Reportage Afrique
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Nos correspondants et envoyés spéciaux sur le continent africain vous proposent, chaque jour, en deux minutes une photographie sonore d'un évènement d'actualité ou de la vie de tous les jours. Ils vous emmènent dans les quartiers ou dans les campagnes pour vous faire découvrir l'Afrique au jour le jour.

Centrafrique: à Bangassou, le vélo est un outil incontournable pour les femmes
22 October 2024
Centrafrique: à Bangassou, le vélo est un outil incontournable pour les femmes

En Centrafrique, l’usage du vélo est omniprésent chez les femmes de Bangassou à l'est dans la préfecture du Mbomou. Dans cette ville d'environ 30 000 habitants, la plupart des personnes du sexe féminin âgées entre 12 et 45 ans sont des utilisatrices de la petite reine. De l'aube au coucher du soleil, on ne s'étonne pas de les voir sur ces engins à deux roues portant de lourdes charges, allant aux champs ou aux marchés hebdomadaires. Les grandes artères de la ville et les pistes rurales offrent tous les jours des spectacles impressionnants de femmes qui se déplacent pour assumer leurs activités socioéconomiques. L’usage féminin du vélo est devenu une tradition locale, bien plus que dans le reste du pays.

« Apprends à ta fille comment pédaler avant de marcher », voilà un chant et une chorégraphie qui font la particularité de Bangassou. Très tôt ce matin, après avoir enfilé une culotte en pagne, un look lui permettant de mieux pédaler, Pélagie roule sur cette piste en latérite qui relie Bangassou au village de Niakari.

Grâce à son vélo, cette mère de huit enfants peut transporter plusieurs kilogrammes de marchandises. « Ce vélo me permet de ne pas trop sentir la distance de mon champ qui se trouve à 20 kilomètres. Au départ, je faisais les allers-retours à pied et je portais les produits champêtres sur la tête. C'est pour me faciliter la tâche que mon mari m’a offert ce vélo. Depuis dix ans, je transporte tous mes produits agricoles sur ce vélo », se réjouit-elle.

La bicyclette pratique sur les routes accidentées

À Bangassou, depuis le début des années 60, le vélo s'impose dans toutes les activités socioéconomiques des femmes. Angela est une griotte. Ces 20 dernières, elle va de village en village avec son vélo pour véhiculer des messages : « C'est surtout le moyen le mieux adapté pour atteindre les zones reculées, dépourvues de routes. En deux ou trois jours, je peux faire le tour de plusieurs villages pour annoncer les prochaines campagnes de vaccination, la rentrée scolaire, les élections malgré l'insécurité ».

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La pratique du vélo est devenue une tradition pour les femmes de Bangassou. Parmi les utilisatrices, il y a également des vendeuses ambulantes et des élèves. Gaston est l'un des sages de Bangassou. « Le vélo permet aux femmes d'être aujourd'hui au cœur des activités socioéconomiques, explique-t-il. Chaque mari fait de son mieux pour offrir un vélo à son épouse. On préfère le vélo parce que ça coûte moins cher par rapport à un véhicule ou une motocyclette. »

Une pratique non sans risques 

Cette valeur se transmet de génération en génération. Mais aujourd'hui, la pratique du vélo n'est pas sans conséquence chez certaines femmes. Ronelle en a fait les frais : « Parcourir des kilomètres à vélo augmente les douleurs musculaires. Une fois, je me suis fracturée la jambe gauche après un accident. C'est aussi pénible de faire du vélo... »

Si le vélo occupe une place importante dans la vie des femmes, il n'y a pas une usine de montage ou de fabrication de vélo à Bangassou. Ces deux roues sont importés de l'autre côté de la rive en République démocratique du Congo.

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Côte d'Ivoire: les alternatives testées par les parents pour réduire leur temps d'écran [2/2]
21 October 2024
Côte d'Ivoire: les alternatives testées par les parents pour réduire leur temps d'écran [2/2]

Second épisode de notre série sur les jeunes et les smartphones en Côte d’Ivoire. Nous parlions dans le premier volet de la dépendance aux écrans des adolescents. On s’intéresse aujourd’hui aux parents. Quelles consignes leur donnent-ils ? Trouvent-ils des astuces ou des alternatives pour réduire l’addiction aux tablettes et aux smartphones de leurs enfants ? Reportage dans le quartier Blockauss, dans la commune de Cocody, à Abidjan.

À la maison, Jean-Michel fait tout pour distraire ses enfants. Les plus jeunes ont le droit de manipuler des tablettes éducatives. « Ce sont des petites tablettes où nous téléchargeons divers jeux de société, c'est plus pour se divertir », explique le père de famille installé à Cocody, en Côte d'Ivoire.

Et ici, pas de smartphone pour les ados. Jean-Michel a opté pour l'ancêtre du téléphone portable, dont la seule fonction se limite aux messages et aux appels. « Ici, le contrôle parental sur internet n'est pas facile, déplore Jean-Michel. Il y a un téléphone de la maison qu'on peut utiliser pour appeler une grande personne en cas de besoin. Il n'y a qu'un seul numéro, le numéro du répertoire de la famille, c'est-à-dire la personne qu'ils doivent appeler. Ce n'est pas un smartphone, c'est un téléphone basique qui permet juste d'appeler. Ce n'est pas méchant, c'est juste que, s'ils ont un souci, ils peuvent appeler quelqu'un. » 

« Il faut avoir l'âge »

Gérer les smartphones offerts à leurs enfants est une préoccupation. Le débat s'impose de temps à autre lorsque Jean-Michel retrouve ses amis au maquis, la nuit. Parmi eux, Odette est partisane de la rigueur la plus stricte. Tout est une question d'âge, dit-elle : « Il faut avoir l'âge. Si un enfant a un téléphone à partir de 14 ou 15 ans, ça ne me pose pas de problème. Tu ne peux pas offrir un téléphone à ton enfant à partir de 7 ans. Tu l'amènes à la débauche. Souvent, il y a des fesses, du porno, ou encore des trucs de marabouts. L'enfant va se demander : "Mais là, qu'est-ce que c'est ?" »

Inculquer et informer avant de donner 

Au-delà de l'âge, c'est aussi la question du mode d'emploi des outils numériques qui est posée, selon Fréjus Zamblé, un coach parental, qui accompagne et conseille plusieurs dizaines de parents : « Le meilleur mode d'emploi, c'est inculquer et informer avant de donner. Une fois qu'on renseigne un enfant au fur et à mesure, on peut être sûr que c'est bon, on peut lui donner le téléphone, mais avec un contrat ! Tu dois étudier, tu n'étudies pas avec ton téléphone. Tu ne dors pas avec ton téléphone. Tu ne manges pas avec ton téléphone. Quand l'heure d'étude arrive, on dépose dans ce que j'appelle "Le panier à téléphone", et les parents et les enfants déposent leurs téléphones quand ils sont à table. »

Pour ce professionnel, l'éducation au numérique est aujourd'hui indispensable, mais elle s'adresse, avant tout, aux parents eux-mêmes, déjà absorbés par ces nouvelles technologies.

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Centrafrique: ils pêchent le sable de l'Oubangui au péril de leur vie pour nourrir leur famille
19 October 2024
Centrafrique: ils pêchent le sable de l'Oubangui au péril de leur vie pour nourrir leur famille

L'extraction de sable est devenue une activité à grande échelle pour de nombreux riverains. Des jeunes désœuvrés, des étudiants et même des élèves poussés par la pauvreté pratiquent ce travail pour gagner de l’argent. On les appelle les « pêcheurs de sable ». Mais en cette saison pluvieuse, la crue de la rivière Oubangui rend difficile cette activité. Conséquences : les cas de noyade sont fréquents et le sable devient de plus en plus rare face aux demandes d’un secteur immobilier en pleine expansion à Bangui.

De notre correspondant à Bangui,

Dans cette pirogue de douze mètres de long et un mètre de large, une équipe de trois pêcheurs de sable se dirige au milieu de la rivière Oubangui. Contrairement aux pêcheurs traditionnels, ils n'ont pas de filets, mais des seaux, des pelles et des cordes. Pagaie en main, Oscar, jeune piroguier de 12 ans, essaie de contourner les vagues et les courants d'eau. « L'eau est très agitée pendant cette saison pluvieuse. Beaucoup attendent la saison sèche pour revenir, mais comme nous sommes des guerriers, on n'a pas le choix. »

Après 10 minutes de voyage, nous arrivons enfin dans la zone d'extraction du sable. Vêtu de culotte noire, torse nu, Arnaud saute dans l'eau sans perdre une seconde. Deux minutes plus tard, le jeune de 28 ans remonte à la surface avec son seau rempli de sable. « En tant que pécheur de sable, ma mission consiste à faire des plongées à trois mètres de profondeur. Une fois au fond, je remplis le seau avec le sable. Ensuite, je secoue la corde comme un signal pour permettre à mon coéquipier qui est dans la pirogue de remonter le seau par la force de ses bras. »

Conséquences multiples sur la santé

Dans ces eaux troubles de l'Oubangui, les pêcheurs de sable effectuent une centaine de plongées chaque jour. C'est un travail pénible avec beaucoup de conséquences, selon Alphonse, l'un d'eux : « On a trop de soucis. À force de pratiquer ce métier, certains d'entre nous ont des problèmes de vue, d'autres des problèmes d'audition. Chaque soir, j'ai des maux de tête et des problèmes respiratoires. On n’y peut rien, car c'est notre seul moyen de vivre. »

Une fois la pirogue remplie, l’équipe revient pour à la berge pour stocker le sable. Ici, 20 tonnes de sable coûtent 50 000 CFA, soit 77 euros. Cet argent est partagé entre les piroguiers, les plongeurs et remonteurs et les chargeurs de camions. Arnaud gagne chaque jour 15 000 francs CFA, l’équivalent de 24 euros. « On travaille entre 8 heures et 17 heures, personne n’a de gilet de sauvetage, ni de bouteille d’oxygène, explique le plongeur. C’est difficile de trouver du travail et c’est pour cela que l’on se concentre quand même sur cette activité pour s’occuper de nos familles. »

Ces sables servent à construire des immeubles, des maisons et des routes. Mais l'augmentation du niveau de la rivière Oubangui provoque aujourd'hui la rareté et la hausse des prix du sable à Bangui.

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Madagascar: améliorer l'alimentation en enseignant d'autres techniques agricoles
18 October 2024
Madagascar: améliorer l'alimentation en enseignant d'autres techniques agricoles

Promouvoir les cultures alternatives de contre-saison, parfois plus rentables, mais surtout qui permettent de créer des revenus complémentaires pour les petits agriculteurs, c’est l’un des objectifs du Sanoi, le Programme régional d’appui à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de l’océan Indien, financé par l’Union européenne. Et dans la région Bongolava, sur les Hautes Terres centrales de Madagascar, où les taux de malnutrition chronique des enfants dépassent les 50 %, des champs-écoles et des champs de démonstration ont été créés pour présenter aux agriculteurs d’autres techniques et d’autres variétés de semence que celles que tous ont l’habitude de planter. Deux années après le démarrage du projet, des changements concrets sont visibles.

De notre envoyée spéciale à Ambararatabe,

Accroupie les pieds dans la terre, Anja Rivonirina, 28 ans, arrache un à un les bulbes d’oignons de sa parcelle. Ce jour-là, sa voisine, Bakoly Raholiarisoa, l’accompagne pour l’aider à récolter, mais aussi pour se former. Les bruits ont couru que les oignons d’Anja étaient particulièrement gros. La jeune agricultrice a utilisé des techniques agroécologiques nouvellement apprises et le résultat semble être au rendez-vous.

« C’est la première fois que je fais du maraîchage sur cette parcelle, raconte Anja. Récemment, j’ai reçu plusieurs formations sur les techniques de culture des oignons. Et j’ai décidé de me lancer cette année. Avant, moi, je ne faisais que du paillage, je plantais de manière anarchique et j’épandais des engrais chimiques partout. Les récoltes étaient très moyennes. Là, j’ai fabriqué mon propre compost et mon propre engrais naturel, comme on me l’a appris, et regardez le résultat : ils sont gros ! »

Sur son terrain, elle donne un conseil à sa voisine : « Quand tu sais que tes oignons sont prêts à être récoltés, tu arrêtes d’arroser une semaine avant. » Un conseil utile, puisque sa voisine pensait qu’elle devait attendre que les feuilles sèchent avant de déterrer les oignons.

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Des pratiques qui assainissent la terre

Une fois tous les deux mois, pendant deux ans, Anja est venue volontairement se former auprès de techniciens agricoles sur les parcelles de démonstrations installées non loin de son village par différentes ONG. Aujourd’hui, la jeune femme a décidé d’appliquer certains des conseils, « pas tous », confie-t-elle.

Après quelques mois de mise en pratique sur ses propres parcelles, elle ne regrette rien des changements opérés. « Le compost que je fabrique pour mes oignons assainit ma terre qui était pleine de pesticides, témoigne Anja. Autre avantage de l’oignon, c’est que c’est une plante que je peux cultiver en alternance avec le riz sur cette parcelle. Et économiquement, c’est intéressant : le prix des bulbes ne fait que grimper depuis ces deux dernières années. » Si, pour certains agriculteurs, les techniques utilisées par Anja sont déroutantes ; pour d’autres, elles suscitent l’envie de lui emboîter le pas.

Prendre des décisions éclairées pour essayer d’obtenir de meilleurs rendements et des revenus plus élevés : une des nombreuses stratégies inculquées à ces agriculteurs, pour leur permettre, en parallèle, d’accéder à une alimentation plus variée et plus nutritive.

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En Côte d'Ivoire, le théâtre et la sensibilisation pour lutter contre les violences faites aux femmes
16 October 2024
En Côte d'Ivoire, le théâtre et la sensibilisation pour lutter contre les violences faites aux femmes

Le 11 septembre 2024, le corps sans vie d’une jeune femme de 19 ans était retrouvé dans une résidence meublée, assassinée. Son petit ami est le suspect numéro un. Rien qu’à Abidjan, en 2020, plus de 400 féminicides ont été recensés. Et selon le Programme national de lutte contre les violences basées sur le genre, c’est au moins une femme sur trois qui serait victime de violence physique ou sexuelle au cours de sa vie. De nombreuses ONG sur le terrain sensibilisent les populations pour dire non à toutes formes de violences faites aux femmes. 

De notre correspondant à Abidjan,

Georgette a épousé son premier amour, rencontré au lycée. À ce moment-là, elle était loin d’imaginer que cet homme si doux qu’elle avait tant aimé allait devenir son bourreau. « J’ai souffert. Pour un rien, il me frappait, jusqu’à me casser une dent, témoigne-t-elle. Mon visage était souvent enflé à cause des coups. Un jour, j’ai pris mes affaires et je suis partie

Aujourd’hui quinquagénaire, Georgette est ce qu’on appelle une survivante des violences conjugales. Mais elle porte encore les stigmates de cette période sombre de sa vie, et la peur ne l’a jamais quittée. « J’ai peur de me remettre en couple. Je vis seule avec ma fille. Quand un homme me dit "je t’aime", j’ai peur. Quand on me parle de mariage, je refuse, parce que j’ai peur. Regarde mon corps, je me sens bien, je ne veux plus d’ennuis », affirme-t-elle.

Sur plus de 8 700 cas de violences basées sur le genre répertoriés en Côte d’Ivoire l’année dernière, au moins 6 700 sont des violences domestiques. L'ONG Akwaba Mousso, en un peu plus d’un an d’existence, a pris en charge près de 400 victimes. Diana Toan, responsable du parcours violences au sein de l’organisation, explique les étapes d’un cycle infernal :« Au début, l’homme est gentil. Puis, il commence par la violence psychologique : des injures, des humiliations. Ensuite viennent les coups. Et il se montre doux à nouveau, en disant que ce n’est pas sa faute, que c’est à cause de ce que la femme a fait. C’est un cercle vicieux. »

 

 

À écouter dans 8 milliards de voisins Reportage à Abidjan : paroles de militantes en Côte d’Ivoire

Le théâtre pour ne pas être un « témoin passif »

Et pour inverser la tendance, l’accent est mis sur la sensibilisation de proximité. Dans un quartier populaire de Yopougon, des riverains assistent à un sketch dénonçant le calvaire vécu par certaines femmes dans leur foyer. À tout moment, le public peut interrompre la scène pour signaler ce qui lui semble anormal, et proposer des solutions.

Souleymane Diomandé est le chargé de projet prévention et de la mobilisation communautaire à l’ONG Akwaba Mousso. « Les communautés savent ce que ces femmes vivent. Avec leurs propres mots, ils peuvent dire ce qu’ils pensent pour que toute la communauté puisse savoir comment est-ce qu’on réagit face à telle ou telle situation », explique-t-il. La démarche vise aussi à amener les communautés à « repérer [les violences] et ne pas être des témoins passifs qui voient des violences, mais qui ne réagissent pas. »

Face à l’ampleur de ces violences faites aux femmes, le gouvernement ivoirien a mis en place plusieurs mesures. Parmi celles-ci, la réactivation et l’installation de 87 plates-formes multisectorielles de lutte contre les violences basées sur le genre, ainsi que la création de 33 bureaux d’accueil dans les commissariats et brigades de gendarmerie pour les victimes.

À écouter dans Priorité santé Prise en charge des violences faites aux femmes et aux enfants et lutte contre l’impunité

Au Congo-Brazzaville, un an après les inondations, les défaillances sanitaires dans la Likouala
15 October 2024
Au Congo-Brazzaville, un an après les inondations, les défaillances sanitaires dans la Likouala

Il y a près d’un an, le Congo-Brazzaville subissait les pires inondations de son histoire récente. Les dégâts ont été considérables : 1,79 million de personnes ont été affectées et 525 400 personnes, soit un Congolais sur douze, ont eu besoin d’une assistance humanitaire. Alors que les pluies arrivent et que le risque de nouvelles inondations est réel, les habitants redoutent de revivre le cauchemar de l'an dernier, notamment sur le plan sanitaire. Dans la Likouala, département le plus touché et le plus éloigné de la capitale, les craintes sont fortes.

De notre envoyée spéciale de retour de la Likouala, dans le nord-est du Congo,

Dans le village de Boyélé-Port, la tonnelle qui abrite Ornella du soleil a servi de lit surélevé en début d'année, quand il a fallu accoucher de ses jumeaux. « Pendant les inondations, nous nous étions réfugiés sur une bande de terre avec nos sept autres enfants, témoigne-t-elle. Quand les douleurs ont commencé, mon mari m'a ramenée ici en pirogue. »

Les difficultés ne se sont pas arrêtées là pour Ornella et ses nouveaux-nés : « Le premier enfant est sorti. Celui qui était venu m'aider ne savait pas qu'il y en avait un autre. Pendant qu'il prenait soin du premier, le deuxième est sorti et il est tombé dans l'eau, raconte Ornella. On a sorti le bébé de l'eau, on l'a réanimé. Dieu merci, les deux ont survécu. Mais nous souffrons toujours, nous manquons de nourriture. »

À deux heures et demie de route, la directrice de l'hôpital de référence de Bétou, docteure Fanny Eteka, manque de moyens et de personnel pour assister les femmes dans les villages quand l'eau monte. « Quand il y a des inondations, les déplacements sont impossibles et les femmes sur le point d'accoucher se retrouvent coincées, constate la directrice d'hôpital. Elles n'ont pas d'aide de personnel médical. Si l'accouchement réussit, Dieu merci, s'il ne réussit pas, parfois, il y a des décès que nous n'enregistrons pas, car quand il y a des décès là-bas, on enterre directement et nous ne recevons pas l'information du décès. Donc, cela peut aussi fausser notre statistique. »

À Ikpengbele, au moins sept enfants sont morts faute de soins suffisants lors des inondations

Autres conséquences sanitaires des inondations, les maladies liées à l'eau souillée, et la destruction des cultures qui aggrave le risque de malnutrition.  

À Ikpengbele, village de 5 000 habitants, Gédéon Boazou, infirmier bénévole, gère le centre de santé intégré, où les médicaments et l'équipement médical ont manqué pour faire face aux besoins quand la rivière Oubangui a envahi le village.

« Il y a beaucoup de problèmes, surtout la diarrhée, les dermatoses, la malnutrition, la vaginose, chez les femmes, liste l'infirmier. Il y a aussi beaucoup de cas de malnutrition chez les femmes et les enfants et si on n'intervient pas, la personne meurt. Nous avons eu des morts à cause de la malnutrition, surtout des enfants. »

Selon Gédéon Bouazou, au moins sept enfants sont morts faute de soins suffisants lors des inondations. Pour faire face cette année, il a déjà reçu et stocké une aide du Programme alimentaire mondial, organisme de l'ONU. 

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Inondations à Brazzaville: un an après, les sinistrés dans la crainte d'un nouveau désastre
14 October 2024
Inondations à Brazzaville: un an après, les sinistrés dans la crainte d'un nouveau désastre

Il y a près d’un an, fin 2023, le Congo-Brazzaville a subi les pires inondations de son histoire récente. Les cours d’eau sont sortis de leurs lits dans des proportions inédites, provoquant des dégâts considérables. La banlieue sud de Brazzaville a été touchée, sur les rives du fleuve Congo. Dans le quartier Tchouri et Mafouta dans le huitième arrondissement de la capitale, beaucoup d'habitants sinistrés à Noël dernier n'ont pas eu d'autre option que de retourner vivre dans leur maison malgré la nouvelle saison des pluies qui approche.

« La hauteur, c'est à peu près là », indique Brian Honneur Wandete en montrant une trace sombre sur le mur en béton presque aussi haute que lui. Il venait d'avoir douze ans à Noël dernier quand l'eau du fleuve Congo a envahi le quartier Tchouri. « Cette eau nous a carrément gâché la vie, on a perdu beaucoup de nos effets personnels, le congélateur, mes cahiers, mon sac était tout mouillé, raconte le jeune garçon. Ça m'a fait peur, ça a même failli me faire pleurer. Mon année scolaire pour passer en sixième au collège, je l’ai ratée, j'ai raté mon CEPE, ça m'a carrément fait mal. Nous avons tous peur, car la première fois que nous avons vu ce genre de choses, tout le monde ici était surpris, c'était un désastre pour nous. »

La scolarité de 43 000 élèves interrompue

Selon l’Unicef, la scolarité de plus de 43 000 élèves a été interrompue dans tout le Congo pendant les inondations l’an dernier. Comme la famille de Brian Honneur, celle de Blaise Malonga, au coin de la rue, a dû quitter sa maison pendant trois mois. « Nous sommes allés vivre juste en face là-bas. Il y a une maison en hauteur, une de nos collègues et amies, voisine du quartier qui nous a repêchés. Mais moi par contre, je suis reparti à Bas-Congo. C'est là où je suis allé vivre. Ça m'a vraiment stressé. Avec les enfants, nous étions vraiment tous malheureux. »

1,79 million de personnes ont été affectées. Un Congolais sur douze a eu besoin d’une assistance humanitaire, mais beaucoup, comme Blaise Malonga, n’ont presque rien reçus. « Rien… Rien… Un petit matelas, un bidon d’huile de 5 litres, plus un sac de sel qu'on se partageait à quatre. On se disait que par rapport à ce que nous avions perdu, on recevrait un peu d’argent, mais malheureusement, ce n’est pas ce qui est arrivé », regrette-t-il.

Deux familles, comme beaucoup d'autres, appauvries par l'épisode des inondations de fin 2023, et qui un an plus tard, n'ont pas retrouvé leur niveau de vie d'avant. Et cette année, si l'eau monte encore, ce sera encore plus difficile de se reloger pour Dorcia Ntondele et ses cinq enfants, faute de moyens. « Quand les pluies vont commencer, on ne sait pas où on va aller. On a vraiment peur pour cette année. Nous sommes seulement en train de regarder si ça va recommencer ou pas. »

Selon le 19e Forum des prévisions climatiques d’Afrique centrale, les précipitations cette année seront encore supérieures à la normale, avec un risque élevé d'inondations.

Maroc: à Fnideq, la jeunesse marocaine désespérée tente de rejoindre Ceuta à la nage
13 October 2024
Maroc: à Fnideq, la jeunesse marocaine désespérée tente de rejoindre Ceuta à la nage

Ils étaient venus de tout le pays et se sont donné rendez-vous à Fnideq, ville qui jouxte l’enclave espagnole de Ceuta. Objectif : déborder les gardes-frontières et atteindre le territoire espagnol à la nage ou par la terre. L'événement a suscité un vif débat dans le pays, illustrant le désarroi d'une partie de la jeunesse. L'événement a suscité un vif débat dans le pays, illustrant le désarroi d'une partie de la jeunesse. Cent cinquante-deux personnes ont été traduites en justice pour incitation à l'immigration clandestine collective.

La présence des fourgons de police, et les barrières placées tout le long du front de mer rappelle que Fnideq et ses environs restent étroitement surveillée depuis le 15 septembre. Ce jour-là, près 3 000 personnes ont tenté de passer en force pour rejoindre l’enclave espagnol lors de six tentatives distinctes. Driss, était l’un d’entre eux. Il a répondu aux messages lancés sur les réseaux sociaux : « J’ai vu les appels sur tous les réseaux sociaux : Facebook, Instagram, des groupes WhatsApp, tout le monde parlait du 15 septembre, tout le monde s’est donné rendez-vous à Fnideq. »

Avec ses maigres économies, il parcourt plus de 400 km pour rejoindre le nord du pays : « Je suis venu de Meknès jusqu’ici parce que je veux vivre une bonne vie, sauver ma mère de la pauvreté, et gagner de l’argent (…) Ici, il n’y a rien, pas d’argent, pas de travail. »

L'éloignement ou le refoulement

Dans son survêtement de sport, le regard pointé sur la ville autonome de Ceuta, piton rocheux à quelques kilomètres de là, Driss se souvient de cette journée où les forces de police, présentes en nombre, ont stoppé les candidats au départ dont certains avaient revêtu une combinaison dans le but de se jeter à la mer pour rejoindre Ceuta à la nage. « La police avait mis des barrières partout, un soldat a reçu un violent coup, le chaos s’est installé. Les policiers ont commencé à frapper tout le monde, on m’a envoyé à Beni Mellel. On ne m’a pas enfermé, on m’a juste laissé à Beni Mellel et on m’a laissé là tout seul. »

Beni Mellel se trouve à 500 kilomètres plus au sud. L’éloignement, ou le refoulement interne, est une méthode pour dissuader ces jeunes candidats à l’immigration régulière.

« Des gens meurent »

Mounir, un Algérien de 20 ans, est revenu quelques jours plus tard à Fnideq. Le jeune homme a déjà tenté sept fois la traversée à la nage : « Je suis rentré à Ceuta, j’ai nagé, 5 kilomètres, mais c’est trop dur, il faut gérer. Si tu nages bien et que tu as de la force dans les bras, tu peux le faire. »

Arrêté et expulsé dès son arrivée sur le territoire espagnol, il pense déjà au prochain départ. Au mois d’août, ses exploits ont été filmés dans une vidéo qui a fait le tour du pays, donnant envie à d’autres, au Maroc, de passer par la mer malgré les risques. « Des gens meurent, frère, affirme Mounir. Moi, je connais des gens qui en sont morts. »

Depuis le début de l’année, la police marocaine affirme avoir empêché plus de 45 000 entrées clandestines en Espagne. Une politique récemment saluée par le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares

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