SOS pour les réfugiés soudanais au Tchad. Le 15 avril, à la conférence de Paris, la communauté internationale s'est engagée à verser plus de deux milliards d'euros d'aide humanitaire pour les civils soudanais en détresse. Mais tout l'argent promis n'a pas été décaissé. Et la poursuite de la guerre civile provoque une nouvelle vague de réfugiés. Ils sont à présent plus de 900.000 dans l'est du Tchad, notamment dans la province du Ouaddaï. Charles Bouessel est l'analyste de l'ONG International Crisis Group pour l'Afrique centrale. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Déjà en 2003, plus de 400 000 personnes qui fuyaient les exactions des Janjawid s'étaient réfugiés au Tchad. Et la plupart y sont toujours. Donc les populations locales ont une tradition d'accueil, mais là, est-ce que les Ouaddaïens ne risquent pas de dire 400 000 + 900 000, ça suffit ?
Charles Bouessel : Absolument. On a pu voir justement, pendant cette crise précédente des réfugiés, quels risques l'on pourrait affronter pour cette actuelle crise, puisque on est dans un contexte à peu près similaire, mais, avec une ampleur bien supérieure. À l'époque déjà, on avait vu, au fur et à mesure de l'arrivée de ces réfugiés et rapatriés tchadiens, une augmentation des discours xénophobes. Les habitants de la région, même s'il faut saluer leur sens de l'accueil, assez impressionnant hein, parce qu'on parle quand même d'une augmentation de 50% de la population en quelques mois, ce qui est absolument considérable et difficile à concevoir. Mais, malgré cela, voilà, on avait vu quand même le développement de violences sur les réfugiés, notamment sur ceux qui partaient chercher du bois aux abords des camps et qui se faisaient agresser. On voit ce genre d'agression se répéter aujourd'hui.
Et là, ce sont souvent les femmes ?
Absolument. Les femmes sont vraiment les premières personnes visées, d'abord parce que les femmes et les enfants constituent 89% des arrivées depuis le Soudan. Et parce que les femmes sont souvent chargées d'aller collecter ce bois pour la cuisine à l'extérieur des camps, donc c'est un moment où elles sont particulièrement vulnérables. On a énormément justement de violences basées sur le genre, d'agressions sexuelles, et cetera.
En ville, on entend aussi donc des discours de populations locales qui accusent les réfugiés de faire monter les prix de la nourriture, les prix des loyers et, encore une fois, je salue donc les capacités d'accueil de cette région, parce que ces violences sont encore très très limitées. Mais si la situation continue de se dégrader, on risque d'avoir une augmentation de ce genre d'agression entre nouveaux arrivants et populations locales.
Et comme il y a 20 ans, du temps des Janjawid, les Soudanais qui se réfugient actuellement au Tchad appartiennent à des communautés non arabes qui fuient des groupes armés à dominante arabe, notamment les Forces de Soutien Rapide, FSR, du général Émedti. Est-ce que, du coup, il ne faut pas craindre une montée d'un sentiment anti arabe dans le Ouaddaï et dans tout l'est du Tchad ?
Absolument. On a ces angoisses identitaires qui existaient déjà et qui aujourd'hui sont renforcées par des réfugiés qui arrivent et qui sont, il faut le dire, traumatisés par ce qu'ils ont vécu au Darfour, notamment les communautés Massalit de la ville de El-Geneina où, selon Human Rights Watch, un nettoyage ethnique a été commis. Les récits que l'on entend de ces réfugiés sont abominables : tortures, violences sexuelles, exécutions sommaires, pillages. Et donc, le ressentiment communautaire de ces populations s'ajoute à celui qui préexistait dans la région et pourrait mener à des nouvelles vagues de violences communautaires.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement soudanais du général al-Burhan accuse publiquement le Tchad de servir de plateforme logistique aux Émirats arabes unis, qui soutiennent les Forces de Soutien Rapide du général Emedty. Le Tchad dément catégoriquement, quelle est votre analyse ?
Alors oui, le groupe d'experts des Nations-Unies sur le Soudan a sans doute été le premier à évoquer une sorte de pont aérien qui a été mis en place par les Émirats arabes unis pour livrer des armes aux Forces de Soutien Rapide depuis le Tchad. Donc ce n'est pas le Tchad qui livre des armes, ce sont les Émirats arabes unis qui utilisent le territoire tchadien a priori, selon le rapport des Nations-Unies. Il suffit aussi d'aller regarder sur des sites Internet de tracking d'avions pour effectivement voir beaucoup d'avions cargo qui atterrissent soit à N'Djamena, soit à Amdjarass.
Et qui coupent leurs transpondeurs ?
Et qui coupent leurs transpondeurs effectivement.
Pour ne pas être tracés ?
Exactement. Cet accord avec les Émirats, en fait, est intervenu à un moment où le gouvernement tchadien avait un besoin important, voir cruel, d'argent, notamment parce que le nouveau président devait renforcer, asseoir son pouvoir. Et donc tout ça coûte très cher. Et les Émirats lui ont octroyé, au moment où ce pont aérien a démarré, un prêt de 1,5 milliards de dollars, qui est l'équivalent de 80% du budget de l'État tchadien. Et donc, il est peu probable que le soutien des Émirats depuis le territoire tchadien aux FSR cesse, parce que le Tchad a toujours besoin de cet argent et que les Émirats ont depuis réoctroyé d'autres prêts. Alors ce soutien, il est aussi très risqué pour le régime tchadien parce qu'il crée des tensions en interne, notamment à l'intérieur de l'armée, puisque certaines communautés dans l'armée sont plutôt en faveur du camp opposé aux FSR, le camp d'al-Burhan et notamment les milices associées. Les milices du Darfour sont associées à ce camp d'al-Burhan et on a vu que ces tensions ont déjà mené à une série d’incidents. Et le Tchad devrait aussi considérer les risques que fait peser cette politique sur sa stabilité intérieure. Donc si El Facher tombe aux mains des FSR, d'abord, à court terme, on peut craindre une vague de massacres et de pillages similaires à celle qui s'est déroulée à El-Geneina l'année dernière. Et cela pourrait faire exploser les tensions communautaires.
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