Reportage France
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Du lundi au vendredi, un reportage pour mieux connaître la société française et comprendre ses débats.

Ukraine: le destin tumultueux des jeunes étudiants africains contraints à l'exil en France
20 February 2025
Ukraine: le destin tumultueux des jeunes étudiants africains contraints à l'exil en France

Olivier, Jean-Baptiste et Jean Bertrand. Ces trois Ivoiriens, comme tant d’autres africains, ont quitté malgré eux l’Ukraine qu’ils avaient choisie pour poursuivre leurs études supérieures. Se retrouvant sur les routes de l'exil dès le déclenchement de la guerre, ils ont choisi la France. Trois ans après, un autre parcours du combattant a commencé.

 

Depuis un an, ces anciens étudiants fraîchement diplômés, Olivier Gueu et Jean Bertrand Somlaré, ont posé leurs bagages à Nantes, dans l'ouest de la France. Chacun vit séparément. Direction le foyer des jeunes travailleurs, chez Jean-Baptiste Ahoua, le seul qui poursuit encore ses études tout en travaillant. Cheveux tressés, tous les trois sont à l'image des Mousquetaires, unis face à l'adversité. C'est en Ukraine et sur les routes de l'exil que cette fratrie s'est construite. Depuis, ils ne se sont plus quittés.

« Depuis l'Ukraine, c'est devenu plus qu'une amitié. Nous sommes davantage des frères que des amis. On sait que l'un peut compter sur l'autre, quel que soit le problème. On a fait le parcours ensemble depuis l'Ukraine jusqu'en France », raconte Jean-Baptiste, la gorge nouée. Le jeune homme a encore du mal à effacer de sa mémoire ce départ précipité sous les bombes : « J'avais seulement mon sac à dos avec mes documents et une paire de chaussure. Pour moi, c'était un déplacement du quotidien. Je me suis retrouvé du jour au lendemain en France, ce n'était pas facile. »

« Cela faisait onze ans que j'étais en Ukraine, explique son camarade Olivier Gueu, ingénieur. Quand tu arrives en France, tu sais vraiment pas quoi faire. Moi, j'étais en seconde année de doctorat en aéronautique. Laisser tout ça derrière et venir dans un pays, la France, où, même pour te régulariser, il n'y avait pas de visibilité. Tout cela, c'était un gros stress. Et j'étais devenu un peu ukrainien aussi ».

« Je pense qu'on se sent tous ukrainiens, d'une manière ou d'une autre, abonde Jean Bertrand, qui a débarqué à Kiev tout juste après son bac. Sur son portable, il reste encore connecté avec son ami Oleg. J'ai vu dernièrement que les autorités prenaient des jeunes gens pour la mobilisation, pour pouvoir aller au front. J'ai envoyé un message à mon ami que j'ai toujours en Ukraine, lui demandant s'il allait bien. Il vient de me répondre, il m'a dit qu'il allait bien, que c'est assez tendu autour de lui, mais que tout va bien. »

Olivier a été embauché chez l'un des fleurons de l’industrie aéronautique française. De l'aveu de ses camarades, c'est lui qui a le plus embrassé la culture ukrainienne, sachant parler couramment le russe. À 32 ans, ce jeune homme se considère comme le grand frère du groupe : « Ce sont mes petits, ce sont mes bébés, je ne sais pas ce qu'ils auraient pu faire sans moi », concède-t-il, ému. Car c'est un véritable parcours du combattant qui a débuté pour ses amis.

Alors qu'il était sur le point de terminer ses études après cinq années passées en Ukraine, Jean-Baptiste a dû tout recommencer à zéro et changer de filière. Toujours de bonne humeur et rieur, Jean Bertrand n'est pas encore sorti d'affaire. Avec un titre de séjour d'un an pour recherche d'emploi et création d'entreprise, il lui reste peu de temps. Le téléphone vibre à l'autre bout du fil. C'est Ben, le médecin du groupe, aujourd'hui installé en Côte d'Ivoire, qui a passé son diplôme en pleine guerre en Ukraine. Tous plaisantent pour oublier. Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas pu serrer leurs parents dans leurs bras.

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Affaire Le Scouarnec: un procès «hors-norme» pour la petite juridiction de Vannes
18 February 2025
Affaire Le Scouarnec: un procès «hors-norme» pour la petite juridiction de Vannes

C'est sans doute la plus grande affaire de pédophilie en France. L'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec est accusé de viols et d'agressions sexuelles sur 300 enfants entre 1989 et 2014 dans plusieurs hôpitaux de l’ouest de la France. Son procès s'ouvre le 24 février, à Vannes, devant la cour criminelle du Morbihan. La ville de Vannes, 50 000 habitants, et son tribunal se préparent depuis plusieurs années, avec des moyens humains et budgétaires limités.

Trois cents victimes, 60 avocats, des dizaines de journalistes français et étrangers attendus : jamais le tribunal de Vannes n’a accueilli un procès aussi « hors-norme ». Cela fait trois ans que la juridiction planche sur son organisation. Pour anticiper au mieux le déroulé des quatre mois d’audiences, elle a sollicité l’expérience acquise par d’autres tribunaux en matière de grand procès, explique Ronan Le Clerc, secrétaire général du parquet de Rennes : « Nous avons demandé à ce que nos collègues parisiens qui ont eu en charge l'organisation du procès des attentats de novembre 2015 ou celui de Nice puissent nous faire un retour d'expérience de manière à ce qu'on puisse profiter de leurs acquis en termes de méthodologie. »

Durant seize semaines, le procès de Joël Le Scouarnec va mobiliser sept magistrats sans que l’activité du tribunal ne cesse pour autant. Un casse-tête, mais là aussi, tout est affaire d’anticipation. « Il a fallu faire tout un travail en amont pour que les autres dossiers criminels puissent être examinés avant le procès de Joël Le Scouarnec et après, précise Ronan Le Clerc, en veillant bien d'ailleurs à ce que les délais qui nous sont imposés par la procédure pénale le soient pleinement. »

Un procès à trois millions d’euros

Ce procès labellisé « hors-norme » a aussi un coût pour la justice : trois millions d’euros. Une somme nécessaire à l’aménagement de trois annexes à la petite salle du tribunal qui compte une petite centaine de places. Une première salle accueillera le public – le procès n’ayant pas lieu en huis clos total – une autre pour la presse et un ex-amphithéâtre d'université pour accueillir les parties civiles et leurs avocats. Le maire de Vannes, David Robo, l'a mis à disposition gratuitement. « Chacun connaît l’état des finances publiques et celles du ministère de la Justice. Je me voyais mal demander un loyer. Je pense qu’en tant qu’élu de la république, on doit servir la justice. Et si je peux ramener de la fluidité, plutôt que de la complexité à ce procès, j’en serais content », commente l’édile.

L’enjeu d’un procès aussi titanesque réside aussi dans l’accompagnement des victimes. C’est le rôle de l’association France Victimes 56, dont sa directrice, Carine Duneuf-Jardin, en a déjà reçu plusieurs dans son bureau : « Ces personnes se retrouvent engagées dans une machine judiciaire où il faut appréhender les termes, souligne-t-elle. Elles arrivent avec leurs interrogations : Que veut dire se constituer partie civile ? Suis-je obligé de prendre un avocat ? Combien cela va me coûter ? Nous sommes là pour les informer afin qu’elles aient le maximum d’éléments en leur possession pour prendre leur décision. »

Pour épauler les victimes durant l’audience, France Victimes 56 met à disposition une juriste et seulement… une psychologue. « Il eût été préférable d’en avoir deux, concède le président de l’association André Rolland, mais le recrutement d’une seconde praticienne a été stoppé il y a quelques semaines. Nous n’avons pu travailler qu’à moyens constants pour une raison très simple : la France n’avait pas de budget. Mais peut-être que ça va se débloquer, maintenant qu’on a un. » Deux psychologues, ce serait un minimum, estime André Rolland pour accompagner les 300 victimes présumées de Joël Le Scouarnec.

Un mariage refusé pour cause d'OQTF, le maire Robert Ménard devant la justice
17 February 2025
Un mariage refusé pour cause d'OQTF, le maire Robert Ménard devant la justice

Robert Ménard, le maire d’extrême droite de Béziers, dans le sud-est de la France, est convoqué par le procureur ce mardi 18 février pour avoir refusé il y a un peu moins de deux ans de marier une Française et un Algérien sous le coup d’une OQTF, une obligation de quitter le territoire. Ce refus est illégal. Robert Ménard encourt donc cinq ans de prison, une amende de 75 000 euros et une peine d’inéligibilité. 

C’est en regardant la télévision qu’Eva et son fiancé apprennent la nouvelle. Sur le plateau de la chaîne privée CNews, le maire de Béziers Robert Ménard annonce en direct qu’il ne les mariera pas. Nous sommes la veille de la cérémonie. À la question de savoir s'il va marier Eva et Mustapha, la réponse est sans appel : « Mais bien sûr que non ! Ce “type” est en situation irrégulière. Si on veut le mettre dehors, la Police de l’air et des frontières, je leur donne rendez-vous vendredi à la mairie. Ils le trouveront puisqu’il vient à 11 h se marier ! »

Malgré l’illégalité de son geste, Robert Ménard persiste. « Quitte à vous mettre vous hors-la-loi ? », demande la présentatrice.  « Mais bien sûr !, répond l’élu. Tant pis. Quand le droit est à ce point contre la logique, le bon sens, l’évidence... »

Pour les fiancés, la nouvelle est bien entendu terrible. « On n’imagine jamais que le jour qui est censé être le plus beau jour de sa vie va se passer comme ça », se désole Eva. « On est stupéfaits, on ne dort pas de la nuit. »

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« Il ne peut pas gâcher l’amour de deux personnes pour des opinions politiques »

La fiancée décide alors d’aller voir le maire, pour discuter avec lui : « Je me dis qu’il peut déléguer un officier d’état civil, mais qu’il ne peut pas gâcher le jour J, l’amour de deux personnes, pour des opinions politiques. Malheureusement, quand on se présente à l’heure du mariage, c’est là que le drame a commencé, entre guillemets. »

Sur le parvis de la mairie, une nuée de caméras attend les deux amoureux, l’élu a prévenu la presse. Le couple parvient malgré tout à atteindre l’entrée du bâtiment. « Et là, la sonnette d’alarme retentit, raconte Eva, choquée. Les portes de la mairie nous sont fermées au nez à la demande de Monsieur Ménard pour exprimer son refus. Enfin, on ne traite pas les gens comme ça ! »

Deux semaines plus tard, Mustapha est renvoyé en Algérie. Le mariage n’aurait jamais pu empêcher son expulsion, mais, pour Eva, les deux évènements sont forcément liés, au vu de la médiatisation de l’affaire et de la mobilisation du maire : « Dans la semaine qui a précédé le mariage, j’ai saisi tout le monde, la Police de l’air et des frontières, le sous-préfet, le préfet, le ministre, le procureur en leur disant : “Mais qu’est-ce que vous attendez pour appliquer l’OQTF que vous avez délivrée ? », indique le maire d'extrême droite.

Robert Ménard devant la justice

L’avocate du couple a saisi la justice pour dénoncer une expulsion illégale. Elle soutient que son client n’a vu ni avocat ni juge avant d’être placé dans un avion. Le tribunal administratif se prononcera sur ce volet vendredi 21 février. En attendant, ce mardi 18 février, c’est Robert Ménard qui se retrouve face à un procureur pour avoir refusé de marier Eva.

« J’attends quelque chose qui soit à la hauteur de ce qu’on a subi, de ce qu’on a ressenti. On n’atteint pas la vie des gens comme ça, s’indigne Eva. On ne remet pas en cause leur amour, on ne les dénigre pas comme ça, à la télé et partout. Ce n’est pas rien ce qu’il a fait ! »

Depuis 20 mois, Eva multiplie les allers-retours en Algérie pour voir Mustapha, qui n’a pas souhaité s’exprimer. Sa compagne le dit tout aussi désemparé.

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Drogue: une proposition de loi pour mieux encadrer la vente du protoxyde d'azote en France
16 February 2025
Drogue: une proposition de loi pour mieux encadrer la vente du protoxyde d'azote en France

Après le cannabis, le protoxyde d’azote est la deuxième substance la plus consommée chez les 13-25 ans. Alors que ce gaz est déjà interdit à la vente aux mineurs dans certains lieux, le député LFI Idir Boumertit veut aller plus loin. Avec sa proposition de loi, il veut à la fois renforcer la prévention et limiter l’accès aux professionnels. 

Un reportage de Marie Casadebaig et de Lisa Barel-Frémeaux,

Sofiane a 22 ans, il était plombier et, à cause de sa consommation de gaz hilarant, il a dû arrêter son métier. « [J’étais] paralysé des jambes, paralysé des mains. Quand je fermais les yeux, je tombais. [J’ai eu] une infection aux poumons. J’en ai perdu un, témoigne le jeune homme. La première fois que j’en ai pris, c’était pendant le confinement, en 2020, je crois. Je devais avoir 19 ans et après, j’ai continué. C’était quotidien en fait. On pouvait ressentir une sensation de joie, on oubliait les problèmes... Et si on arrête le ballon, au bout de dix secondes, l’effet se dissipe. On avait envie d’en refaire. »

Il y a un an environ, Sofiane est hospitalisé. Il n’arrive plus à respirer. Et pour cause, un de ses poumons ne fonctionne plus. Il perd aussi l’usage de ses jambes. Encore aujourd’hui, il suit un programme de rééducation. « Je suis resté en fauteuil roulant six mois. C’est comme si mes muscles étaient retournés à zéro, explique-t-il. J’ai récupéré mes jambes avec le temps et, à l’heure d’aujourd’hui, je travaille toujours sur la force musculaire. »

Le protoxyde d’azote est le plus souvent utilisé par des professionnels, dans le milieu médical comme anesthésiant ou encore dans l’agroalimentaire. Les jeunes le consomment pour ses effets euphorisants. Ils percent les cartouches, remplissent un ballon avec et l’inhalent. 

« Dès la première consommation, on devient addict »

Françoise Cochet connaît bien les effets de ce gaz sur la santé. Elle est présidente de l’association Apeas qui lutte contre les jeux dangereux. « Le problème, c’est que ces gaz traversent la paroi des alvéoles pulmonaires, passent dans le sang et arrivent instantanément au niveau cérébral. Le danger majeur de toutes ces pratiques d’inspiration de n’importe quel autre gaz que l’air, c’est le risque d’arrêt cardiaque. »

Et le consommateur peut rapidement devenir dépendant, c’est ce qui est arrivé à Sofiane : « Dès la première consommation, on devient addict. Dès qu’on commence à ressentir les effets, c’est fini. Après, on a envie d’en refaire, confie le jeune homme. Par mois, des fois, je pouvais utiliser 600 euros, ça dépendait de mon budget. Mais si j’avais l’argent pour consommer, j’achetais, je n’avais pas de limites. »

Aujourd’hui, Sofiane a arrêté d’en consommer et témoigne. Pour lui, limiter l’accès du protoxyde d’azote aux professionnels est une bonne chose, mais pour Françoise Cochet, ce n’est pas la solution : « Pour nous, la seule façon de contrer ces accidents, c’est la prévention. Donc, la prévention d’une part des adultes pour les informer — pour les parents, mais aussi les professionnels —, et puis, bien évidemment, la prévention auprès des élèves. »

Il y a une dizaine de jours, les députés ont adopté cette proposition de loi. Prochainement, c’est au Sénat de se prononcer sur le texte.

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En France, les nouvelles technologies manquent de chercheurs, Thales cherche à séduire
13 February 2025
En France, les nouvelles technologies manquent de chercheurs, Thales cherche à séduire

Thales, géant français de l'industrie et des nouvelles technologies, est touché par le manque de jeunes compétents dans le domaine des STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Dans un des centres de recherches et développement du groupe, à Palaiseau, dans le sud de Paris, le manque n'est pas nouveau, mais on s'organise. Un reportage d'Orianne Gendreau.

Pas besoin de blouse blanche pour Juan Trastoy, chercheur en physique quantique chez Thales. Il y travaille depuis huit ans et, chaque année, au moment de trouver des jeunes doctorants pour l'accompagner dans ses recherches, il rencontre des difficultés. Or, ces derniers sont fondamentaux pour avancer sur un sujet. Pourtant, lui n'a pas tellement à se plaindre par rapport à ses collègues : « Il y a des sujets plus à la mode, donc ici, ce sont des sujets quantiques, c'est un peu plus à la mode, donc les étudiants cherchent un peu plus ces sujets », explique-t-il

Les jeunes en sciences et technologies sont rares et cette pénurie ne date pas d'hier. Dans le laboratoire à côté de celui de Juan Trastoy, Laura Ly travaille sur le biomimétisme. Elle a quitté son école d'ingénieur il y a vingt ans et elle le confirme, déjà en 1998, personne ne se lançait dans la recherche industrielle : « Il doit y en avoir dix à peu près sur 80, sachant que les autres personnes partent en projet, sur d'autres métiers, même dans la finance. »

« Il y a un désintérêt pour les sciences et les technologies dans le système éducatif, ça n'aide pas les jeunes à aller vers ces métiers-là », analyse Patrick Pélata, le président de l'Académie des technologies en France, pour qui les sciences perdent de leur attractivité dès le collège.

À écouter dans Autour de la questionComment faire écho aux initiatives des jeunes scientifiques africains ?

La France mal classée en mathématiques et sciences

En 2023, la France était un des pays européens les moins bien classés en mathématiques et en sciences, une place qui ne pousse pas les élèves vers les métiers technologiques. Sarah Lannes, ingénieure de recherche chez Thalès, est bénévole dans l'association Elles bougent pour l'orientation. Destinée à motiver les jeunes filles à se tourner vers les nouvelles technologies, elle a dû changer de cible. « Quand je vais en collège, j'ai beaucoup de collégiennes qui me disent : "Non mais les maths, c'est dur." Mais j'avoue que quand on y va, on parle de plus en plus aux jeunes garçons parce que tout le monde me dit : "Les maths, c'est dur", elle rit. Et c'est un peu dommage, parce que les maths, c'est vachement bien et ce serait bien que plus de monde y croit. Souvent, [les collégiens] ont très très très peur. »

Lutter contre l'autocensure passe aussi par des bourses. Pour Marko Erman, directeur scientifique chez Thalès, il faut aller chercher les populations défavorisées. Thalès met à disposition près de 250 000 euros pour motiver les jeunes à rejoindre les métiers technologiques. « Nous allons soutenir financièrement les étudiants au parcours remarquable issus des milieux défavorisés, ayant commencé leur cursus académique dans le domaine des sciences », indique-t-il.

La France n'est pas la seule touchées par cette pénurie. En décembre dernier, un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique montrait que les pays de l'Union européenne manquaient cruellement de personnes compétentes dans les nouvelles technologies. 

À écouter dans 8 milliards de voisinsPourquoi les filles doivent oser devenir ingénieures

Les atouts de la fabrication de rails «bas-carbone» sur le territoire français
12 February 2025
Les atouts de la fabrication de rails «bas-carbone» sur le territoire français

Fin janvier, SNCF réseau et l'entreprise sidérurgique Saarstahl Rail, leader européen du rail, ont signé un contrat de 1,3 milliards d'euros pour la fabrication de rails « verts ». Un exemple de recyclage et d'économie circulaire à l'échelle industrielle qui doit permettre à la SNCF de baisser sensiblement son empreinte carbone sur son réseau ferroviaire. Les 27 000 kilomètres de voies sont vieillissantes et chaque année, la SNCF retire 150 000 tonnes d'acier de son réseau pour les remplacer par des rails neufs, qui sont désormais « bas-carbone ».

Audioguide aux oreilles, nous commençons la visite – dans un vacarme assourdissant – de l'usine de Saarstahl Rail, en Moselle, dans l'Est de la France. Nous suivons Amine Basraoui, responsable de production chez Saarsthal Rail : « Ça, c'est le départ de l'usine. On reçoit ces blooms par train, à raison d'environ six trains par jour. On va charger ces blooms dans nos fours qu'on va aller voir tout de suite. »

Le bloom est la matière première qui sert à la fabrication du rail. « Pourquoi ce bloom est décarboné ? Le procédé standard par haut fourneaux utilise du charbon – du coke – qui fait qu'on a beaucoup de production de CO2. Le procédé par élaboration électrique permet de recycler de manière vertueuse le rail de réemploi. Ils sont refondus pour reproduire de la matière première, donc les blooms qu'on va utiliser ici, à Hayange. »

Des bienfaits écologiques et économiques

Grâce au four à arc électrique, la fabrication de ces rails « verts » génère 70% de gaz à effet de serre en moins qu'avec le processus traditionnel par haut fourneaux. Et pour Mathieu Chabanel, le PDG de SNCF Réseau, il y a un autre avantage : « Ce contrat avec du rail recyclé est un contrat qui est économiquement performant. Donc on allie écologie et économie avec des rails qui sont fournis à ''bas-carbone'', mais dans des prix très compétitifs. »

La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, présente dans l'usine de Saarstahl Rail, applaudit : « On a fait la démonstration qu'on était capable, en France, de conjuguer industrie et écologie, alors même qu'on nous disait que la transition écologique risquait de mettre à bas notre industrie. C'est la transition écologique qui a sauvé ces deux sites industriels. »

Le recyclage des rails marque la fin de la dépendance aux métaux

Pour Mathieu Chabanel, c'est « une grande satisfaction pour SNCF réseau que ces rails sont produits en France ». « Ça simplifie aussi nos chaînes logistiques, et donc c'est très utile pour nous. Et d'ailleurs, 97% des achats de SNCF réseau se font auprès d'entreprises localisées dans notre pays », appuie le PDG de SNCF Réseau.

Enfin, le recyclage des rails permet à la France de sortir de sa dépendance aux métaux : « Nous sommes dépendants sur la fourniture de métal à 99,7%. Les ressources sont en train de devenir plus rares. Ça va être une guerre pour accéder aux ressources les plus essentielles, le métal, l'énergie, et il nous appartient aujourd'hui d'être capable de construire cette souveraineté. Et elle passe évidemment par la transition écologique », précise Agnès Pannier-Runacher.

Au terme de ce contrat de six ans, la totalité du réseau ferroviaire français devrait être équipé de rails « bas-carbone ».

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La Wolof Académie, nouvelle tendance pour l'apprentissage des langues via des applications
11 February 2025
La Wolof Académie, nouvelle tendance pour l'apprentissage des langues via des applications

C'est une tendance qui se développe de plus en plus : l'apprentissage des langues via des applications dédiées. La Wolof Académie s'inscrit dans ce mouvement, avec des cours en visioconférence et un site qui propose des cours en ligne de wolof, la langue parlée au Sénégal par près de 80% de la population. Avec ou sans professeur, les apprenants ont le choix de la formation à laquelle ils souhaitent s'inscrire. Fondée en 2021, la Wolof Académie est née d'un besoin de sa fondatrice de communiquer, de mieux s'intégrer socialement et professionnellement au Sénégal, ou encore de renforcer les liens avec leurs proches pour les binationaux ne vivant pas au Sénégal. 

Il est 20 heures. C'est le début du cours à distance pour un groupe de trois élèves inscrites à la Wolof Académie. Il y a Mossana, Céline et Isabelle, qui vient de se connecter. Elles en sont à leur 16e cours avec leur professeur Karim.

« Carole n'est pas encore là. On va quand même commencer. La dernière fois, on a vu le verbe ''être'' dans différents contextes. De toute façon, on va faire les exercices et on va y revenir. On fait un cours de révision aujourd'hui. Chaque cinq cours, on fait une révision. Quelles sont les dernières leçons qu'on a vues ? Vous pouvez me faire un petit rappel ? », enchaîne le professeur attentif.

« J'ai ressenti le besoin de parler de wolof de manière vraiment fluide »

Pendant que les élèves révisent les cinq derniers cours, Amy Cissé, Franco-Sénégalaise et fondatrice de la Wolof Académie, revient sur les raisons de sa création, il y a quatre ans de cela :

« C'est lorsque je suis partie vivre et travailler au Sénégal que j'ai ressenti le besoin de parler le wolof de manière vraiment fluide et couramment. J'ai développé une méthode d'apprentissage unique pour me permettre vraiment de parler la langue couramment et surtout rapidement. En France, je connaissais déjà beaucoup de Français d'origine sénégalaise qui présentaient également le besoin de parler wolof, mais qui n'y arrivaient pas. J'ai décidé vraiment de transcrire ma méthode d'apprentissage que j'ai créée moi-même par mon expérience dans la structure que j'ai développée. »

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Des apprenants de toutes nationalités

Le profil des apprenants va des Français d'origine sénégalaise à des personnes de toute nationalité qui ont de bonnes raisons d'apprendre le wolof, comme Isabelle, Céline et Mossana.

« Mon mari est Sénégalais, c'est une bonne motivation. Je travaille et j'habite au Sénégal actuellement aussi. Je capte beaucoup de choses, mais j'aimerais pouvoir vraiment mieux échanger avec les bénéficiaires avec lesquels je travaille, en langue locale, et avec ma belle famille aussi », confie Isabelle.

« En ce qui me concerne, j'ai vécu sept ans à Dakar et j'y ai tissé des liens. J'ai toujours des amis là-bas et donc, j'ai plaisir à y retourner quand c'est le cas, et à parler wolof. Et puis, on est vraiment au cœur de la culture », poursuit Céline.

« Je suis Sénégalaise de par mon père. Et donc, même si je n'allais pas au Sénégal, j'aimerais bien pouvoir discuter avec ma famille », ajoute Mossana.

La Wolof Académie propose différentes formules en ligne avec ou sans professeur, à des tarifs variant entre 300 et 700 euros.

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Le monde du doublage en colère et inquiet face aux dérives de l'IA
10 February 2025
Le monde du doublage en colère et inquiet face aux dérives de l'IA

L'intelligence artificielle (IA) générative inquiète une partie du monde de la culture, à commencer par le secteur du doublage, qui représente près de 15 000 emplois en France. Des comédiens, des traducteurs ou encore des techniciens du son qui travaillent souvent pour l'ensemble du monde francophone et qui se mobilisent pour que leurs voix et leurs métiers soient protégés face à l'IA générative.

Nous nous sommes rendus dans un studio de doublage en région parisienne, dont nous tairons le nom pour des raisons de confidentialité. Au fond de la salle obscure aux murs recouverts de tissu bleu, un écran diffuse des extraits d'une série d'animation japonaise. Devant le micro, Bruno Méyère, comédien, double en français plusieurs personnages.

« Tu peux aller jusqu'à "cru"... Voilà, c'est très bien », applaudit la directrice artistique Brigitte Lecordier, une voix emblématique du monde du doublage francophone, épaulée ce jour-là par son fils Louis Lecordier comme directeur de production.

« Je suis surtout connue pour ma voix de dessin animé, Oui-Oui et surtout Dragon Ball », sourit celle qui est la voix de Son Goku enfant dans la mythique série d'animation japonaise. Elle a vu arriver l'intelligence artificielle générative avec une profonde appréhension. « On n'est pas contre l'IA : cela peut apporter des choses d'un point de vue technique et en termes d'outils, nuance-t-elle d'abord. Mais nous sommes très inquiets. On veut continuer à créer et à être des artistes. Pas être remplacés par cette chose qui ne crée que par ce qu'elle nous a volé. On nous vole notre voix pour générer de l'IA et nous faire dire aussi des choses qu'on n'a pas choisi de dire. »

Le monde du doublage a été choqué par un extrait du dernier film de Sylvester Stallone, Armor, dans lequel la voix française historique du comédien américain a été modélisée par une IA. Non seulement le résultat a été jugé mauvais par le secteur, mais Alain Dorval, la voix française de Sylvester Stallone, est décédé en février 2024, ce qui soulève de nombreuses questions éthiques aux yeux des comédiens. Sa fille, Aurore Bergé – actuellement ministre du gouvernement de François Bayrou – reconnaît avoir donné son accord pour un essai, mais dément avoir autorisé cette diffusion.

« L'IA prend le travail d'artistes. Peut-on se passer d'artistes dans une société ? », s'interroge ainsi Brigitte Lecordier. Or, « l'IA ne crée pas. Elle redonne médiocrement ce qui a déjà été fait », avertit-elle.

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L'IA pour accélérer la préparation du doublage

Du côté des studios, hors micro, un professionnel du secteur estime que les craintes des comédiens sont légitimes, mais que même si l'IA n'est pas capable de reproduire fidèlement des émotions, elle peut être utile pour accélérer la préparation et l'après enregistrement, ou alors pour pouvoir modifier un mot en cas d'erreur. L'enjeu économique est important pour les commanditaires : en France, une minute de doublage peut coûter 280 à 400 euros, voire plus, en fonction du temps qui y est consacré.

Le sujet est très sensible car des négociations sont en cours entre les syndicats, les studios, les majors américaines, les chaînes de télé ou encore les plateformes, pour doter la France d'un cadre plus protecteur pour les métiers du doublage sur le sujet. Le long mouvement social des scénaristes en 2023 à Hollywood est présent dans tous les esprits, sans qu'une grève soit pour l'instant sur la table en France.

Déjà moins de travail pour les doubleurs

Certains comédiens ont déjà vu leur volume de travail diminuer en raison de l'IA. Par exemple, « des maquettes, ou d'autres éléments qui ne sont pas diffusés mais qu'on enregistrait et pour lesquels nous étions rémunérés », notamment dans le secteur de la publicité, témoigne Patrick Kuban, de l'association Lesvoix.fr et membre de United Voice Artists (UVA), qui regroupe des associations de 35 pays mobilisées au sujet de l'IA et des voix. 

Certaines entreprises d'IA, basées hors de France, clonent aussi les voix de comédiens de films d'animation, sans leur consentement. « On demande que notre travail ne soit pas récupéré et que notre voix et notre visage soient protégés. Ce sont des données biométriques. On doit nous demander notre consentement. Or, des plateformes basées à Dubaï, aux États-Unis ou encore en Israël s'émancipent du règlement européen sur la protection des données (RGPD) pour proposer sur le territoire français des livres audios ou des services de doublage » avec des voix « volées », dénonce-t-il à l'unisson de l'intersyndicale qui participe aux négociations dans l'Hexagone.

Les discussions progressent lentement. Les humains ont « un temps d'avance artistique » face à des IA encore « très robotiques », estime Patrick Kuban. Les travailleurs du secteur ont en tout cas un argument de poids pour se faire entendre dans les négociations : près de 9 spectateurs sur 10 en France regardent les films et téléfilms en version française. Une pétition baptisée « Pour un doublage créé par des humains pour des humains #TouchePasMaVF », lancée en janvier 2024, a réuni plus de 160 000 signatures.

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Recherche d'emploi, recrutement: l'IA au cœur du processus
09 February 2025
Recherche d'emploi, recrutement: l'IA au cœur du processus

Si les entreprises françaises restent encore prudentes face à l'intelligence artificielle (IA) – selon une étude de l'éditeur de logiciels Sage, seule une sur deux a investi dans le secteur en 2024 –, cette technologie s'impose progressivement dans les pratiques de recrutement, aussi bien du côté des entreprises que des demandeurs d'emploi.

Pour Nasser, ChatGPT est devenu bien plus qu'un simple conseiller. « Salut ChatGPT, est-ce que tu te rappelles que je recherche un emploi ? Et qu'est-ce que tu peux me dire sur mon parcours ? », lui demande-t-il. À 24 ans, ce jeune diplômé sollicite son intelligence artificielle préférée pour chacune de ses candidatures.

« Comme je l'utilise depuis très longtemps, ce n'est pas recommandé, mais je laisse mes données. Il sait ce que je fais au quotidien, donc il peut me dire si un poste me correspond, explique le chercheur d'emploi. L'IA est devenue indispensable : elle rédige des lettres de motivation, je copie-colle mon CV et lui demande s'il faut modifier des choses par rapport à cette offre-là... Tout au long du processus, elle intervient, au moins pour corriger les fautes. C'est un gain de temps énorme », confie-t-il.

D'après une étude menée par France Travail pour l'Observatoire IA & Emploi, cofondé par Konexio et Diversidays, trois demandeurs d'emploi sur quatre ont déjà eu recours à l'intelligence artificielle.

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Une IA aussi incontournable pour les recruteurs

Dans les bureaux parisiens de l'agence d'intérim Gojob, une vingtaine de salariés travaillent au recrutement – mais ce n'est pas eux qui filtrent les candidatures. Cette tâche est confiée à une intelligence artificielle nommée Aglaé. Eve Arakelian, directrice marketing de l'agence, explique : « Elle a deux fonctions principales. La première, c'est Aglaé Matcher, qui va nous permettre d'aller chercher dans notre base de données de candidats les candidats qui vont correspondre à priori le mieux à ce poste. »

CV, adéquation avec le poste, disponibilité, taux de réponse : l'IA effectue un premier tri avant de contacter les candidats sélectionnés par message. « L'IA engage ensuite une conversation avec eux pour valider certains prérequis et s'assurer qu'ils correspondent bien aux attentes du poste », poursuit Eve Arakelian. Ce n'est qu'en dernière étape que les candidats échangent avec un recruteur humain.

Un processus accéléré qui optimise le temps et la productivité : « Nous traitons en moyenne une demande d'un client en environ 24 minutes, alors que dans une agence traditionnelle, cela peut prendre plusieurs jours. Les gains de productivité sont majeurs, car nous avons besoin d'à peu près deux fois moins, voire trois fois moins de recruteurs pour accomplir le même travail de manière optimale. »

Un outil puissant, mais à haut risque

Si l'IA révolutionne le recrutement, elle pose aussi des défis. Le règlement européen sur l'intelligence artificielle classe son usage dans ce domaine parmi les secteurs à haut risque. Les algorithmes peuvent en effet reproduire certains biais discriminatoires liés au genre, à l'âge ou à l'origine. Dès août 2026, les entreprises utilisant l'IA pour le recrutement devront être plus transparentes sur leurs méthodes, sous peine de sanctions.

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