Cet investissement de 10 milliards de zlotys (2,3 milliards d’euros) le long de la frontière avec la Russie et la Biélorussie doit servir à consolider la frontière est de l'Europe pour la rendre imperméable à toute tentative d'invasion venue de Moscou ou de Minsk. Près d'un an après son annonce par le gouvernement polonais, les premiers tronçons de travaux ont déjà été réalisés à la lisière de l'enclave de Kaliningrad, avec l'ambition de faire de cette frontière la plus sécurisée d'Europe.
De notre correspondant de retour de Braniewo,
Pour se rendre dans ce lieu hautement stratégique, l’armée nous a donné rendez-vous près de la frontière et nous fait monter dans un véhicule militaire. Encore quelques mètres sur un sentier boueux et voilà qu’apparaissent les impressionnantes installations qui bordent la clôture frontalière. Cette portion du « bouclier oriental » a été entièrement réalisée par la brigade d’ingénieurs militaires d’Iwona Misiarz. Elle repose principalement sur un alignement de dents de dragons, des blocs de pierre triangulaires qui doivent faire office de rempart face aux chars russes. « Sur la droite, on a creusé un fossé antichar, et sur la gauche, il y a la première rangée de dents de dragon, décrit-elle. Puis, vous avez une surface qui peut éventuellement devenir un champ de mines antichar, et enfin une nouvelle rangée de dents de dragon. »
Un parcours d’obstacles qui ne prétend pas bloquer complètement la route aux Russes en cas d’invasion, mais qui vise à les ralentir. « Les barrages d’ingénierie ont pour but de forcer l’ennemi à abandonner le maximum de son équipement militaire ici, explique Iwona Misiarz. Histoire de lui montrer que s’il veut nous mordre, il y laissera des dents. Et c’est aussi pour la sécurité des habitants, car plus on a de temps pour procéder à des évacuations, mieux c’est. »
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Une initiative qui ne fait pas l'unanimité
Depuis son exploitation agricole, Sergiusz, le chef de la localité voisine, se réjouit de voir l’armée prendre les devants pour anticiper une éventuelle invasion russe. « On a vraiment besoin de ce bouclier, affirme-t-il. Et on est pour sa construction, c’est une très bonne chose. Il faut se protéger de ces bandits de Russes. »
À peine a-t-il fini sa phrase qu’un véhicule des garde-frontières se gare devant sa ferme pour contrôler notre identité. Ils disent avoir repéré notre véhicule, inconnu sur leurs registres. « Ce sont des gens bien ! », réagit Sergiusz. « Ils sont aux aguets, ils surveillent pour qu’on soit en sécurité et pour s’assurer que personne ne traverse la frontière. »
Mais quelques mètres plus loin, au milieu de ses ruches, Stefan est plus dubitatif quant à la nécessité de tout ce dispositif : « Aujourd'hui, ça va un peu mieux, même si on est toujours sur nos gardes. Je pense qu’on s’y est habitué et que le temps a passé, le pire est derrière nous. » Pour lui, la peur d’une agression russe s’est apaisée avec le temps.
Dans le village voisin, Marta ose même parler d’une simple opération de communication de l’armée. Pour elle, l’hypothèse d’une invasion russe par Kaliningrad relève du fantasme. « Ça leur ferait plus de mal qu’autre chose d’envoyer des missiles dans notre région, soutient-elle. Peut-être sur Varsovie à la limite, mais je n’y crois pas vraiment... Parce qu’ici, il n’y a rien ! Ils vont lancer des missiles sur nos petites maisons et dans nos champs ? Des missiles à plusieurs millions ? Quel intérêt pour eux ? »
Le bouclier oriental doit être terminé d'ici à trois ans, en 2028, mais le ministère de la Défense reconnaît déjà que les travaux colossaux se poursuivront probablement au-delà de ce délai.
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