Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»
13 January 2025

Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»

Le grand invité Afrique
About

À Kampala, c’est ce 13 janvier 2025 que doit reprendre le procès de l’opposant Kizza Besigye qui, selon son épouse, a été kidnappé il y a deux mois au Kenya, avant d’être transféré de force en Ouganda. Pourquoi le président Yoweri Museveni fait-il poursuivre son opposant historique par un tribunal militaire ? Est-ce parce qu’il en a peur, un an avant la présidentielle de février 2026 ? Florence Brisset-Foucault est maîtresse de conférence en sciences politiques à l’université Paris I et affiliée à l’université de Makerere, à Kampala. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Depuis le 20 novembre, l'opposant Kizza Besigye comparaît devant la justice militaire ougandaise pour « possession illégale d'armes à feu dans le but de déstabiliser la sécurité nationale ». Est-ce que ce chef d'accusation est crédible ? 

Florence Brisset-Foucault : Alors, ce n'est pas la première fois que Kizza Besigye a été accusé de collusion avec des rebelles armés pour renverser le gouvernement. Ça avait déjà été le cas en amont de l'élection présidentielle de 2006. À l'époque, les accusations n'avaient absolument pas tenu et il avait finalement été blanchi. Pour cette fois, on ne sait pas encore, mais en tout cas, ça fait partie de ces formes classiques de décrédibilisation de l'opposition, qui sont utilisées par le régime.

Alors ce qui frappe tout de même, c'est que Kizza Besigye, qui est médecin, qui est civil, comparaît devant un tribunal militaire ?

Oui, tout à fait, et ça, ça fait partie des nouveautés, je dirais, des quatre ou cinq dernières années en Ouganda. Et ça continue, même s’il y a quelques années, en 2022, il y avait eu une décision de la Cour constitutionnelle qui disait que c'était illégal de poursuivre des civils en Cour martiale. Mais ça se poursuit et il n'est pas le seul à être dans ce cas. Il y a quelques jours, son avocat, Eron Kiiza, qui est lui aussi un civil, a été condamné à neuf mois d'emprisonnement pour outrage à la Cour par une Cour militaire également, en quelques heures et visiblement en toute irrégularité.

Donc, ça ressemble à du harcèlement judiciaire ?

Kizza Besigye disait lui-même, il y a quelques années, qu'il avait été arrêté des dizaines de fois et qu'il avait arrêté de compter. Donc oui, je pense que ce qualificatif est tout à fait idoine.

L’épouse de Kizza Besigye, Winnie Byanyima, qui dirige le programme Onusida pour le monde entier, affirme que son mari a été kidnappé en novembre à Nairobi, puis transféré de force à Kampala. Ce n'est quand même pas très courant. Comment se fait-il que le Kenya ait laissé faire cela ?

Oui, Winnie Byanyima a parlé de « paradis des kidnappeurs » pour parler de la capitale du Kenya, Nairobi. Donc, c'est évidemment une formule très forte. Là encore, Kizza Besigye n'est pas le seul opposant étranger à avoir été arrêté récemment dans la capitale du Kenya. Il y a eu aussi des opposants turcs, sud-soudanais, rwandais, nigérians qui ont fait les frais de cette pratique. Concernant les Ougandais, ce n'est pas le seul non plus. En juillet dernier, il y a une trentaine d'opposants ougandais qui s'étaient rassemblés du côté de la ville de Kisumu, dans l'ouest du Kenya, qui ont été aussi arrêtés violemment, puis mis dans des camionnettes et transportés de l'autre côté de la frontière pour être ensuite emprisonnés en Ouganda, donc ça faisait longtemps que ce n'était pas arrivé.

Dans les années 1980-1990, le docteur Kizza Besigye était le médecin personnel de Yoweri Museveni. Mais, depuis 25 ans, il est son principal opposant. Il a aujourd'hui 68 ans, soit 12 ans de moins que le chef de l'État ougandais. Est-ce que Yoweri Museveni en a encore peur ?

C'est difficile à dire. Cette arrestation a surpris beaucoup de monde, parce que Besigye n'était plus tellement sur le devant de la scène politique, c'était une autre figure de l'opposition, Bobi Wine, qui avait pris la suite, notamment lors de l'élection présidentielle de 2021, la dernière élection présidentielle, et Besigye était plutôt en retrait. Donc, on a été un peu surpris de cette arrestation. Moi, la manière dont j'interprète les choses, c'est que c'est une démonstration de force et une manière pour Museveni de montrer que c'est toujours lui qui tient les règles du jeu.

À la présidentielle de l'an prochain, tout laisse penser que Yoweri Museveni, qui est aujourd'hui âgé de 80 ans, va se représenter pour un septième mandat. Quelles sont les chances de l'opposition face à lui ?

Les chances de l'opposition… Elle est extrêmement fragmentée, éclatée, avec beaucoup de mal à créer des liens et à s'accorder pour une candidature unique. En 2021, Besigye ne s'était pas présenté, ce qui avait permis à Bobi Wine, entre autres, d'avoir un score tout à fait correct de 35 %. En tout cas, un score qui correspondait au score de Besigye à l'élection de 2016. Donc on ne sait jamais. Mais étant donné le passé récent, je ne suis pas très optimiste pour l'opposition.

Depuis trois ans, l'un des fils de Yoweri Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, qui est chef d'état-major de l'armée ougandaise, aspire ouvertement à succéder à son père. Mais en septembre dernier, il a promis qu'il soutiendrait son père une dernière fois pour la présidentielle de 2026. Est-ce que ce fils impétueux n'est pas en train d'affaiblir le camp du président ?

Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a aussi un autre joueur dans cette arène autour de la question de la succession. C'est le gendre en fait, qui s'appelle Odrek Rwabwogo, qui est marié à la deuxième fille du président, la pasteure Patience Museveni Rwabwogo, et qui a été au départ assez critique de Museveni, puis qui s'est rapproché de lui. Et il y a quelques mois, il y a eu une violente dispute entre Muhoozi, donc le fils, et Rwabwogo, le gendre, sur les réseaux sociaux. Et beaucoup d'Ougandais interprètent cela comme étant une dispute par rapport à la question de la succession.