
Rentrée scolaire en RDC: «Le principal défi c'est la rémunération des fonctionnaires» selon J.Malukisa
Le grand invité Afrique
En République démocratique du Congo, la rentrée scolaire, c'est ce lundi 1er septembre. La mesure-phare de Félix Tshisekedi quand il est arrivé au pouvoir en 2019, c'était l'école primaire gratuite. Quel est le bilan aujourd'hui ? Et comment va se passer cette rentrée dans les territoires de l'est qui sont occupés par les rebelles du M23 et leur allié rwandais ? Jolino Malukisa est le directeur du pilier gouvernance à l'institut congolais de recherches Ebuteli. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Jolino Malukisa, quel est le principal défi de cette rentrée scolaire ?
Jolino Malukisa : Le principal défi, c'est d'abord la rémunération des fonctionnaires. Il y a beaucoup de fonctionnaires qui ne sont pas encore payés jusqu'à présent. C'est donc un souci pour les préparatifs. Il y a aussi des enseignants qui revendiquent l'augmentation de leurs salaires. Ils ont pu négocier avec le gouvernement pour qu'il y ait une augmentation de 100 000 francs congolais, ce qui représente plus ou moins 35 dollars américains. C'est encore peu, parce que pour les enseignants, au minimum, ils devraient avoir au moins 500 dollars le mois. Alors, ça bloque aussi à ce niveau-là, dans la plupart des cas.
Depuis l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en 2019, l'école primaire est gratuite. Alors, de fait, est-ce que beaucoup d'enfants qui traînaient dans les rues vont aujourd'hui à l'école ?
Oui, tout à fait. La gratuité a eu un effet important, parce que beaucoup de parents qui n'étaient pas en mesure d'assurer la scolarité des enfants, ils ont trouvé vraiment une opportunité pour les envoyer à l'école. Alors, c'est un progrès qu'on doit mettre à l'actif de Félix Tshisekedi. Mais, attention, parce que c'est un progrès qui, en même temps, présente une très grande faiblesse parce que la qualité de l'enseignement laisse à désirer davantage.
Aujourd'hui, le nombre d'enfants a augmenté dans les classes ?
Le nombre d'enfants a spectaculairement augmenté et vous vous retrouvez avec un effectif qui a doublé. Vous avez des salles où vous pouvez vous retrouver avec 80 ou 90 élèves. C'est énorme pour un enseignant.
Alors, officiellement, l'école primaire est donc gratuite. Mais en réalité, un certain nombre d'écoles primaires publiques continuent d'imposer des frais d'inscription : jusqu'à 300 dollars par enfant, avant la rentrée. Comment cela s'explique-t-il ?
Oui, ça peut s'expliquer d'abord, pour les écoles où vous avez un effectif important, des enseignants non-payés par l'État. Donc, les parents comprennent que dans ces conditions-là, il faudra négocier avec l'école, essayer de donner quelque chose, sinon leurs enfants ne vont pas étudier. Donc, dans ce cas-là, ça peut justifier qu'il y ait encore aujourd'hui des écoles publiques de l'État qui continuent à percevoir des frais.
Depuis le début de l'année, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu sont contrôlés par les rebelles du M23 et leurs alliés rwandais. Alors est-ce que les écoles de ces deux provinces vont pouvoir ouvrir ce 1ᵉʳ septembre ?
Oui ! Selon les informations qu'on a recueillies, c'est possible qu'il y ait cette rentrée. D'ailleurs, les rebelles du M23 et de l'AFC, ils ont intérêt à démontrer que les secteurs sociaux fonctionnent bien. D'ailleurs, quand ils avaient conquis ces territoires, ces villes, leur priorité était également de relancer le fonctionnement des services sociaux, des services publics.
Mais, concrètement, qui paye les instituteurs des écoles primaires du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ?
Alors, d'abord, le M23 et ses alliés rwandais ont aussi des soucis sur le plan budgétaire. Donc, ils ne sont pas en mesure de satisfaire les fonctionnaires. Jusqu'à présent, c'est l'État congolais, y compris pour les enseignants, qui continue à les payer. Mais le plus grand souci, c'est lorsque les enseignants doivent disposer de liquidités, tout comme les autres fonctionnaires, parce que les banques sont coupées de Kinshasa. Kinshasa ne veut pas qu'il y ait des transactions avec les territoires sous contrôle des rebelles soutenus par le Rwanda. Par conséquent, donc, la situation devient un peu difficile. Alors, la crainte qu'on a aujourd'hui, c'est que même s'il y a rentrée scolaire, il n'y aura pas beaucoup d'enfants dans les écoles, étant donné que les parents n'ont pas pu réunir les moyens nécessaires pour acheter les uniformes, acheter les objets classiques dont les enfants ont besoin.
Pour cette rentrée scolaire au Nord et au Sud Kivu, le M23 oblige les parents d'élèves à acheter pour 1 000 francs congolais un bulletin scolaire par enfant. Est-ce que ce n'est pas un impôt déguisé ?
Absolument. C'est une pratique courante avec le M23. Même dans d'autres secteurs, même dans le secteur de l'assainissement, ils n'ont pas suffisamment de ressources. Ils imposent des taxes informelles, des impôts informels aux pauvres citoyens congolais, sans résoudre fondamentalement leurs problèmes.
Depuis le début de la guerre dans l'Est de votre pays, il y a des centaines de milliers de Congolais qui vivent dans des camps de déplacés. Est-ce que leurs enfants sont scolarisés ?
C'est un grand souci. Vous avez des déplacés, même dans des écoles. Et quand les déplacés arrivent dans ces écoles-là, ils vont détruire les bancs pour s'en servir comme bois de chauffage. Vous avez des déplacés qui ne peuvent pas du tout fréquenter les écoles. À Rutshuru, à Masisi, on a des situations assez sévères. Donc, c'est ainsi que beaucoup de Congolais souhaitent vraiment que les négociations puissent mieux fonctionner, mieux marcher à Washington et à Doha pour que la vie normale puisse vraiment retrouver son droit.
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