, autour notamment du médiateur, que nous allons éviter l'escalade, de ne pas, à travers les médias ou les réseaux sociaux, chercher à dévoiler ce qui relève de l'ordre discrétionnaire lié aux discussions. Je vous ai dit tout à l'heure que les experts techniques n'ont pas la décision. Autant nous avons salué la pertinence des travaux qui ont été faits, autant ce sont les politiques qui signent. Et lorsque le politique estime qu'il y a des choses à rajouter sur ce que les experts ont fait comme propositions, cela ne devrait nullement être perçu comme un élément de blocage. Et ce 12 octobre, nous irons à Luanda avec la volonté de faire aboutir le processus pour le retour de la paix. Parce qu'il faut rappeler que nos compatriotes décèdent tous les jours et ceci doit s'arrêter très vite.

Il y a cinq mois, le président Tshisekedi a déclaré qu'il voulait une « Constitution digne du pays », ce qui a provoqué beaucoup de remous à Kinshasa. Et la semaine dernière, le parti au pouvoir UDPS a relancé la polémique en appelant « à corriger les lacunes de la loi fondamentale ». Est-ce qu'une réforme constitutionnelle est à l'ordre du jour ?

Non. La réforme constitutionnelle n'est pas à l'ordre du jour au niveau du gouvernement, parce que ce qui est à l'ordre du jour pour nous, prioritairement, ce sont les six engagements du président de la République. Et de ce point de vue, nous avons fait beaucoup de progrès. Notamment, vous avez suivi récemment que le prix du carburant avait sensiblement baissé, le prix des denrées de nécessité devrait baisser dans les jours qui viennent, en tout cas, dès que les principaux importateurs auront fini leurs stocks. C'est à cela que nous nous attelons.

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