En Syrie, 42 premières familles ont été évacuées du camp de Al-Hol, prison à ciel ouvert où s'entassent près de 30 000 familles suspectées d'être liées à l'État islamique. À l’heure où le groupe terroriste reprend du terrain en Syrie, le rapatriement de ces familles radicalisées est un enjeu de taille pour les nouvelles autorités de Damas. Un accord a été signé fin mai avec les autorités kurdes du Nord-Est, jusqu’ici en charge de ces familles.
De notre envoyée spéciale au camp d’Al-Hol,
Le pas lourd, Amina traîne ses trois fils sous un préfabriqué en taule. À l’intérieur, quatre tables, une liste de noms, et une association, chargée de faire sortir les 42 premières familles du camp d’Al-Hol. Un homme de l’association : « Quel est votre nom de famille ? Quelle est votre maladie ? Je dois vérifier votre identité ».
Amina, trente ans, a été emmenée ici en 2019. Arrêtés dans le réduit de Baghouz, le dernier bastion de l’État islamique, son mari était accusé d’avoir rejoint l’organisation terroriste. Six années plus tard, Amina et ses enfants sont autorisés à sortir... quitter Al-Hol, ses innombrables tentes et ses immenses grillages surmontés de barbelés. « Je suis triste, car je laisse derrière moi mes amis, ma famille. Et à la fois très heureuse parce que je pars là où je peux élever mes enfants en toute liberté », avoue-t-elle.
Amina prend ses trois fils par le bras, fait un premier pas à l’extérieur, puis jette un dernier regard à ses amies. Elles sont toutes là, les mains fermement accrochées au grillage, les yeux remplis de larmes. Une femme du camp : « Personne ne veut rester dans ce camp. Regardez, même cette enfant veut partir, tout le monde veut partir. C’est de la détention, c'est pire qu’une prison ». Une autre femme du camp : « La situation est tellement grave ici. Il n'y a pas assez d'eau, de nourriture. Nous avons peur, nous sommes terrifiés, il n'y a aucune sécurité ».
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Arrivés dans le bus, les fils d’Amina s’entassent sur un seul siège. Le plus vieux avait un an lorsqu’ils sont arrivés dans le camp. « Ils vont enfin voir le monde extérieur, ils n'ont vu que les tentes ici… Depuis tout à l'heure, ils me demandent : "est-ce qu’il y a de l'eau à l’extérieur" ? "Les arbres, est-ce que nous devons les planter ou est-ce qu'ils poussent naturellement ?" », confie Amina.
Près du bus défilent désormais les malades. Des vieillards estropiés, des corps décharnés, souvent trop maigres. Par endroits, trop gros. Déformés par une tumeur ou une blessure mal soignée. Seuls ces cas humanitaires graves ont été autorisés à sortir du camp. Leurs dossiers ont été soigneusement étudiés pour s’assurer qu’ils n’étaient plus radicalisés. Pour les autres, aucune procédure n’a encore été mise en place, explique Jihan Henan, directrice du camp.
Jihan Henan : « Il est urgent de trouver une solution. Depuis toujours, le risque, c’est que ces personnes obtiennent des armes, tuent des gens. Avec les opérations de sécurité dans le camp, la situation a commencé à s’améliorer. Mais une fois, ils ont tout de même réussi à hisser un drapeau de l’État islamique sur le toit. En attendant, il existe des réseaux de passeurs qui font sortir ces familles, et cela a augmenté au cours des trois derniers mois. Certains ont pu sortir clandestinement à travers les clôtures, d'autres secrètement par des camions-citernes, d'autres encore grâce à de faux papiers ».
Après 10 heures de bus, le retour dans la ville natale d’Amina se fera sans joie. Amina : « Nous sommes tristes, car il n’y a personne pour nous accueillir… » Il y avait déjà la violence psychologique, les corps défaits. Désormais, la solitude. Car revenir des camps de l’enfer, c’est aussi cela. Être affilié à jamais au califat.
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