Le grand invité Afrique
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Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

Présidentielle en Côte d'Ivoire: «Alassane Ouattara est suffisamment fort pour imposer le rythme dans son parti»
14 January 2025
Présidentielle en Côte d'Ivoire: «Alassane Ouattara est suffisamment fort pour imposer le rythme dans son parti»

Ira ? Ira pas ? En Côte d'Ivoire, le président Alassane Ouattara entretient le suspense sur sa candidature ou non à un quatrième mandat à l'élection du 25 octobre prochain. « À la date d'aujourd'hui, je n'ai pas encore pris de décision », a-t-il déclaré jeudi dernier à l'occasion de ses vœux au corps diplomatique. Mais qu'attend-il avant de se décider ? Est-il attentif, par exemple, à ce que va faire l'un de ses principaux adversaires, Tidjane Thiam, qui brigue l'investiture du PDCI ? Arsène Brice Bado enseigne au Cerap, qui est l'université jésuite d'Abidjan. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : « Je suis en pleine santé et désireux de continuer de servir mon pays, mais je n'ai pas encore pris de décision par rapport à la présidentielle de cette année », a dit Alassane Ouattara jeudi dernier. A votre avis, est-ce qu'il va y aller ou pas ?

Arsène Brice Bado : D'abord, c'était, disons, une affirmation étonnante parce qu'on s'attendait à autre chose. Là, il jette vraiment l'incertitude sur sa candidature et une incertitude qui semble davantage confirmer le désir d'un quatrième mandat. C'est ce que ça laisse entendre, finalement.

Alors beaucoup disent en effet qu'il sera candidat parce qu'il n'y a aucune autre personnalité du parti au pouvoir RHDP qui se dégage pour l'instant. Mais lui-même affirme qu'il y a tout de même une demi-douzaine de candidats virtuels dans son propre camp…

Oui, mais on ne voit personne émerger et il faut vraiment du temps pour avoir un candidat qui ferait le consensus. Et je pense que c'est ce qu'il manque. Et finalement, c'est ce qui va le pousser à pouvoir se présenter comme candidat. Parce que la demi-douzaine de candidats, même si on n'a pas les noms, ils ne semblent pas faire l'unanimité. En tout cas, on ne les voit pas.

Alors on parle quand même du vice-président Tiémoko Meyliet Koné qui a été gouverneur de la BCEAO ?

Oui, c'est vrai, il a un très bon CV, mais pourra-t-il faire l'unanimité du parti ? Apparemment ce n'est pas ce que l'on entend, ce n'est pas ce que l'on voit.

On parle du Premier ministre Robert Beugré Mambé ou du président de l'Assemblée nationale Adama Bictogo ?

Oui, c'est vrai que ce sont des personnalités possibles. Ils ont des carrures présidentielles. Mais encore une fois, est-ce que ces candidatures pourront avoir l'assentiment de l'ensemble du parti ? Est-ce que le RHDP pourrait s'unifier autour d'un seul candidat par rapport aux différentes rivalités que l'on perçoit par-ci par-là ? Même si ce sont des rivalités encore en sourdine.

Et le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, petit frère d'Alassane Ouattara ?

Oui, c'est aussi un nom qui est souvent évoqué. Mais là encore, est-ce qu’il pourrait faire l'unanimité du parti ? C'est ça le problème. Et donc je pense que tous ces candidats, il aurait fallu qu’on les mette en piste très tôt pour leur permettre, effectivement, de pouvoir rassembler et même de pouvoir aboutir à des compromis avec les autres prétendants et de bâtir une unité qui allait permettre au RHDP d'aller aux élections de façon confiante, sans le président Alassane Ouattara.

Le retour à Abidjan de l'ancien Premier ministre Patrick Achi comme ministre et conseiller spécial après quelque temps au FMI à Washington, est-ce que ce n'est pas le signe que ça pourrait être lui ?

Mais voilà, il y en a qui pensent qu'il serait un très bon candidat, d'autant plus qu'il est du sud. Mais en même temps, on n'est pas très sûr que les élites du nord pourraient accepter une telle candidature.

Alors pour vous, le fait qu'il y ait dans l'opposition un poids lourd en la personne de l'ancien ministre Tidjane Thiam qui sera le candidat probable du PDCI, est-ce que c'est une donnée qui va pousser Alassane Ouattara à être candidat ou au contraire à passer la main ?  

Il y a deux scénarios possibles. Je pense que la candidature forte de Tidjane Thiam peut avoir deux résultats contraires. Cela peut pousser peut-être Ouattara à lâcher prise parce que Tidjane Thiam a pratiquement le même cursus que le président Ouattara. Il a les mêmes connexions à l'international. C'est un technocrate. On a l'impression que c'est celui qui peut poursuivre l'œuvre du président Ouattara. D'un autre côté, ça signifie que le pouvoir va échapper au RHDP. Or, l'histoire récente entre le RHDP et le PDCI est une histoire mouvementée. Il y a pas mal de rancœurs de part et d'autre. Et que le pouvoir puisse passer à Thiam, je ne suis pas sûr que les élites du RHDP seront prêtes à ce changement.

Voulez-vous dire qu'Alassane Ouattara attend de voir quelle tournure va prendre la convention du PDCI qui va investir Tidjane Thiam avant de prendre sa décision lui-même ?

Je pense que c'est un élément important si jamais il veut se présenter et ne pas attendre. Mais à mon sens, c'est un élément important. Le candidat que va choisir le PDCI, cela va influencer, cela aura certainement des conséquences sur la candidature présidentielle du RHDP.

Et si Tidjane Thiam est investi avec beaucoup de voix, avec beaucoup d'enthousiasme au sein du PDCI, du coup, là, vous pensez qu’Alassane Ouattara ira au combat. C'est ça ?

Oui, pour conserver le pouvoir au RHDP. Il y a vraiment des rancunes tenaces entre les deux partis. Mais le président Ouattara est suffisamment fort. Je crois qu’il a les cartes entre les mains. Il peut imposer le rythme dans son parti.

Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»
13 January 2025
Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»

À Kampala, c’est ce 13 janvier 2025 que doit reprendre le procès de l’opposant Kizza Besigye qui, selon son épouse, a été kidnappé il y a deux mois au Kenya, avant d’être transféré de force en Ouganda. Pourquoi le président Yoweri Museveni fait-il poursuivre son opposant historique par un tribunal militaire ? Est-ce parce qu’il en a peur, un an avant la présidentielle de février 2026 ? Florence Brisset-Foucault est maîtresse de conférence en sciences politiques à l’université Paris I et affiliée à l’université de Makerere, à Kampala. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Depuis le 20 novembre, l'opposant Kizza Besigye comparaît devant la justice militaire ougandaise pour « possession illégale d'armes à feu dans le but de déstabiliser la sécurité nationale ». Est-ce que ce chef d'accusation est crédible ? 

Florence Brisset-Foucault : Alors, ce n'est pas la première fois que Kizza Besigye a été accusé de collusion avec des rebelles armés pour renverser le gouvernement. Ça avait déjà été le cas en amont de l'élection présidentielle de 2006. À l'époque, les accusations n'avaient absolument pas tenu et il avait finalement été blanchi. Pour cette fois, on ne sait pas encore, mais en tout cas, ça fait partie de ces formes classiques de décrédibilisation de l'opposition, qui sont utilisées par le régime.

Alors ce qui frappe tout de même, c'est que Kizza Besigye, qui est médecin, qui est civil, comparaît devant un tribunal militaire ?

Oui, tout à fait, et ça, ça fait partie des nouveautés, je dirais, des quatre ou cinq dernières années en Ouganda. Et ça continue, même s’il y a quelques années, en 2022, il y avait eu une décision de la Cour constitutionnelle qui disait que c'était illégal de poursuivre des civils en Cour martiale. Mais ça se poursuit et il n'est pas le seul à être dans ce cas. Il y a quelques jours, son avocat, Eron Kiiza, qui est lui aussi un civil, a été condamné à neuf mois d'emprisonnement pour outrage à la Cour par une Cour militaire également, en quelques heures et visiblement en toute irrégularité.

Donc, ça ressemble à du harcèlement judiciaire ?

Kizza Besigye disait lui-même, il y a quelques années, qu'il avait été arrêté des dizaines de fois et qu'il avait arrêté de compter. Donc oui, je pense que ce qualificatif est tout à fait idoine.

L’épouse de Kizza Besigye, Winnie Byanyima, qui dirige le programme Onusida pour le monde entier, affirme que son mari a été kidnappé en novembre à Nairobi, puis transféré de force à Kampala. Ce n'est quand même pas très courant. Comment se fait-il que le Kenya ait laissé faire cela ?

Oui, Winnie Byanyima a parlé de « paradis des kidnappeurs » pour parler de la capitale du Kenya, Nairobi. Donc, c'est évidemment une formule très forte. Là encore, Kizza Besigye n'est pas le seul opposant étranger à avoir été arrêté récemment dans la capitale du Kenya. Il y a eu aussi des opposants turcs, sud-soudanais, rwandais, nigérians qui ont fait les frais de cette pratique. Concernant les Ougandais, ce n'est pas le seul non plus. En juillet dernier, il y a une trentaine d'opposants ougandais qui s'étaient rassemblés du côté de la ville de Kisumu, dans l'ouest du Kenya, qui ont été aussi arrêtés violemment, puis mis dans des camionnettes et transportés de l'autre côté de la frontière pour être ensuite emprisonnés en Ouganda, donc ça faisait longtemps que ce n'était pas arrivé.

Dans les années 1980-1990, le docteur Kizza Besigye était le médecin personnel de Yoweri Museveni. Mais, depuis 25 ans, il est son principal opposant. Il a aujourd'hui 68 ans, soit 12 ans de moins que le chef de l'État ougandais. Est-ce que Yoweri Museveni en a encore peur ?

C'est difficile à dire. Cette arrestation a surpris beaucoup de monde, parce que Besigye n'était plus tellement sur le devant de la scène politique, c'était une autre figure de l'opposition, Bobi Wine, qui avait pris la suite, notamment lors de l'élection présidentielle de 2021, la dernière élection présidentielle, et Besigye était plutôt en retrait. Donc, on a été un peu surpris de cette arrestation. Moi, la manière dont j'interprète les choses, c'est que c'est une démonstration de force et une manière pour Museveni de montrer que c'est toujours lui qui tient les règles du jeu.

À la présidentielle de l'an prochain, tout laisse penser que Yoweri Museveni, qui est aujourd'hui âgé de 80 ans, va se représenter pour un septième mandat. Quelles sont les chances de l'opposition face à lui ?

Les chances de l'opposition… Elle est extrêmement fragmentée, éclatée, avec beaucoup de mal à créer des liens et à s'accorder pour une candidature unique. En 2021, Besigye ne s'était pas présenté, ce qui avait permis à Bobi Wine, entre autres, d'avoir un score tout à fait correct de 35 %. En tout cas, un score qui correspondait au score de Besigye à l'élection de 2016. Donc on ne sait jamais. Mais étant donné le passé récent, je ne suis pas très optimiste pour l'opposition.

Depuis trois ans, l'un des fils de Yoweri Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, qui est chef d'état-major de l'armée ougandaise, aspire ouvertement à succéder à son père. Mais en septembre dernier, il a promis qu'il soutiendrait son père une dernière fois pour la présidentielle de 2026. Est-ce que ce fils impétueux n'est pas en train d'affaiblir le camp du président ?

Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a aussi un autre joueur dans cette arène autour de la question de la succession. C'est le gendre en fait, qui s'appelle Odrek Rwabwogo, qui est marié à la deuxième fille du président, la pasteure Patience Museveni Rwabwogo, et qui a été au départ assez critique de Museveni, puis qui s'est rapproché de lui. Et il y a quelques mois, il y a eu une violente dispute entre Muhoozi, donc le fils, et Rwabwogo, le gendre, sur les réseaux sociaux. Et beaucoup d'Ougandais interprètent cela comme étant une dispute par rapport à la question de la succession.

Soudan: «Les sanctions américaines contre le général Hemedti (FSR) sont symboliques» dit T. Vircoulon
10 January 2025
Soudan: «Les sanctions américaines contre le général Hemedti (FSR) sont symboliques» dit T. Vircoulon

Au Soudan, les paramilitaires des FSR sont accusés de génocide, une accusation formulée mardi par les États-Unis. « Les Forces de soutien rapide, FSR, et ses milices alliées ont systématiquement assassiné des hommes et des garçons sur une base ethnique, et ont délibérément ciblé les femmes et les filles de certains groupes ethniques pour les violer et leur faire subir d'autres formes de violence sexuelle brutales », a déclaré Anthony Blinken, le secrétaire d'État américain. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour utiliser ce terme de génocide ? Quelles conséquences peuvent avoir les sanctions contre le général Mohamed Hamdane Dogolo, dit « Hemedti », le commandant des FSR et contre les sociétés liées aux paramilitaires ? Éléments de réponses avec Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI.

RFI : Les États-Unis accusent officiellement les FSR de génocide. Sur quels faits se basent-ils ? On parlait jusque-là de crimes de guerre. Qu'est-ce qui a fait évoluer le département d'État américain ?

Thierry Vircoulon : Il y a eu des enquêtes sur les combats qui ont eu lieu au Darfour, notamment dès le début de la guerre en 2023. Et, il avait été clairement montré à cette époque que les Masalit, qui sont une tribu qui se trouve surtout dans la région de el-Geneina, au Darfour Ouest [au Soudan], avaient été particulièrement ciblés par les FSR et par des milices arabes alliées au FSR. Ce qui avait conduit à la fuite des Masalit au Tchad, dans la région d’Adré. Et donc, ces enquêtes ont mis en évidence que les Masalit avaient été ciblés en tant que tels et du coup les autorités américaines ont déduit qu'on était dans une situation qui pouvait être qualifiée de génocide.

Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour utiliser officiellement ce terme de génocide ?

Parce que les États-Unis ont lancé dès le début du conflit une tentative de médiation, que cette tentative de médiation a eu plusieurs rebondissements, mais elle a finalement échoué en août 2024. Et par conséquent, maintenant, ils ont décidé de faire évidemment monter la pression. Je pense qu'avant, ils n'avaient pas encore pris cette décision justement parce qu'ils voulaient préserver les chances de cette médiation.

Washington a annoncé en parallèle prendre une série de sanctions contre le chef des paramilitaires, Mohamed Hamdane Dogolo dit «Hemedti » et contre des sociétés liées aux FSR. Concrètement, est ce que ces sanctions peuvent faire évoluer le cours de cette guerre ou est-ce uniquement symbolique ?

Non, je pense que c'est surtout symbolique. Le général Hemedti a construit un empire financier, un empire économique, qui est en grande partie lié aux Émirats arabes unis et ce qui est très intéressant, c'est de voir que les 6 ou 7 entreprises qui viennent d'être sanctionnées par les États-Unis sont toutes des entreprises situées aux Émirats arabes unis. Et donc là, on peut dire que le Trésor américain en effet sanctionne un peu le cœur financier de l'empire économique de Hemedti.

Mais est-ce que ces sanctions contre ces sociétés peuvent avoir réellement un impact sur le financement des paramilitaires et sur la livraison d'armes ?

Le problème des sanctions, c'est toujours le même : c'est de savoir si elles seront appliquées ou non. Et comme en fait ces entreprises sont basées aux Émirats arabes unis, l'application des sanctions va beaucoup dépendre de l'attitude des autorités émiraties. Et en fait, depuis le début de ce conflit, il y a eu des échanges entre Washington et les Émirats arabes unis. Et Washington a essayé d'infléchir la position des Émirats arabes unis qui sont le principal soutien de Hemedti. Donc, avec ces sanctions, on sent qu'ils font aussi monter la pression sur les autorités émiraties.

On sait que les États-Unis vendent du matériel d'armement aux Émirats arabes unis. Avec ces sanctions, ces livraisons de matériels vont-elles pouvoir se poursuivre ?

Oui, parce que en fait la relation entre les États-Unis et les Émirats arabes unis est plus large que la question soudanaise, donc ça n'affectera pas les livraisons d'armes, etc.

Un mot sur Hemedti, le commandant des FSR, ancien chef de milices redouté au Darfour. On sait qu'il a tenté d'améliorer son image à l'international. Quelles peuvent être les conséquences pour lui de ces accusations et de ces sanctions ?

Ces sanctions, elles mettent en évidence publiquement ce que tous les spécialistes savaient : c'est-à-dire que le cœur de son empire économique se trouve à Dubaï. Donc, c'est ça l'effet principal et l'effet recherché : de mettre en évidence le lien économique fort qui existe depuis longtemps entre lui et les Émirats arabes unis.

Ces accusations des États-Unis interviennent quelques jours seulement avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. La future administration américaine pourrait-elle avoir une autre lecture de ce qui se passe aujourd'hui au Soudan ?

On va voir en effet comment ça va évoluer lorsque Trump rentrera dans le bureau ovale, parce que on dit beaucoup qu'il a des intérêts économiques, des intérêts d'affaires dans les monarchies du Golfe. Et donc, ça peut en effet conduire à des changements de politique. Il y a une vraie interrogation sur la politique qu'il va mener et la relation qu'il va avoir avec les monarchies du Golfe.

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O.Gaoual Diallo (Guinée): «Aucun responsable politique n'est poussé à l'exil à ce jour du fait des critiques»
09 January 2025
O.Gaoual Diallo (Guinée): «Aucun responsable politique n'est poussé à l'exil à ce jour du fait des critiques»

En Guinée Conakry, le référendum constitutionnel pourrait avoir lieu au mois de mai et les élections générales au mois d'octobre. C'est le calendrier que dévoile le porte-parole du gouvernement sur RFI. Ousmane Gaoual Diallo s'exprime aussi sur Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, six mois jour pour jour après la disparition forcée des deux leaders de la société civile. De passage à Paris, Ousmane Gaoual Diallo, à la fois ministre des Transports et porte-parole du gouvernement guinéen, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Voilà 6 mois, jour pour jour, que les 2 leaders du FNDC, Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah ont été enlevés à Conakry par des hommes en uniforme. Depuis le 9 juillet, on est sans nouvelles d'eux. Quelles sont vos informations à leur sujet ?

Ousmane Gaoual Diallo : Écoutez, je pense que le ministre de la Justice ou le procureur général devrait faire un point de situation. Nous attendions ce point en fin d'année, au mois de décembre, puisque les enquêtes sont ouvertes de ce point de vue-là, et je pense que, très rapidement, ils devraient prendre la parole pour donner plus amples informations sur l'évolution de l'enquête.

Est-ce que ça veut dire que on va avoir la confirmation qu'ils ont bien été enlevés par des forces qui dépendent des autorités guinéennes, sans doute des forces spéciales ?

Ça, nous sommes catégoriques là-dessus : ils n'ont pas fait l'objet d'enlèvement par les autorités, par les institutions, par les forces spéciales ou des agents de police judiciaire.

 Simplement, les témoins de leur enlèvement sont formels : ils ont été kidnappés par des hommes en arme et en uniforme militaire. Donc, même s'ils n'ont pas été enlevés par des forces officielles, beaucoup pensent qu'ils ont tout simplement été kidnappés par un service secret qui n'obéit qu'aux militaires du CNRD.

C'est difficile, parce que nous ne connaissons pas l'existence de services secrets qui n'obéissent qu'au CNRD. Donc, ça ne repose pas sur des faits vérifiables.

Est-ce que Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah sont vivants ?

J'espère qu'ils sont vivants. Je prie Dieu qu'ils soient vivants, moi, je ne peux pas nourrir l'idée qu'ils soient morts, parce que ce serait connu. Je pense que c'est peut-être plus facile que des gens restent vivants sans donner de nouvelles, mais les morts, elles parlent tout de suite. Je crois qu'ils sont vivants, j'espère qu'ils sont vivants et je pense que c’est l'attente de tout le monde, des autorités comme des citoyens de ce pays.

Autre sujet très préoccupant pour l'opinion publique guinéenne et internationale, c'est la condamnation ce 7 janvier à 2 ans de prison de l'opposant Aliou Bah pour offense au chef de l'État. La Fondation de l'innovation pour la démocratie, par exemple, que dirige Achille Bembé, dénonce « la volonté du pouvoir guinéen de faire taire ou de pousser à l'exil toute voix dissidente ».

Ça, c'est le discours qui est entretenu. Mais il faut faire la distinction entre la critique et la diffamation, parce que la diffamation est sanctionnée pénalement alors que la critique, elle est acceptée dans les démocraties en construction que nous essayons de faire dans nos pays. Donc, il ne faut pas considérer que ce soit une volonté des autorités de museler ou de pousser à l'exil. Aucun responsable politique n'est poussé à l'exil, à ce jour, pour des faits liés à la liberté d'expression ou à des critiques.

Oui, mais franchement, deux ans de prison pour une prétendue offense au chef de l’État ?

 Je ne vais pas commenter cette action, d'autant mieux que c'est un processus judiciaire qui est en cours. J'ose espérer qu'ils seront plus cléments à l'étape suivante.

Oui, parce que les avocats font appel ?

Voilà, exactement. Donc, j'ose espérer qu'ils seront cléments et que cela va amener aussi à développer des discours plus apaisants, pour faire en sorte que le vivre-ensemble dans notre pays soit quelque chose d'important pour chaque acteur.

Voilà 3 ans que les militaires du CNRD sont au pouvoir pour redresser la situation du pays. Et pourtant, la population continue de protester contre la vie chère. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent que vous n'avez pas un bon bilan ?

Beaucoup de choses ont connu des améliorations substantielles, au niveau du pouvoir d'achat, de l'offre de la prise en charge sociale, parce que les salariés guinéens ont une prise en charge de plus de 70% des coûts des soins, et ça, c'est quelque chose de nouveau. Il y a une augmentation considérable des revenus. D'ailleurs, à l'occasion du discours de l'an, le chef de l'Étata annoncé une augmentation de 30% du traitement indiciaire des fonctionnaires. Il faut profiter des investissements importants qui arrivent dans le pays pour que les populations puissent bénéficier du développement économique et des investissements nouveaux qui arrivent.

Le président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, avait promis de quitter le pouvoir avant le 31 décembre 2024. Il ne l'a pas fait et à ses vœux du Nouvel An, il a déclaré que la date du référendum constitutionnel serait annoncée lors de ce premier trimestre. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

En tous les cas, l'exigence du chef de l'État est de faire en sorte que le référendum ait lieu avant la fin du premier semestre. Donc, dans les prochains jours, je pense que le ministère de l'Administration du territoire devrait nous donner un calendrier plus précis. Donc il ne reste plus qu'à élaborer un fichier électoral et à aller à ce référendum qui est attendu pour le retour à l'ordre constitutionnel.

Donc, un référendum avant le 30 juin ?

Avant le 30 juin.

Au mois de mai ?

Probablement au mois de mai.

Et les élections générales ?

Les élections alors présidentielles qui devraient suivre, je pense, ou les élections législatives, ne pourraient peut-être intervenir qu'au début du 4e trimestre, au mois d'octobre. Parce que on a une longue période pluvieuse qui n'est pas propice à l'organisation des élections. Je pense qu'il faut compter à partir de septembre, octobre pour les élections suivantes.

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A. M. Ndieck Sarre: «Le départ des troupes françaises a été décidé de façon souveraine par le gouvernement sénégalais»
08 January 2025
A. M. Ndieck Sarre: «Le départ des troupes françaises a été décidé de façon souveraine par le gouvernement sénégalais»

Le Sénégal, tout comme le Tchad, a vivement réagi aux propos du président français Emmanuel Macron, qui a notamment reproché aux dirigeants africains d’avoir « oublié de lui dire merci » pour les interventions militaires françaises au Sahel et affirmé que les retraits des troupes françaises étaient le résultat de négociations avec les différents pays du continent. Faux et « regrettable », répond le porte-parole du gouvernement sénégalais et ministre de la Formation professionnelle, Amadou Moustapha Ndieck Sarre, qui se dit lui aussi indigné par les déclarations d’Emmanuel Macron. Il est l’invité de RFI.

RFI : Le président français qui a affirmé avoir réorganisé sa présence militaire sur le continent et avoir laissé la primeur de l'annonce du départ des troupes françaises par politesse aux pays africains, qu'en pensez-vous ?

Amadou Moustapha Ndieck Sarre : Permettez-moi d'abord de parler de la forme de sa déclaration, diplomatiquement parlant, on a vu un président particulièrement condescendant et même hautain sous bien des formes. On l'a entendu parler de politesse, on l'a entendu également parler d'absence de remerciements et tout ça, ce n'est pas diplomatique et c'est à déplorer. La 2ᵉ chose, c'est que dans le fond, nous avons bien vu que le président Macron est totalement passé à côté. Et pour ce qui concerne leSénégal, ce qu'il a dit n'a rien à voir avec la vérité. La présence de l'armée française n'a eu aucune influence sur la stabilité du Sénégal. Le Sénégal a toujours été un pays stable et jamais on a eu besoin de recourir à des forces étrangères pour permettre à notre pays d'être stable. À la place de cette condescendance, le président français devait au moins présenter des excuses aux africains. Malheureusement, il a eu cette sortie que nous trouvons tout à fait malheureuse.

Pour revenir au Sénégal, le président Bassirou Diomaye Faye annonçait le 28 novembre dernier, puis à nouveau le 31 décembre, le départ des troupes françaises qui restent au Sénégal dès 2025. Qu'en est-il, est-ce que c'est un départ qui a été négocié, est-ce que des échanges avec la France ont eu lieu sur ce sujet ?

Ce départ a été décidé de façon souveraine par le gouvernement Sénégalais. Vous savez, nous, quand nous étions dans l'opposition, nous avions toujours réclamé la souveraineté totale de notre pays. Et arrivé à la tête du Sénégal, justement, il fallait donner corps à cette volonté, à cette promesse faite au peuple sénégalais. Voilà pourquoi le président de la République a décidé de manière souveraine à revoir les accords de défense avec les étrangers d'une façon générale, et c’est ainsi qu'il a donné des instructions au ministre des forces armées pour déterminer les modalités de renégociation de ces accords de défense et la conséquence de cette décision a été de demander aux forces étrangères de quitter le sol sénégalais.

Est-ce qu'il y a eu des échanges sur le fond entre Sénégalais et Français entre avril et maintenant, sur le départ de ces troupes françaises du Sénégal ?

Il n'y a eu aucun échange, c'est le Sénégal qui a décidé de son propre chef de demander aux forces françaises de quitter et actuellement, le ministre des Forces armées entend déterminer les modalités.

Le 20 juin dernier, Bassirou Diomaye Faye a rencontré le président français Emmanuel Macron. Quand Emmanuel Macron lui a demandé s'il souhaitait le départ des troupes françaises, il a répondu ne pas avoir pris encore de décision pour le moment. Est-ce qu'il y a eu quelques mois d'hésitation entre juin et novembre ?

C'était certainement le timing de la réflexion. Mais ce qui est sûr et certain, c'est que la décision de faire quitter les forces étrangères du sol sénégalais était prise depuis très longtemps. Diplomatiquement parlant, il ne pouvait pas publiquement dévoiler la décision qu'il allait prendre.

200 militaires français environ sont encore basés au Sénégal. Quel est le chronogramme envisagé pour le départ de ces troupes ?

Le ministre des Forces armées fera certainement une sortie pour déterminer les modalités. Vous serez informé.

Du côté des militaires français, on me dit qu’ils sont en attente de savoir ce que souhaite le gouvernement sénégalais. Qu'en est-il, est-ce qu'il y a des réunions prévues pour pouvoir parler de tout ça ?

Ça n'a pas encore été décidé, mais ça, ça se décidera.

Est-ce que vous savez quelles emprises sont concernés ? Parce qu'il y a deux emprises près du port, une emprise à Ouakam, il y a aussi cette base d'écoute à Rufisque. Est-ce que ce sont ces quatre emprises qui vont partir ?

Mais forcément, quand on parle de sortie des troupes françaises, des troupes étrangères du sol sénégalais, il s'agit de toutes les troupes qui doivent quitter le Sénégal. 

Nous allons reprendre toutes les emprises entre les mains de l'armée française actuellement.

Qu'en est-il des Américains ? Il y a, je crois, au Sénégal aussi, la présence de soldats américains. Est-ce qu'ils vont aussi être amenés à partir ?

Toutes les forces étrangères sont concernées parce que ce que nous voulons, c'est recouvrer la souveraineté totale de notre pays. Toutes les forces étrangères sont concernées, pas spécifiquement la France.

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«Le départ des troupes françaises n'a jamais été négocié», affirme le chef de la diplomatie du Tchad
08 January 2025
«Le départ des troupes françaises n'a jamais été négocié», affirme le chef de la diplomatie du Tchad

« Nous nous en sortirons tout seuls », affirme le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, après la décision de son président, Mahamat Idriss Déby, de faire partir tous les militaires français du Tchad d'ici à la fin de ce mois de janvier. Comment le Tchad réagira-t-il si une nouvelle colonne rebelle attaque à partir de la Libye ou du Soudan ? Le Tchad envisage-t-il un partenariat stratégique avec un autre pays étranger ? Abderaman Koulamallah, à la fois chef de la diplomatie et porte-parole du gouvernement tchadien, répond sans détours aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Ce lundi à Paris, le président français Emmanuel Macron a dit que le départ des soldats français du continent africain était une initiative de lui-même et a ajouté : « Nous avons proposé aux chefs d'État africains de réorganiser notre présence militaire et, comme on est très poli, on leur a laissé la primauté de l'annonce ». Comment vous réagissez ?

Abderaman Koulamallah : Bon, d'abord. Les propos dans leur ensemble sont désobligeants et carrément irrespectueux vis-à-vis des chefs d'Etat africains et de l'Afrique tout entière. Nous avons dit que ces propos étaient des propos méprisants vis-à-vis des dirigeants africains et que la France doit comprendre que le temps des colonies est terminé. Pour notre part, la décision du départ des troupes françaises du Tchad est une décision souveraine, qui n'a jamais été négociée avec qui que ce soit, ni avec les dirigeants français, ni avec le président Macron. C'est une décision que le président Mahamat Idriss Déby, le maréchal Mahamat Idriss Déby, a prise et qui est conforme à son programme politique : revisiter les accords de coopération militaire. Nous ne voulons plus de bases militaires sur notre territoire. C'est une décision politique, une décision de souveraineté et une décision pour notre indépendance.

Alors vous dites que c'est une décision politique, mais c'est aussi une décision stratégique. À plusieurs reprises ces 20 dernières années, les militaires français, notamment les avions Mirage 2000, ont aidé le gouvernement tchadien à repousser les offensives rebelles. La dernière fois, c'était il y a juste six ans en 2019. Qu'est ce qui se passera en cas de nouvelle tentative d'incursion d'une colonne rebelle en provenance de Libye ou du Soudan ?

Mais plus récemment, en 2021, l'armée tchadienne s'est battue toute seule contre les groupes terroristes, qui ont même porté atteinte à la vie de notre cher et bien aimé défunt maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno. Et c'est l'armée tchadienne, avec à sa tête le président de la République de l'époque lui-même, qui a repoussé et anéanti les colonnes rebelles. A ce moment, nous n’avons pas eu besoin de l'aide de la France. Nous avons pris cette décision que vous dites stratégique. Effectivement, c'est stratégique. Je peux vous affirmer que ça, c'est parce que nous avons pesé nos capacités de riposte, de vaincre tout ennemi qui s'aventurerait sur notre territoire. Nous n'avons besoin de personne, que cela soit dit une bonne fois pour toute.

Vous n'avez plus besoin de l'appui aérien de la France ?

On n’a besoin de l'appui de personne. Nous nous en sortirons tout seuls.

Avec peut-être aussi de nouveaux amis sur la scène internationale ? On pense aux Émirats arabes unis qui peuvent éventuellement vous apporter un soutien stratégique ?

Mais pourquoi voulez-vous qu'on décide de faire partir une puissance militaire étrangère et de faire les yeux doux à d'autres puissances ? Il n'y aura aucune autre base étrangère sur notre territoire.

Dans son discours de lundi à Paris, Emmanuel Macron a dit aussi que la France avait eu raison d'intervenir militairement en Afrique contre le terrorisme en 2013, mais que les dirigeants africains avaient « oublié de dire merci ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Mais ça, ce sont des propos qui sont extrêmement blessants, il ne faut pas réduire les relations entre la France et l'Afrique simplement à la lutte contre le terrorisme. Il y a des milliers de soldats africains qui sont morts pour la France et ces propos, comme le président Macron les a dits, sont vexants, humiliants et inacceptables pour les Tchadiens et pour tous les Africains. Nous avons aussi combattu auprès des Français et la France n'a pas toujours dit merci aux soldats africains qui sont morts sur son territoire.

Historiquement, en janvier 2013, est-ce que l'intervention française au centre du Mali n'a pas sauvé Bamako qui était menacée par une colonne rebelle de jihadistes ?

Vous interrogerez le ministre malien des Affaires étrangères sur cette question, je ne veux pas me prononcer sur cette question.

Oui, mais en février 2013, les militaires français et tchadiens combattaient côte à côte dans le nord du Mali contre les jihadistes. A la tête du contingent tchadien, il y avait un certain général Mahamat Idriss Déby, qui est aujourd'hui le président de votre pays…

C'est ce qui vous permet de dire que la France n'a pas été la seule puissance à se battre et à sauver, entre guillemets, le Mali. Il y a eu aussi des Africains et notamment des Tchadiens, notamment le président Mahamat Idriss Déby, qui se sont battus pour notre liberté collective.

Donc vous ne dénoncez pas l'intervention militaire française au Mali en 2013 ?

Je n’ai pas à me prononcer sur la présence militaire française au Mali. Je laisse aux Maliens le soin de savoir si cette présence militaire au Mali était bénéfique pour eux ou pas.

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Lassane Zohoré: «Je suis toujours Charlie, la résilience dont a fait preuve Charlie nous inspire tous»
07 January 2025
Lassane Zohoré: «Je suis toujours Charlie, la résilience dont a fait preuve Charlie nous inspire tous»

Que reste-t-il de la vague d'émotion qui a gagné une grande partie du monde, il y a dix ans, après l'attentat contre le journal satirique français Charlie Hebdo ? En Côte d'Ivoire, Lassane Zohoré est caricaturiste et directeur de publication de l'hebdomadaire satirique Gbich !, qui fait rire les Ivoiriens depuis plus de 25 ans. « Il y a un avant et un après-Charlie, dit-il, car aujourd'hui, nous, les dessinateurs, on est ramollis ». En ligne d'Abidjan, il répond en toute sincérité aux questions de Christophe Boisbouvier. 

 

RFI : Il y a 10 ans, vous avez participé à des manifestations de solidarité à Abidjan en disant « Je suis Charlie ». Aujourd'hui, est-ce que vous êtes toujours Charlie ?

Lassane Zohoré : Oui, je suis toujours Charlie, parce qu'il faut dire que la résilience dont a fait preuve Charlie nous a inspiré tous et je peux affirmer que je suis toujours Charlie. On ne savait pas qu'on faisait un métier dangereux, au point de chercher à assassiner des dessinateurs. Je crois que ça nous a ouvert un peu les yeux et, sans qu'on ne s'en rende compte, peut-être qu'il y a une autocensure que les dessinateurs eux-mêmes se sont imposés. Il a fallu les remotiver pour leur dire qu'ils pouvaient faire leur métier comme ils le souhaitaient. Ils pouvaient faire leur métier librement, voilà.

Gbich est né à Abidjan en 1999. Ça fait déjà donc plus de 25 ans et vous tirez à plusieurs milliers d'exemplaires. Est-ce que la caricature ça compte en Côte d'Ivoire ?

Oui, ça compte beaucoup en Côte d'Ivoire. Donc, du coup, je pense quand même que la Côte d'Ivoire qui a une culture d'autodérision a vraiment adopté cela et nous continuons notre chemin par rapport à ça.

Alors pour Riss, le directeur actuel de Charlie Hebdo à Paris, la liberté d'expression a reculé en France depuis 10 ans. Est-ce que vous constatez la même chose en Côte d'Ivoire ?

Je dirais que oui, quelque part quand même, parce que ce qu'on pouvait dire il y a peut-être 10 ans, aujourd'hui on ne peut presque pas rire ou plaisanter avec certains sujets. Malheureusement, c’est ce qu'on constate ! Parce qu'avant, nous, on pouvait se moquer par exemple des ethnies de la Côte d'Ivoire, comme les Baoulé contre les Bétés, ou les Dioula contre les Agnis, et cetera. Mais aujourd'hui, on ne peut pas faire ça. Les gens prennent cela en mal et ça peut créer des frustrations. Ça peut être mal perçu. Voilà, donc aujourd'hui, je pense que la liberté d'expression a reculé. Et si vous avez bien remarqué, le métier d'humoriste même est en train de disparaître pratiquement à cause de cela.

On connaît la tradition anticléricale de Charlie Hebdo. Pour ce 10e anniversaire de l'attentat, l'hebdomadaire français a publié un numéro spécial où il veut rire de Dieu à travers quelque 40 caricatures. On voit par exemple une mère qui protège son enfant dans un paysage en ruines, et qui dit « un dieu, ça va, trois dieux, bonjour les dégâts ». Est-ce que ce type d'humour est possible chez vous en Côte d'Ivoire ?

Bon, ici, il y a quand même une nuance. Gbich a traité beaucoup de thèmes sur la religion, mais la nuance vient du fait que, au niveau de Gbich, vous avez des personnes qui croient en Dieu. Contrairement à Charlie Hebdo où c'est un journal qui est athée. Donc, on croit en Dieu, mais on peut se moquer des serviteurs de Dieu, de ceux qui pratiquent la religion. Il nous est arrivé de faire des numéros sur des imams, faire des numéros sur des pasteurs ou des prêtres, mais on ne s'attaque pas à Dieu.

Et on ne s'attaque pas à ses symboles.

Exactement. C'est ça.

Alors, toujours Riss, directeur actuel de Charlie Hebdo, affirme que si la liberté d'expression recule en Europe, c'est peut-être parce que la démocratie elle-même est menacée par les forces obscurantistes. Qu'en pensez-vous ?

Bon, je suis d'accord avec lui. Je constate simplement qu'aujourd'hui, avec la liberté qu'il y a sur les réseaux sociaux, il y a une sorte de tribunal qui s'est installé au niveau des réseaux sociaux qui peuvent faire et défaire les choses. Et malheureusement, il suffit d'avoir 2 ou 3 personnes dont la voix porte, et qui remettent en cause un certain nombre de choses, pour que ça tire tout le reste. Il y a vraiment un tribunal qui ne dit pas son nom sur les réseaux sociaux, qui amène les gens à moins accepter des choses qui étaient banales hier. Voilà, hier on pouvait tout dire, on pouvait se marrer de tout. Mais aujourd'hui, c’est difficile. Moi-même je faisais des dessins dans le journal gouvernemental Fraternité matin. Tous les jours, je faisais un dessin, des blagues, mais aujourd'hui, je ne peux plus faire ces mêmes blagues là ! Je pouvais me moquer de la femme, du policier, des ethnies. Aujourd'hui là, tout est complètement barricadé et il y a des épines partout ! Vous ne pouvez pas trop bouger.

Et sur ce tribunal des réseaux sociaux, vous arrive-t-il d'être menacé à cause d'un dessin ?

Oui, ça arrive que des gens apprécient très mal des dessins simplement parce que bon, ça ne leur plaît pas. Ils se prennent peut-être pour les censeurs et ils entrainent tout le monde dans leurs points de vue.

Après l'attentat d'il y a 10 ans, vous avez dû remotiver certains de vos collègues dessinateurs qui s'auto-censureraient. Est-ce qu'il n'y a pas encore de l'autocensure justement à cause des réseaux sociaux ?

Oui c'est possible, parce que, moi, je constate, malheureusement, que l'agressivité qu'on avait il y a quelques années dans les dessins, aujourd'hui on s'est ramolli. Si je peux m'exprimer ainsi. Et aujourd'hui, on a des jeunes dessinateurs qui nous ont rejoints et qui sont en train de faire leurs armes dans le métier. On essaye de leur dire de s'exprimer comme ils le sentent. Il ne faut pas qu'ils s’autocensurent, mais moi, en tant que patron de la boîte, je regarde, je compare les périodes, je me dis qu'il y a un avant Charlie et un après Charlie.

Et la culture de l'autodérision, c'est important ?

C'est très très important. Je crois que la chance de Gbich, c'est dû au fait qu'en Côte d'Ivoire, on a cette culture d'auto-dérision et nous, ça nous a beaucoup aidé pour nous implanter durablement en Côte d'Ivoire.

Lassane Zohoré sera aussi l'invité de RFI entre 16h10 et 17h (Heure de Paris), en duplex d'Abidjan, dans l'émission Sur le pont des arts, aux côtés de Damien Glez et de Julien Serignac, ancien DG de Charlie Hebdo et auteur de « L'art menacé du dessin de presse ».

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Fabrice Arfi: Paris a donné à Kadhafi «une notabilité qu’aucun autre pays occidental n’a pu lui offrir»
06 January 2025
Fabrice Arfi: Paris a donné à Kadhafi «une notabilité qu’aucun autre pays occidental n’a pu lui offrir»

Nicolas Sarkozy de nouveau devant les tribunaux. Mais il s'agit cette fois d'une affaire hors norme, qui a tout du scandale d'État entre l'ancien président français et Mouammar Kadhafi. La justice française accuse Nicolas Sarkozy d'avoir touché de l'argent du « guide » libyen pour financer la campagne électorale qui le portera à l'Élysée en 2007. Nicolas Sarkozy est poursuivi pour corruption, association de malfaiteurs, recel de détournement de fonds publics et financement illicite. Il risque dix ans de prison. L'histoire éclate en 2012, suite aux révélations du site d'information français Mediapart, qui conduira l'année suivante à l'ouverture d'une enquête judiciaire. Fabrice Arfi est le responsable du pôle Enquêtes de Mediapart, c'est aussi lui qui est à l'origine des révélations. Il répond aux questions de Sidy Yansané.

 

RFI : Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, se rencontrent pour la première fois en 2005. Et lorsqu'il est élu président deux ans plus tard, il parvient à faire libérer les infirmières bulgares injustement détenues en Libye depuis des années. C'est là que débute officiellement la lune de miel entre les deux chefs d'État. Quelles étaient les raisons de ce rapprochement 

Fabrice Arfi : Les raisons officieuses, celles qui vont peupler les audiences du procès historique, du procès de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, concernent une histoire de compromission à divers niveaux, qu'il soit diplomatique, financier, économique, dans des perspectives de financement occulte de la Libye en direction de la France et en contrepartie, d'après l'accusation judiciaire, de tout un tas de faveurs que la France a octroyé à la Libye de Mouammar Kadhafi, à partir du moment où Nicolas Sarkozy a été élu président de la République.

Parmi ces faveurs, par exemple, lesquelles sont les plus notables ?

La contrepartie la plus significative car c’est la plus vertigineuse de mon point de vue, c’est l'un des dignitaires libyens qui s'appelle Abdallah Senoussi, beau-frère de de Mouammar Kadhafi et ex-chef des services secrets militaires, et qui est connu de sinistre mémoire en France, puisqu'il a été condamné en 1999 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir fait sauter l'avion de ligne DC10 de la compagnie française UTA. C'était en 1989 au-dessus du désert du Ténéré au Niger, et ça a fait 170 morts. Parmi les contreparties, la justice accuse l'équipe Sarkozy d'avoir, contre de l'argent versé, promis de faire sauter le mandat d'arrêt d'Abdallah Senoussi, visé par un mandat d'arrêt international depuis sa condamnation en France. Donc on va avoir, pour la première fois dans l'histoire politique et pénale française, une affaire de terrorisme, et non des moindres, qui va se retrouver au cœur d'un procès de corruption.

Et c'est d'ailleurs cette affaire de terrorisme qui va contribuer largement à l'isolement de la Libye au niveau international. Et l'élection de Sarkozy, c'est aussi une grande victoire pour Kadhafi car six mois après cette élection, il est invité à Paris. On se souvient tous de sa tente qu’il a dressée dans la cour de l’hôtel Marigny, situé devant le palais de l'Élysée. Vous considérez que c'est aussi une victoire pour Kadhafi ?

D'autres démocraties, bien sûr, ont accueilli Mouammar Kadhafi. Mais seule la France l’a fait avec un tel faste, et c'était pour Mouammar Kadhafi une victoire totale pour laquelle il était prêt à payer très cher. La France, pays de la Révolution française, de la Déclaration des droits de l'homme, lui a offert une notabilité qu'aucune autre démocratie occidentale, libérale, comme on dit, n'était en mesure de lui offrir.

Seulement quatre ans plus tard, c'est le Printemps arabe. Une coalition de l'Otan décide de soutenir les rebelles contre Kadhafi. Le président Sarkozy se montre particulièrement volontaire. Rappelons qu’avant l'intervention, le guide libyen « révèle » dans le quotidien français Le Figaro avoir financé la campagne de son homologue français. Les enquêtes, médiatique comme judiciaire, font-elles un lien entre les deux événements ?

Je ne suis pas de ceux qui considèrent que la guerre en Libye est une fabrication de Sarkozy visant à se blanchir, mais il y a quand même des questions qui se posent sur la manière dont la guerre a été déclenchée. Je rappelle qu'il y a un rapport du Parlement britannique qui a mis en cause les mensonges qui ont présidé au déclenchement de la guerre en Libye, dans le sillage des Printemps arabes, d'abord en Tunisie puis en Égypte. Des questions qui se posent aussi sur certaines opérations menées en Libye, jusqu’à la mort du dictateur Kadhafi, dont on ignore les circonstances précises encore aujourd’hui. Mais le fait est que le Nicolas Sarkozy de 2007 et le Mouammar Kadhafi de 2011 sont bien les deux mêmes hommes de 2007 et de 2011. S’il y a un secret qui les lie, ce secret lie les deux mêmes personnages à quatre ans d'écart.

La mort de Kadhafi, dans des circonstances toujours non élucidées, va surtout mettre l'arsenal libyen à la disposition d'une myriade de milices et de jihadistes, avec des conséquences désastreuses sur le plan sécuritaire pour la Libye et tout le Sahel. Vous qui êtes un observateur avisé de la politique française et qui avez travaillé dix ans sur ce dossier, est-ce que vous pensez, comme beaucoup d'Africains le pensent sur le continent, que Sarkozy devrait aussi être entendu sur ce volet ?

Il ne me revient pas de dire si Nicolas Sarkozy doit être jugé à un échelon international. En revanche, on peut constater que les raisons qui ont présidé au déclenchement de la guerre d'après les Britanniques, pourtant très allants sous David Cameron pour accompagner l'épopée guerrière de Sarkozy, n'étaient pas exactes. On a laissé un champ de ruines derrière nous, et pire qu'un champ de ruines, on a laissé une partie du pays aux mains de jihadistes islamistes, dont certains vont ensuite semer la terreur, y compris sur le continent européen. Et ça va déstabiliser en effet toute une région. Mais c'est bien justement l'équipe de Nicolas Sarkozy et Nicolas Sarkozy lui-même qui ont proposé à Mouammar Kadhafi un accueil et des faveurs que peu de pays dans le monde, pour ainsi dire aucun, ne lui ont proposé. Et d'ailleurs, c'est très surprenant de voir aujourd'hui un Nicolas Sarkozy dire à quel point Mouammar Kadhafi était un personnage épouvantable, alors que le dossier judiciaire révèle des connexions proprement stupéfiantes entre son cabinet, lui-même, et l'ancien guide libyen.