Plan Sénégal 2050, Nobel d'économie, voiture électrique : la politique au service de la prospérité ?
18 October 2024

Plan Sénégal 2050, Nobel d'économie, voiture électrique : la politique au service de la prospérité ?

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Les institutions démocratiques favorisent-elles la croissance économique et la prospérité au bénéfice de l'ensemble d'une population ? Question épineuse et passionnante posée par les trois lauréats du prix Nobel d'économie Daron Acemoglu, James A. Robinson et Simon Johnson qui se sont notamment intéressés à l'Histoire de la colonisation. Nous vous proposons un entretien exceptionnel avec l'un d'entre eux (à lire ci-dessous).

Dans la seconde partie de l'émission, retour sur le plan Sénégal 2050 présenté par le président Bassirou Diomaye Faye et son gouvernement dirigé par Ousmane Sonko. Les pistes proposées seront-elles à la hauteur des attentes d'une population qui s'impatiente ? Sont-elles réalisables au vu du contexte international et des contraintes économiques ?

NOTRE INVITÉ :

- Meissa Babou, enseignant chercheur au département d’économie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)

Enfin, nous réfléchissons sur le futur du secteur automobile dans le monde intimement lié aux bras de fer commerciaux entre les grandes puissances : illustration au Mondial de l’Automobile 2024 à Paris avec l'influence grandissante des constructeurs chinois en pointe en particulier dans le domaine des véhicules électriques. Quelle est leur stratégie à long terme ? Y a t-il un risque de surcapacité ? Comment les Européens peuvent-ils défendre leur industrie ? Quelle conséquence pour la décarbonation du secteur ?

NOS INVITÉS :

- Alicia Garcia Herrero, chef économiste pour l'Asie-Pacifique chez Natixis, basée à Hong-Kong

- Antoine Le Bec, chargé d’études chez Futuribles, centre de réflexion sur notre avenir et auteur d'une note intitulée «Automobile : vers un leadership chinois. Les constructeurs chinois à l’assaut du marché mondial». 

NOTRE ENTRETIEN :

Simon Johnson, enseignant en sciences économiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT) est l'un des trois lauréats du Prix Nobel d'économie 2024 pour ses travaux sur la compréhension des inégalités et des écarts de richesses entre les nations. Il a accordé un long entretien à Paola Ariza, journaliste à la rédaction en espagnol de RFI.

 

RFI : Simon Johnson, qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez remporté ce prix Nobel avec vos collègues ? 

Simon Johnson : Eh bien, j’ai d’abord été très surpris et puis très vite, absolument ravi.  

Votre travail a mis en lumière la relation entre le système politique et la croissance économique. 20% des pays du monde sont 30 fois plus riches que les 20% les plus pauvres. Pourquoi ces inégalités ? 

Simon Johnson : L’Histoire a une influence énorme, et plus précisément la façon dont de nombreux pays ont été colonisés et dirigés par les puissances européennes. Bien sûr, les Européens n’ont pas colonisé toute la planète, mais une bonne partie. Parfois cet héritage aura été positif pour le développement économique de ces pays, mais parfois assez négatif. Il est très important de se rappeler que l’impact sur les peuples autochtones, même dans des endroits ou des pays qui sont devenus prospères, Les peuples autochtones ont toujours souffert très durement de la colonisation européenne.  

Un pays est-il prédestiné à devenir riche ou alors pauvre?  

Simon Johnson : Non, il n’y a pas de prédestination, il faut faire les bons choix. J’ai été pendant un certain temps haut fonctionnaire et économiste en chef au Fonds monétaire international. Et nous avons travaillé longtemps et dur pour aider les pays et les gouvernements à faire de meilleurs choix qui aideraient à partager la prospérité dans ces endroits. Mais il est difficile d’échapper aux héritages que les Européens ont laissé derrière eux.  

Dans vos recherches, vous mentionnez aussi l’importance des institutions pour combattre les inégalités et promouvoir la croissance. De quelles institutions parlez-vous?  

Simon Johnson : Nous avons toujours souligné l’importance des interactions entre les institutions politiques. Si vous avez une démocratie vraiment viable et robuste avec une alternance au pouvoir et la possibilité de contester les élites dirigeantes existantes et ainsi de suite... Mais, en parallèle, ce qui compte, ce sont les institutions économiques. Est-ce qu’il y a des droits de propriété garantis si vous vous lancez dans un investissement ? Allez-vous récupérer les bénéfices de cet investissement ou sera-t-il accaparé par une personne puissante, un voisin ou un chef, ou une entreprise ? C’est donc la combinaison des institutions politiques et économiques qui, je pense, est la plus importante. 

Vous parlez plus précisément des institutions inclusives, qui sont liées à la démocratie, qui sont bonnes pour la croissance et la prospérité à long terme et puis d’autre part les institutions extractives mènent à la pauvreté. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion? Et pourquoi est-il difficile de réformer les institutions extractives? 

Simon Johnson : C’est parce que certaines personnes y gagnent beaucoup. Celles qui ont dirigé le commerce des esclaves, qui était dirigé par des Européens, les gens qui ont exploité les plantations, souvent des Européens, les gens qui ont mis en place des contrats miniers par exemple au Pérou et ainsi de suite. Un petit nombre de personnes gagnent donc beaucoup d’argent et deviennent riches grâce aux institutions extractives. Ces riches obtiennent aussi beaucoup de pouvoir politique et peuvent défendre les arrangements qui leur sont favorables. Et même s’il y a un coup d’état ou une révolution ou un renversement du gouvernement, ces leviers de pouvoir économique restent très concentrés. 

Vous dites que les pays qui se démocratisent, à partir d’un régime non démocratique, se développent plus vite que les régimes non démocratiques. En 8 ou 9 ans. Comment faites-vous ce calcul? On pense bien sûr à l’Amérique latine, aux pays qui ont souffert de dictatures ou même aux pays actuels où les lacunes de la démocratie sont dénoncées. 

Simon Johnson : Bien sûr, la démocratie n’est pas parfaite, les démocraties sont vulnérables aux chocs économiques. Nous ne disons pas que c’est une baguette magique ou que les résultats positifs sont nécessairement immédiats. Mais sur le long terme, vous voyez que parfois les régimes autoritaires font bien pendant un certain temps, et parfois ils peuvent même laisser les salaires augmenter. Mais tôt ou tard, le dictateur devient vieux, le dictateur devient corrompu. Et ces régimes ont prouvé à maintes reprises, y compris en Amérique latine, leur fragilité.  

Maintenant, les démocraties doivent produire des résultats. On ne peut pas dire “les élections ont été libres et équitables, on peut se détendre ! “. Non. Vous devez vous assurer que la prospérité est partagée. Sinon, vous créez de la frustration. 

Et qu’en est-il de la Chine, et plus généralement des économies asiatiques dans des pays pas toujours démocratiques ? Mais avec de fortes croissances, grâce à la technologie. Quelle est votre analyse ? 

Simon Johnson : C’est très intéressant de voir que les salaires des travailleurs peu qualifiés au Japon après la Seconde Guerre mondiale augmentent lentement au début. Mais à partir des années 1970, ils augmentent plus vite comme aux États-Unis. C’est la même tendance en Corée du Sud pendant cette période où l’on s’oriente vers la démocratie mais cela prend du temps et avec des conflits.

Pour la Chine, il y a très peu d’augmentation de salaires depuis le début des années 1990, lorsque la libéralisation a vraiment commencé. Et puis les Chinois ont arrêté de publier les données. C’est même en fait un crime qui peut être puni de prison si vous publiez ces données en dehors de la Chine. Il faut donc poser la question : si la prospérité est si largement partagée en Chine, pourquoi ne publient-ils pas les données sur les salaires ?

Vous dénoncez aussi la corruption dans les pays du sud global mais aussi dans les pays du nord qui handicape le développement. Comment faire pour la réduire ? 

Simon Johnson : Oui, je pense que la corruption est un problème énorme partout où elle apparaît dans le monde. Il y a toujours quelqu’un qui reçoit le pot-de-vin et quelqu’un qui le paie. Et dans de nombreux cas, il est payé par des gens qui sont assez riches, comme des entreprises étrangères, américaines ou européennes. Il y a beaucoup de belles paroles mais dans de nombreux pays, y compris les pays à faible revenu, la corruption est pire aujourd’hui qu’elle ne l’était dans les années 1990. Avec la mondialisation, les capitaux circulent plus librement entre les pays. La corruption est devenue encore plus un obstacle au développement économique, à la prospérité partagée avec tous les niveaux de revenus.  

Pourquoi pensez-vous qu’il y a plus de corruption à notre époque ? Qu’est ce qui a changé ? 

Simon Johnson : Pensez aux énergies propres par exemple qui intéressent tout le monde et moi aussi. Elles nécessitent un certain nombre de composants clés. Des minéraux, y compris le lithium. Donc, si votre pays a beaucoup de lithium, vous pouvez finalement participer à l’économie mondiale. Mais qui contrôle les droits sur ce lithium? Qui détermine le prix? Ce seront les gens qui ont de l’électricité et qui paient pour ce lithium. Ce sont des entreprises mondiales qui veulent fabriquer des batteries.  Donc, je pense qu’il y a une forme de complaisance. Dans les pays riches, nous nous bouchons les yeux pour ne pas voir les mauvaises pratiques dans les pays qui ont un déficit d’institutions et qui sont donc vulnérables à la corruption. 

Simon Johnson, vos travaux portent aussi sur le développement de la technologie et de l’intelligence artificielle. Très peu de grandes entreprises et de pays détiennent ces marchés qui ont de forts impacts sur les emplois et le produit intérieur brut. Qu’en pensez-vous ?   

Simon Johnson : Oui, en réalité, un seul pays possède les entreprises dominantes, ce sont les États-Unis d’Amérique. Nous avons un groupe de recherche au MIT avec mon collègue prix Nobel Daron Acemoglu et David Autor, l’un des plus grands économistes du travail dans le monde. Notre position, c’est que l’intelligence artificielle offre une occasion d’accroître la productivité des travailleurs à faible revenu et moins qualifiés, ce qui pourrait être très utile pour faire progresser les classes moyennes, pas seulement aux États-Unis. Mais au lieu de saisir cette opportunité, les grandes entreprises technologiques sont obsédées par une vision dans laquelle l’IA est avant tout une technologie d’automatisation, ce qui signifie que vous utilisez ces algorithmes pour remplacer les humains à grande échelle, et si ce processus d’automatisation avance aussi rapidement que le voudraient les soi-disant visionnaires du secteur, nous perdrons des millions d’emplois avant d’avoir le temps et la possibilité de créer de nouveaux emplois pour les remplacer. 

Nous reproduisons encore plus vite le processus dans les économies industrielles lorsque la technologie numérique s’est répandue à partir des années 1980. Donc, l’IA est dangereuse mais seulement sur le plan de l’emploi, parce que si nous choisissons de développer des technologies en augmentant la productivité des travailleurs peu qualifiés, alors l’IA sera très utile pour soutenir les classes moyennes, réduire la polarisation du marché du travail et réduire, espérons-le, la polarisation politique. 

Comment voyez-vous l’impact du changement climatique sur l’économie? Un sujet d’actualité chez vous aux Etats-Unis... 

Simon Johnson : Bien sûr, nous avons eu des événements tragiques aux États-Unis récemment avec deux ouragans, beaucoup de pluies par exemple dans les montagnes de la Caroline du Nord sur des personnes qui pensaient être loin du risque climatique, parce qu’elles sont très loin de la mer mais dont les maisons ont été emportées. Donc je pense que ces phénomènes extrêmes vont toucher tout le monde, partout. Et bien sûr, nous devrions nous rendre moins vulnérables. Mais nous devons vraiment nous attaquer au problème sous-jacent, à savoir notre utilisation continue et excessive des combustibles fossiles en modifiant les politiques. Mais il faut aussi développer de nouvelles technologies. Nous devons accélérer les investissements dans ce domaine pour créer des emplois, de bons emplois aux États-Unis et dans le monde entier. 

Au final, à quoi vont servir vos recherches ? 

Simon Johnson : Évidemment, gagner ce prix, c’est un immense honneur, C’est une reconnaissance de notre travail et pour ceux qui en bénéficient. Maintenant, il y a des décisions qui peuvent être prises. Non, le monde n’est pas figé. Nous devons redoubler d’efforts, nous devons impliquer plus de personnes, nous devons donner aux jeunes chercheurs les moyens nécessaires, permettre aux universités et aux entreprises de trouver les bonnes solutions. 

Depuis 30 ans, j’ai travaillé sur certains des problèmes les plus difficiles. J’ai travaillé avec le mouvement Solidarnosc en Pologne. J’ai travaillé pendant la crise financière asiatique en 1997 et pendant la crise financière américaine de 2008. J’ai travaillé sur la réforme financière dans de nombreux pays, j’ai travaillé pendant la COVID et rien ne dit que j’ai eu la bonne solution ou la bonne réponse. Il suffit de trouver les bonnes personnes, qui vont dans la bonne direction et les soutenir politique, avec la technologie et tout ce que l’on peut mobiliser.

Propos recueillis par Paola Ariza, journaliste à RFI.

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