
Prof Jibrin Ibrahim (chercheur): «Le Nigeria, gendarme de l'Afrique de l'Ouest, dit stop aux putschs»
Le grand invité Afrique
« Pour arrêter un putsch, il faut que la Cédéao et les États voisins du pays touché interviennent immédiatement, sans laisser le temps aux putschistes de réussir leur coup », dit en substance l'universitaire nigérian Jibrin Ibrahim, cinq jours après les frappes aériennes du Nigeria contre les putschistes du Bénin. Le professeur Jibrin Ibrahim est chercheur principal au Center for Democracy and Development, le Centre pour la démocratie et le développement, à Abuja au Nigeria. Deux jours avant le prochain sommet de la Cédéao à Abuja, il présente la nouvelle stratégie de Lagos, au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Jibrin Ibrahim, l’intervention militaire du Nigeria au Bénin, est-ce que c'est le signe d'un retour de votre pays sur la scène ouest-africaine ?
Jibrin Ibrahim : Oui, peut-être, comme dans les années 1980-1990, quand le Nigeria était très actif, comme policier de la démocratie et de la stabilité politique de l'Afrique de l'Ouest.
Est-ce que l'ère du précédent président nigérian Muhammadu Buhari est terminée avec le président Bola Tinubu qui est en poste depuis 2023 ?
Absolument. Le président Tinubu est plus actif que Buhari. Buhari ne voulait pas faire quoi que ce soit. Il était au palais présidentiel et il ne faisait pas grand-chose.
Pourquoi le Nigeria est-il intervenu le 7 décembre 2025 contre les putschistes béninois et pas en juillet 2023, contre les putschistes du Niger ?
Je pense qu’à Niamey, en 2023, le Nigeria a essayé d'intervenir après les faits et que c'était vraiment difficile, car le nouveau régime était déjà installé. Cette fois-ci, l'idée c’était d'intervenir avant que le coup d'État ne réussisse. Et je pense que c'est une question de méthode.
Donc, la leçon de ces derniers jours, c'est que si le Nigeria et la Cédéao veulent empêcher des putschs, il faut intervenir immédiatement ?
Exactement. C'est le seul moyen de réussir ce genre d'intervention.
Est ce qu'il y a, derrière l'intervention de dimanche dernier, la volonté de mettre un coup d'arrêt à l'épidémie des coups d'État en Afrique de l’Ouest ?
Oui, effectivement, il faut savoir qu'il y a un problème de base. Chaque régime actuellement en Afrique de l'Ouest a peur d'un coup d'État. Donc, c'est pour se protéger soi-même. Quand on regarde l'Afrique de l'Ouest actuelle, le Nigeria, le Togo, la Côte d'Ivoire et d'autres pays ont peur d'un coup d'État dans leur propre pays. Donc, protéger d'autres pays contre le coup d'État, c'est se protéger soi-même. Et pour arrêter ce risque, il faut intervenir chaque fois qu'il y a une tentative dans la région. Moi, je pense qu'il est important en Afrique de l'Ouest maintenant de développer une stratégie de ceux qui veulent maintenir la démocratie, qu'ils travaillent ensemble contre les forces de déstabilisation politique et l'arrivée des militaires au pouvoir.
Lors du putsch en Guinée-Bissau le mois dernier, le Nigeria n'est pas intervenu militairement, mais il a décidé d'accorder tout de même l'asile politique à l'opposant Fernando Dias, qui est donc réfugié dans l'enceinte de votre ambassade à Bissau. Est-ce que c'est un message aux putschistes
Ça fait longtemps que le Nigeria fait comme ça. Félix Malloum, l'ancien président du Tchad, a été accueilli au Nigéria en 1979, je pense. Donc, il y a cette tradition au Nigeria d'essayer d'intervenir dans les conflits africains. Et quand il y a une crise qui touche le chef de l'État, le Nigeria est toujours prêt à offrir l'exil.
Il y a un autre opposant qui proclame sa victoire à une présidentielle de cette fin d'année, c'est le Camerounais Issa Tchiroma Bakary. Depuis le 7 novembre, il s'est réfugié en Gambie. Mais pour aller de Garoua à Banjul, il a dû passer nécessairement par votre pays, non ?
Il semble bien qu'il est passé par le Nigeria puisqu’il a traversé la frontière. Il est allé jusqu'à Yola et, à partir de Yola, on lui a donné un avion pour l'amener. C'est ce que les gens disent.
Alors pourquoi le Nigeria ne lui a pas accordé l'asile politique ? Et pourquoi Issa Tchiroma a-t-il dû s'éloigner jusqu'en Gambie ?
Le Cameroun est un voisin du Nigeria et il y a des questions sur la table. Il y a la guerre contre Boko Haram. Les deux pays sont obligés de travailler ensemble. Donc, avoir Tchiroma Bakary ici au Nigeria, cela peut poser des problèmes diplomatiques et politiques, il faut éviter cela et s'éloigner est peut-être la meilleure stratégie.
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