Le grand invité Afrique
Le grand invité Afrique

Le grand invité Afrique

Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

Suspension de l’USAID: «L’annonce américaine peut servir de réveil pour les dirigeants africains»
21 February 2025
Suspension de l’USAID: «L’annonce américaine peut servir de réveil pour les dirigeants africains»

Le 27 janvier, le président Donald Trump gelait pour trois mois les aides extérieures américaines. Plus de 68 milliards de dollars en 2023, gérés en majorité par l'agence USAID. Cette mesure a provoqué une onde de choc, particulièrement en Afrique, où l'avenir de millions de bénéficiaires est en jeu. L'économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo appelle à repenser la solidarité internationale, et incite les dirigeants africains à sortir « d'une certaine posture misérabiliste ». Il répond aux questions de Liza Fabbian.

RFI : Comment avez-vous réagi en apprenant la suspension de l'aide au développement américaine ? 

Kako Nubukpo : Ce fut brutal comme annonce et, j'allais dire, un peu excessif. C'est quand même 20 milliards de dollars qui vont vers l'Afrique, normalement en provenance des États-Unis, qui n’arriveront pas cette année.

Est-ce que vous pensez que cette décision de Donald Trump était prévisible en quelque sorte ? 

Oui et non. Oui, parce que durant son premier mandat, il a eu parfois des propos qui marquaient, quasiment du mépris par rapport à l'Afrique. Et puis le fait d'avoir demandé à Elon Musk de faire un peu la revue des dépenses publiques américaines pouvait laisser présager des coupes sombres. Mais c'est clair que c'est surprenant parce qu’on a l'impression qu'il est resté dans une vision de l'aide « charité », alors que de toute évidence, aujourd'hui, l'aide, c'est de l'investissement gagnant-gagnant. 

On peut peut-être parler de l'impact de cette décision américaine sur les populations et les pays africains. Est-ce qu'il y a une manière de mesurer cet impact ? 

Il y a déjà les gens qui travaillent dans ces agences d'aide, comme l'USAID, qui se retrouvent au chômage technique. Il y a beaucoup d'ONG qui dépendent des financements de l'USAID qui vont se retrouver également à court d'argent. Et puis il y a surtout les populations bénéficiaires de cette aide. 

Vous savez, depuis les programmes d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, plusieurs secteurs, notamment sociaux en Afrique, dépendent quasiment de l'aide publique au développement : la santé, l'éducation. C'est-à-dire que le fonctionnement est assuré par le budget national. Mais pour l'essentiel, les budgets d'investissement dépendent en fait des aides. 

Pourtant, vous appelez aussi à relativiser le poids et l'importance de cette aide américaine… 

L'Afrique exporte à peu près 600 milliards de dollars en termes de recettes d'exportation qui ne sont pas forcément rapatriés. Et en plus, la CNUCED nous indique qu'il y a à peu près 90 milliards de dollars chaque année de flux financiers illicites qui quittent l'Afrique en direction du reste du monde. Donc en net, l'Afrique apporte plus au reste du monde que l'inverse. Et donc c'est une question au fond de narratif. 

Alors que peuvent faire les États africains ? Est-ce que ce n'est pas justement le moment pour eux de repenser certaines de leurs politiques budgétaires notamment ? 

Nous nous sommes complus dans l'acceptation du narratif occidental qui consistait à dire qu'on nous aide. Dans les faits, ce n'est absolument pas vrai. 

Et comme en plus, nous avons toujours eu des dirigeants qui donnaient l'impression d'aller quémander auprès du reste du monde ce dont ils avaient besoin pour piloter leurs nations, il s'est installé ce narratif. Et donc il est temps d'assumer les fonctions régaliennes des États. 

On ne peut pas laisser les fonctions régaliennes de l'État aux aléas des flux d'aide publique au développement. Et de ce point de vue, l'annonce américaine peut servir au fond de réveil pour les dirigeants africains qui doivent comprendre qu'ils doivent assumer pleinement la souveraineté économique. 

Et alors, quels sont les défis qui se posent à eux ?  

Il y a un enjeu autour de la dette parce qu'aujourd'hui, ce que nous constatons, c'est que le ratio du service de la dette sur les recettes totales est de 54 % en Afrique, contre 10 % dans les pays développés. 

Ça veut dire que plus de la moitié de vos recettes fiscales et non fiscales est consacrée au remboursement de la dette. Donc, vous voyez, au moment où vous votez votre budget, vous savez déjà que vous êtes amputé de plus de la moitié de vos recettes. Et donc, comment vous voulez piloter les politiques économiques si vous n'avez que la moitié des ressources budgétaires. 

Et c'est pour ça que moi, je plaide pour une annulation de la dette parce qu'on voit qu'aujourd'hui le service de la dette empêche les États d'avoir de vraies politiques publiques volontaristes. 

Il me semble aussi que vous, vous faites partie de ceux qui ont appelé en fait à une refonte du système de solidarité internationale, vous n'êtes pas non plus pour une suppression totale des mécanismes d'aide. Qu'est-ce que vous entendez par là ?  

C'est simplement revenir aux fondamentaux. L'aide est utile, mais il faut qu'elle soit bien pensée, bien utilisée et bien évaluée. Et du coup, j'ai quasiment envie de dire par rapport à l'annonce américaine qu'il ne faut pas jeter l'aide avec l'eau du populisme.

 La communauté internationale construit depuis un demi-siècle quelque chose d'important dans lequel nous nous inscrivons, nous les Africains. Et donc ce multilatéralisme équitable, moi, je prône qu'il ne soit pas abandonné. Et c'est pour ça que je dis qu'il y a en fait tous les outils qui existent déjà pour qu'on fasse du bon travail collectivement. L'enjeu, c'est de sortir des dépendances subies et d'opter pour des interdépendances choisies. 

Ça pourrait aussi inciter les pays africains à se tourner vers d'autres partenaires, j'imagine ? 

Ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le « Sud global » avec des pays comme la Russie, la Chine, l'Inde, l'Iran et d'autres, vont certainement prendre la place que les Américains sont en train de laisser vide en Afrique. 

Et c'est pour ça que, au fond, on a l'impression que l'Occident se tire une balle dans le pied par ce type d'annonce. Au fond, ça accrédite la thèse d'un retrait de l'Occident et ça légitime aussi une montée en puissance des BRICS. 

Et donc c'est très intéressant, d'un point de vue géopolitique, de comprendre que ce type d'annonce n'est pas neutre.

Est de la RDC: «La guerre n'est vraiment pas une solution pour nous», dit Mgr Donatien Nshole
20 February 2025
Est de la RDC: «La guerre n'est vraiment pas une solution pour nous», dit Mgr Donatien Nshole

Depuis plusieurs semaines, la situation sécuritaire dans l'est de la République démocratique du Congo ne cesse de se détériorer. L’AFC/M23, groupe soutenu par l’armée rwandaise selon Kinshasa, a poursuivi son avancée jusqu’à Bukavu, malgré les initiatives diplomatiques en cours. Face à cette crise, l’Église catholique et les protestants congolais ont engagé des démarches pour favoriser un dialogue entre les différentes parties. Monseigneur Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), fait partie de la délégation (réunissant la Cenco et l’Église du Christ au Congo) revient sur cette initiative, et tire un premier bilan des rencontres qui ont été menées, avec Liza Fabbian.

RFI : La semaine dernière à Goma, vous avez rencontré Corneille Nangaa, le coordinateur de l'AFC/M23. Après cette entrevue, ses troupes, appuyées par l'armée rwandaise, se sont emparées de Bukavu. Était-il utile de le rencontrer ?

Mgr Donatien Nshole : Oui, nous estimons que c'était très utile de le rencontrer parce que, pour nous, la solution militaire n'en est pas une. L'idéal serait que les Congolais s'assoient autour d'une table et qu'ils trouvent un consensus national autour de leurs différends plutôt que de s'engager dans une voie qui fait autant de morts, et de pertes non seulement en vies humaines, mais aussi en termes de destruction des infrastructures nécessaires pour le développement du pays.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le bilan que vous avez pu tirer de l'échange que vous avez eu avec Corneille Nangaa ?

Nous sommes allés le convaincre de la nécessité d'un dialogue et ils ont été ouverts à l'initiative. Ils ont promis d'envoyer leur cahier des charges assorti des conditions pour participer à ce dialogue. Pour nous, c'était déjà une ouverture. C'est la même démarche qu'on a faite auprès des autres acteurs sociaux – politiques du pays pour le même objectif. 

Évidemment, on aurait souhaité qu'on puisse arrêter les combats sur le terrain. Ça nous inquiète qu'on continue encore à se battre et que du côté de Kinshasa, il y ait encore aussi des voix qui parlent en termes de résistance, en termes militaires, ça, vraiment, ça nous décourage. Pour arriver à une solution pacifique comme nous la proposons, il faut des signaux de part et d'autre. Il faut vraiment un engagement formel et de la part du M23 et de la part de Kinshasa. Il ne faudrait pas que le M23 considère que ce qu'on leur demande, c'est pour laisser le temps à l'autre camp de s'organiser. Il ne faudrait pas que de l'autre côté de Kinshasa, on considère les négociations comme une faiblesse. Non. La guerre n'est vraiment pas une solution pour nous.

Vous avez également rencontré dans la foulée le président rwandais Paul Kagame. Qu'avez-vous tiré de cette rencontre ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

D'abord, l'écoute. Il nous a écoutés. Il nous a donné suffisamment de temps. Il a encouragé l'initiative « pastorale », pour reprendre ses mots, là où les politiciens n'ont pas réussi à trouver une solution. Et il a promis son implication dans tout ce qui va dans le sens du dialogue, pour qu'on en finisse avec ce conflit. Nous allons proposer quelque chose tenant compte et de la réalité et des avis des uns des autres. C'est à ce moment-là qu'on verra les vraies intentions des uns et des autres.

L'initiative que vous portez vous a également amené à rencontrer plusieurs figures de l'opposition politique congolaise, notamment Martin Fayulu, Moïse Katumbi ainsi que des émissaires de Joseph Kabila. Sont-ils tous favorables à un dialogue ou une rencontre qui intégrerait le AFC/M23.

Ils sont tous favorables au dialogue, à certaines conditions. Nous sommes en train de recueillir justement les avis des uns des autres. Nous allons proposer quelque chose tenant compte de la réalité et des avis des uns et des autres. C'est à ce moment que l'on verra les vraies intentions des uns et des autres.

Mais vous, votre souhait, c'est donc de pouvoir organiser une rencontre qui intégrerait l’AFC/M23 ?

Absolument. Parce que c'est une partie du problème aussi. On ne peut pas le mettre de côté. Corneille Nangaa et les autres sont des Congolais. Ils ont pris les armes et doivent expliquer aux autres Congolais, pourquoi et ce qu'il faudrait faire pour trouver des solutions sans la guerre.

Les représentants de la Cenco et de l’ECC ont aussi échangé avec William Ruto, le président du Kenya. Il est également président en exercice de la Communauté d'Afrique de l'Est. Comment votre initiative s'intègre-t-elle dans la dynamique sous-régionale ? Et comment s'articule-t-elle avec les processus de Luanda et de Nairobi ?

C'était l'objet de la rencontre. Parce que, au niveau national, nous espérons, avec la bonne volonté des acteurs sociopolitiques, arriver à un consensus qui sera la voix du Congo par rapport à la gouvernance interne, mais aussi par rapport aux relations avec le voisin. Et pour cela, la dynamique nationale a besoin de l'appui de la sous-région. Donc concrètement, après le consensus qui sera dégagé, ce ne sera plus la voix du président Tshisekedi qui sera entendue, mais celle des Congolais unis. Ça aura déjà un autre poids. Et la communauté politique sous-régionale devra en tenir compte pour voir comment intégrer ça dans les pourparlers de la sous-région. L'idéal pour nous, c'est qu'on obtienne à la fin une conférence internationale pour la paix en RDC, dans les Grands Lacs.

Quelle est la finalité que vous espérez atteindre ?

La finalité, c'est, d'abord, que les armes cessent. La finalité, c'est que les congolais se mettent d'accord autour d'un pacte social pour la paix et le vivre-ensemble. La finalité, c'est que les Congolais se mettent d'accord sur la façon de vivre en paix avec le voisin en tenant compte des intérêts des uns et des autres. La finalité, c'est donner au pays la matrice de la gouvernance qui pourra garantir le bien-être de la population congolaise qui devra vivre dignement. C'est cela, notre plus grand souci en tant que pasteurs.

Mathurin Dimbélé Nakoé: «Touadéra a partagé les mêmes peines que le peuple centrafricain»
19 February 2025
Mathurin Dimbélé Nakoé: «Touadéra a partagé les mêmes peines que le peuple centrafricain»

Le 17 février, vous entendiez sur RFI le député d’opposition centrafricain Dominique Yandocka - au micro de Christophe Boisbouvier - évoquer notamment son incarcération d'un an en 2024, au cours de laquelle il affirme avoir été empoisonné. Aujourd'hui, Dominique Yandocka est encore sous le coup d’une condamnation pour « délit de complot ». Notre Grand invité Afrique ce matin est Mathurin Dimbélé Nakoé, le chef de file de la majorité présidentielle au sein de l'Assemblée nationale centrafricaine. Il revient sur cette affaire et sur une disposition de la nouvelle Constitution, interdisant aux binationaux de concourir pour la magistrature suprême. Mathurin Dimbélé Nakoé répond aux questions de Liza Fabbian.

RFI : Pourquoi les autorités ont-elles transgressé la règle de l'immunité parlementaire et jeté le député Dominique Yandocka en prison pendant plus d'un an ?  

Mathurin Dimbélé Nakoé : Je voudrais vous demander et demander à Monsieur Yandocka, de se référer à l'article 119 de la loi portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale de la République centrafricaine. Lorsque le député est pris en flagrant délit de commission d'une infraction donnée, le député est arrêté et l'Assemblée nationale est informée plus tard. Il se trouve que, malheureusement, l'infraction commise par Dominique Yandocka tombe sous le coup des dispositions de cette loi-là. Et donc le parquet n'avait pas besoin de demander la levée de l'immunité de Dominique Yandocka.

Alors, Dominique Yandocka a été accusée de complot pour renverser les autorités. Il a été condamné à un an de prison, une peine qu'il avait purgé au moment de sa condamnation. Un an de prison pour une tentative de coup d'État, n'est-ce pas une peine assez faible finalement ? Les opposants y voient une tentative de couvrir une procédure sans fondement…

Moi, je ne pense pas de la même manière. Il y a le principe de séparation de pouvoir entre la justice et le pouvoir exécutif. À partir de là, le juge fait son travail en toute liberté, en toute souveraineté et ils ont peut-être décidé de condamner Yandocka à un an d'emprisonnement ferme. C'est une peine qui a été décidée et qui est peut-être conforme à l'infraction commise. L'essentiel est que le juge l'ait prononcée en toute souveraineté, en toute liberté.

Confirmez-vous que Dominique Yandocka a été victime d'une tentative d'empoisonnement pendant son incarcération ? C'était en février 2024, selon lui. Que savez-vous de l'épisode qu'il relate ?

Vous savez, Monsieur Yandocka, c'est un jeune leader qui cherche à se faire connaître et je pense que ça, ce sont des allégations inventées de toutes pièces. Il y a que lui seul qui est témoin de son empoisonnement, mais est-ce que sa parole vaut quelque chose ? Je ne sais pas. Moi, à sa place, je ferais le dos rond, parce que, malgré la faute commise, eh bien la justice a trouvé moyen de le mettre en liberté. La procédure n'est pas terminée. Il faudrait qu'on attende d'abord la décision de la Cour de cassation pour commencer à se livrer à des accusations. Je ne vois pas comment on peut l'empoisonner et le laisser vivre. Vous comprenez que c'est absurde. Vraiment, c'est un non-sens.

Alors, depuis l'adoption de la nouvelle Constitution en Centrafrique, plusieurs figures de l'opposition sont exclues de la présidentielle à venir, car certaines dispositions écartent justement les binationaux. N'est-ce pas une volonté du président Faustin-archange Touadéra, d'effacer ses principaux opposants, dont la plupart sont binationaux ?

Le président Touadéra a déjà été à l'élection présidentielle avec Dologuélé, Mboli-Goumba et Ziguélé. Il est sorti vainqueur et en 2020 aussi. La Constitution dit clairement que la démocratie, c'est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Alors moi, je pense que si le peuple a choisi de dire qu'il ne veut plus d'un président binational, le peuple a ses raisons. Et la raison fondamentale, c'est d'éviter tout conflit d'intérêts. Et je pense que ce problème n'est pas le seul apanage des Centrafricains.

Serait-il envisageable d'ouvrir un dialogue en vue d'amender cette mesure que l'opposition juge donc discriminatoire ?

Pour modifier une telle disposition, il faut repartir devant le peuple. Le président Touadéra, seul, ne peut pas, autour d'une table, avec ces gens de l'opposition, décider de quoi que ce soit. Par contre, ils peuvent renoncer à l'une ou l'autre de leur nationalité dans le délai imparti par les lois en vigueur. À ce moment-là, ils seront en règle vis-à-vis du droit centrafricain. C'est la loi qui le dit. Ce n'est pas Touadéra qui l'a inventé.

Le président Faustin Archange Touadéra sera-t-il candidat à l'élection présidentielle de décembre prochain ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas le professeur Touadéra, mais en tant que peuple centrafricain, je voudrais qu'il soit candidat. Contrairement aux autres qui vont tout le temps séjourner en France, rester longtemps en France, abandonnant leur pays, pendant tous les événements que nous avons connus dans ce pays. Touadéra a été en Centrafrique, Touadéra à partager les mêmes souffrances, les mêmes peines que le peuple centrafricain. Et ça, le peuple n'est pas prêt à oublier.

Et si c'est son souhait, quand pourrait-il annoncer sa candidature ?

Le président Touadéra a un parti politique et je pense qu'il appartient au parti politique, lors d'un congrès extraordinaire, d'annoncer sa candidature et de l'investir. J'aimerais que cela se fasse vite pour que le peuple soit heureux et pour que le peuple soit en paix.

Côte d'Ivoire: «La coopération militaire continue avec la France, il n’y a pas de rupture»
18 February 2025
Côte d'Ivoire: «La coopération militaire continue avec la France, il n’y a pas de rupture»

En Côte d’Ivoire, la France va restituer, ce jeudi 20 février, la base occupée par le 43e bataillon d’infanterie de marine (Bima) aux autorités ivoiriennes. Ce camp militaire, situé dans la commune de Port-Bouët, deviendra le camp Thomas-d’Aquin-Ouattara, du nom du premier chef d'état-major de l’armée ivoirienne. Une cérémonie officielle sera organisée en présence des deux ministres de la Défense. Cette rétrocession intervient après deux ans de discussions entre les deux parties. Que va devenir ce camp militaire ? Quelles orientations la coopération militaire entre les deux pays va-t-elle prendre ? Et quid de la coopération avec les autres partenaires internationaux dans le domaine de la sécurité ? Téné Birahima Ouattara, ministre d’État, ministre ivoirien de la Défense, est le Grand invité Afrique de RFI ce matin. Il répond aux questions de notre correspondante à Abidjan, Bineta Diagne.

RFI : La rétrocession du 43ᵉ Bima est un symbole fort. Qu'attendez-vous aujourd'hui de la coopération militaire avec la France ?

Téné Birahima Ouattara : C'est un sujet dont nous discutons avec la partie française depuis deux ans, depuis 2023. Nous sommes convenus d'avoir un nouveau partenariat. Nous proposons de consolider la coopération de nos forces conventionnelles, de renforcer l'appui de la partie française dans le partenariat avec la Côte d'Ivoire en ce qui concerne le volet renseignement et puis le volet aussi des forces spéciales. Et enfin de contribuer à la montée en puissance de l'armée de l'air de Côte d'Ivoire.

Une centaine de militaires français devraient rester pour assurer des formations. Quels sont les besoins spécifiques de l'armée ivoirienne ?

Les besoins sont nombreux, je dirais. Voici comment est-ce qu'on pense organiser le 43ᵉ Bima. Nous allons créer un centre d'aguerrissement. Nous avons besoin, avant de projeter nos soldats dans les opérations des Nations unies, de les former. Jusque-là, ces formations se faisaient dans des coins assez reculés. Nous pensons que le 43ᵉ Bima correspond parfaitement à des infrastructures qui correspondent à la formation. Nous avons déjà créé un partenariat avec la France, une école de communication au niveau des armées, ce qui est important, et nous avons l'intention aussi d'y installer un certain nombre de bataillons ivoiriens dans le camp.

Quelle est la contrepartie à cette coopération ?

La coopération militaire continue avec la France. Il n'y a pas de rupture en réalité parce qu’une équipe de l'armée de l'air, la France va s'installer à Bouaké, par exemple, où il y a des infrastructures appropriées pour la formation des pilotes ivoiriens. Donc la coopération continue en réalité, la France a voulu réarticuler son dispositif en Afrique. On ne peut que donc aller dans ce sens. Mais la coopération continue.

A Munich, vous avez eu un entretien avec le commandant d'Africom. Est-ce que l'administration de Donald Trump vous paraît disposée à reconduire le soutien des États-Unis en matière de formation et d'équipement des armées ivoiriennes ?

J'ai indiqué au responsable d’Africom, le général Langley, que nous avions quelques inquiétudes parce que nous avions un plan de formation avec les États-Unis qui a dû connaître un ralentissement à partir donc des instructions depuis Washington. Il m'a rassuré. Il m'a rassuré pour me dire que la Côte d'Ivoire constituait quand même un pays important. Et c'est une évaluation qui se fera faîte très rapidement. Et la coopération devrait continuer normalement.

En décembre, deux gendarmes ivoiriens qui étaient détenus à Ouaga depuis plusieurs mois ont pu être libérés grâce à la médiation du Togo. Le soldat et le VDP burkinabé sont aussi rentrés chez eux. Passé cet épisode, est-ce que les discussions avec votre homologue burkinabé de la Défense ont pu reprendre ?

Le Burkina et la Côte d'Ivoire ont une histoire commune. Nous sommes tellement liés. Nous avons des populations qui sont de part et d'autre (de la frontière, ndlr) qui parlent la même langue. C'est un certain nombre de choses qui font que la Côte d'Ivoire ne peut pas se fâcher avec le Burkina et vice versa. Donc il peut y avoir des incompréhensions, mais très rapidement, ces incompréhensions sont levées. Et puis la vie continue. Je pense qu'il n'y a pas de problème a priori.

Vous parlez justement de la frontière. Est-ce que les discussions sur la délimitation de la frontière qui est commune ont pu reprendre ?

Oui, effectivement, à Bobo-Dioulasso aujourd’hui, les discussions ont repris pour essayer d'arriver à une délimitation des frontières. On s'est fixé un calendrier qui devrait prendre fin à la fin du mois de juin.

Est-ce que vous êtes volontaire pour essayer de relancer les discussions autour de la mise en place de patrouilles mixtes entre le Burkina et la Côte d’Ivoire ?

On l'a toujours souhaité. On l'a toujours souhaité. La partie burkinabé nous avait donné des assurances dans ce sens-là, mais pour le moment, ce n'est pas effectif. Mais c'est notre souhait parce que ça permettrait de vraiment régler un problème : cela permettrait à la Côte d'Ivoire de nettoyer le nord ivoirien ; et cela permettrait au Burkina de nettoyer le sud du Burkina. Mais pour le moment, ce n'est pas effectif. La dernière opération que nous avons menée ensemble date de 2021. Depuis, donc, nous n'avons pas encore pu mener d'opération ensemble, mais j'ai bon espoir qu'on puisse y arriver quand même.

Une question politique maintenant. Début janvier, à l'occasion des vœux au corps diplomatique, le président de la République a dit qu'il n'avait pas encore pris sa décision concernant le scrutin d'octobre prochain. Pensez-vous qu'il veut y aller ?

Posez la question au président de la République.

Dominique Yandocka: Bangui «a tout fait pour salir mon casier judiciaire pour que je devienne inéligible»
17 February 2025
Dominique Yandocka: Bangui «a tout fait pour salir mon casier judiciaire pour que je devienne inéligible»

En République centrafricaine, le député d’opposition Dominique Yandocka veut contribuer au combat pour une véritable alternance lors de la présidentielle de décembre prochain. Dominique Yandocka revient de loin. Il a passé toute l’année 2024 en prison, où il affirme avoir été empoisonné. Après trois grèves de la faim, il en est ressorti. Mais il reste sous le coup d’une condamnation pour « délit de complot ». De passage à Paris, le leader politique du mouvement Initiative pour la transformation de l’action (Ita), répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Vous avez été emprisonné à Bangui pendant un an, comment s'est passée votre détention ?

Dominique Yandocka : J'ai été enlevé le 15 décembre 2023 sur instruction ferme du président de la République, Faustin-Archange Touadera, sans faire mention de mon immunité parlementaire.

Est-ce que vous avez été maltraité pendant votre année de prison ?

Alors, sur le plan physique, non, mais plutôt sur le plan sanitaire. Sur une année, j'ai passé près de neuf mois en fauteuil roulant, je suis sorti avec des séquelles, j'ai été victime d'un empoisonnement. Le 9 février 2024, j'étais victime d'un malaise, on m'a transféré à l'hôpital militaire. Et le 12 février, j'ai été ramené à la prison manu militari, c'est à ce moment, dans la bousculade, qu'on m'a fait assimiler un produit dont j'ignore la provenance, et ça m'a valu 36 heures de coma. Il a fallu qu'on m'administre des remèdes et c'est ça qui m'a fait vomir plusieurs fois et j'ai repris connaissance.

Et vous avez fait une grève de la faim ?

J'ai fait trois grèves de la faim pour protester contre la non prise en charge de mon état de santé et aussi pour protester contre mon arrestation, parce que tout ça a été l'instrument d'une machination orchestrée de toute pièce, depuis la présidence de la République.

Pourquoi avez-vous été arrêté, à votre avis ?

Tout simplement parce que le pouvoir me redoute. Donc, ils ont tout fait pour que je sois arrêté. Que mon casier judiciaire soit sali pour que je devienne inéligible à toutes les élections.

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Oui, mais vous n'êtes pas le seul opposant en République centrafricaine ?

Vous savez, je suis d'accord avec vous que je ne suis pas le seul opposant, mais en attendant, je suis de l'opposition et je suis député du 4e arrondissement.

De Bangui ?

De Bangui bien sûr. Et les gens redoutent que je puisse pousser la barre un peu plus haut.

Alors au bout d'un an de prison, vous avez été condamné à précisément un an de prison, ce qui vous a permis de sortir juste après Noël. Votre libération, Dominique Yandocka, est-ce que c'est la preuve que la justice n'est pas aux ordres du pouvoir politique, ou qu’au contraire, c'est à la suite d'une décision politique ?

Je salue ici le courage de certains magistrats qui ne défèrent pas devant la pression politique, mais qui ont voulu trouver un arrangement pour que je n'écope pas d'autres peines d'emprisonnement supplémentaires. Ils ont jugé utile de trouver le juste milieu pour me faire sortir au bout d'un an et 11 jours. Je salue d'abord leur bravoure, malgré la pression politique qui était sur eux, ils ont su quand même faire un jugement à la Salomon.

Un jugement à la Salomon, dites-vous. Suite à cette condamnation, vous êtes aujourd'hui libre, mais sous le coup de ce jugement et vous continuez à clamer votre innocence, qu'est-ce que vous allez faire ?

Mes conseils ont fait un pourvoi en cassation. Et tant que la Cour de cassation ne se prononce pas, je reste et je demeure dans tous mes droits.

Alors cela dit, Dominique Yandocka, vous êtes binational. À la fois de nationalité centrafricaine et de nationalité française. Et du coup, a priori, vous n'êtes pas éligible à la présidentielle de décembre prochain. Est-ce que vous pensez quand même à cette élection ?

Vous savez, pour l'instant, ce n'est pas d'actualité. Je suis député de la nation, je me concentre sur mon mandat aujourd'hui. En tant que député de la nation, le jour viendra où le peuple centrafricain me fera confiance, et voudrait que je pousse un peu la barre plus haute, je le ferai et je suis prêt aujourd'hui à contribuer pour qu’il y ait une vraie alternance dans notre pays.

En juillet 2023, vous avez appelé au boycott du référendum sur la nouvelle Constitution, notamment parce qu'elle permet aujourd'hui au président Touadéra de se présenter à un troisième mandat. Du coup, est-ce que vous allez appeler au boycott de la présidentielle du mois de décembre prochain ?

En 2023, j'ai bien appelé à boycotter le référendum constitutionnel, tout simplement parce qu'il y avait des dispositions qui me semblent discriminatoires. Par exemple, toute personne qui détient la double nationalité ne peut plus prétendre à la magistrature suprême ou à diriger les hautes fonctions de la République. Et ça a été fait à dessein, parce que le président Touadera n'accepte pas qu'il y ait de la concurrence.

C'est une disposition qui écarte de fait Anicet-Georges Dologuélé, Crépin Mboli-Goumba et vous-même ?

Oui, mais notre pays sort de très très loin et nous n'allons pas nous permettre encore qu'il y ait une autre division, pour assouvir le besoin d'un seul clan ou d'un seul homme. C'est pour cette raison que je crois formellement qu'il va y avoir l'ouverture d'un dialogue pour que nous puissions discuter sur des points de divergence par rapport à cette Constitution et donner la chance à tous les Centrafricains d’aller compétir.

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«On aurait voulu voir l'Union africaine mettre l'accent sur les graves conflits dans toutes les réunions internationales»
15 February 2025
«On aurait voulu voir l'Union africaine mettre l'accent sur les graves conflits dans toutes les réunions internationales»

L’Union africaine à la croisée des chemins. Alors que s’ouvre le 38e sommet des chefs d’État, l'organisation est de plus en plus critiquée pour son impuissance face aux conflits et crises qui se multiplient sur le continent. Comment expliquer sa faiblesse, et relever ces défis ? Pour en parler, Liesl Louw-Vaudran, chercheuse à l’International Crisis Group (ICG) et spécialiste de l'UA.

RFI : Lors de son premier discours d'adieu, mercredi, Moussa Faki Mahamat a invité les chefs d'État de l'Union africaine à se ressaisir. Il s'est montré inquiet pour la survie de l'organisation. Est-ce que le rêve d'une institution panafricaine forte est menacé aujourd'hui ?

Liesl Louw-Vaudran : C'est vrai que nous voyons, ces dernières années, des États qui ne voient franchement pas l'intérêt de l'Union africaine pour eux, même pour les processus de paix. Donc, ce sont des organisations régionales qui, pour la plupart, gèrent les conflits dans leur région. Nous avons six États suspendus de l'Union africaine à cause des coups d'État. Il y en a peut-être un ou deux qui vont éventuellement revenir. Mais surtout, les États de l'AES, maintenant, sont isolés et nous voyons que le dialogue entre l'Union africaine et ses États ne sont pas vraiment entamés. Donc, je pense que l'Union africaine de son côté n'a pas montré vraiment son efficacité. 

Comment expliquer cet affaissement ? 

On peut critiquer Moussa Faki Mahamat et son staff de ne pas avoir été vraiment en avance, par exemple sur le conflit du Soudan, c'est le conflit avec l'impact humanitaire le plus grave au monde, mais on n’en parle pas. Au minimum, on aurait voulu voir l'Union africaine mettre l'accent sur ces graves conflits dans toutes les réunions, à l'ONU, dans les réunions internationales. Mais aussi, bien sûr, nous sommes dans un contexte international où le multilatéralisme est en crise, donc ce n'est pas totalement la faute de l'Union africaine, mais d'autres facteurs internationaux. 

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Est-ce que l'élection de Donald Trump aux États-Unis rend l'Union africaine encore plus seule face à tous ces défis ? 

C'est vrai que c'est très inquiétant parce que c'est un peu imprévisible. On ne sait pas quel va être l'impact, par exemple, sur la force de l'Union africaine en Somalie qui dépend beaucoup des financements de l'ONU, et les États-Unis sont un grand financement du budget des opérations de paix de l'ONU. Ça peut avoir un impact, mais ça ne va pas vraiment avoir un impact direct sur l'Union africaine en tant qu’organisation. 

Au cœur de ce sommet, il y a bien sûr le conflit dans l'est de la RDC, avec un risque de déflagration régionale. Le Conseil paix et sécurité a entériné, hier, la fusion des processus de Luanda et Nairobi. Est-ce que c'est une bonne idée ? 

C'est une bonne idée s'il n'y a pas trop d'initiatives parallèles, trop de médiateurs, et l'inquiétude, c'est un peu que le processus de Luanda ne disparaisse parce que l’EAC, à un moment donné, voulait un peu que le processus de Nairobi soit le seul processus, donc convaincre la RDC de dialogue avec le M23. Mais nous pensons aussi, c'est aussi important, c'est le processus de Luanda, parce que c'est le dialogue entre la RDC et le Rwanda, qui aujourd'hui le Rwanda soutient le M23. 

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Mercredi, le Rwanda a échoué à obtenir le poste au sein du Conseil paix et sécurité que le pays briguait. Le Rwanda est arrivé troisième, derrière l'Éthiopie et la Somalie. Est-ce qu'il faut y voir une forme de sanction de la part des États membres ? 

C'est possible. C'est vrai que le Congo RDC est toujours membre pour deux ans, donc si le Rwanda s'était joint au Conseil de paix et de sécurité, ça aurait été une opportunité pour le Rwanda d’éventuellement bloquer d'autres initiatives du Conseil de paix et de sécurité. Le Rwanda, depuis beaucoup d'années, est très influent, ici, à l'Union africaine, surtout le président Paul Kagame, qui gérait les réformes de l'Union africaine. Et donc, on peut voir ça, éventuellement, comme un manque de poids et d'influence. Mais il faut aussi se rendre compte que c'est un jeu, parfois, des États, donc les autres membres peuvent par exemple soutenir un candidat pour un commissaire, on échange un vote au CPS. Donc, on ne peut pas toujours déduire que, par exemple, un pays a perdu de l'influence parce qu'il a pu gagner ailleurs, mais quand même, je pense que le Rwanda ne devrait pas être content de ne pas avoir été élu.

Gabon: la candidature d’Oligui Nguema «est souhaitée par le peuple gabonais» selon François Ndong Obiang
14 February 2025
Gabon: la candidature d’Oligui Nguema «est souhaitée par le peuple gabonais» selon François Ndong Obiang

Au Gabon, la popularité du président de la transition, le général Oligui Nguema, est-elle en train de s'effriter ? « Oui », affirmait hier notre invité, le syndicaliste Jean-Rémy Yama. « Non », répond ce matin François Ndong Obiang, qui est le premier vice-président de l'Assemblée nationale et qui affirme que 70 % des Gabonais soutiennent l'ancien officier putschiste du 30 août 2023. La présidentielle, c'est dans deux mois, le 12 avril, mais aucun poids lourd n'a encore annoncé sa candidature. Que fera le général Oligui Nguema ? De passage à Paris, le premier vice-président de la Chambre répond à Christophe Boisbouvier.

RFI : On est à moins de deux mois de la présidentielle et le général Brice Oligui Nguema reste muet sur ses intentions. Est-ce à dire qu'il hésite à être candidat ? 

François Ndong Obiang : Non, je ne pense pas qu'il y ait d’hésitations. Nous sommes dans les temps. Je pense que s'il a la volonté et la détermination d'être candidat, il annoncera sa candidature dans les jours prochains. Je pense que d'ailleurs cette candidature est souhaitée par le peuple gabonais, parce qu'il a commencé quelque chose qui a été perçu comme un profond changement. 

Et donc vous pensez qu'il annoncera sa candidature d'ici à la fin de ce mois de février ? 

Oui, nous sommes à deux mois, nous sommes le 14 février aujourd'hui, il faudra effectivement que, dans les jours qui viennent, monsieur Oligui se prononce sur sa candidature. 

Alors vous-même, François Ndong Obiang, vous avez appelé à voter « oui » à la nouvelle Constitution, c'était au mois de novembre dernier. Vous êtes député, premier vice-président de l'Assemblée nationale, est-ce que vous soutiendrez son éventuelle candidature ? 

Oui, nous partageons cette vision. Nous partageons une vision de tranquillité, une vision de prospérité et une vision de rupture apaisée. Vous savez, le Gabon vit une transition spécifique où il n'y a pas eu d'emprisonnement et de chasse aux sorcières, et où le chronogramme qui a été arrêté en septembre 2023 est suivi et respecté. Donc, si nous marchons dans cette voie, je suis prêt à continuer à soutenir cette logique et probablement la candidature de monsieur Oligui quand il se prononcera. 

Voilà 18 mois que le général Oligui préside la transition. Alors, juste après le putsch, il était très populaire. Mais aujourd'hui, avec les difficultés de la vie quotidienne, avec les pannes d'électricité qui sont nombreuses en ce moment à Libreville, est-ce que vous ne craignez pas que cette popularité s'effondre ?

Elle ne peut pas s'effondrer en deçà de 50 % de l'électorat gabonais. Je peux reconnaître effectivement tous les dysfonctionnements sur la SEEG [la société d'électricité - NDLR] qui sont dramatiques, qui sont pénibles pour tous les Gabonais. C'est vrai. Encore que ces problèmes soient là depuis longtemps, la société n'a pas été restructurée. Bon, mais même le bon Dieu a des contradicteurs. Donc, Oligui Nguema, légitimement, devrait avoir des contradicteurs, mais sa popularité ne peut pas être en deçà de 70 % aujourd'hui. On ne peut pas tout faire maintenant, mais ce qui se fait au moins est visible et apprécié par les Gabonais. Donc oui, il peut y avoir des dysfonctionnements avec le courant et l’eau, mais on va réparer tout cela.  

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À la présidentielle d’août 2023, François Ndong Obiang, vous étiez le président de la plateforme Alternance 2023 et donc le premier soutien du candidat Albert Ondo Ossa contre le parti au pouvoir PDG et son candidat Ali Bongo. Or, aujourd'hui, vous êtes aux côtés du PDG pour soutenir le probable candidat Brice Clotaire Oligui Nguema. Pourquoi cette volte-face ?

Oh, ce n'est pas une volte-face. Moi, je suis sur mes convictions. Moi, je ne suis pas PDGiste, et je crois que je ne l'ai pas été et que je ne le serai jamais. Mais, par conséquent, on peut avoir des acteurs de ce parti qui sont des hommes convenables et respectables. Donc, si le PDG soutient le candidat Oligui, c’est leur affaire, mais moi, je ne suis pas dans la logique du PDG. Moi, je soutiendrai le candidat Oligui parce que je sais que c'est un homme authentique dont on ne recherche pas l'acte de naissance pendant six jours, qui a une trajectoire scolaire établie et qui a un père et une mère qui sont visibles.

À la différence d'Ali Bongo, en fait ?

Je ne vous le fais pas dire... Donc, je soutiendrai Oligui pour la vision du bâtisseur qu’il a. Il ne sera pas le candidat du PDG.

Au vu des conditions très restrictives de la Charte de la transition et du Code électoral, il y a très peu de figures politiques gabonaises qui seront éligibles ce 12 avril. Est-ce que vous ne craignez pas que le général Oligui se retrouve tout seul comme candidat de poids face à simplement deux ou trois figurants ?

Mais il faut justement qu'Oligui ait des candidats contre lui. Il faut que l'élection soit ouverte, sinon on va proclamer autre chose. Bon, attendons voir.

Hier, on a entendu sur RFI le syndicaliste Jean-Rémy Yama qui vient de créer son parti et qui semble penser sérieusement à une candidature. Qu'est-ce que vous lui conseillez ? 

Je lui conseillerai simplement de garder et de conserver ses énergies et de participer à un mouvement collectif qui nous permettrait de capter toutes les capacités qu'il y a de bon dans ce pays pour avancer. 

Vous lui conseillez de rejoindre la future plateforme pour le candidat Oligui Nguema ?

Mais oui, c'est un monsieur courageux. C'est un monsieur qui a souffert dans sa chair. Je pense qu'il ne serait pas bon qu'il se disperse. 

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Présidentielle au Gabon: «C'est un mauvais signal que le président Oligui soit le candidat du PDG»
13 February 2025
Présidentielle au Gabon: «C'est un mauvais signal que le président Oligui soit le candidat du PDG»

Au Gabon, une élection présidentielle se tiendra le 12 avril prochain. Aucun ténor de la classe politique n'a encore annoncé sa candidature. Ni le général Oligui Nguema, qui préside la transition depuis dix-huit mois, ni aucun de ses opposants. Parmi les candidats possibles, il y a le leader syndicaliste Jean-Rémy Yama, qui vient de créer le PNTP, le Parti national pour le travail et le progrès. Depuis ses 18 mois de prison sous le régime Ali Bongo, l'enseignant-chercheur est populaire au Gabon. Ira-t-il à l'élection ? De passage à Paris, Jean-Rémy Yama répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : On se souvient de vos 18 mois de prison du temps d'Ali Bongo, c'est grâce aux militaires putschistes du 30 août 2023 que vous avez été libéré et que vous êtes devenu sénateur. Mais un an plus tard, tout récemment donc, vous avez appelé à voter contre la nouvelle Constitution, est-ce que ce n'est pas de l'ingratitude ? 

Jean-Rémy Yama : Mais non, pas du tout. Sinon, moi, je suis un enseignant. La rigueur avec laquelle je corrige la copie d'Ali Bongo est la même rigueur que j'utilise pour corriger la copie du président Brice Oligui Nguema. Donc, ce n'est pas parce qu'on m'a sorti de prison que je vais perdre mes convictions, ma dignité. Je pense que si j'ai été nommé sénateur, c'est pour que j'apporte mon expertise dans la construction de ce pays. Et donc, j'ai voté non à la Constitution, parce que j'estimais que cette Constitution n'était pas bonne.  

Et pourquoi ? 

Mais déjà dans la séparation des pouvoirs, et on le voit tout récemment dans l'actualité. Il y a un jeune activiste, pour la publication d'une vidéo, qui a fait deux jours en prison, en détention préventive. C'est une aberration. Cela veut dire que c'est un rétropédalage parce que, lorsqu'on vous met en prison, soit c'est le procureur, soit c’est le juge et, dans les deux cas, je ne connais pas de détention préventive qui mette deux jours. Alors, cela veut dire qu'il y a une intervention du politique et donc il faut arrêter l'intervention du politique dans la justice. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à voter non, parce que les travers du passé avaient toutes les possibilités encore de revenir. Et c'est la même chose aussi lors du Code électoral où je me suis abstenu. Il y a eu des avancées, certes, mais elles n'étaient pas suffisantes parce qu'on avait l'occasion aujourd'hui de faire un très bon Code électoral, malheureusement, on l'a ratée.

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Qu'est-ce qui vous gêne dans le nouveau code électoral ? 

Mais déjà, par rapport aux militaires, le fait qu’il y ait quelqu'un en tenue, qui peut maintenant, exceptionnellement pour cette élection, être candidat. 

Qu'est-ce qui vous gêne dans la candidature probable du général Bruce Oligui Nguema ? 

Aucun texte ne lui interdit d'être candidat, mais il a fait une promesse le 4 septembre 2023. Il a promis aux Gabonais qu'il rendrait le pouvoir aux civils, et moi, j'aurais souhaité qu'il respecte sa position, d'une part. Et je vois maintenant la résurgence du PDG, l'ancien parti au pouvoir, qui a été chassé. C'est-à-dire les mêmes acteurs qui ont été avec Ali Bongo, ce sont les mêmes acteurs, c'est-à-dire ceux qui avaient fait Ali en 2016, ils sont en train de le faire avec le président Oligui, par des marches, par des manifestations, appels à candidature, et ça, c'est un mauvais signal que le président Oligui soit le candidat du PDG, parce que c'est ça qui est en train de se dessiner. 

Et vous auriez aimé que le général Oligui Nguema fasse comme Amadou Toumani Touré au Mali en 1992, c'est-à-dire qu’après un an de transition, il se retire et laisse la place aux civils, c'est ça ? 

Mais même après six mois, qu'il se retire et qu'il laisse la place aux civils et que peut-être, même plus tard, on serait allé le chercher, comme d'ailleurs on est allé chercher ATT que vous venez de citer.

Est-ce qu’au vu de la large victoire du oui au référendum constitutionnel de novembre, le général Oligui Nguema n'est pas très populaire et n'est-il pas naturel qu'il essaye d'en profiter pour la prochaine présidentielle ? 

Bon, le 30 août, tout le monde va saluer ce qui est arrivé le 30 août 2023. Mais chaque jour qui passe, il y a une forme de désillusion qui s'installe. Il y a beaucoup de ratés et, aujourd'hui, si on doit faire le bilan de 16 mois, je suis persuadé que la popularité du président, chaque jour qui passe, perd des points. Sa popularité baisse, même si, c'est vrai, le président est populaire et il est probablement capable de gagner une élection, mais dans quelles conditions ? Si on regarde le tissu économique aujourd'hui, si on regarde le tissu social. 

Jean-Rémy Yama, vous créez donc le PNTP, le Parti national pour le travail et le progrès, deux mois et demi avant la présidentielle du 12 avril. Cela veut dire que vous serez candidat, non ? 

Non, je pense qu'aucun parti politique n'a encore annoncé sa candidature ou non. Pas du tout. Pour l'instant, moi, je ne me projette pas, je ne peux pas déjà savoir ce que je dirai dans un mois et donc je prends les choses au fur et à mesure qu’elles arrivent. 

Oui, mais enfin, le 5 septembre 2023, quand vous êtes sorti de la prison centrale de Libreville, le général Oligui a tenu à ce que ce soit vous le premier à en sortir, le premier prisonnier politique. On vous a fait une haie d'honneur à votre sortie, vous savez que vous comptez dans le paysage gabonais ? 

Oui, c'est vrai, il faut le reconnaître et je sais que je compte, ma voix compte, mais c'est ce que j'ai envie d'utiliser justement pour apporter un mieux vivre à nos compatriotes gabonais. Parce que les maux qui minent notre pays, sincèrement, peuvent être résolus si on y met un peu de la fermeté et de la rigueur. 

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François Hollande: «L’initiative qu’il faut prendre, c’est de faire une pression très forte sur le Rwanda»
12 February 2025
François Hollande: «L’initiative qu’il faut prendre, c’est de faire une pression très forte sur le Rwanda»

Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les combats ont repris hier dans le Sud-Kivu après plusieurs jours d’accalmie. La communauté internationale a toujours du mal à faire entendre sa voix et à faire stopper les hostilités. Comment y parvenir ? Dans ce dossier, la France a-t-elle raison de continuer à discuter avec les deux pays ou doit-elle s’aligner sur la position congolaise ? Autant de questions posées à François Hollande, l’ancien président socialiste, aujourd’hui député.

RFI : Quel regard portez-vous sur la situation dans l'est de la RDC ?

François Hollande : Je porte un regard à la fois attristé, et d'une certaine façon, révolté. Car c'est un conflit qui est tout à fait grave dans ses conséquences, avec des vies humaines, des civils, aussi des forces congolaises qui sont attaquées. Et c'est aussi sans réaction de la part de la communauté internationale au niveau qui serait nécessaire. Car nous voyons bien que, aujourd'hui, même si le Secrétaire général des Nations unies a pris position, même s’il y a eu des déclarations de tel ou tel gouvernement, ce n'est pas à la hauteur de l'agression dont la République démocratique du Congo est la victime de la part du Rwanda, pour parler tout à fait clairement. Car derrière le M23, c'est le Rwanda qui est en cause.

Que devrait faire alors la communauté internationale selon vous ?

Faire pression sur le Rwanda beaucoup plus fortement. Le Rwanda bénéficie d'une certaine faveur. Il y a le passé qui compte. Nous savons très bien ce qui s'est produit avec le génocide et nous savons très bien combien la personnalité aussi d[u président rwandais Paul] Kagame peut avoir comme importance dans l'ensemble des pays africains. Mais il n'empêche, là, il y a une agression qui est démontrée, qui est avouée de la part du Rwanda sur le soutien qu'il apporte à ce mouvement rebelle, qui n'est en fait, même si je ne nie pas son existence, mais qui n'est en fait que la face immergée de ce qu'est l'influence du Rwanda.

Et donc de voir un pays comme la République démocratique du Congo depuis des années, mais cette fois-ci avec une intensité plus grande, être finalement envahi, ses ressources naturelles confisquées, des villes qui sont occupées, c'est un manquement très grave au droit international. Et c'est d'ailleurs assez conforme à ce qui se produit dans le monde aujourd'hui. On voit ce qui se passe en Ukraine, on voit un certain nombre de pays qui ne respectent plus les règles de la communauté internationale. Eh bien, nous en sommes là aussi en République démocratique du Congo avec une forme d'invasion de son territoire.

La France fait-elle suffisamment entendre sa voix dans ce dossier selon vous ?

Elle l'a fait. Le gouvernement s'est exprimé, mais, je ne pense pas à un niveau suffisant. Le président de la République doit, sur ce sujet, dans un contexte que nous connaissons, celui du manquement aux règles de droit international, avec déjà ce qui se passe au Soudan, qui est suffisamment préoccupant, avec des conséquences que ça peut avoir, y compris en termes humanitaires et en termes aussi de migrations.

Là, sur la République démocratique du Congo, grand pays francophone avec lequel nous sommes liés, nous devons absolument défendre non pas un régime, non pas un président en l'occurrence, mais nous devons défendre des principes. Le principe, c'est l'intangibilité des frontières, c'est le refus de la guerre qui est utilisée pour prendre des ressources naturelles et c'est le refus aussi de toute négociation d'envergure. Puisque chaque fois qu'il y a des rendez-vous, ils sont reportés, annulés ou en tout cas, ils n'ont pas d'effet. Donc, l'initiative qu'il faut prendre, c'est de faire une pression très forte sur le Rwanda et d'exiger le retrait des forces qui sont présentes en République démocratique du Congo.

Est-ce que la politique d'équilibriste ou la position d'équilibriste, pourrait-on dire, d'Emmanuel Macron est la voie à suivre ? Ou est-ce qu'il faudrait que la France s'aligne plus sur la position congolaise et mette en place des sanctions à l'égard de Kigali ?

La France ne peut pas prendre seule des sanctions, elle doit le faire dans le cadre européen, c'est là qu'elles seront les plus efficaces. Et donc la France doit maintenant s'orienter vers cette voie si le Rwanda n'entend pas raison, s'il y a encore des forces militaires qui progressent dans l'est, ce qui est le cas. Car ça ne s'arrêtera pas forcément à Goma, donc avec un risque d'une progression de ses forces, il faut qu'il y ait un coup d'arrêt qui soit porté.