Au Gabon, nous sommes à J-2 avant le référendum constitutionnel prévu samedi 16 novembre. Les partisans du « oui » et du « non » ont labouré le terrain depuis près de dix jours pour tenter de convaincre les électeurs de voter pour leur point de vue. Le Premier ministre et coordinateur national de la campagne pour le « oui » est le Grand invité Afrique de ce matin. Raymond Ndong Sima explique pourquoi les Gabonais devraient voter « oui » dans deux jours et tente de rassurer les tenants du « non ». Il répond aux questions de Esdras Ndikumana.
RFI: Raymond Ndong Sima, pourquoi, selon vous, cette Constitution est-elle bonne pour le Gabon ?
Raymond Ndong Sima : En premier lieu, nous sommes dans une situation transitoire depuis maintenant 14 mois et qu'il faut bien sortir de la transition pour aller vers une situation normale. Or, je rappelle que la Constitution qui est en vigueur, lorsque les militaires prennent le pouvoir le 30 août [2023, NDLR], est une Constitution de 2023 qui comportait un ensemble d'anomalies, pour ne pas dire d'infamies, comme on a pu le voir à l'occasion des élections où le président de la République était maintenant candidat en ticket avec chacun des députés. Donc, oui, c'est une Constitution qui est bonne, il faut bien en sortir.
Quelles avancées portent-elles ?
Les avancées, il y en a un certain nombre. Certaines concernent directement les précisions qui ont été apportées sur les conditions à remplir par les différents candidats. D'autres portent sur l'organisation du pouvoir lui-même en tant qu'architecture générale de l’État. Je pense qu’il y a un certain nombre de points que les spécialistes ont énumérés. Si on les prenait un à un, on verrait exactement à quoi ça correspond.
L'une des dispositions les plus controversées de ce projet de Constitution est celle qui instaure un régime présidentiel jugé très fort. Les partisans du « non » parlent de l'intronisation d'un monarque au pouvoir. Quelle est votre réaction ?
Je suis mal à l'aise sur ce point précis pour la raison très simple que je suis Premier ministre en fonction et que ce point-là, précisément, conduit à la suppression du poste de Premier ministre. Mais vous savez, on ne discute pas des affaires de l'État pour son compte personnel. On en discute dans le sens de l'intérêt général. Je rappelle que deux de mes anciens prédécesseurs à la fonction du Premier ministre ont indiqué que, pour eux, il fallait supprimer la fonction de Premier ministre parce que celui-ci avait des pouvoirs fictifs, donc il valait mieux établir une clarté dans la liaison entre les pouvoirs décrits et les pouvoirs exercés. Donc, dès lors que le plus gros des personnes qui sont concernées se prononcent en faveur de quelque chose, je ne vois pas pourquoi je m'y opposerai.
Mais sur la question précise de l'intronisation d'un monarque au Gabon, qu'est-ce que vous répondez ?
Je voudrais bien qu'on me montre ce qu'on appelle le monarque intronisé. Lorsque l'on prend les dispositions de la Constitution qui était jusque-là, nous avions un président de la République qui définissait la politique de la Nation et un Premier ministre qui conduisait cette politique. Mais, en pratique, nous avions un président de la République qui était président du Conseil supérieur de la magistrature – ce n'est pas une nouveauté –, nous avions un président de la République qui avait à son actif la possibilité de nommer un Premier ministre et de le révoquer – admettons –, ce n'est pas une nouveauté. Quelle est aujourd'hui la différence avec ce qui se passait ? Je vois qu'il n'y a pas de très grande différence. Je pense qu’on est en train de faire des jeux de mots, mais la réalité est que le président de la République disposait déjà de tous les pouvoirs qu'il a aujourd'hui et qu'on clarifie purement et simplement.
Le président peut par exemple dissoudre l'Assemblée, mais le Parlement n'a que la haute trahison comme moyen de pression contre lui. Est-ce que ce déséquilibre des pouvoirs n'est pas dommageable ?
Écoutez, tous les cas de figure sont dommageables. On peut imaginer que telles situations soient dommageables. Moi, j'ai indiqué - si vous m'avez écouté dans mes interventions dans la campagne - clairement que nous sommes dans un cas de figure où il faut prendre une décision à un moment donné. Nous verrons bien, dans la pratique, si ça pose des problèmes, comment on fait pour revenir dessus. En effet, on peut avoir le sentiment que le président disposant de la possibilité de dissoudre d'un côté et le Parlement n'ayant pas la possibilité de le destituer de l'autre, ça crée un déséquilibre, c'est une possibilité. Est-ce que pour autant on a un monarque ? Je ne sais pas.
Alors, pour soutenir le choix pour le « non », les partisans du rejet regrettent la concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l'État. La justice, par exemple, va rester sous son contrôle. Que leur répondez-vous ?
Vous savez, le processus qui a été conduit pour arriver au point où nous sommes, on l'a lancé en octobre 2023 en demandant aux uns et aux autres d'apporter des contributions sur le diagnostic de la situation du pays et sur les solutions qu'ils proposaient pour corriger les déséquilibres qui apparaissaient. Je rappelle que ce processus, qui s'est déroulé pendant deux mois, a été suivi ensuite d'un dialogue national. Je pense que les arguments qu'ils invoquent maintenant, ils auraient dû les présenter au moment du dialogue national.
Et contre le fait que c'est, au final, le président Brice Oligui Nguema qui a choisi les éléments qui devaient rentrer dans la Constitution.
En fait, à qui faites-vous allusion quand vous dites les adversaires de cette...
Ceux qui prônent le « non ».
J'entends beaucoup de critiques et cetera, mais je rappelle qu'un débat a eu lieu pendant un mois à Angodjé, sur différents aspects, sur les questions constitutionnelles et cetera. Je n'ai pas entendu qu'ils ont déposé ces arguments à ce moment-là. Ensuite, lorsque le débat a eu lieu à l'Assemblée nationale, lorsque le texte a été transmis au Parlement en congrès, il y a eu beaucoup d'auditions là-bas. Est-ce qu'ils ont fait valoir les arguments à cet endroit ? Je ne sais pas très bien.
Est-ce que finalement le Gabon ne court-il pas le risque de connaître les mêmes travers que sous le régime déchu, les mêmes causes produisant les mêmes conséquences ?
Oui, c'est possible. C'est toujours possible, dans tous les cas de figure au monde, qu'on retrouve les mêmes travers. Mais est-ce que nous pouvions rester dans une position transitoire infinie ? La question, c'est : quelle est la contre-proposition qui a été faite ? Vous savez quel est le grand théorème de l'impossibilité d'agrégation ? Quand on a un texte qui fait 175 articles, est-ce que vous croyez qu'on peut tomber d'accord : la totalité des gens, les citoyens de ce pays, sur les 175 articles ? À un moment donné, il faut bien sortir de la transition. Et c'est vrai qu'il y a des points qui peuvent poser problèmes, mais dans la pratique, on verra comment ils vont se déployer, comment ils vont se dérouler. Autrement, on resterait sur place. Et moi, je considère que, à un moment donné, il faut sortir de la boucle dans laquelle on se trouve. On est dans la boucle transitoire, il y a des propositions qui sont faites, il y a beaucoup de choses qui ont été modifiées, assouplies. Je vous rappelle les questions sur la nationalité, je vous rappelle les questions sur les aspects fonciers. Je n'ai pas le texte en entier sous les yeux, donc je peux ne pas me rappeler tous les détails. Donc, je pense que dans une situation donnée, il faut accepter d'aller au débat et considérer, à un moment donné, qu’on ne peut pas avoir raison sur tous les points. Et il faut prendre date de bonne foi sur le fait qu’on arrive dans une position et on verra bien à la pratique comment ça évolue.
L'ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze qualifie cette Constitution de « texte d'exclusion ». Il cite notamment la question de la limitation d'âge de 35 à 70 ans pour être candidat à la présidentielle ou encore l'impossibilité pour les descendants d'un chef d'État d'être candidat. Votre réaction ?
Bon, je pense d'abord que Bilie-By-Nze est, à mon avis, de tous les Gabonais, celui qui peut le moins s'exprimer sur ces questions tellement sensibles. Je rappelle que monsieur Bilie-By-Nze était, l'année dernière, Premier ministre. Quand on a été à ce point un fossoyeur de la République, en signant, en année électorale, à quelques semaines de l'élection, une loi portant modification des dispositions des conditions de l'élection, on se tait ! On ne parle pas ! C'est ça qu'il devrait faire. Monsieur Bilie-By-Nze est en liberté par la magnanimité de mon gouvernement qui devrait le poursuivre, mais qui a choisi l’apaisement parce qu’on aurait pu le poursuivre pour atteinte, pour forfaiture et violation des lois. Ils ont violé la loi. La loi disait qu'on ne peut pas modifier le Code électoral en année électorale et il a contresigné ça, ça porte sa signature ! Alors, il n'est pas bien placé pour venir nous donner des leçons. Je suis désolé.
Est-ce que le camp du « oui » n'a pas bénéficié d'un certain avantage durant la campagne, au vu des tournées du président de transition, de ses ministres, avant son début ?
Ça, c'est une question que je trouve à la fois, je dirais, logique. Nous sommes dans un gouvernement de transition qui s'est engagé à sortir de là par une restauration des institutions. La logique même veut que l'on propose un texte qui est, dans l'ordonnancement, un des éléments qui permet de revenir à l'ordre normal. Comment le gouvernement peut-il à la fois être en train de travailler pour revenir à l'ordre normal et ne pas porter ce texte là sur la place publique ? Si le président en exercice, qui est un président de la transition, ne porte pas lui-même, dès le départ, les textes qui lui permettent de justifier la parole qu'il a donnée de revenir à la normalité, qui peut le faire ? Et je suis en train de faire en sorte que nous ayons un corpus de texte qui nous permet de sortir de cette transition. Voilà ce qu'on fait. Il y a des malfaçons dedans, il y a des choses. Mais, au final, l'objectif, c'est d'être sorti de là dans un délai raisonnable.
Vous avez évoqué le président de transition. Le général Oligui Nguema a dit ne pas vouloir de Constitution taillée sur mesure. Mais est-ce que ce n'est pas le cas ? C'est ce que certains disent.
C'est un des traits particuliers de la démocratie : chacun a besoin de dire ce qu'il pense, et je crois que c'est une question d'appréciation personnelle. Oui, effectivement, les gens peuvent dire que c'est une Constitution qui est taillée sur mesure. Non, d'autres disent que ce n'est pas le cas. Nous verrons bien à la pratique. Mais je rappelle, tout à l'heure, quand vous évoquiez l'une des personnes qui est opposée, qui indique que le président, il y a discrimination par rapport aux fils de président, il ne faut pas vouloir une chose et son contraire. On ne peut pas vouloir à la fois éviter qu'un système monarchique ne s'installe et s'opposer à ce que les gens ne mettent pas une barrière à ce que les fils de président ne soient pas candidats, ou les filles de président et cetera. Il y a quand même une contradiction là-dedans.
Vous venez de donner aux Gabonais deux jours, jeudi et vendredi, fériés, payés et récupérables. Est-ce à dire que vous craignez un faible taux de participation ?
Oui, et il y a des raisons d'avoir un faible taux de participation, de façon mécanique. Je vais vous expliquer ça. Lorsque nous avons fait les élections présidentielles l'année dernière, les élections ont eu lieu au mois d'août, et les Gabonais et les Gabonais se sont enrôlés sur les listes électorales en prévision de ce que les élections se passeraient pendant qu'ils sont en vacances avec leur famille dans leur province d'origine. C'est ce que la plupart des gens font. Tout le monde sait qu’à partir de la fin du mois de juin, fin juin, les gens s'en vont dans leur province. Or, cette année, l'élection a lieu alors que l'année scolaire a démarré il y a deux mois et la saison des pluies commence à battre son plein et, par conséquent, il y a effectivement des problèmes de mobilité. Ce qui veut dire que les gens, pour aller chez eux, voter, ont besoin d'un peu de temps pour circuler. Donc oui, il peut y avoir une abstention qui serait tout à fait mécanique parce que les gens ne sont pas en vacances, ils sont à leur lieu de travail, que les enfants sont à l'école, et qu'il sera beaucoup plus difficile à tous les pères et mères de famille de se déplacer alors que ça aurait été différent si on avait fait l'élection pendant la période de vacances. Mais vous voyez bien aussi, que si on avait retardé pendant les mois de vacances, on aurait attendu le mois d'août prochain pour faire la partie concernant ce référendum, ça retarderait d'autant la période de retour potentielle à la normalité. Alors, il faut choisir, à un moment donné, l'un des handicaps.
Quel est votre objectif en termes de participation qui serait un véritable indicateur de l'adhésion de la population au projet ?
Mon objectif est que le « oui » l'emporte massivement.
Est-ce qu'il y a un chiffre ?
Aujourd'hui, la population de base, elle cherche qui sont les adversaires. Les gens sont habitués à s'engager à une élection parce qu'il y a deux protagonistes qui sont là. Là, on a un texte. Les populations de l'arrière-pays n'ont pas forcément une vision très claire de ça. Je pense qu'il pourrait y avoir, de ce fait-là, une partie de la population qui ne se mobilise pas nécessairement. Moi, je viens de vous donner la première raison qui est mécanique. Donc, si vous me demandez un taux, je ne suis pas capable de vous donner un taux. Certains s’aventurent dessus, moi, je ne m’aventure pas. Ce que je veux, c'est une victoire nette. Je conduis le camp du « oui », j'ai besoin de gagner nettement, voilà.
Alors, vous étiez ces derniers jours en campagne à Port-Gentil, la deuxième ville du pays, et à Franceville. Quel accueil vous a été réservé dans ce fief des Bongo ?
J'ai été très bien accueilli à Franceville. J'ai été très bien accueilli partout. Bon, je rappelle que, en premier lieu, nous avons eu des mobilisations limitées dans la mesure où il s'agissait pour moi d'aller rencontrer les coordinations de chacune des provinces, coordination de campagne dans chacune des provinces, pour les rebooster, pour les relancer, disons les pousser à se déployer sur le terrain, et leur demander de s'impliquer dans un travail de proximité, c'était ça.
Si la Constitution est adoptée massivement, les élections de fin de transition, est-ce qu'elles doivent être avancées ou est-ce qu'elles doivent être maintenues à août prochain ?
Personne n'a jamais dit que les élections auraient lieu au mois d'août. Je voudrais rappeler que c'est moi qui ai décliné au mois de septembre, à New York, que nous nous étions donnés une date moyenne de 24 mois, en partant d’août 2023, sans forcément nous amener à août 2025. On peut être légèrement avancé ou légèrement après. Si nous terminons de faire le référendum, on verra bien à quel moment nous réunissons les autres conditions pour faire les autres élections qui permettent de mettre en place les différentes institutions. Août 2025, ce n'est pas une date marquée dans le marbre pour moi, c'est un objectif de date. L'essentiel, c'est que, comme on le voit depuis un an et deux mois, nous sommes dans un calendrier, on tient le tempo.
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