Littérature sans frontières
Littérature sans frontières

Littérature sans frontières

Parce que le livre ouvre sur le monde et que le monde se comprend par le livre, chaque semaine, le magazine littéraire de RFI reçoit un grand écrivain francophone ou étranger. Au sommaire, également, toute l’actualité de la littérature française et internationale : des reportages, des témoignages, des coups de cœur et un partenariat avec le magazine «Books» qui rend compte, chaque mois, des livres et des idées du monde entier. Réalisation : Apolline Verlon-Raizon. *** Diffusions : le vendredi à 13h30 TU vers toutes cibles ; 16h30 TU vers l'Afrique luso ; 20h30 TU vers l'Afrique haoussa ; et le lundi à 00h30 TU vers toutes cibles.

Leïla Slimani, le feu de l'histoire, d'une femme et d'une écrivaine
21 February 2025
Leïla Slimani, le feu de l'histoire, d'une femme et d'une écrivaine

Leïla Slimani, née à Rabat au Maroc, d'une mère franco-algérienne et d'un père marocain, est journaliste et écrivain. En 2014, elle publie son premier roman aux éditions Gallimard, «Dans le jardin de l'ogre» et avec son deuxième roman, «Chanson douce», elle obtient le prix Goncourt 2016. Depuis 2020, elle est l'auteure d'une trilogie «Le Pays des autres», dont le dernier volume s'intitule «J'emporterai le feu».

« Mehdi se sécha, enfila un tee-shirt propre et un pantalon de toile, et il chercha au fond de sa sacoche le livre qu’il avait acheté pour sa fille. Il poserait sa main sur son épaule, il lui sourirait et lui ordonnerait de ne jamais se retourner. “Mia, va t’en et ne rentre pas. Ces histoires de racines, ce n’est rien d’autre qu’une manière de te clouer au sol, alors peu importe le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un grand incendie et emporte le feu.” »

Enfants de la troisième génération de la famille Belhaj, Mia et Inès sont nées dans les années 1980. Comme leur grand-mère Mathilde, leur mère Aïcha ou leur tante Selma, elles cherchent à être libres chacune à sa façon, dans l’exil ou dans la solitude. Il leur faudra se faire une place, apprendre de nouveaux codes, affronter les préjugés, le racisme parfois.

Leïla Slimani achève ici de façon splendide la trilogie du Pays des autres, fresque familiale emportée par une poésie vigoureuse et un souffle d’une grande puissance. (Présentation des éditions Gallimard)

Un grand roman sur le Maroc du XXème siècle.

Programmation musicale :

Fast Car, de Tracy Chapman.

Georgia Makhlouf, écrire le Liban à travers le regard des femmes
07 February 2025
Georgia Makhlouf, écrire le Liban à travers le regard des femmes

Georgia Makhlouf est écrivain, journaliste et critique littéraire. Elle vit entre Paris et Beyrouth et a publié deux romans, «Les Absents» (2014), prix Senghor et prix Ulysse, et «Port-au-Prince : aller-retour» (2019). Son nouveau roman «Pays Amer» vient de paraitre aux éditions Les Presses de la Cité.

Pays amer entrelace avec délicatesse les récits de deux femmes libanaises, photographes, à un siècle d’écart.

Mona vit une jeunesse marginale à Beyrouth. Dans un village du nord du Liban, elle découvre une magnifique maison à l’abandon. L’ancienne propriétaire, une certaine Marie Karam, était une originale solitaire, chassant comme un homme et entourée d’animaux vivants ou empaillés. Intriguée, Mona enquête et apprend que le journal intime de Marie a été conservé, avec quantité de clichés qui témoignent d’un admirable talent. 

La lecture de ce journal lui ouvre des pans inconnus de l’histoire du Liban du début du XXè siècle, et des pays arabes, en particulier de l’Égypte, qui ont vu fleurir un féminisme actif et optimiste. 

Entre Marie et Mona, dont la création artistique et les amours sont confrontées au même poids de la tradition et des préjugés sociaux, Georgia Makhlouf tisse le fil de destins poignants, épris de liberté.

Marie en paiera le prix. Pour Mona, l’histoire reste à écrire.

Ce roman est une fiction librement inspirée de la vie de Marie El Khazen (1899-1983), première femme photographe libanaise. (Présentation des éditions Les Presses de la Cité).

Programmation musicale : Ya Touyour de ASMAHAN.

Donatella Di Pietrantonio, lauréate du Prix Strega 2024, le Goncourt italien
24 January 2025
Donatella Di Pietrantonio, lauréate du Prix Strega 2024, le Goncourt italien

Originaire des Abruzzes, Donatella Di Pietrantonio est l’une des plus grandes romancières italiennes contemporaines. «L’Âge fragile» a été récompensé par le prix Strega et le prix Strega Giovani (équivalents italiens du prix Goncourt et du prix Goncourt des Lycéens). Ses précédents romans ont été couronnés de succès : «La Revenue» (2018), traduit dans plus de 30 pays, a obtenu le prestigieux prix Campiello, «Bella mia» (2014) a reçu les prix Brancati et Vittoriano Esposito Città di Celano, et «Mia madre è un fiume» le prix Tropea.

Traduit de l'italien par Laura Brignon.

Lucia n’a jamais quitté son village des Abruzzes. Pourtant, trente ans plus tôt, elle y a été témoin d’un crime terrible. Aujourd’hui, sa fille Amanda, partie étudier à Milan, est de retour auprès d’elle. Mais la jeune femme ne quitte pas sa chambre et s’enferme dans un silence inquiétant. Impuissante face à la détresse d’Amanda, Lucia est soudain confrontée à ses souvenirs douloureux : le drame qu’elle a tout fait pour oublier resurgit…

Entre passé et présent, le roman de Donatella Di Pietrantonio explore la fragilité des relations familiales et le lien puissant avec cette terre des Abruzzes où se mêlent la beauté et la sauvagerie de la nature. (Présentation des éditions Albin Michel).

BONUS : Donatella Di Pietrantonio parle d'Annie Ernaux à écouter ici.

Marie-Reine de Jaham clôt la trilogie de sa saga familiale en Martinique
10 January 2025
Marie-Reine de Jaham clôt la trilogie de sa saga familiale en Martinique

Marie-Reine de Jaham, fille d'un Béké (descendant de colons français), est née à la Martinique. Après avoir grandi à Saint-Pierre, elle se marie à 17 ans et suit son époux aux États-Unis, où elle embrasse la carrière publicitaire, d'abord à New York, puis à Paris où elle fonde l'association culturelle Patrimoine Créole. Autrice de nombreux livres, littérature et non-fiction, elle publie la suite de son premier roman La grande Béké paru en 1989 sous le titre L'héritière de la grande Béké.

« Je m’appelle Garance de la Joucquerie et je suis l’arrière-petite-fille d’une femme légendaire qu’on surnommait la grande Béké. Près d’un siècle s’est écoulé depuis qu’elle me lança ce poignant défi "Quelqu’un devra prendre ma suite, je voudrais que ce soit toi".

La Martinique n’était alors qu’une colonie ployant sous la domination blanche.

Année après année, je l’ai vue changer, tenir tête aux anciens maîtres et peu à peu les évincer. Je l’ai vue essuyer la houle des bouleversements mondiaux, et enfin, faire face à l’immense basculement de la décolonisation.

Pour sauver son domaine, la grande Béké alla jusqu’à déshériter ses enfants légitimes, faisant de son bâtard le maître de la plantation. Elle avait tout organisé, tout prévu. Tout ? Non. Personne n’aurait pu prévoir ce qui est arrivé. » (Présentation de Caraïbéditions)

«Kaïdara» le conte d’Amadou Hampâté Bâ illustré par l'artiste Omar Ba
03 January 2025
«Kaïdara» le conte d’Amadou Hampâté Bâ illustré par l'artiste Omar Ba

Écrivain et diplomate, Amadou Hampâté Bâ, né aux alentours de 1901, dans une famille noble à Bandiagara (Soudan français et actuel Mali), aimait consigner les histoires, contes, proverbes et paroles de sagesse qui l'ont abreuvé jusqu'à la fin de sa vie en 1991. Un patrimoine où figure le conte initiatique Kaïdara qui aujourd'hui parait dans une nouvelle version illustrée par l'artiste sénégalais Omar Ba aux éditions Diane de Selliers.

Le récit iniatique de Kaïdara illustré par Omar Ba, artiste peul contemporain aux éditions Diane De Selliers

Long poème allégorique en vers libres, le conte Kaïdara fait le récit du voyage de trois hommes sur le chemin de la connaissance de soi et du monde. Guidés par une voix puissante et omnisciente, Hammadi, Hamtoudo et Dembourou se rendent au pays des génies-nains, où ils rencontreront le dieu Kaïdara. Des apparitions mystérieuses — animaux, plantes, êtres polymorphes — rythment leur voyage : onze figures s’adressent à eux dans des discours énigmatiques, ponctués de la même ritournelle :

Je suis le symbole du pays des génies-nains

et mon secret appartient à Kaïdara,

le lointain, le bien proche Kaïdara…

Quant à toi, fils d’Adam, va ton chemin.

vers 124-127

N’ayant pas la moindre idée du but de leur voyage, souffrant de faim et de soif, les voyageurs cheminent à travers d’épaisses forêts, des vallées infinies et des plaines arides :

Ils marchèrent le jour, ils marchèrent la nuit, ils marchèrent

sans chercher à savoir où la route voulait les conduire.

Ils se trouvaient attirés par une force invisible et puissante.

Sans volonté aucune, ils étaient aspirés, possédés.

vers 752-755

Au terme de ce périple initiatique, les trois compagnons rencontrent Kaïdara, dieu de l’or et de la connaissance dont le conte porte le nom.

Un siège en or pur fut disposé

sur lequel trônait un être humain

à sept têtes, douze bras, et en outre pourvu

de trente pieds dénombrables.

Qui était-ce ? Kaïdara le surnaturel

qui change de forme à volonté et dont chaque forme est unique.

vers 803-808

Métaphore du cosmos, Kaïdara est une émanation de Guéno, dieu tout-puissant du panthéon peul. Sans dévoiler aux voyageurs les significations secrètes des mystères qu’ils ont rencontrés, Kaïdara offre à chacun trois bœufs chargés d’or, leur recommandant d’en faire bon usage. Les hommes retournent alors vers la surface de la terre. « Je consacrerai tout mon or à quérir le pouvoir », dit Dembourou. « Je ferai de mon or un bien meilleur usage… j’accroîtrai mes biens en quantités abondantes », réplique Hamtoudo, qui ne rêve que de richesse matérielle. Hammadi, quant à lui, n’aspire qu’au savoir :

Je forme le vœu de consacrer mon or

à quêter le sens des symboles observés.

Hormis cela, je n’ai point d’autres rêves en tête.

Certains croiront que mon souhait est folie.

D’autres l’estimeront bien modeste ambition.

Pour moi-même cependant, il n’est de plus grand but

que puisse s’assigner un homme sur cette terre.

vers 881-887

Présentation des éditions Diane de Selliers.

En souvenir de Breyten Breytenbach, écrivain et peintre sud-africain
27 December 2024
En souvenir de Breyten Breytenbach, écrivain et peintre sud-africain

Avant de refermer l'année 2024, hommage à l'un des grands écrivains, disparu en novembre dernier. Breyten Breteynbach auteur sud-africain, peintre également, décédé à l'âge de 85 ans en France. Militant anti-apartheid, emprisonné pendant sept ans, il était devenu l'une des voix les plus importantes de la littérature mondiale avec la publication d'une vingtaine de titres, fiction, essai, poésie, en anglais ou en afrikaans, sa langue maternelle. Florilège de deux rencontres avec Breyten Breytenbach.

Avec Cœur-Chien, Breyten Breytenbach revient sur les lieux de sa naissance et de son enfance : Bonnievale, Wellington… Dans la région afrikaner proche de la ville du Cap, la première Afrique du Sud blanche, celle qui commence en 1652 et se constitue tout au long du XVIIIe siècle, avant l’arrivée des Anglais. Ce dernier voyage de Breyten Breytenbach est une recherche de son enfance et de ses ancêtres, un retour vers le cœur le plus intime de l’écrivain... « Pourquoi après tant d’années est-ce que je ressens la nécessité d’aller à la recherche de l’autre, de l’enfant que j’ai dû être ? ». Sans doute pour combler le vide créé par « l’absence », l’absence du pays en soi et l’absence de soi dans le pays, à cause de l’exil, de la prison, des déchirements. À cause de l’apartheid.

Cœur-Chien est le livre de la réconciliation d’un homme avec son pays, son peuple, sa langue. Une réconciliation avec lui-même. Après tant d’allers et retours, l’histoire d’amour peut renouer le fil brisé des rêves : « De même qu’on ne peut survivre sans rêves, on ne peut avancer sans le souvenir du lieu d’où l’on vient, même si ce voyage est fictif. Ce que nous appelons identité, n’est-ce pas cette situation faite de bouts et de morceaux qui sont les souvenirs des rencontres, de situation et d’événements précédents, de souvenirs accrochés aux branches ? »

Cœur-Chien marque en quelque sorte la fin d’un cycle commencé au début des années 1960, fait de voyages et de retrouvailles impossibles, une longue histoire de haine et d’amour. Sans doute le livre le plus tendre et le plus intime de Breyten Breytenbach. « Écrire, c’est rendre visible la mémoire. » C’est aussi la revivifier pour retrouver la paix.

(Extrait de la préface du traducteur Jean Guiloineau aux éditions Actes Sud)

Traduit de l’afrikaans par Georges-Marie Lory.

La femme dans le soleil, itinéraire poétique d’un homme que l’histoire a changé en oiseau migrateur. Tout y est : sa survie sous le régime d’apartheid, son goût des terres fauves, la vitalité charnelle de l’amour, l’état d’insurrection dans lequel le laisse l’injustice. Sans oublier ces lieux qu’il arpente avec une énergie créatrice : l’île de Gorée, où fait souvent escale sa voile blanche, Paris sa ville de cœur, l’Eastern Cap que le couchant transforme en « coulée d’or ». Si les frontières lui sont étrangères, c’est que l’exilé est aussi un « oiseau constructeur » qui sait tenir le cap de l’espérance. Par la force magique de son verbe et un sens inné de la résistance, le poète tend vers l’horizon un rêve immense de liberté. (Présentation des éditions Bruno Doucey)

Extrait :

« Très-aimée, je t’envoie une tourterelle vermeille

car personne ne tire sur un messager rouge

Je lance haut dans l’air ma tourterelle vermeille je sais

que tous les chasseurs la prendront pour le soleil »