Reportage Afrique
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Nos correspondants et envoyés spéciaux sur le continent africain vous proposent, chaque jour, en deux minutes une photographie sonore d'un évènement d'actualité ou de la vie de tous les jours. Ils vous emmènent dans les quartiers ou dans les campagnes pour vous faire découvrir l'Afrique au jour le jour.

Le jazz africain, vedette du Dakar Music Expo
22 February 2025
Le jazz africain, vedette du Dakar Music Expo

Depuis jeudi 20 février, le Dakar Music Expo (DMX) se tient dans la capitale sénégalaise, un grand rendez-vous pour les professionnels de la musique d’Afrique et d’ailleurs. Au programme : des rencontres, des conférences et des concerts. Et pour sa 6ᵉ édition, le thème de cette année est le jazz africain, un genre musical qui reste assez niche sur le continent, mais qui peut très bien s’exporter avec une bonne stratégie.

De notre correspondante à Dakar,

« On pense qu’il n’y a pas de jazz en Afrique », c’est ce qu’affirme, volontairement provocateur, Mawuto Dick, du festival Togo jazz. Le genre souffre d’une mauvaise presse, et Kossi Mawun, batteur togolais, le ressent depuis qu’il s’est lancé en solo en 2019 : « C'est très difficile de gagner sa vie en tant que musicien de jazz en Afrique. Ici, en Afrique, on aime danser, on aime se défouler, écouter de la variété. Peu de personnes écoutent le jazz. »

Pourtant, de nombreux rendez-vous existent sur le continent, comme à Saint-Louis ou à Ouagadougou, preuve d’une grande richesse du jazz africain. Mais il manque encore d’une promotion suffisante. « Il n'y a pas assez de représentations, il n'y a pas assez de marketing autour de ça, estime Dudu Sarr, l’un des créateurs du DMX. Il n'y a pas assez de ressources financières qui sont mises dans la promotion et l'exportation des musiques africaines. »

À écouter dans le Grand invité AfriqueDudu Sarr (Dakar Music Expo): «La visibilité des artistes africains francophones est en baisse»

Mettre en avant sa singularité

Pour Dudu Sarr, l’un des arguments de vente du jazz africain est de réclamer la maternité de ce genre, créé par les Afro-Américains, descendants d’esclaves aux États-Unis. Il faut aussi mettre en avant sa singularité, inspirée des nombreuses traditions propres à chaque pays.

« Lionel Loueke, qui est un guitariste très émérite, un Béninois qui accompagne Herbie Hancock, il fait du jazz, mais par contre, il s'inspire de sa tradition béninoise pour composer, argumente Mawuto Dick, de Togo Jazz. Même quand on prend Angélique Kidjo, certains de ses chants viennent des courants vaudous. »

Un attrait des festivals étrangers

Les festivals étrangers, comme Marseille jazz des cinq continents, veulent faire une place à ce jazz africain. Pour son directeur, Hugues Kieffer, le Dakar Music Expo est un lieu idéal de rencontres. Il veut montrer aux jeunes talents qu’il existe une grande scène jazz dans le monde : « Il faut qu'ils aient la conscience, je pense, de leur identité à travers la scène. Et justement, de ne pas singer ou de ne pas rentrer dans des modèles qu'on leur donnerait, défend le directeur du festival Marseille jazz des cinq continents. Sans atteindre justement les millions, on peut rencontrer une audience qui est intéressée. Et à travers le monde, il existe aussi une autre scène qui est aussi très intéressante et qui permet d'exprimer différemment, peut-être, ce qu'on est. »

Dudu Sarr, également promoteur musical, se bat pour placer ses talents. Il a conclu un partenariat avec le grand festival allemand Jazzahead! et leur propose chaque année plusieurs artistes. À Marseille, le bassiste Alune Wade sera sur scène cette année.

À écouter dans L'épopée des musiques noiresNduduzo Makhathini, héritier d’une spiritualité jazz sud-africaine

Côte d'Ivoire: des conteurs s’inspirent du théâtre ambulant japonais pour captiver leur public
21 February 2025
Côte d'Ivoire: des conteurs s’inspirent du théâtre ambulant japonais pour captiver leur public

En Côte d’Ivoire, la conteuse Flopy Mendosa fait le tour des écoles et des centres culturels avec un outil, le Kamishibaï, instrument de théâtre japonais, qu’elle a totalement adapté aux us et coutumes ivoiriens.

De notre correspondante à Abidjan,

Au Cours Lamartine, une école située au sud d’Abidjan, en Côte d'Ivoire, un petit théâtre en bois est posé sur une table. Derrière, la conteuse Flopy Mendosa encourage les enfants à chanter : elle ouvre progressivement les portes de cet objet, qu’elle surnomme le N’Gowa Swa. « N'Gowa veut dire histoire dans la langue baoulé et Swa, c'est la maison. Donc c'est la maison à histoires », explique la conteuse.

Flopy raconte l’histoire d’un village secoué par la disparition d’œufs magiques. Des œufs qui permettent de faire apparaître n’importe quel plat. Pour attirer l’attention du public, il a fallu adapter le castelet. « Quand tu ouvres le castelet, ça ressemble à une télé. C'est un mélange entre la manière dont on racontait avant et aujourd'hui, les histoires qui se font à la télé. J'essaie de faire ce mélange », raconte-t-elle.

La conteuse fait défiler des dessins représentant les principales actions de l'histoire. Le public participe largement au spectacle. De quoi inspirer Sophie Téhua, une institutrice, qui y voit un outil pédagogique pour ses activités éducatives. « Cela me donne des idées pour véhiculer les messages que l'on souhaite communiquer aux enfants. On peut l'introduire dans d'autres activités. Cela me donne beaucoup d'idées pour l'utiliser et pour permettre aux enfants de se l'approprier », affirme-t-elle.

Les débouchés concernent aussi les illustrateurs. Constat dressé par Ange Boussou, étudiant en master d’Art et communication. Ce jeune travaille avec plusieurs conteurs ivoiriens et grâce à son portfolio diffusé sur les réseaux sociaux, il répond aussi à des projets commandés de l’étranger. « J'ai beaucoup de demande concernant le design de personnages africains ou de décors pour des films ou séries africaines. C'est des choses qui me sont beaucoup demandées parce que c'est notre culture. J'ai récemment une cliente qui m'a contacté depuis le Congo, dans le même esprit, toujours avec des personnages héroïques africains, des décors aussi. On a nos messages, nos traditions, que l'on aimerait communiquer », détaille-t-il. Récemment, une trentaine de bibliothécaires, de maîtres d’écoles et de conteurs ont été initiés au Kamishibaï version ivoirienne.  

À écouter aussiAvec Mamane et Le Magnific, Capitale du rire fête ses 10 ans à Abidjan

Madagascar: des groupes de parole pour combattre la propagation du VIH
20 February 2025
Madagascar: des groupes de parole pour combattre la propagation du VIH

À Madagascar, 73 000 personnes vivent avec le VIH-sida selon les estimations. Sur la Grande Île, l’épidémie progresse de façon très inquiétante : en l’espace de dix ans, les nouvelles infections ont été multipliées par trois. Jusqu’à un quart de la population malgache pourrait être infectée d'ici à 2033 si rien n’est fait, d’après un modèle développé par deux épidémiologistes. À Antananarivo, l’association Fifafi organise des groupes de parole autour de la séropositivité. Pour les personnes infectées, c’est un moyen de rompre l’isolement, et de devenir actrices de la prévention. 

De notre correspondant à Antananarivo,

Les groupes de parole commencent toujours par un tour de présentation. Jeunes adultes ou cinquantenaires, hommes et femmes. Ils sont une dizaine à se retrouver chaque semaine dans les locaux de l’association Fifafi, au cœur du quartier populaire de 67 hectares, à Antananarivo. « Le groupe de parole est un espace dans lequel l’on peut s’épanouir et où l’on se sent protégé, confie Cynthia, 54 ans. Ici, il n’y a ni préjugés, ni stigmatisation. On se sent libres. Je suis travailleuse du sexe et porteuse du VIH. Dans mon milieu, j’ai rencontré d’autres personnes séropositives que j’ai encouragé à rejoindre l’association. »

À travers ces rendez-vous hebdomadaires, l’association Fifafi cherche à briser le tabou qui entoure le VIH, tout en partageant informations et conseils pour aider chacun à vivre le mieux possible avec le virus. « Le principal intérêt du groupe de parole est de faire comprendre aux séropositifs qu’ils ne sont pas seuls, explique Étienne, l’un des fondateurs de l’association Fifafi. C’est l’occasion d’informer les séropositifs sur la possibilité d’enfanter, par exemple, ou de parler des bienfaits des traitements, car les malgaches ont une certaine réticence à prendre des médicaments à vie. On se donne aussi des conseils sur l’alimentation pour qu’elle soit plus saine et équilibrée, parce qu'on en a besoin pour bien vivre avec le virus. »

Pour Étienne, ces discussions placent les malades en position d’acteurs dans la lutte contre le sida. « Le bénéfice quant à la prévention, c’est un changement de comportement : nous sommes conscients d’être séropositifs, donc il faut avoir les bons gestes de prévention pour ne pas transmettre aux autres et pour se protéger soi-même d’autres maladies », argumente-t-il.

L’ignorance sur le VIH conduit au rejet des personnes séropositives par le reste de la société, ce qui favorise la progression du virus, estime Johnson Firinga, directeur du réseau Mad’aids qui réunit toutes les associations engagées contre le VIH à Madagascar. « Quand les populations ne se sentent pas protégées en termes de stigmatisation et de discrimination… Il y a des gens qui se cachent, qui n’osent pas parler à leurs entourages, à leurs partenaires qu’il est porteur du VIH parce que c’est honteux, c’est discriminant. La peur d’être rejeté bloque aussi les gens à se protéger entre eux », regrette-t-il.

Espace d’information et de solidarité, les groupes de parole sont aussi des lieux de réflexion politique où s’expriment des revendications. Par exemple, ce jour-là, pour la prise en charge médicale des femmes enceintes séropositives.

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Nord du Bénin: Banikoara, refuge pour les Burkinabè qui fuient les violences [4/4]
19 February 2025
Nord du Bénin: Banikoara, refuge pour les Burkinabè qui fuient les violences [4/4]

Une zone confrontée à la menace d'attaques terroristes. Le 15 février dernier, une position de l'armée béninoise a été attaquée dans le parc W. Le mois dernier, plus de 30 soldats ont été tués dans la zone dite du Point Triple, à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso dans une attaque revendiquée par le Jnim, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans. En raison de sa proximité avec la frontière du Burkina Faso, la commune de Banikoara est aussi un lieu de refuge pour les Burkinabè qui fuient les violences dans leur pays. 

De notre envoyée spéciale à Banikoara,

Sa béquille est posée à côté de lui, des boîtes de médicaments au pied du lit. Il y a trois ans, avec sa femme et ses sept enfants, cet homme est monté dans un camion pour fuir les violences dans la commune de la région de l'est du Burkina Faso qui l'a vu naître en 1958.

« On a quitté notre pays pour le Bénin ici, on est très, très contents parce qu’on nous aide, on nous donne de l'argent pour s’acheter à manger. Je suis malade, mais avec cet argent, je peux payer les produits. Mes enfants sont soit à Parakou ou à Kandi. Comme on n'a pas de champs, ils sont obligés d'aller travailler pour avoir de quoi manger. Je ne sais pas comment remercier le Bénin. »

Plusieurs organisations, comme la Croix-Rouge et l’Unicef, portent assistance aux réfugiés qui essaient aussi d'avoir des activités pour gagner un peu d'argent. « J’attache d'abord, les pédales sont ici. » Cette mère de famille, foulard noué sur la tête, manie le métier à tisser installé chez elle. Dans la cour, quelques animaux, le souvenir des événements qui l'ont poussée à fuir sa commune de l'est du Burkina Faso avec trois de ses enfants est encore vif. C'était il y a deux ans.

« Ça chauffait là-bas. Ça a commencé le jour du marché, les gens couraient. Les problèmes viennent des militaires, mais aussi des terroristes. On ne savait pas comment faire. La population a commencé à fuir le pays. Nous-mêmes, on s’est dit que ça n’allait pas aller, on ne trouvait plus à manger, plus de bois. Des personnes ont perdu leur mari, leurs enfants. On voyait tout le monde partout en pleure. Dieu merci, j'ai pris mes enfants et on est venus ici à Banikoara. »

À Banikoara, elle et ses enfants se portent bien. Mais les récents événements sécuritaires dans le nord du Bénin ne la rassurent pas : « On a vu des vidéos sur nos portables. Vers Point Triple, des personnes se sont rendues là-bas pour tuer nos militaires qui nous sauvent encore. Ça nous a fait peur aussi. Banikoara aussi, à 21h/23h ce n'est pas bon. On est parti de là-bas pour venir ici, si ça commence ici aussi ce n'est pas bon. Il ne nous reste plus qu'à prier Dieu pour le Bénin aussi. »

Fin octobre, le HCR, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, recensait plus de 17 000 réfugiés et demandeurs d'asile au Bénin.

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Nord du Bénin: le défi de la cohésion sociale contre l'extrémisme violent [3/4]
18 February 2025
Nord du Bénin: le défi de la cohésion sociale contre l'extrémisme violent [3/4]

Samedi, une position de l'armée béninoise a été attaquée dans le parc W. Le mois dernier, plus de 30 soldats ont été tués dans la zone dite du Point Triple, à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso, dans une attaque revendiquée par le Jnim, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans. La situation sécuritaire préoccupe les populations du nord du pays. Au-delà des mesures sécuritaires, des projets sont menés pour favoriser la cohésion sociale dans ces zones.

De notre envoyée spéciale à Malanville,

Assis en tailleur sur un tapis, en tenue bleu clair, Ibrahim Adam nous reçoit dans sa mosquée. Quand il n'est pas conducteur routier, ce prédicateur, imam à Malanville, lance des messages aux fidèles. « J’aimerais qu'on puisse savoir l'importance de la paix parce que tant qu'il n'y a pas la paix, rien ne marche. Ta religion même, tu ne peux pas faire à l'aise, le commerce zéro, l’élevage zéro… L’agriculture, les activités qui nous permettent de vivre, sans la paix rien ne peut marcher. »

Ibrahim Adam intervient régulièrement sur une radio locale. C'est sur des leaders religieux comme lui que s'appuient les ONG qui sensibilisent contre l'extrémisme violent. Avec l'ONG Vie et environnement, Moussa Mountala participe à des projets, en particulier pour les jeunes. « Souvent, nous passons par des activités traditionnelles, sketches, foot, et nous faisons passer un message de sensibilisation sur la paix et la cohésion sociale. La jeunesse est plus attirée par cette activité et le message passe vite. »

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Prévention par le dialogue 

Objets d'une attention particulière : les conflits communautaires.  L'association Coexister fait de la prévention en instaurant des cadres de dialogue. L'an dernier, elle est par exemple intervenue à Garou, où un conflit entre agriculteurs et éleveurs a fait deux morts. Abdoukarimou Bouraima est son président : « Les extrémistes sont des marchands de violence qui ont besoin de renforcer leur équipe. Du coup, ils utilisent les frustrations de ces communautés pour leur proposer des solutions. Résultat : ces communautés frustrées les rejoignent dans l'espoir qu'un jour, ils reviendront dans leur communauté avec plus de droits. C'est pour cela qu'il faut faire très attention à l'injustice et à ne pas se taire quand ça se passe. »

Dans son bureau de la mairie de Malanville, Moussa Sambo Nouhoum affirme que le gouvernement béninois fait tout son possible pour lutter contre l'extrémisme violent. Mais le deuxième adjoint au maire identifie une difficulté à dépasser pour que toutes ces actions portent leurs fruits. « C’est celle de la méfiance installée entre les communautés et l'armée. Tant que nous n'arriverons pas à ramener la confiance, cette situation est un terreau favorable aux groupes criminels. »

« Des préoccupations entendues », affirme-t-il, par la haute hiérarchie militaire. Les forces de défense et de sécurité mènent des opérations pour se rapprocher des populations : journées portes ouvertes, ou soins gratuits par exemple.

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Nord du Bénin: à Malanville, la vie difficile des déplacés [2/4]
17 February 2025
Nord du Bénin: à Malanville, la vie difficile des déplacés [2/4]

Le nord du Bénin est toujours confronté à la menace d'attaques terroristes. Samedi 15 février, une position de l'armée béninoise a été attaquée dans le parc W. Le mois dernier, plus de 30 soldats ont été tués dans la zone dite du Point Triple, à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso dans une attaque revendiquée par le Jnim, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans. La situation sécuritaire dans le nord entraîne parfois des déplacements de populations, souvent hébergées dans des familles d'accueil. 

De notre envoyée spéciale de retour de Malanville,

Amidou Hamina, relais communautaire à Malanville, aide plusieurs dizaines de déplacés, installés depuis environ deux ans. Les déplacés sont logés dans de petites cases munies de couchettes, réparties sur un grand terrain au sol en terre. Quelques enfants pilent du mil. 

« Ils se sont déplacés vers Malanville parce qu'ils disent que Malanville, c'est une grande ville, ce n'est pas comme dans la brousse où les gens sont embêtés ». Pour les déplacés, la situation est difficile, poursuit Amidou Hamina: « Ils cherchent de l'aide, il y a les maladies et la faim qui les entourent. En causant avec eux, ils avaient demandé d'au moins faire un forage pour avoir de l'eau potable. »

Une vingtaine de personnes sont assises sur deux tapis étendus à l'ombre d'un arbre. Parmi les femmes, Roukiatou, 48 ans, qui a quitté un village de la commune voisine de Karimama avec sa famille, ses 5 enfants. « Ici, on a l'esprit tranquille. Au moins, on peut arriver à dormir. Là-bas, on entendait le bruit des armes. Les enfants avaient tout le temps peur. Alors qu'ici, maintenant, nous n'avons plus peur des armes. » 

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« C'est difficile de vivre dignement »

Pour autant, la situation reste difficile : « C'est très difficile de ne pas pouvoir faire de l'élevage ni cultiver. Il faut tout acheter : la nourriture, même le bois pour cuisiner, poursuit Roukiatou. Si tu n'as pas les moyens, c'est difficile de vivre dignement. Cette situation est très compliquée pour nous. Même si on a eu la vie sauve, on traverse des moments très difficiles. »

Les déplacés évoquent la peur des terroristes et, parfois, leur crainte des arrestations auxquelles procèdent les militaires. Maisons, champs, ils ont tout laissé derrière eux, comme l'explique cet homme âgé, qui prêchait dans sa communauté. « C'est un peu difficile. Beaucoup de gens ici sont sans emploi. Mais certains essaient quand même d'avoir une activité de petit commerce, explique l'imam. Il y a ceux qui remplissent des récipients d'eau qu'ils vendent. Il y en a d'autres qui vont couper de l'herbe et du bois dans la forêt pour les vendre. » Des activités de substitution, en attendant de pouvoir rentrer, quand la situation le permettra.

Il y a un an, l'OIM recensait plus de 12 000 personnes déplacées internes dans les départements de l'Alibori, et de l'Atacora dans le nord du Bénin

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Nord du Bénin: quels changements sur le plan sécuritaire à Banikoara? [1/4]
16 February 2025
Nord du Bénin: quels changements sur le plan sécuritaire à Banikoara? [1/4]

Le 8 janvier, une attaque a coûté la vie à plus de 30 soldats au Bénin, dans la zone dite du « Point Triple », à la frontière avec le Niger et le Burkina Faso. Revendiquée par le Jnim, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, elle s’est soldée par la plus lourde perte depuis le déploiement de l’opération Mirador. À Banikoara, la situation sécuritaire est dans tous les esprits et les habitants adaptent leurs habitudes quotidiennes, surtout en soirée.

De notre envoyée spéciale de retour de Banikoara,

Les commerces sont ouverts à Banikoara centre, dans le nord du Bénin. Issiako attend les clients derrière la grille de son kiosque jaune et bleu. « GSM, c’est mon activité ! Je fais les transferts d’argent et je vends aussi des crédits. Avant, ça marchait, mais maintenant, il faut être patient, les temps sont un peu durs, confie-t-il. Dans la journée, on ne vend pas, et maintenant, le soir, notre temps est limité. Je pars d’ici à 20 h 30 pour ma sécurité. »

Plusieurs sources locales évoquent le transport de carburant par des jeunes soupçonnés de ravitailler les groupes armés. « Des fois, les militaires viennent pour embarquer certaines personnes, poursuit Issiako, ils leur disent : “On vous a vu transporter des bidons d’essence, amener ça de l’autre côté de la commune...” Parce qu’il y a certaines localités, tu ne peux pas y aller, si on te prend là-bas, c’est toi seul qui vas subir les conséquences. Si bien que nous-mêmes, on ne se retrouve pas là-bas. »

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« Il y a la peur, on ne sait pas qui est qui »

À côté de lui, des zémidjans, des motos-taxis, patientent à l’ombre. Ce jeune homme, casque sur la tête, s’arrête sur un côté de la voie pavée. « Vraiment, il y a la peur, on ne sait pas qui est qui, si on prend un jihadiste, on ne sait pas, ou un criminel, on a toujours peur de travailler. Par exemple, il y a des lieux interdits à cause de l’insécurité, comme Guimbagou, Kaobagou, Mékrou. On ne peut pas y aller. Si tu pars là-bas, on va te qualifier de jihadiste ou de criminel, donc ça fait qu’on reste toujours en ville. »

À écouter dans Grand reportageDans le nord du Bénin, l’opération militaire Mirador face à la pression terroriste

Brouettes, motos et piétons circulent dans les rues adjacentes. Ce jeune homme vend des produits alimentaires avec son père. L’activité marche bien. C’est surtout le soir que la vie a changé. « La nuit, les militaires patrouillent. À partir de minuit, il n’y a pas trop de promenades, comme un confinement, explique le jeune commerçant. Avant, je me promenais de 22 h à 1 h, mais depuis que les militaires ont commencé, à 22 h, je suis à la maison. On entend des frappes ailleurs, on ne sait pas quand ça vient chez nous. Mais quand même, pour l’instant, ça va. »

Il n’y a officiellement pas de couvre-feu à Banikoara centre. Mais, de source locale, plusieurs villages de la commune riverains du parc W et frontaliers du Burkina Faso sont concernés, de 18 h à 6 h du matin.

À écouter dans l’Invité d’Afrique midi Attaque meurtrière dans le nord du Bénin : « La phase de harcèlement des Forces de défense prend une tout autre ampleur »

Soudan du Sud: à Juba, les récupérateurs de déchets victimes de l'épidémie de choléra [3/3]
15 February 2025
Soudan du Sud: à Juba, les récupérateurs de déchets victimes de l'épidémie de choléra [3/3]

Dans la capitale sud-soudanaise, Juba, certains quartiers sont encore en proie à l’épidémie de choléra qui dure depuis octobre 2024, malgré une campagne de vaccination. C’est le cas du quartier de Jebel Timan, en plein milieu duquel se trouve une immense décharge, considérée par les habitants comme la cause de la persistance de l’épidémie dans leur quartier. Cette déchetterie représente pourtant aussi une source de subsistance pour des centaines de personnes, des récupérateurs de déchets qui n’ont aucune autre opportunité et risquent leur santé pour survivre. 

De notre correspondante à Juba,

Des monticules de déchets fumants s’étendent à perte de vue. Sur les collines qui entourent la déchetterie, on voit scintiller les toits en taule des habitations. Établie en 2008, cette décharge a un temps été bien gérée, fermée d’une barrière, avec un bulldozer pour compacter les détritus. Mais depuis les combats de 2013 et 2016, les travaux de maintenance sont à l’arrêt. Seuls les récupérateurs de déchets s’affairent là, tous les jours.

À l’arrière du camion d’une entreprise de recyclage, on pèse les énormes sacs remplis de bouteilles en plastique ramassées par les récupérateurs. « Je crois que certains ont eu le vaccin contre le choléra, mais pas moi, indique Angelina, 45 ans, qui vient tous les jours travailler ici depuis cinq ans, malgré les risques. Bien sûr, je voudrais le recevoir pour me protéger. Car cette maladie est vraiment grave. Et dans les ordures, vous pouvez l’attraper très facilement. C’est là qu’on attrape le choléra ! »

À écouter dans le Conseil santéComment reconnaître les symptômes du choléra et réagir face à ces signes?

« Tous ici, nous cherchons de la nourriture dans les déchets, car nous souffrons et n’avons rien à manger »

Un peu partout sur cette étendue de déchets, des petits groupes de récupérateurs se protègent du soleil sous des abris de fortune. Des piments ramassés dans les détritus, étendus sur un bout de carton, sèchent au soleil près de la tente d’Anek, 30 ans, mère de sept enfants : « Tous ici, nous cherchons de la nourriture dans les déchets, car nous souffrons et n’avons rien à manger. »

Entre deux bouchées de pain ramassées dans les ordures, son amie Abuk, 27 ans, mère de cinq enfants, renchérit : « Si vous trouvez des oignons, de la farine, de la nourriture de la veille ou de l’avant-veille, vous les mangez. Ici, on ne pense pas aux maladies, car on a faim ! Si nous avions assez à manger, nous ne serions pas ici. » Abuk pense à tort que le choléra ne représente plus un danger, puisqu’elle a reçu le vaccin.

Joseph Morre, le représentant des jeunes de Jebel Timan, rappelle que l’épidémie de choléra reste une menace, même si 6 000 personnes ici ont été vaccinées : « La vaccination n’a été faite que pour les personnes présentes à ce moment-là. Mais nous avons des gens qui viennent de l’extérieur, des camps de bétail, des villages… Et tous ceux-là ne sont pas vaccinés. »

Un risque de propagation de l’épidémie existe donc du fait de la mobilité des Sud-Soudanais entre la capitale et les zones rurales. En outre, du fait du manque de vaccins contre le choléra, une seule dose au lieu de deux a été administrée.

Soudan du Sud: dans le quartier de Jebel Timan, à Juba, l'épidémie de choléra perdure [2/3]
14 February 2025
Soudan du Sud: dans le quartier de Jebel Timan, à Juba, l'épidémie de choléra perdure [2/3]

Le quartier de Jebel Timan, à l'ouest de Juba, est l’un des endroits où l’épidémie de choléra continue, malgré une campagne de vaccination et des efforts de la part des autorités sanitaires et de l’ONG MSF pour informer la population. En cause : l’absence de système d’assainissement, l’accès quasi inexistant à l’eau potable, mais aussi la présence d’une immense déchetterie, située en plein cœur de la zone résidentielle. 

De notre correspondante à Juba,

Accroché à une colline rocailleuse, le quartier de Jebel Timan est peuplé de maisons en bambou et en torchis. Des habitations à étage se dressent aussi çà et là, inachevées, dans ce quartier qui reste l’un des plus sous-développés de la capitale sud-soudanaise. Un quartier toujours en proie à l’épidémie de choléra. 

En janvier, Albino Diari Wornyang, le pasteur de la communauté, a brutalement perdu son frère de 75 ans à cause de la maladie. « C’est arrivé le 13 janvier. Il a commencé à être malade à 4 heures du matin, et il est mort le même jour à 15 heures, se rappelle le pasteur. Nous l’avons emmené dans une clinique à 6 heures du matin. Ils lui ont donné sept perfusions d’affilée. Puis le docteur nous a dit de le ramener à la maison pour qu’il se repose. Mais une fois qu’on est arrivés chez nous, il est mort »

Une campagne de vaccination s’est déroulée fin janvier dans la communauté et la famille proche d’Albino Diari Wornyang a été vaccinée. Mais le pasteur reste inquiet : « Nous restons vigilants, car le choléra est toujours parmi nous, et il y a encore des gens qui n’ont pas été vaccinés. »

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Une déchetterie en plein cœur du quartier

Si personne ne sait exactement comment le choléra est arrivé jusqu’ici, les premières victimes ont été rapportées parmi les nombreux récupérateurs de déchets qui survivent en fouillant dans l’immense décharge située en plein cœur de Jebel Timan. Trois d’entre eux sont morts au mois de décembre.

« Les quartiers de Juba qui n’ont pas de déchetterie n’ont pas eu autant de cas de choléra. Mais nous ici, nous avons eu beaucoup de cas et des gens sont morts, dénonce Matthew Buya, le chef traditionnel du quartier, qui souhaite la fermeture de ce site. Hier encore, un homme a dû être emmené au centre de traitement du choléra de Gurei. »

Il est d’autant plus difficile de contenir l’épidémie qu’il n’y a aucun système d’assainissement à Jebel Timan et un seul puits d’eau potable, payant, pour plus de 6 000 personnes. L’immense majorité des habitants boit l’eau de puits creusés dans la terre, comme celui que nous montre Justin Pasi Major, un voisin. Une sorte de flaque d’eau profonde, entourée de pierres et d’herbe, au bord de laquelle traînent des bouteilles en plastique : « L’eau elle-même est propre. Mais si par exemple des chèvres viennent boire ici, elles peuvent contaminer l’eau avec des bactéries, explique cet habitant. Le problème, c'est qu’il n’y a pas de barrière autour du puits. Mais si nous pouvions en construire une, et si nous le creusions plus profond et utilisions du chlore, alors nous serions protégés. »

Les appels de la communauté pour la construction de nouveaux puits, de latrines, ainsi que pour la fermeture de la déchetterie sont pour l’instant restés sans réponse.

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13 February 2025
Soudan du Sud: face au choléra, des traitements d’urgence pour sauver des vies [1/3]

Au Soudan du Sud, les autorités tentent de contrôler l’épidémie de choléra qui dure depuis octobre 2024. Initialement déclarée au Soudan voisin, elle s'est propagée au Soudan du Sud suite à l'arrivée de plus d’un million de personnes fuyant le conflit armé. Le choléra est alors d’abord apparu dans la zone frontalière, puis s’est rapidement propagé sur la quasi-totalité du territoire, avec le retour des rapatriés sud-soudanais dans leurs régions d’origine.

De notre correspondante à Juba,

À ce jour, 26 811 cas de choléra ont été répertoriés au Soudan du Sud, et 455 personnes sont mortes de la maladie. À Gurei, dans la banlieue ouest de Juba, où l’épidémie de choléra n’est pas encore terminée, jusqu’à huit patients sont admis quotidiennement dans une unité de traitement du choléra gérée par l'ONG Médecins sans frontières, sous une grande tente blanche d’une capacité de dix lits. Vêtus de combinaisons intégrales, les employés en charge de la désinfection pulvérisent de l’eau chlorée sur les semelles des visiteurs, sur le sol et sur les lits. 

« Le choléra est une maladie causée par une bactérie. Elle se propage par l'eau ou les aliments contaminés, généralement à cause du manque d’hygiène et d'assainissement, explique Guta Epulo, infirmier dans la structure. Une fois que vous avez le choléra, vous commencez à vomir beaucoup et à avoir une diarrhée aqueuse continue. C’est dangereux car vous perdez beaucoup de liquides corporels et pouvez mourir en quelques heures. »

Hawati Ajong, 27 ans, et son mari Saber Juma, 33 ans, se désinfectent les mains avant de rentrer chez eux. Hawati est tombée malade la première, elle a été soignée, puis c’est son mari qui a développé les symptômes : « C’était le matin, mon mari allait partir au travail. Il est allé aux toilettes trois ou quatre fois. Et puis il a commencé à vomir, et ensuite, il ne pouvait plus bouger, témoigne-t-elle. C’est lui qui m’avait accompagnée ici quand j’étais malade, il s’est occupé de moi, j’ai su tout de suite qu’il avait attrapé le choléra à son tour. Donc, j’ai appelé à l’aide et on l’a amené ici hier. » Pour elle, la cause est évidente : « Nous buvons le plus souvent l’eau d’un puits creusé dans la terre, je pense que c’est ça qui nous a rendus malades. »

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« Tout ça, c’est à cause de notre environnement qui est sale »

À l’intérieur de la tente, Daniel Kenyi, un garçon de quatre ans, reçoit une perfusion de réhydratation. Arrivé très mal en point, en à peine une heure, il est à nouveau capable de se tenir assis, au grand soulagement de sa mère, Sejerina Keji, qui veille sur lui, son bébé de huit mois dans les bras : « Je m’inquiète pour mes autres enfants. Tout ça, c’est à cause de notre environnement qui est sale, dénonce-t-elle. Il faut faire très attention à bien nettoyer la vaisselle, à la laver après l’avoir touchée, la sécher et la couvrir pour éviter que des mouches se posent dessus. »

Le personnel médical souligne l’importance d’une prise en charge rapide du choléra, car si les 270 patients soignés ici par MSF ont survécu, neuf personnes sont mortes de la maladie chez elles, dans les quartiers avoisinants, ces dernières semaines. En cause : des traitements inadéquats et trop tardifs.

À écouter dans Le conseil santéComment reconnaître les symptômes du choléra et réagir face à ces signes?