Reportage international
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Chaque jour, l’illustration vivante et concrète d’un sujet d’actualité. Ambiance, documents, témoignages, récits en situation : les reporters de RFI présents sur le terrain décrivent le monde avec leur micro. 

Irak: à Makhmour, les familles des membres du PKK suspendues au processus de paix avec la Turquie
13 March 2025
Irak: à Makhmour, les familles des membres du PKK suspendues au processus de paix avec la Turquie

À la suite de l’appel « historique » fin février d’Abdullah Ocalan, le fondateur de la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan, la Turquie et le groupe armé kurde s’engagent dans un processus de paix incertain, le second dans l’histoire de ce conflit qui dure depuis 40 ans. Si les combattants du PKK sont retranchés dans les montagnes du Kurdistan irakien, c’est en Irak également, dans le camp de Makhmour, que se sont réfugiés près de 8 000 civils, sympathisants de la guérilla et fuyant les persécutions en Turquie au mitan des années 1990.

De notre envoyé spécial de retour de Makhmour,

À Makhmour, où de nombreux jeunes ont rejoint le PKK, les mères des combattants espèrent que cette paix pourra faire revenir leurs enfants. Dans ce camp battu par les vents du désert irakien, la résistance à la Turquie rythme la vie des réfugiés kurdes et être mère, c'est se préparer à voir un jour partir ses enfants sur les sentiers de la guérilla. « Je me souviens bien quand il m’a annoncé son départ, se rappelle Saria, soixante ans, le visage creusé par les rides, incapable d'oublier le jour où son fils s’en est allé. Il m’a dit : "Maman, je vais rejoindre la résistance". Une maman n’oublie jamais un tel moment. J’avais une montre. Je la lui ai donnée. Je lui ai dit de la garder… C’était trop dur, mais j’étais obligée d’accepter son choix. » 

Le camp de Makhmour, qui compte 8 000 habitants, a donné plus de 500 de ses enfants à la cause kurde. Le dernier est mort au mois de février 2025 au cours de combats au Kurdistan irakien entre le PKK et la Turquie. Leur mémoire est célébrée dans la maison des martyrs, une pièce étouffante où les murs sont placardés de portraits. « C'est mon fils, Dyar, indique Saria, en désignant la photographie d’un homme aux traits juvéniles, ciblé par une frappe turque il y a deux ans. Personne ne souhaite apprendre la mort de ses enfants. Mais parfois, il faut accepter ce sacrifice. Le mal que nous fait la Turquie est intolérable. En tant que mamans kurdes, nous sommes obligées d’accepter que nos enfants puissent mourir pour la liberté des Kurdes»

Le deuxième fils de Saria, Baroz, a suivi les pas de son grand frère dans les montagnes du Kurdistan. Alors pour cette mère, le processus de paix fragile qui s’amorce entre la Turquie et la guérilla kurde suscite le vain espoir de voir rentrer son garçon : « Qui ne souhaiterait pas revoir son enfant ?, s'exclame-t-elle. Ocalan a appelé à la paix et je souhaite que ce processus réussisse, mais nous ne pouvons pas faire confiance à la Turquie. J’aimerais que Baroz puisse revenir, mais sans la liberté des Kurdes, ce sera trop difficile pour lui de rentrer… »

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« Le PKK, c’est devenu notre identité »

Les enfants de Makhmour sont tous nés dans l’exil, en Irak, après que leurs parents ont abandonné leurs villages ravagés par l’armée turque dans les années 1990. Le soir, au coin du feu, ils discutent de politique… « L'appel à désarmer et dissoudre le PKK, ça ne m’a pas vraiment plu : le PKK, c’est devenu notre identité, alors c’est difficile à accepter, confie Dilan, 25 ans. Même si je pense qu’Ocalan a annoncé ça dans l’intérêt des Kurdes. »

Le matin même, le camp de Makhmour était survolé par les drones turcs, de quoi susciter la méfiance de ces jeunes sympathisants du PKK : « Est-ce que la Turquie va répondre à l’appel d’Ocalan ? Le PKK a fait le premier pas, mais la Turquie souhaite-t-elle la paix ?, interroge Dilan. Parce que ça n’a pas toujours été le cas, nous attendons leur réaction. »

Pour l’heure et en dépit d’un cessez-le-feu, le bruit des armes résonne toujours au Kurdistan irakien. Tous les mercredis, les mamans de Makhmour rendent hommage aux disparus en espérant que cette paix puisse aboutir et leur rendre leurs enfants. 

À écouter dans Grand reportageGénocide d’Anfal : le deuil impossible des Kurdes irakiens

Narva, ville russophone d'Estonie, vit dans la crainte de la menace russe
12 March 2025
Narva, ville russophone d'Estonie, vit dans la crainte de la menace russe

C'est la troisième ville d'Estonie. Elle est située tout au nord, juste à la frontière avec la Russie, séparée de la ville d'Ivangorod par un pont. Plus de 90% de ses habitants sont russophones. Un héritage de la période soviétique. Aujourd'hui, comment la vie s'est-elle transformée à Narva depuis le début de la guerre de la Russie à grande échelle contre l'Ukraine ?

À Narva, le grand parking était, jusqu'en 2024, le cœur battant de la ville frontalière. C'est là que transitaient toutes les voitures en partance ou de retour de Russie. Aujourd'hui, la frontière ne se traverse plus qu'à pied. Il n'y a plus que les bus qui amènent les Russes qui veulent rentrer chez eux. La ville se vide depuis le début de la guerre lancée par Moscou contre l'Ukraine. Les Russes ne peuvent plus venir en Estonie et cela affecte grandement la situation économique de Narva, comme le décrit la maire Katri Raik :

« La vie à Narva avait déjà été touchée par le début du conflit en Ukraine en 2014. Depuis, il y a de moins en moins de touristes. Et maintenant, il est clair que le chiffre d'affaires commercial de Narva a diminué de près de 30%, ce qui constitue bien sûr un coup dur pour la ville. »

Milan, jeune activiste politique, se présentera aux élections municipales de l'automne pour réveiller la ville. Il a donné rendez-vous en face de la mairie, un bâtiment historique à la façade rouge, un rare vestige de l'histoire à avoir survécu aux bombardements massifs de 1944 par l'armée soviétique : « La plupart des habitants de Narva sont venus pendant la période soviétique. Ils ont toujours les vieilles habitudes. Ils craignent d'être punis, déportés, tués s'ils s'expriment contre les autorités. Les gens sont très passifs ici au niveau politique. »

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La hausse du coût de l'énergie impacte fortement les habitants de la ville. Un tiers des habitants sont des retraités. La Russie fait toujours peur. Milan se souvient de ce qui s'est passé, l'été dernier à Narva : « C'est parfois un peu effrayant ici. Il faut se souvenir que l'été dernier, les Russes ont fait voler un immense ballon d'espionnage. Les gens, ici, font parfois des blagues sur le séparatisme. Ils font un parallèle avec l'Ukraine et la République populaire de Donetsk. Ils parlent de la République populaire de Narva qui pourrait être créée. Rire de cela permet d'avoir moins peur. »

Signe de la tension existante, les russophones de Narva se mettent à parler estonien dès qu'ils en ont la possibilité, preuve que la langue estonienne s'est imposée dans le pays.

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Espagne: le secteur de la sidérurgie fragilisé par les droits de douane américains
12 March 2025
Espagne: le secteur de la sidérurgie fragilisé par les droits de douane américains

L'Espagne, qui occupe la troisième place dans la production d'acier en Europe, après l'Allemagne et l'Italie, s'inquiète des répercussions des frais de douane américains sur l'acier et l'aluminium. Dans le nord de l'Espagne, du Pays basque aux Asturies, où sont implantées les principales usines de fabrication et transformation du métal, le secteur contribue à hauteur de 10% du PIB local. Une économie qui dépend du marché européen, lequel connaît un ralentissement préoccupant. Reportage à Gijon, fief de la métallurgie de la province des Asturies.

De notre correspondante à Madrid,

Deux hauts-fourneaux crachent jour et nuit leurs flammes et fumées au milieu d'un enchevêtrement de tuyaux et d'usines, digne d'un décor futuriste à la Mad Max. C'est la cité d'ArcelorMittal, le géant mondial de la sidérurgie situé à quelques kilomètres de la ville de Gijon dans les Asturies. Son activité contribue à 12% du PIB local et permet d'employer directement 5 000 personnes et 2 000 sous-traitants. Parmi eux, il y a Oxyplan, une entreprise de 160 salariés, spécialisée dans la transformation du fer et de l'acier. Les clients européens ne manquent pas pour l'instant comme l'assure Jorge Torres, responsable du département marketing :

« Nous sommes, nous autres, actuellement dans un processus de croissance. Notre grande force est de disposer d'une gamme de machines très ample, qui nous permet de nous diversifier sur le marché et d'offrir aux clients une sécurité, car nous disposons de stocks, même s'il est vrai que le marché peut varier et qu'il existe une certaine incertitude générale. »

Ce sont les répercussions des frais de douane américains sur le marché international de la sidérurgie qui font perdre le sommeil des entrepreneurs locaux. Car les Asturies exportent principalement en Europe, touchée par les hausses de droits de douane américains. Dans le vaste hangar d'Oxyplan, Jorge Torres regarde avec fierté les pièces d'acier finement coupées, dont certaines vont être exportées en Allemagne : « Tout le marché international va être touché évidemment. L'Allemagne est la locomotive de l'acier en Europe. C'est un client direct, mais aussi, l'Allemagne est impliquée dans des projets chez nous ou ailleurs avec nos partenaires. Tout se répercute. Et c'est sûr que les frais de douane ne vont rien arranger à la situation actuelle. »

Des sociétés spécialisées dans le secteur de la Défense

La nouvelle conjoncture politique apporte toutefois quelques espoirs financiers pour la métallurgie locale, comme le souligne Bruno Lopez, le dirigeant d'Asturex, une entreprise semi-privée chargée de promouvoir les produits des Asturies à l'étranger :

« Il y a une industrie, qui ne se voit pas facilement et qui a toujours été là dans les Asturies, qui est celle de l'industrie de la Défense. Ici, il existe un hub, un cluster de 40, 50 entreprises dont la majorité sont liées au métal. Et tout ce qui est en train de se préparer en Europe avec la Défense va réactiver ce secteur. Ici, on fabrique des blindés et toutes sortes de composants. C'est un secteur qui va avoir du poids dans la production en Asturies. »

Le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez a assuré que l'Espagne allait passer de 1,3% à 2% de son PIB en matière de Défense, ce qui suppose un investissement de 10 milliards d'euros. Dans les Asturies, le secteur du métal se prépare déjà à accueillir de nouveaux projets militaires.

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Ligue des champions: Mohamed Salah, l'idole de Liverpool, très attendu contre le PSG
11 March 2025
Ligue des champions: Mohamed Salah, l'idole de Liverpool, très attendu contre le PSG

En football, les huitièmes de finale retour de la Ligue des champions UEFA démarrent ce mardi 11 mars 2025 avec plusieurs affiches au programme. Il y a notamment cet alléchant Liverpool-PSG, une semaine après la victoire 1-0 in extremis des Anglais au Parc des Princes. Mohamed Salah avait été très discret à Paris, mais il sera bien l'homme à suivre chez les Reds lors de ce match retour. L'Égyptien a construit une véritable histoire d'amour avec son club et ses supporters.

 

À la simple évocation de son nom, le visage de Phil s'est illuminé instantanément. Ce supporter quinquagénaire déborde d'admiration pour Mohamed Salah : « Absolument ! Il y a des joueurs comme ça. C'est un privilège de les avoir, de les regarder... Il ne faut pas avoir de perte d'attention parce qu'ils sont capables, comme ça, sur un geste, de faire quelque chose de spécial avec le ballon... »

Et il en a fait des choses spéciales, l'Égyptien cette saison : 32 buts et 22 passes décisives, alors que le mois de mars débute à peine. Un bilan qui impressionne tout le monde, et notamment son coéquipier Diogo Jota : « C'est exceptionnel. Je me demande si les gens n'ont pas arrêté de compter, parce qu'il fait juste des choses incroyables. Il fait de telles différences... Evidemment, ça nous aide énormément. C'est bien d'avoir un joueur comme lui dans l'équipe. »

Près de huit ans après son arrivée et environ 400 matches plus tard, Moh Salah est déjà entré dans l'histoire du club. Matt Addison, journaliste pour le site spécialisé Liverpool.com, explique tout le chemin du Pharaon chez les Reds : « Quand il est arrivé, il était très individualiste. Il ne voulait que marquer des buts par lui-même. Il a changé en tant que joueur, je pense qu'il est moins égoïste. Il a aussi pris une dimension différente, dans son propre pays et même sur le continent africain entier. C'est quelqu'un qui a plus de pression sur les épaules que la plupart des autres joueurs. Il a toujours eu à gérer ça. »

À 32 ans, Salah semble désormais complètement épanoui à Liverpool, ville et club où il a trouvé un cadre idéal, comme l'explique un autre journaliste local Neil Atkinson, présentateur du podcast The Anfield Wrap : « Salah a une identité complexe. Il y a sa foi, il y a sa nationalité, il y a son continent... Mais il a construit beaucoup de choses et passé des moments charnières de sa vie ici, comme la naissance de ses enfants. C'est un vrai Liverpuldien maintenant. Et il a montré tant d'amour et de dévotion aux supporters... C'est un joueur de Liverpool parce qu'il aime désespérément le club. »

Ça n'empêche pas la star de faire craindre le pire à ses supporters depuis plusieurs mois. En fin de contrat en juin prochain, Salah n'a toujours pas trouvé d'accord avec la direction des Reds pour prolonger. Interrogé par la télévision anglaise en janvier dernier, il a laissé planer le doute sur son avenir : « Eh oui, il reste six mois. En tout cas, ce sont mes derniers mois. Il n'y a pas de progrès. On n'a pas avancé dans les négociations. On doit juste patienter et on verra. »

Dans une ville où le visage de Salah a été reproduit sur plusieurs fresques, la question d'un départ terrifie les supporters des Reds. John ne veut pas y penser : « C'est le football. Parfois, tu perds ton joueur favori. Mais ça nous briserait le cœur. Ca peut être très très difficile. C'est un phénomène. Et il pourrait bien être le prochain Ballon d'Or. »

Ce serait une consécration individuelle suprême pour l'Égyptien, qui veut déjà terminer cette saison en fanfare en remportant la Premier League et, pourquoi pas, la Ligue des champions.

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Arnaques en ligne et actes de barbarie: Xu, rescapé d'un centre d'escroquerie birman, raconte son calvaire
09 March 2025
Arnaques en ligne et actes de barbarie: Xu, rescapé d'un centre d'escroquerie birman, raconte son calvaire

Des centres d'escroquerie en Asie du Sud-Est, notamment en Birmanie, au Cambodge et au Laos, exploitent des milliers de personnes pour mener des arnaques en ligne, générant des milliards de dollars. Après l'enlèvement d'un acteur chinois en Thaïlande, une coopération entre la Thaïlande, la Chine et la Birmanie vise à démanteler ces réseaux, qui utilisent les plateformes sociales pour piéger leurs victimes, notamment via des fraudes aux cryptomonnaies. Xu, l'un des rescapés, attiré sous un faux prétexte près de la frontière birmane puis emmené de force dans un centre d’escroquerie, raconte.

Xu débute son récit en racontant qu'il a été attiré, avec trois autres personnes, à la frontière, sous un faux prétexte pour du travail. Mais une nuit, plus d'une douzaine de personnes en uniforme de camouflage, avec des couteaux à la taille, les ont forcés à escalader la montagne qui les séparait de la Birmanie. À ce moment-là, dit-il, il était trop tard pour partir, et c'est là qu'il a compris que quelque chose n'allait pas :

« Pendant 48 heures, nous avons traversé de nombreux endroits en Birmanie, mais je ne me souviens plus de quels villages il s'agissait. À chaque poste de péage, il y avait des fonctionnaires birmans en service. Ils comprenaient et parlaient chinois. Ils étaient tous complices. Tant que vous leur donniez des yuans, ils vous laissaient passer. »

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Ordinateur, plusieurs téléphones, outils de traduction « pour communiquer »...

Une fois arrivé dans le centre, Xu explique qu'il travaillait sans arrêt tous les jours de 10h30 à 2h00 le lendemain, et que tout était étroitement contrôlé. 

« Chaque personne recevait un ordinateur et quatre téléphones Apple équipés de cartes SIM birmanes avec des numéros commençant par +95, tous d'occasion. Là, on créait des comptes Gmail, puis Facebook, Instagram. On gérait 20 comptes chacun », se souvient-il.

Il poursuit : « Parfois, les clients voulaient discuter. Il était essentiel de créer un lien émotionnel. Au début, on utilisait l'anglais, mais si le client parlait une autre langue comme le thaï ou le malais, on se tournait vers des outils de traduction pour communiquer dans la langue du client. L'objectif ultime restait de guider le client dans son investissement. Il n'y avait pas de script fixe, juste quelques tactiques générales. »

« Le lien menait à un faux site web d'imitation très réaliste »

Xu reprend son récit : « Le centre s'étendait sur sept étages, chacun travaillant sur des projets de fraude différents, à chaque étage. Au total, il y avait 14 équipes et projets de fraude. L'équipe dont je faisais partie se concentrait sur la cryptomonnaie, en particulier l'USDT.

Plus tard, j'ai appris que des personnes de nombreux pays pouvaient transférer leur monnaie locale sur la plateforme d'échange OKX, qui est reconnue internationalement, sauf en Chine continentale où elle n'est pas autorisée. Après avoir transféré de l'argent, elles pouvaient utiliser des dollars américains pour acheter des cryptomonnaies.

Une fois que quelqu'un avait acheté de la cryptomonnaie, même pour une valeur de seulement 500$, il recevait un lien qui semblait être une plateforme de trading légitime, comme un site de bourse. Cependant, le lien menait à un faux site web d'imitation très réaliste. La première fois, l'équipe d'escrocs manipulait le backend pour s'assurer que la victime ''gagnait''. Tout était contrôlé par les chefs de l'équipe d'escrocs en coulisses, et la victime gagnait inévitablement au début pour gagner sa confiance. »

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Une exploitation humaine jusqu'au bout 

Xu raconte que de nombreux Chinois étaient enfermés dans ces camps, et que le flot d'arrivées ne cessait jamais. Tous les jours, dit-il, on venait sélectionner certains individus : « Nous devions porter des menottes et ils nous donnaient deux repas par jour, juste des restes de nourriture dans des boîtes en papier. »

La violence était omniprésente : « Ils frappaient ceux qui résistaient, car beaucoup de gardiens étaient des mercenaires armés de fusils et de matraques électriques. Toute résistance était vaine, et ceux qui essayaient mais qui échouaient étaient enchaînés.

Si vous n'étiez pas choisi dans les 30 jours, ils vous emmenaient dehors dans un véhicule, à Myawaddy ou à la frontière thaïlandaise, pour se faire prélever les organes. Deux reins pouvaient se vendre 500 000 yuans (plus de 63 000 euros). Si vous étiez jugé ''qualifié'', ils vous exploitaient au maximum.

Si vous n'étiez pas sélectionné, ils vous forçaient à déverrouiller votre téléphone en scannant votre visage. Ils chargeaient votre téléphone, le connectaient au Wi-Fi et utilisaient votre visage pour accéder à des applications chinoises telles que WeChat, Alipay et des cartes bancaires, pour transférer le plus d'argent possible. »

Des méthodes d'intimidation à la punition physique

Ceux qui résistaient étaient sévèrement punis, raconte-t-il. « Le premier jour, les gardes ont tiré sur 11 personnes dans la cour. Quatre sont mortes sur le coup. Sept d'entre elles étaient encore en vie. Là, ils ont trouvé une autre victime qui prétendait être vétérinaire en Chine continentale et lui ont demandé de déterrer les balles sur leurs corps. Le processus était diffusé en direct sur Telegram.

Ils nous montraient aussi des vidéos d'autres centres d'escroquerie pour nous montrer des gens se faire punir. Ils utilisaient de l'eau bouillante pour la verser sur les orteils de quelqu'un, puis pliaient les articulations en arrière, et tout était diffusé en direct via des comptes Telegram et WeChat.

Ils utilisaient cela comme une forme d'intimidation, en particulier sur ceux qui venaient d'être vendus. C'était une façon de donner l'exemple, à la fois pour les personnes sur place et pour les autres qui participaient à différentes opérations frauduleuses et qui regardaient la diffusion en direct. C'est ce genre de choses qui fait que les gens craquent complètement après y avoir passé un certain temps. »

La famille de Xu a réussi à négocier son retour en Chine, après avoir en tout payé, en plusieurs étapes. Une liberté recouvrée pour un montant de près d'un million de yuans, soit près de 130 000 euros.

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Pakistan: des postes de police 100% féminins pour inciter les femmes à signaler les violences
07 March 2025
Pakistan: des postes de police 100% féminins pour inciter les femmes à signaler les violences

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce samedi 8 mars 2025, coup de projecteur sur le Pakistan. Selon un récent rapport d'une ONG locale, le taux national de condamnation pour viols et crimes d'honneur n'est que de 0,5%. Un chiffre choquant qui révèle les profondes lacunes du système judiciaire pakistanais lorsqu’il s’agit de rendre justice aux femmes victimes de violences. Les violences domestiques sont peu recensées, mais chaque semaine les médias locaux relaient de nombreuses affaires de viols, de crimes d'honneur, de violences domestiques et d’enlèvements à travers le pays. Parmi les initiatives mises en place il y a quelques années par les autorités pour soutenir les victimes, des postes de police au personnel exclusivement féminin. Reportage dans le commissariat pour femmes et entièrement féminin d’Islamabad. 

De notre correspondante à Islamabad, 

Le commissariat 100% féminin d’Islamabad, au Pakistan, est niché derrière des murs bleu pastel surmontés de fils barbelés. Dans l’un des bureaux ce jour-là, une femme d’une trentaine d’années au visage caché derrière un masque médical, un voile rose sur les cheveux. « Oui madame, qu’est-ce qui vous amène ? », demande la policière. « Mon mari se comporte mal avec moi », répond la femme. « Que fait-il ? » « Il trouve toujours des raisons pour se disputer avec moi, il m’accuse de le tromper. » « Vous a-t-il déjà violentée ? » « Oui, plusieurs fois. » « Quand cela s’est produit dernièrement ? » « Il y a deux, trois jours. » « Voulez-vous déposer plainte, on devra alors faire votre examen médical ? » « Oui. » 

C’est la première fois que cette femme, mariée depuis cinq ans, mère d’un petit garçon âgé d’un an, sans emploi, franchit le pas du poste de police. « J’ai hésité avant de venir parce que j’ai peur que ma famille, que les gens posent ensuite des questions sur ce qu’il se passe et que cela m’amène des problèmes. » 

Après quelques minutes de conversation, elle revient sur sa décision de porter plainte : « Je veux que madame la policière parle à mon mari. Bien sûr, c'est mon époux, s’il change je ne porterai pas plainte contre lui. » 

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Ce revirement n’étonne pas la chef de ce poste de police, Misbah Shahbaz. Une cinquantaine de femmes se présentent chaque semaine. Dans 70% des cas, il s’agit de violences domestiques. « Il y a souvent des cas de violences répétées. Nous essayons alors vraiment de convaincre la femme pour qu'elle dépose une plainte. Mais le fait est que les femmes préfèrent généralement régler les choses à l'amiable, souvent parce qu’elles ont des enfants, à cause de la société et des normes sociales aussi. Et puis n’oublions pas le poids du traumatisme qu’elles ont après avoir subi des violences. Et puis il y a aussi les familles qui s'en mêlent. Les familles qui leur disent : “pardonne-lui, on va lui parler, on va le raisonner, il ne recommencera pas.” Dans ces conditions-là, c'est très compliqué de les convaincre de porter plainte. » 

Le poste de police 100% féminin est sans conteste un argument majeur pour inciter les femmes à signaler les violences et les abus dont elles sont victimes, mais la société patriarcale et conservatrice les maintiennent encore largement dans le silence. 

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À Naplouse, dans les territoires palestiniens occupés illégalement, la crainte des chars israéliens
06 March 2025
À Naplouse, dans les territoires palestiniens occupés illégalement, la crainte des chars israéliens

Ce sont plus de 40 000 personnes qui ont été forcées de quitter leur foyer en Cisjordanie occupée. Deux jours après la mise en place du cessez-le-feu à Gaza, l'armée israélienne a lancé une opération de long terme sur cette autre partie du territoire palestinien, en commençant par les villes du nord, Tulkarem et Jénine. Entre les deux se trouve Naplouse. Le poumon économique de la Cisjordanie craint d'être la prochaine cible des chars israéliens.

De nos envoyés spéciaux à Naplouse,

Depuis quelques jours, le camp de réfugiés de Balata a une nouvelle habitante. Saharab est arrivée avec ses quatre enfants d'un camp de Tulkarem. « Ils ont mené plusieurs raids dans notre maison, raconte la jeune femme. Nous avons choisi de rester pour les enfants. Ils nous ont envoyé des drones. Nous sommes restés jusqu'à vendredi dernier, témoigne-t-elle. Ils tiraient dans tous les sens, ils se fichaient des enfants. Ils ont forcé mon mari à rester dehors. Ils sont entrés dans ma chambre alors que j'avais mon fils asthmatique dans les bras. Il a besoin d'un inhalateur. Ils m'ont dit qu'ils n'en avaient rien à faire. Ils ont compté : 5 !... 4 !... 3 !... 2 !... 1 !... Dehors ! dehors ! »

Le camp de Nour Shams était habité par des familles réfugiées en Cisjordanie suite à la création de l'État d'Israël en 1948. Saharab est partie dans un autre camp, chez sa sœur, à Balata, dans la banlieue de Naplouse. Mais ici aussi, l'armée israélienne multiplie les raids. « Les soldats israéliens peuvent arriver à tout moment, prévient-elle. Soudain, ils sont là, face à vous. »

Assise sur un canapé, la mère de famille nous parle d'une voix chaleureuse et dynamique. Ces enfants s'agrippent à elle. « Ils sont terrifiés. Avant, c'étaient des moulins à paroles, maintenant, il y a une vibration étrange dans leur voix, ils sont tout pâles, se désole-t-elle. Je sais que rien n'est impossible pour l'occupation israélienne. Je suis partie du camp de Nour Shams et je me prépare à revivre la même expérience à Balata. »

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« Il n'y a pas une maison qui n'ait pas un martyr »

Entre deux raids, le camp de Balata fourmille de vie. Assis sur un muret avec deux amis, un vieil homme observe les enfants jouer dans la rue. « Ici, il n'y a pas une maison qui n'ait pas un martyr, affirme-t-il. Est-ce que l'occupation israélienne arrivera à empêcher ces enfants de résister ? Nous les mettons au monde pour ça et nous leur parlons pour qu'ils n'oublient pas. »

Ne pas oublier le droit au retour sur les terres que ces familles ont été forcées de quitter il y a plus de 70 ans. C'est ce souvenir qui fait des camps les foyers des groupes armés palestiniens — des « terroristes » pour Israël.

Mais aujourd'hui, le gouverneur de Naplouse, Ghassan Daghlas, affirme que l'Autorité palestinienne et l'armée israélienne ont eu raison de la lutte armée à Naplouse : « Malgré tout, la ville est assiégée. Il y a un barrage à chaque entrée de la ville, pareil dans les villages. Il y a aussi de nombreuses attaques de colons israéliens, dénonce-t-il. L'Autorité palestinienne ne pourra rien faire s'il y a une offensive d'ampleur sur les quatre camps de réfugiés de la banlieue. Toute la ville est fermée, où iront les gens ? »  

L'annexion de la Cisjordanie est discutée jusqu'à Washington, grand allié d'Israël. En septembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a pourtant donné un an à Israël pour mettre fin à sa présence illicite sur le territoire palestinien occupé.

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Au Japon, l'île de Yonaguni se prépare à une guerre éventuelle
05 March 2025
Au Japon, l'île de Yonaguni se prépare à une guerre éventuelle

La tension monte en mer de Chine orientale, Pékin multipliant les intimidations, voire les provocations militaires. L’inquiétude est particulièrement vive à Okinawa, l’archipel situé à l’extrême sud du pays, et notamment dans les îles japonaises les plus proches de Taïwan, comme Yonaguni, qui n’est qu’à 110 km de Taipei.

De notre envoyé spécial de retour de Yonaguni,

À Yonaguni, tout est prêt dans l’éventualité où Pékin attaquerait Taïwan ou s’il bouclait la mer de Chine orientale, empêchant toute navigation et donc le ravitaillement de l’île par voie maritime. « Yonaguni compte 1 648 habitants. Le jour venu – s’il survient –, un pont aérien évacuera les personnes qui le souhaitent vers la grande île de Kyûshû, qui est située au nord de l’archipel d’Okinawa, indique Koji Sugama, chargé de l’élaboration des plans catastrophes. Onze vols se succéderont sans discontinuer, du matin au soir. Les fonctionnaires municipaux seront les derniers à quitter Yonaguni. Notre objectif est de mener à bien l’évacuation de l’île en un jour, pas plus. »

Les personnes qui ne souhaitent pas évacuer seront invitées à se regrouper dans les centres d’hébergement d’urgence où la population se réfugie en cas de catastrophes naturelles, comme les séismes ou les tsunamis. Des stocks y ont été constitués : trois litres d’eau par jour et par personne, par exemple.

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« Notre gouvernement a beaucoup trop tardé à prendre conscience de la menace chinoise »

Mais comme il ne s’agit pas d’abris antimissiles, ces habitants n’y seront pas à 100% en sécurité. « Il n’y a pas un seul abri antimissiles souterrain dans cette île, pas un seul, s’indigne le maire, Kenichi Itokazu. L’État m’en promet un, mais ça prendra des années. Pareil, ça fait des lustres qu’on réclame l’allongement de la piste de notre aéroport où, aujourd’hui, seuls des petits bimoteurs peuvent atterrir. Cela va poser des problèmes si une guerre éclate et qu’il faut acheminer en urgence d’énormes renforts militaires ici. »

Et le maire ne décolère pas : « Quand j’ai pris mes fonctions, il y a trois ans et demi, j’ai réalisé combien nous n’étions pas préparés à faire face à une crise majeure. Car, c’est l’évidence, notre gouvernement a beaucoup trop tardé à prendre conscience de la menace chinoise. »

Plusieurs centaines de militaires sont stationnés à Yonaguni. À l’aide de puissants radars, ils surveillent en permanence les eaux territoriales et l’espace aérien. Il est aussi prévu d’y déployer des missiles sol-air de moyenne portée.

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« Le Japon doit s’interdire une nouvelle dérive belliqueuse » 

Le Japon muscle son dispositif militaire à Okinawa, et cela ne fait pas l’unanimité, en raison du poids terrible du passé. Il y a 80 ans, la guerre tua un quart de la population civile de cet archipel. « Tirons les leçons de notre passé tragique et faisons en sorte qu’il ne se reproduise pas, martèle, effarée, cette retraitée qui milite bénévolement dans une association pacifiste. Notre pays est régi par une Constitution pacifiste. On commémorera bientôt la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus que jamais, donc, le Japon doit s’interdire une nouvelle dérive belliqueuse. » 

Année après année, Tokyo accroît son budget de la défense. Il atteint désormais une soixantaine de milliards d’euros, soit davantage que le montant des dépenses militaires de pays comme la France ou l’Allemagne.

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Suède: face au phénomène d'enfants embrigadés dans des gangs, le gouvernement cherche des solutions
04 March 2025
Suède: face au phénomène d'enfants embrigadés dans des gangs, le gouvernement cherche des solutions

La Suède fait face à une flambée de violences liée aux guerres des gangs. Face à cette explosion de la criminalité à laquelle de plus en plus de très jeunes adolescents participent de gré ou de force, le gouvernement tente de trouver des moyens d’inverser cette tendance.

De notre correspondante à Stockholm,

Avec quasiment une fusillade par jour ces dernières années, le royaume est l’État européen le plus touché par les règlements de compte et, en un an, le nombre de jeunes de moins de 15 ans soupçonnés de meurtre, de complicité de meurtre ou de tentative de meurtre a quasiment triplé en Suède. On les appelle les enfants soldats. Ils n'ont parfois que dix ou onze ans et sont engagés comme tueurs à gages parce qu'ils n'ont pas atteint l'âge de responsabilité pénale fixé à quinze ans. Une aubaine pour les gangs qui vivent du narcotrafic.

« Je n'ai pas vraiment recruté, mais j'ai bien demandé à des adolescents de faire des trucs pour moi, comme détruire des preuves ou faire exploser des entrées de bâtiments, témoigne Victor, 25 ans, ancien membre d'un gang à Stockholm. Mais le plus souvent, c'étaient des ados qui venaient me voir d'eux-mêmes. La principale raison pour s'engager dans les gangs, c'est l'argent, bien sûr. L'argent et une forme de statut. Moi, je sais ce que je recherchais, c'était d'être respecté. » 

Des choses que Jonas Soderlund, coordinateur local, reconnaît dans les enfants qu'il rencontre dans les écoles, dans la rue ou les centres de jeunesse. Son métier consiste à empêcher les enfants de se tourner vers la criminalité. « Aujourd'hui, je m'occupe des enfants dès l'âge de six ans. Ça peut commencer comme ça : par exemple, l'enfant se fait prêter un beau bonnet de marque par quelqu'un, explique-t-il. Le lendemain, la personne dit qu'elle veut le récupérer et lui dit qu'il y a une tache dessus. Maintenant, tu me dois 300 €. Ensuite, il y a des menaces, des pressions et puis on est coincé. » 

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« C'est tragique qu'on en soit arrivé au point de réfléchir à ce genre de loi » 

Face à l'explosion de la criminalité chez les mineurs, le gouvernement de droite, soutenu par l'extrême droite, veut autoriser la police à surveiller secrètement les appels téléphoniques et les communications électroniques des jeunes de moins de quinze ans. Il est aussi question d'imposer à titre préventif le port du bracelet électronique à certains dès l'âge de quinze ans.

Des mesures controversées qui questionnent les valeurs fondamentales des Suédois. « C'est tragique qu'on en soit arrivé au point de réfléchir à ce genre de loi, regrette Robert, père d'une adolescente de quinze ans. De manière générale, je suis contre tout ce qui peut violer l'intégrité des personnes, surtout quand il s'agit de mineurs. Mais la criminalité s'est tellement répandue que je comprends le besoin. Il faut que les choses changent. » 

« Les enfants qui risquent de se tourner vers la criminalité, ce dont ils ont besoin, c'est d'aide, défend Germay Woldu, responsable d’une association qui s’occupe de réintégrer d’anciens détenus et de faire de la prévention auprès des jeunes. Leur mettre un bracelet électronique au pied tout en les laissant dans le même milieu, ça ne les empêchera pas d'avoir des activités criminelles. » 

Le gouvernement étudie actuellement la possibilité de rabaisser l'âge de responsabilité légale à quatorze ans et de permettre à la police de supprimer immédiatement des contenus illégaux sur les réseaux sociaux. Les autorités passent clairement à l'offensive et tentent de conjuguer répression, surveillance et prévention, au risque d'empiéter sur les libertés individuelles.

À écouter dans Le tour des correspondantsSuède, Québec, Afrique du Sud: des adolescents de plus en plus jeunes recrutés par des gangs