L'Épopée des musiques noires
L'Épopée des musiques noires

L'Épopée des musiques noires

Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, L’épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du 20ème siècle : La Black Music !  À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui. Réalisation : Nathalie Laporte. *** Diffusions le samedi à 13h30 TU vers toutes cibles, à 20h30 TU sur RFI Afrique (Programme haoussa), le dimanche à 16h30 TU vers l'Afrique lusophone, à 17h30 TU vers Prague, à 21h30 TU vers toutes cibles. En heure de Paris (TU +1 en grille d'hiver)

Annie Caldwell Brown chérit l’authenticité du gospel
20 February 2025
Annie Caldwell Brown chérit l’authenticité du gospel

Pour nombre d’Afro-Américains, le gospel ne doit pas se détourner de ses valeurs sacrées. L’église doit rester au centre des préoccupations quotidiennes et la foi doit s’exprimer dans les cantiques religieux. Quand Annie Caldwell Brown s’est aperçue que sa fille aînée chantait le blues, elle a immédiatement réagi en fustigeant cette « musique du diable » et en incitant ses enfants à se tourner vers le seigneur.

Avec son mari, Willie Joe Caldwell, elle a créé un orchestre familial et peut ainsi veiller sur l’éducation musicale de sa progéniture. L’album Can’t lose my soul est le fruit de cette exigence parentale que la « Caldwell’s Family » revendiquait sur scène, le 7 février 2025, au festival « Sons d’hiver ».

 

Aux États-Unis, les spirituals sont indissociables du culte. Annie Caldwell Brown est d’ailleurs une femme pieuse qui défend une vision rigoriste de la célébration musicale. Livrer une prestation en public est un sacerdoce pour cette digne interprète du patrimoine noir. Depuis sa prime jeunesse, elle loue le Seigneur dans les églises locales du Mississippi. Originaire de West Point, elle a connu la ségrégation dans le Sud rural. Elle a vu sa maison brûler sous ses yeux. Elle a travaillé dur dans les champs de coton pour subvenir aux besoins de sa famille. Comment a-t-elle résisté à cette vie douloureuse ? En priant le bon Dieu !

Lorsqu’elle débuta sa carrière de chanteuse de gospel au début des années 70, sa ferveur narrait les affres d’une destinée percutée par les inégalités sociales. Avec ses frères, elle créa les Staples Jr Singers, un groupe vocal inspiré par la fougue des Staples Singers originels. Le premier et seul disque de cette formation de jeunes ouailles attachées à la tradition séculaire religieuse ne connut qu’un succès d’estime. When do we get paid, paru en 1975, fut toutefois redécouvert en 2022 et permit à la petite famille de porter la bonne parole sur les scènes internationales. La disparition en novembre 2024 d’Arceola Brown, le frère aîné d’Annie, mit fin à cette aventure unique.

Annie et son époux, Willie Joe Caldwell, ont donc décidé de reprendre la route avec leurs propres enfants pour poursuivre cette mission divine. L’album Can’t lose my soul est le fruit de cette insatiable quête spirituelle. Si la société a évolué, les convictions personnelles de la cheffe de famille sont toujours les mêmes. Elle a, certes, pris conscience des lentes améliorations de ses conditions de vie, mais reste perplexe face aux revendications de la jeune génération. Elle met d’ailleurs en garde ses filles dont elle perçoit la volonté d’émancipation : « Sans vouloir minimiser la place des femmes au XXIè siècle, je dirais que ce que nous avons vécu autrefois était beaucoup plus rude. Nos enfants n’ont pas connu les heures sombres de la ségrégation raciale de manière aussi intense et violente. Ils ne savent pas ce que la foi représentait pour nous. C’était la seule échappatoire à une vie terriblement difficile et pesante. Quand les brimades et les humiliations se répètent chaque jour, vous n’avez qu’une solution : survivre ! Aujourd’hui, et tant mieux pour elles, certaines jeunes femmes africaines-américaines peuvent devenir millionnaires. Je dirais donc humblement que les conditions de vie sont plus faciles aujourd’hui. J’espère juste que les femmes du XXIè siècle n’oublieront pas ce que nous avons traversé pour qu’elles parviennent à vivre pleinement leur citoyenneté américaine. J’espère également qu’elles n’oublieront pas ce que le Seigneur a pu leur apporter et qu’elles continueront à le célébrer. Aujourd’hui, nos enfants ont accès à l’éducation. Cela explique leur force de caractère. Les jeunes n’ont plus besoin de regarder en arrière. Ils peuvent pleinement embrasser l’avenir et revendiquer leurs droits civiques. Ils n’ont heureusement plus besoin de courber l’échine ». (Annie Caldwell Brown au micro de Joe Farmer)

Que l’on soit croyant ou non, ces propos fort respectables nous éclairent sur le drame de la discrimination et du racisme institutionnalisé. Écouter les mots de cette femme courageuse est une leçon d’humanisme que l’on se doit de chérir et de méditer. Si vous passez par West Point (Mississippi), allez rendre visite à Annie Caldwell Brown. Elle tient un magasin de vêtements dont elle assure, grâce à Dieu (dit-elle), la bonne tenue depuis 40 ans…

⇒ Le site d'Annie & The Caldwells.

Au cœur de Chicago
13 February 2025
Au cœur de Chicago

Lorsque l’on flâne dans une ville chargée d’histoire, certains édifices ravivent la mémoire, narrent des destinées, nourrissent notre savoir. Après New York et Los Angeles, Philippe Brossat nous présente les hauts lieux de Chicago. Ses déambulations au cœur du pôle économique et culturel de l’Illinois revitalisent un passé glorieux, celui des pionniers du jazz, du blues, du gospel, de la soul-music et même… de la house-music !

Paru aux éditions « Le Mot et Le Reste », son livre « Streets of Chicago » illumine des bâtisses, des rues et avenues, arpentées pendant des décennies par des hommes et des femmes, témoins et acteurs de « L’épopée des Musiques Noires ».

Il y a, certes, les natifs de Chicago, Quincy Jones ou Herbie Hancock, mais aussi tous ceux qui firent de Chicago La Mecque des musiques afro-américaines. Alors que le Sud ségrégationniste n’offrait aucun avenir aux artistes noirs considérés comme citoyens de seconde classe, les États du Nord proposaient une alternative à une vie de misère et d’humiliations quotidiennes. C’est ainsi que nombre d’instrumentistes originaires du Mississippi, du Tennessee ou de Louisiane trouvèrent à Chicago l’eldorado qu’ils espéraient. Le jeune Louis Armstrong se rendit, dès 1922, dans cette ville bouillonnante pour tenter d’entrer dans le grand orchestre de King Oliver. Il enregistrera quelques années plus tard plusieurs classiques historiques dans les studios du label Okeh Records à Chicago dont le fameux « Chicago breakdown ».

L’une des firmes discographiques légendaires de Chicago fut Chess Records. C’est dans les studios du 2120 Michigan Avenue que Willie Dixon, Chuck Berry, Little Walter, Muddy Waters ou Bo Diddley gravèrent leurs plus grands standards. Aucun d’eux n’était originaire de la « Windy City » mais ils contribuèrent largement à hisser Chicago au rang des capitales mondiales du blues. Le style « Chicago Blues » fut d’ailleurs insufflé par ces musiciens sudistes venus électrifier les cités industrielles du Nord. Cette migration sociale et musicale concerna des milliers d’artistes dont l’expressivité trouvait alors un écho plus retentissant.

La reine du gospel, Mahalia Jackson, née à la Nouvelle-Orléans en 1911, séjourna de longues années à Chicago. C’est dans cette ville qu’un hommage émouvant lui sera rendu en 1972, après sa disparition, en présence de Sammy Davis Jr et d’Aretha Franklin. Partenaire du pasteur Martin Luther King et femme de cœur, Mahalia Jackson a vécu les soubresauts parfois violents de la lutte pour les droits civiques au cœur des années 60. Chicago fut certainement l’un des pôles de friction entre communautés noires et blanches à cette époque. La tragique destinée du jeune Emmett Till fut le point de départ de la fronde contestataire du peuple noir américain. Le corps meurtri et méconnaissable de ce gamin de 14 ans, froidement assassiné dans une bourgade du Mississippi, fut exposé au « Roberts Temple » de Chicago, à la demande de sa propre mère, pour que l’opinion publique prenne conscience des horreurs du racisme institutionnalisé. La ville de Chicago, ce 3 septembre 1955, devint l’épicentre de la rébellion africaine-américaine.

Si les murs pouvaient parler, Chicago serait intarissable. Les cimetières sont des « panthéons du blues » dans cette ville du nord-est des États-Unis, comme aime à le répéter Philippe Brossat dans « Streets of Chicago ». Cheminer sur place, c’est se plonger dans l’Amérique noire. Chaque coin de rue narre une aventure humaine que le temps ne doit pas effacer.

► «Streets of Chicago», éditions Le Mot et Le Reste.

Les premiers enregistrements de Bob Marley
06 February 2025
Les premiers enregistrements de Bob Marley

Le 6 février 2025, l’illustre Bob Marley aurait célébré son 80ème anniversaire ! Si l’on connaît désormais par cœur ses nombreux succès, la préhistoire de sa légende musicale est toujours assez peu documentée et certaines zones d’ombre subsistent. Quels enregistrements, annonciateurs de sa flamboyante destinée, méritent d’être connus et réédités ? Quelles traces sonores identifient ses années de jeunesse ?

Bruno Blum, parfait connaisseur de l’œuvre complète du chanteur jamaïcain, a fait paraître, en coordination avec Roger Steffens et Leroy Jodie Pierson, une biographie discographique imposante intitulée Soul Revolution.

Lorsqu’il rencontre le producteur Chris Blackwell à l’aube des années 70, Bob Marley a déjà bâti un répertoire qui n’attend plus que l’exposition médiatique pour être reconnu à sa juste valeur. Des dizaines de compositions réalisées avec les Wailers depuis 1967 témoignent de l’émergence progressive d’un genre musical qui s’apprête à envahir la planète toute entière. Les tâtonnements des premières sessions d’enregistrement révèlent la lente transformation des idiomes locaux vers une universalité stylistique indéniable. Le Ska et le Rocksteady jamaïcains se développent. L’influence de la Soul-Music américaine est incontournable. Les ingrédients sont déjà là pour donner naissance à une nouvelle forme d’expression, le reggae.

Réunies à la fin des années 90 dans l’anthologie « The Complete Bob Marley & The Wailers – 1967/1972 », ces archives sonores, désormais commentées par Bruno Blum, Roger Steffens et Leroy Jodie Pierson aux éditions Frémeaux & Associés, nous donnent une lecture sociale et musicale de « L’épopée Bob Marley ». Si certaines chansons sont devenues, par la suite, des classiques comme « Kaya », « Concrete Jungle », « Natural Mystic » ou « Satisfy My Soul », il est plaisant d’entendre la rébellion naissante d’un jeune effronté qui défie déjà dans « Hypocrites » ou « Soul Rebel » les dérives institutionnelles de son époque. Bob Marley n’a pas 30 ans mais son engagement citoyen est réel et ses prises de position nourriront sa légende.

Dans une interview de décembre 1973, Bob Marley laisse parler son âme. Son éveil à la spiritualité semble dicter ses choix alors que sa notoriété grandissante percute ses convictions. Affronter le succès devient un défi. Il doit composer avec le monde réel, celui des compromis et des obligations mercantiles. Une transcription partielle de cet échange avec le journaliste de radio et de télévision jamaïcain, Neville Willoughby, est présentée dans le livre « Soul Revolution » de Messieurs Blum, Steffens et Pierson. Ce témoignage est certainement le marqueur d’une réflexion devenue adulte, celle d’un artiste confronté à son futur destin d’icône planétaire.

⇒ Bob Marley and The Wailers 1967-1972 - Soul Revolution chez Frémeaux Associés.

Le franc-parler de Madeleine Peyroux
30 January 2025
Le franc-parler de Madeleine Peyroux

La chanteuse américaine Madeleine Peyroux n’a jamais hésité à exprimer ses convictions, quitte à froisser les susceptibilités de ses interlocuteurs. Son dernier album Let’s Walk n’élude pas les enjeux sociaux de notre temps mais souligne notre capacité à résister et à avancer dans un quotidien semé d’embûches. À quelques jours d’une courte tournée française qui passera par Paris le 6 février 2025, la francophile Madeleine Peyroux nous fait part de ses états d’âme et nous invite à positiver.

Les épreuves de la vie nous poussent parfois à baisser les bras. À 50 ans, Madeleine Peyroux affiche la volonté farouche de célébrer la beauté que nous avons tous en nous. Il suffit juste de la déceler et de la nourrir d’intentions enthousiastes et sincères. En écoutant les histoires contées dans son nouveau disque, Let’s Walk, nous sommes subitement happés par cette humeur sereine qui nous enjoint à apprendre de nos doutes, renoncements et insatisfactions. Il est plus aisé de se plaindre que de se battre contre ses démons. Alors, « marchons », semble nous dire cette admirable interprète qui défie les soubresauts de notre XXIè siècle en rappelant insidieusement que la bonté et la solidarité ont plus de puissance fédératrice que la haine et la division.

Imaginé durant le confinement planétaire lié à la pandémie de Covid-19, le nouveau répertoire de Madeleine Peyroux fut aussi un écho poétique et musical à l’élan populaire contre le racisme et les discriminations devenu en 2020 le mouvement « Black Lives Matter ». Curieusement, cet appel à l’égalité et à la dignité humaine épousait les aspirations d’une autre âme sensible, la chanteuse afro-américaine Bessie Smith qui, 100 ans plus tôt, cherchait déjà la respectabilité dans une société ségrégationniste. Il n’est pas étonnant que Madeleine Peyroux, incontestable femme de convictions, continue de frissonner en entendant la voix redoutablement expressive de sa consœur. Certains décrèteront injustement que la peau blanche de Madeleine Peyroux lui a épargné les vicissitudes d’une existence tourmentée. Laissons ces commentateurs peu éclairés à leurs certitudes et à leurs élucubrations. La douleur d’une injustice n’a pas de couleur. Elle frappe indistinctement les hommes et femmes en souffrance.

Dans ces moments de déséquilibre existentiel, il faut qu’une main tendue vous redonne espoir. Madeleine Peyroux n’a pas oublié celui qui fut à ses côtés quand l’avenir s’assombrissait. Il s’appelait « Showman Dan », de son vrai nom, Daniel William Fitzgerald, un troubadour afro-américain né en 1933 dont le charisme et la joie de vivre furent le réconfort dont elle avait désespérément besoin. Elle lui rend d’ailleurs un vibrant hommage sur l’album Let’s Walk et à travers un clip vidéo très touchant. Madeleine Peyroux est aujourd’hui en paix avec elle-même et aborde son cinquantenaire avec quiétude et confiance. Elle nous le prouvera sur scène lors d’une majestueuse tournée européenne qui ne pourra qu’enchanter ses nombreux admirateurs et admiratrices.

⇒ Le site consacré à Madeleine Peyroux

⇒ Madeleine Peyroux au Casino de Paris en concert le 6 février 2025.

Vidéo

Rhoda Scott joue la parité
23 January 2025
Rhoda Scott joue la parité

La célèbre organiste américaine Rhoda Scott continue d’écumer les scènes internationales avec son « Lady Quartet » fondé il y a 20 ans au festival « Jazz à Vienne » en France. Un nouvel album, intitulé Ladies & Gentlemen, célèbre cet anniversaire en réunissant des complices masculins et féminins dont les indéniables talents d’interprètes vont certainement illuminer le concert du 7 février 2025 au Théâtre du Châtelet à Paris.

Tout au long de sa vie, Rhoda Scott a conservé cette intégrité artistique qui la hisse au rang des grandes figures de notre temps. Son répertoire, en quête perpétuelle de perfection et de diversité, n’a jamais répondu aux sirènes du mercantilisme exacerbé. C’est dans les « spirituals » que cette incroyable instrumentiste a d’abord inscrit son identité musicale mais ses oreilles ont su capter l’air du temps et donner de la profondeur à ses valeureuses interprétations. Ladies & Gentlemen est le fruit de cet éclectisme maîtrisé qui revitalise, avec la même pertinence, un standard jazz des années 1920 comme « Stardust » ou un classique afrobeat comme « Lady ». De Nat King Cole à Fela Anikulapo Kuti, le paysage sonore dans lequel évolue aujourd’hui Rhoda Scott est multicolore.

Trois maestros de l’art vocal ont été conviés en studio pour, tour à tour, magnifier cette audace stylistique et insuffler une part de leur sensibilité artistique. Hugh Coltman, David Linx et Emmanuel Pi Djob, ont certes des origines différentes mais la source de leur créativité invite à la communion. L’un est Britannique, l’autre est Belge, le troisième est Camerounais mais qu’importe les racines géographiques, la musique les rapproche et nous offre une lecture éclectique du patrimoine afro-planétaire. Soutenus par le swing de trois ladies, Sophie Alour (saxophone ténor), Lisa Cat-Berro (saxophone alto) et Julie Saury (batterie), les trois stentors n’ont plus qu’à se laisser porter par la délicatesse des arrangements et les harmonies organistiques de leur hôte, l’illustre Rhoda Scott.

La France peut  se féliciter d’avoir accueilli, dès 1968, la virtuosité de cette artiste fidèle à ses convictions, ses valeurs, ses choix artistiques. Elle recevra d’ailleurs, le 2 février 2025 à Meudon, près de Paris, un prix « In Honorem » pour l’ensemble de sa carrière, décerné par la prestigieuse Académie Charles Cros qui, depuis 1947, fait scintiller la vivacité de la production discographique en France.

Le 7 février 2025, la ministre de la Culture Rachida Dati lui remettra la Légion d’honneur, une très haute distinction de l’État français pour services éminents rendus à la nation.

Académie Charles Cros

Rhoda Scott

Rhoda Scott au Théâtre du Châtelet à Paris (programmation).

Hommage à Sam Moore
16 January 2025
Hommage à Sam Moore

Le chanteur américain de Soul-Music, Sam Moore, nous a quittés le 10 janvier 2025 à l’âge de 89 ans. Outre ses prouesses vocales fort expressives, cette grande figure de « L’épopée des Musiques Noires » tint sa notoriété d’un duo historique qu’il forma avec un autre formidable interprète, Dave Prater, avec lequel il brilla sur les scènes internationales, dès les années 60. « Sam & Dave » devinrent les icônes du label Stax Records et propulsèrent des classiques comme « Soul Man », « Hold on I’m coming » ou « I thank you » au sommet des hit-parades.

La ferveur populaire qui accompagnera le succès de ces jeunes gens pleins de talent épousera le contexte social d’une Amérique alors embourbée dans ses contradictions. Nous sommes au beau milieu du mouvement des droits civiques emmené par le pasteur Martin Luther King. La fronde de la communauté noire trouve un écho dans le répertoire des artistes en vogue. Sam Moore n’a qu’une petite trentaine d’années et prend progressivement conscience que le divertissement peut aussi avoir une dimension politique et citoyenne. Il comprend qu’une chanson peut avoir un impact sur la conscience collective. D’abord considérées comme des bluettes inoffensives, les œuvres de « Sam & Dave » traduiront un élan d’espérance et un indéniable désir d’unité. « Lorsque vous écoutez notre titre « Soul Man », vous entendez du jazz, du gospel, du blues, de la country, et surtout, vous entendez ces mots : « I’m a soul man ». Immédiatement, vous vous rassemblez, vous dansez tous ensemble, vous vous donnez la main, que vous soyez noirs ou blancs, cela importe peu. Côte à côte, vous pouvez chanter : « I’m a soul man ». Donc oui, il y a un message, et nous le chantions : « I’m a soul man, you’re a soul man, they’re soul men » - « Je suis, tu es, ils sont des soul men ». Je ne le chantais pas pour une partie de la population mais pour tous, et regardez, des décennies plus tard, cette chanson a toujours du sens, chacun de nous se reconnaît dans « Soul Man », n’est-ce pas merveilleux ? ». (Sam Moore au micro de Joe Farmer)

L’exaltation née d’un espoir de fraternité universelle se fracassera malheureusement sur la violence endémique d’une nation profondément raciste. L’assassinat du Pasteur King, le 4 avril 1968, fut un choc pour nombre de progressistes américains effarés par tant d’injustice et d’impunité. Sam Moore commença alors à douter du bien fondé de la posture non-violente prônée par son héros. « Vous devez comprendre qu’à cette époque, Stokely Carmichael, H. Rap Brown, Malcolm X, laissaient entendre que Martin Luther King était un lâche, qu’il faisait des courbettes pour obtenir des droits, qu’il suppliait le Blanc de nous octroyer l’égalité raciale. Ce furent des propos très violents au point qu’à l’époque, je me disais : « C’est vrai, je ne veux plus tendre l’autre joue, je ne veux plus subir les canons à eau, les assauts des chiens policiers ! Désormais, si on me frappe la joue droite, je répondrai en frappant la joue gauche ! » Je devenais plus radical, j’écoutais les thèses d’Elijah Muhammad, j’allais à ses conférences, c’était un peu la confusion dans ma tête… Je ne savais plus qui croire ou qui écouter. Mais quand Martin Luther King a été assassiné, soudain j’ai réalisé que son message n’avait pas été aussi médiocre qu’on avait pu le dire. Ce que j’essaye de vous dire, c’est que le « Sam Moore » de l’époque était un peu perdu… ». (Sam Moore sur RFI en 2004)

À l’aube des années 70, Sam Moore peine à trouver un sens à son engagement artistique. Les années passent et les relations conflictuelles avec son entourage entament son enthousiasme et sa clairvoyance. La tension monte avec son alter ego, Dave Prater, et la cohésion du duo se craquelle. En 1981, « Sam & Dave » se séparent dans la douleur et ne se produiront plus jamais sur scène ensemble. Sam Moore doit, de surcroît, faire face à un autre obstacle de taille, son addiction à l’héroïne. Ce n’est qu’en 1986 que son nom rejaillit. Il enregistre avec le rockeur new-yorkais Lou Reed une nouvelle version de « Soul Man ». Le public a changé. La jeune génération découvre cette voix échappée des sixties et se laisse griser par sa musicalité surannée. Petit à petit, Sam Moore retrouve la foi, l’envie de chanter, d’enregistrer et de côtoyer ses contemporains. La disparition brutale de son ancien partenaire, Dave Prater, le 9 avril 1988, enterre définitivement les intentions mercantiles de voir le duo se reformer. Sam Moore doit à présent exister par lui-même. Il multiplie alors les prestations et se retrouve invité à participer au film « Blues Brothers 2000 ». Cette apparition à l’écran le hisse subitement au rang d’icône de la Soul originelle.

Au XXIè siècle, Sam Moore devient le patriarche que l’on célèbre. Bruce Springsteen ne manquera d’ailleurs pas de lui rendre un vibrant hommage en le conviant sur la scène du Madison Square Garden de New York en 2009 pour interpréter à ses côtés ses imparables ritournelles d’antan. Cette amicale complicité artistique tranchera singulièrement avec une prise de position inattendue du vieillissant chanteur afro-américain. En 2017, Sam Moore décide, en effet, de soutenir la candidature de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Avait-il été déçu par les deux mandats de Barack Obama ? Considérait-il que l’évolution de la société américaine ne nourrissait plus ses espoirs ? Ce choix politique fort commenté à l’époque trahissait peut-être les doutes et tergiversations d’un homme tourmenté, bousculé par les soubresauts d’une vie tumultueuse et incertaine. Quelles que furent ses réelles convictions, son statut de pionnier résistera à l’érosion du temps car il s’inscrit dans l’histoire indélébile des musiques noires américaines.

Facebook de Sam Moore.

Six cordes et des milliers d’histoires
09 January 2025
Six cordes et des milliers d’histoires

Dans le récit épique des musiques populaires afro-planétaires, les guitaristes tiennent une place de choix. Souvent au-devant de la scène, ils sont les virtuoses que l’on acclame et que l’on vénère. Ils développent tous un style propre qui les distingue de leurs homologues. Outre le talent, le choix de l’instrument est primordial. Une guitare « Dobro » n’a certainement pas le même son qu’une « Gibson Flying V ». Elle ne raconte pas non plus la même histoire. Elle identifie une époque, un genre musical, une personnalité. Dans son dernier ouvrage, Guitares d’exception (Gründ Editions), Julien Bitoun s’est penché sur ces différences notables qui narrent une épopée centenaire.

Le guitariste universel dont on ne cesse d’analyser le jeu flamboyant depuis des décennies n’est autre que Jimi Hendrix. La hardiesse avec laquelle il bouscula la sonorité de sa « Fender Stratocaster » restera longtemps dans les mémoires. Cette tonalité révolutionnaire fut, certes, popularisée par un virtuose absolu, mais n’oublions pas l’outil, le vecteur de transmission de cette folie créative. Il faut alors se poser la question essentielle : est-ce la guitare qui identifie un artiste ou est-ce l’instrumentiste qui fait scintiller une guitare ? Il faut croire que la réponse à cette légitime interrogation conservera longtemps sa part d’ambiguïté car, dès le début du XXe siècle, les premiers bluesmen adoptaient une posture qui les distinguait de leurs contemporains. Se servaient-ils de leur guitare pour se faire entendre ? Pour se faire respecter ? Pour avoir un statut social dans une Amérique ségrégationniste ? La guitare n’était peut-être pas qu’un passe-temps ludique. Elle offrait à ces valeureux compositeurs afro-américains un moyen d’exprimer leur frustration, leur quotidien miséreux, leur aspiration à la liberté et à l’égalité.

Progressivement, les techniques, les formes, les musicalités des guitares, donneront du crédit et une visibilité à leurs utilisateurs. Chet Atkins ou Sister Rosetta Tharpe, par exemple, deux artistes très distincts, ont marqué leur époque, leur style et leur patrimoine grâce à l’emploi inventif qu’ils faisaient respectivement de leur guitare, « Gretsch » et « Les Paul ». L’intention artistique était radicalement différente. Le choix de l’électrique ou de l’acoustique, les évolutions drastiques des goûts du public, l’apparition de nouveaux courants musicaux, l’exigence de la perfection, tous ces éléments accéléreront la mise sur le marché de nouveaux modèles toujours plus sophistiqués.

Et pourtant, la passion pour l’authenticité artisanale l’emportera parfois sur l’innovation et la performance. Nombre de « guitar heroes » préfèreront s’emparer d’une vieille « Martin D-28 » de 1938 pour retrouver l’humeur originelle de la country music. Bob Dylan fut, par exemple, très friand de ces antiquités devenues, aujourd’hui, très onéreuses. Il y a donc mille raisons de posséder une guitare : le désir de jouer avec l’histoire, de s’affirmer en tant qu’artiste, de parader, de faire sensation ou de séduire son entourage… En parcourant le livre de Julien Bitoun, Guitares d’exception (Gründ Editions), les guitaristes en herbe, comme les plus aguerris, pourront user jusqu’à la corde leurs connaissances encyclopédiques.

À la source du Rock'n'roll
02 January 2025
À la source du Rock'n'roll

Le rock est-il l’émanation de la culture africaine-américaine ? Cette sempiternelle interrogation a été tranchée maintes fois depuis des décennies. Pourtant, un ajustement du récit historique n’est jamais vain. Bruno Blum, auteur, dessinateur, guitariste, producteur, conférencier, est le concepteur d’un Dictionnaire chronologique du rock, un coffret de 4CDs qui bouscule les idées reçues et scrute avec acuité les évolutions stylistiques d’une forme d’expression dite révolutionnaire.

Longtemps, le rock’n’roll fut incarné par la flamboyance du « King », Elvis Presley. Cette facile représentation historique est aujourd’hui amendée par une meilleure connaissance des réalités américaines. Nul ne peut contester qu’un choc culturel eut lieu à l’aube des années 1950 quand le blues et la country-music dessinèrent les contours d’un vocabulaire sonore fédérateur et populaire. Le contexte social d’alors fut pourtant l’un des obstacles majeurs au vœu d’universalité du rock’n’roll. Comment pouvait-on accepter, dans une Amérique ségrégationniste, qu’un jeune chanteur blanc puisse interpréter des airs inspirés du répertoire noir ? C’est pourtant cette audace qui bouscula le conservatisme bien-pensant d’antan.

Certes, il fallut batailler ferme pour que les Chuck Berry, Little Richard, Bo Diddley, Fats Domino, soient reconnus, considérés, respectés, par l’ensemble des citoyens américains. Si la jeunesse semblait accepter et encourager cette poussée de fièvre inéluctable, le monde des adultes regardait d’un très mauvais œil cette irruption de trublions dont les danses dites « tribales » les indisposaient sérieusement. Nul ne pouvait cependant contrer cette aspiration à un épanouissement artistique total. Deux visions de la société américaine s’opposaient, deux reflets contradictoires qui interdisaient l’unité d’une nation autour de valeurs humaines indiscutables. Le racisme résistait depuis des siècles aux élans progressistes d’orateurs courageux, il était donc impensable, pour les plus radicaux, que la stabilité sociale et le mode de pensée réactionnaire percutent l’outrecuidante ferveur de quelques hurluberlus.

Le rock’n’roll ne fut pas qu’un des nombreux soubresauts du XXe siècle aux États-Unis. Il modifia profondément la physionomie de la nation américaine et, par ricochet, fit avancer à l’échelle planétaire l’esprit de concorde et de communion. Plus qu’un genre musical, c’est une attitude, un esprit, des convictions qui animaient tous ces musiciens devenus des icônes. Dans son Dictionnaire chronologique du rock (Frémeaux & Associés), Bruno Blum ose même citer Ray Charles, Aretha Franklin et Bob Marley, parmi les promoteurs essentiels du rock. Il est vrai que tous ces piliers de L’épopée des Musiques Noires avaient en eux cette volonté farouche de rassembler plutôt que de diviser. Leur musicalité s’inscrivait dans la lente évolution des matrices idiomatiques africaines et européennes. Ce rappel utile prend une signification toute particulière quand le repli sur soi semble défier notre quotidien.

► Le Dictionnaire chronologique du rock, paru chez Frémeaux & Associés.

Quelques bons souvenirs de 2024
26 December 2024
Quelques bons souvenirs de 2024

Ces douze derniers mois ont souvent été bousculés par une actualité trépidante. La musique a, une fois de plus, permis d’apaiser nos esprits, tourmentés par le tourbillon des événements mondiaux. Dans L’épopée, nous avons accueilli de nombreux artistes bien décidés à susciter la concorde entre les peuples à travers des mots choisis et des notes inspirantes. Toutes les générations ont pu s’exprimer en toute liberté.

L’année 2024 débuta avec un anniversaire… Un club de jazz historique, le Baiser Salé, fêtait ses 40 ans en présence de nombreux artistes dont Angélique Kidjo. La célèbre chanteuse béninoise était heureuse de se remémorer, sur notre antenne, ses premiers pas sur cette petite scène qui vit défiler, au fil des décennies, de nombreux jeunes talents devenus par la suite de véritables personnalités. Aux côtés de Maria Rodriguez, programmatrice de ce haut lieu multiculturel parisien, elle prit le temps de raviver notre mémoire. Angélique Kidjo est aujourd’hui une reine de l’art vocal, mais n’oublie pas les personnes qui ont accompagné son développement artistique.

Sa consœur, Lizz Wright, a pleinement conscience de l’absolue nécessité de célébrer le passé. Invitée en octobre 2024 sur nos ondes pour présenter son dernier album intitulé Shadow, la gracieuse chanteuse américaine nous fit quelques confidences sur son enfance et les enseignements qu’elle en tira : « Ma grand-mère, Martha, avait l'habitude d’aller prier au pied d’un arbre près de sa maison. C’est une image dont je me souviendrai longtemps. Mon père me racontait beaucoup d’histoires à ce sujet. Il y a dans le sud des États-Unis des contes et légendes qui entretiennent le mythe des ancêtres, qui décrivent le vent qui souffle, la pluie qui tombe, la nature qui s’épanouit. Je comprends aujourd’hui que ma grand-mère me montrait la voie à suivre et me faisait prendre conscience de la dureté de ce monde troublé. Elle m’a donné le courage de revendiquer ma place sur cette planète sans attendre que quelqu’un ne me l’octroie. Je veux être responsable de l’amour que je donne et ne pas être un étranger pour autrui. Voilà les belles valeurs que ma grand-mère m’a transmises. » (Lizz Wright sur RFI)

Il y a mille façons d’honorer nos aînés… Les écouter se raconter est une indéniable marque de respect. Lorsque le bluesman Bobby Rush (91 ans) nous accorda une rare interview en mars dernier, nous ne pouvions que boire ses paroles et savourer le plaisir d’entendre ce fringant nonagénaire évoquer les soubresauts, parfois pénibles, de sa destinée : « Je me souviens que, durant mes concerts dans le sud, je mettais mon autobus de tournée à disposition des marcheurs pour qu’ils puissent se rendre sans danger dans les bureaux de vote. En 1963, j’ai fait de même à Chicago, car les autorités s’étaient arrangées pour qu’aucune voiture appartenant à un Noir ne puisse se garer dans les quartiers réservés aux Blancs. J’ai cherché à contourner cet interdit, mais quelqu’un a mis le feu à mon bus. Je suis allé porter plainte au commissariat du coin et l’agent de police m’a carrément jeté dehors. Il m’a traité de "nègre" et m’a dit de rentrer chez moi. Mon fils était à mes côtés… Imaginez sa frayeur ! Aujourd’hui, on ne vous crache pas ouvertement à la figure, mais on vous dénie votre statut social. C’est aussi brutal psychologiquement. Par exemple, je n’ai toujours pas l’opportunité de me produire où je veux alors qu’un musicien blanc est accueilli avec les honneurs où que ce soit. Les artistes blancs gagnent beaucoup plus d’argent que les artistes noirs. Et je ne fais pas exception à la règle. Il nous reste notre modeste notoriété. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. L’Amérique a changé, mais certaines attitudes sont restées les mêmes ». (Bobby Rush, le 07 mars 2024)

Le blues est certainement l’une des formes d’expression matrices de L’épopée des Musiques Noires. Il porte l’héritage africain de la culture mondiale. Tous les musiciens venus s’exprimer en 2024 sur nos ondes ont fait référence à ce patrimoine séculaire qui nourrit leur inspiration. Le jeune Jontavious Willis (28 ans) sait d’où il vient et ses œuvres sont l’écho révérencieux de traditions qu’il veut préserver. Seul, sa guitare à la main, il perpétue le message de ses aïeux et restitue l’esprit de la Géorgie, sa terre natale dans le sud des États-Unis. Son dernier album en date, West Georgia Blues, devrait être salué unanimement en 2025.

Les musiques africaines-américaines ont influencé de nombreux instrumentistes à travers la planète. En Angleterre, au cœur des années 60, quelques jeunes virtuoses inspirés avaient choisi de revitaliser le répertoire de leurs cousins d’Amérique. Le chanteur Ian Gillan, pilier du groupe Deep Purple, reconnaît humblement avoir été profondément marqué par le blues, le jazz et la soul-music, entendus durant sa prime jeunesse. Il accepta d’ailleurs, en juillet dernier, de nous faire part de son goût immodéré pour les archives sonores conservées outre-Atlantique : « N’oublions pas que cette musique est née dans le delta du Mississippi, puis est remontée vers Kansas City, Saint-Louis et enfin Chicago. En suivant ce long voyage temporel et géographique, vous pouvez ressentir l’évolution du blues. C'est ce que j'appelle le blues authentique. D’ailleurs, les ritournelles composées à l’époque sont des petits bijoux qui racontent l’histoire du peuple noir. Sur notre dernier album, vous remarquerez peut-être la chanson 'A bit on the side', c’est un titre très puissant dans lequel la section basse-batterie est imposante, mais si vous tendez l’oreille, vous entendrez une allusion au titre 'Parchman Farm' de Mose Allison. Curieusement, cela m’est revenu à l’esprit, car cette mélodie fait partie de mes années de jeunesse quand j’étais en plein apprentissage musical. Je me souviens de ces paroles très intenses que j’avais apprises par cœur. Au moment de l’enregistrement, je me disais : "D’où viennent ces mots qui me trottent dans la tête ?". Ils étaient juste dans ma mémoire lointaine. Je pense donc avoir une préférence pour le blues des origines et même, le jazz des origines, celui des années 20 qui est beaucoup plus attractif que le be-bop des années 40. Il y a dans ces musiques une tonalité encore immature, presque adolescente, c’est l’expression naturelle d’un vécu souvent douloureux. Dans ce répertoire d’un autre temps, on évoque les troubles sociaux, les abus de pouvoir. Il faut d’ailleurs savoir déceler le message transmis par tous ces artistes afro-américains d’autrefois, car il y avait souvent une double signification. Si vous n’y prêtez pas attention, vous passerez à côté des messages que véhiculaient ces chansons. Les artistes noirs utilisaient des codes pour pouvoir exprimer leur mal-être sans que les Blancs ne s’en rendent compte. Tous ces gens étaient traités comme des animaux. Ce sentiment de désespoir a survécu à travers la musique et s’est retrouvé dans le blues de Chicago. Il est, certes, devenu plus commercial au fil du temps, mais le message d’origine est resté vivace, grâce notamment à B.B King et, bien entendu, Muddy Waters ». (Ian Gillan au micro de Joe Farmer)

L’année 2024 nous a permis de converser avec des interlocuteurs passionnants. Impossible de résumer douze mois d’échange et de partage enrichissants. Notons tout de même l’engagement individuel de toutes ces âmes sensibles capables d’insuffler un élan de communion irrésistible et salutaire en ces temps de divisions insensées.

Gageons que 2025 nous apportera ce réconfort musical que nous appelons tous de nos vœux. Nous y veillerons !

Jazz Magazine a 70 ans !
19 December 2024
Jazz Magazine a 70 ans !

Né en décembre 1954, le mensuel Jazz Magazine est devenu la référence historique des musiques héritées de la culture afro-américaine. Depuis sa naissance, il y a 70 ans, les équipes ont évolué, les goûts des lecteurs se sont affinés, la diversité des couleurs sonores s’est affirmée, mais la rédaction a conservé ce désir d’être l’écho et, parfois, le prescripteur du temps présent. Édouard Rencker, actuel chef d’orchestre de ce « Big Band » de journalistes avertis, n’est pas peu fier de célébrer cet anniversaire malgré les tourments d’une longévité éprouvante. À ses côtés, le guitariste et chanteur malien, Pedro Kouyaté, soutenu par Jazz Magazine, nous donne sa définition libre du mot « jazz ».

Lorsque Jazz Magazine voit le jour, la France s’est dotée d’un nouveau président, René Coty, élu par le Parlement car le suffrage universel n’existe pas encore dans cette IVe république en quête d’un second souffle. Les années d’après-guerre sont celles de la reconstruction. Les Français ont soif de vivre et s’enthousiasment pour les grandes figures du jazz d’alors. Sidney Bechet est la vedette du moment et remplit sans effort l’Olympia à Paris. Il devient impératif de se faire l’écho de l’engouement populaire pour le swing de ces musiciens aguerris. Nicole Barclay, épouse du grand producteur Eddie Barclay, imagine un magazine mensuel capable de refléter l’air du temps. Ce sera le début d’une aventure journalistique palpitante qui traversera sept décennies durant lesquelles les styles, les créateurs, les disparitions, les innovations, susciteront des milliers d’articles, de dossiers thématiques, d’enquêtes et de reportages photographiques passionnants.

Certes, les soubresauts du jazz inciteront les différentes rédactions à, perpétuellement, se remettre en question, mais l’envie de se faire l’écho du moment présent résistera à l’érosion du temps. Le duo Franck Tenot/Daniel Filipacchi veillera longtemps à la bonne tenue de cet organe de presse spécialisé qui s’engagera sincèrement dans la défense de toutes les formes de swing. Véritable miroir de l’agitation sociale et culturelle des XXe et XXIe siècles, Jazz Magazine est toujours resté à l’écoute des musiciens, qu’ils soient traditionalistes ou avant-gardistes. Observer, commenter, recommander, les différentes rédactions ont maintenu vaillamment la flamme vitale du narrateur. De Jean-Louis Ginibre à Philippe Carles, et aujourd’hui Frédéric Goaty, l’exigence des rédacteurs en chef fut incontestable et nécessaire.

Depuis dix ans, Édouard Rencker est l’heureux directeur de la publication de ce magazine historique. Il a pleinement conscience que ce patrimoine légué par ses aînés lui impose d’être vigilant pour que la marque « Jazz Magazine » lui survive. Les choix éditoriaux sont cruciaux pour assurer sur le long terme le frêle et indispensable équilibre économique dont ses équipes ont besoin. Alors, inlassablement, il vante les mérites d’un mensuel référent. Des concerts, estampillés « Jazz Magazine », exposent désormais les instrumentistes auxquels la rédaction croit sincèrement. Pedro Kouyaté, guitariste, conteur, poète malien et gardien des traditions africaines ancestrales, peut s’enorgueillir d’être soutenu par cette rédaction attentive. Son album, Following, comme ses récentes prestations, ont reçu le sceau « Jazz Magazine ». Cette marque de confiance lui permet de briller davantage dans le feu des projecteurs et rappelle insidieusement aux lecteurs du journal que la diversité et l’ouverture d’esprit ont toujours été les piliers de cette épopée durant laquelle, depuis 70 ans, d’indécrottables passionnés de jazz ont réussi l’exploit de nous captiver.

Site internet Jazz Magazine | Site internet Pedro Kouyaté