L'économie mondiale retient son souffle : rétrospective de l'année 2025
26 December 2025

L'économie mondiale retient son souffle : rétrospective de l'année 2025

Éco d'ici éco d'ailleurs

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L'année 2025 restera comme une année charnière pour l'économie mondiale, marquée par le retour tonitruant de Donald Trump à la Maison-Blanche et ses décisions commerciales radicales. Cette émission spéciale d'Éco d'ici, éco d'ailleurs revisite, avec les experts qui sont intervenus à notre micro, les moments clés d'une année économique tumultueuse, entre guerres commerciales, crises géopolitiques, révolution de l'intelligence artificielle et urgence climatique.

 

🇺🇸 LA GUERRE COMMERCIALE DE TRUMP

Le "Jour de la Libération"

Le 2 avril 2025, Donald Trump annonce ce qu'il appelle le "Jour de la Libération" : une vague massive de droits de douane qui secoue l'économie mondiale. Kenneth Bertrams, professeur d'histoire économique à l'Université libre de Bruxelles, rappelle qu'on n'avait pas vu une déflagration de cette ampleur depuis 80 ans, depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les racines historiques du protectionnisme américain

Trump justifie sa politique en évoquant l'âge d'or américain de 1789 à 1913, période durant laquelle les États-Unis auraient été "extrêmement riches" grâce aux tarifs douaniers. Selon lui, dans les années 1880, les États-Unis collectaient tellement d'argent qu'ils ne savaient pas quoi en faire.

Mais l'historien Kenneth Bertrams tempère ces affirmations : ces références historiques sont approximatives et les données de l'époque très floues. La véritable naissance de la souveraineté économique américaine date de 1776, avec la déclaration d'indépendance motivée avant tout par des raisons fiscales. Les colons de l'Est voulaient s'affranchir de l'Empire britannique pour obtenir leur souveraineté fiscale et économique.

Les précédents historiques

Le XIXe siècle a connu des cycles protectionnistes alternant avec des périodes plus libérales. En 1823, la doctrine Monroe instaure un isolationnisme géopolitique. Mais c'est surtout la crise de 1929 qui marque les esprits : en 1930, le président Herbert Hoover ratifie le Smoot-Hawley Tariff Act, augmentant les tarifs de 6 à 8,1%, malgré la protestation de plus d'un millier d'économistes. Cette mesure accélère la détérioration des échanges et enfonce le monde dans la crise.

C'est Franklin Roosevelt qui, en 1934, remet en place une approche plus raisonnée avec le Reciprocal Tariff Act, préfigurant le moment libéral qui s'affirmera avec Bretton Woods en 1944.

Citation clé :

"On n'a pas vécu une déflagration de telle ampleur depuis 80 ans. Il faut se reporter avant la Seconde Guerre mondiale pour voir un choc d'une telle ampleur." — Kenneth Bertrams, professeur d'histoire économique

Trump n'a pas inventé le protectionnisme moderne

Kenneth Bertrams rappelle que Donald Trump n'est pas le premier président américain à recourir aux droits de douane. Dans les années 1980, Ronald Reagan augmente les barrières douanières face au Japon, notamment sur les voitures et l'électronique. Barack Obama fait de même sur l'acier lors de périodes de crise. Mais la différence avec Trump, c'est l'ampleur : un "paquet global" d'augmentation des tarifs que l'historien juge "extrêmement risqué, si pas complètement absurde."

💼 LES VICTIMES DU PROTECTIONNISME

Témoignage du terrain : Gustavo Reyes à Houston

À Houston (Texas), Gustavo Reyes incarne ces commerçants américains pris dans la tourmente. Son entreprise de vente en gros importe 85 à 90% de ses produits (fruits, légumes, viandes, fromages, produits mexicains) du Mexique. Face aux droits de douane, impossible d'absorber les hausses : "On a une marge très faible. On est en concurrence avec de grandes entreprises. C'est impossible. On ne peut pas absorber les droits de douane, on est obligé de les répercuter sur les clients", explique-t-il au micro de Nathanaël Vittrant, journaliste au service économie de RFI.

Le problème ne vient pas uniquement des droits de douane. La politique d'immigration aggrave la situation : "À peu près 95% de nos clients sont hispaniques. Si tu descends dans la rue jusqu'au marché des producteurs, il n'y a personne. Surtout en janvier. Tout le monde avait peur, tout était fermé. Les gens ne voulaient pas sortir de chez eux. Ça nous impacte beaucoup."

 

 

🇨🇳 LA CHINE : UN GÉANT VULNÉRABLE

Les inquiétudes de Pékin

Le Premier ministre chinois Li Qiang s'inquiète publiquement : "Tout l'environnement international devient plus complexe et alarmant, ce qui pourrait avoir un impact important sur notre commerce, notre secteur technologique. L'unilatéralisme et le protectionnisme gagnent du terrain et déstabilisent l'économie mondiale."

Le piège du modèle exportateur

Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en sciences économiques et spécialiste de l'économie politique internationale, explique le déséquilibre macroéconomique chinois : consommation très faible et investissement très important. "Cette équation ne peut fonctionner que si la Chine exporte des marchandises, si elle exporte des capitaux."

L'économie chinoise est donc "nécessairement extravertie" et cela la rend "nécessairement vulnérable aux aléas, aux évolutions de l'économie mondiale."

30 ans d'annonces sans résultat

Depuis 30 ans, les autorités chinoises annoncent vouloir basculer leur économie vers la demande intérieure, mais ça n'arrive jamais. Pourquoi ? "Il y a toute une série d'intérêts au sommet de l'État chinois. Les grandes entreprises visent à continuer le modèle exportateur, puisqu'il est hautement profitable pour une petite poignée ou même un grand nombre d'entreprises, et partant de là aussi pour l'État chinois. Mais le déséquilibre, il est là et à un moment il faudra y faire face."

RUSSIE / UKRAINE : L'EFFICACITÉ DES SANCTIONS EN QUESTION

Près de quatre ans de guerre

Près de quatre ans après le début de l'offensive russe, la question de l'efficacité des sanctions économiques et financières européennes se pose. Un accord équitable est-il possible ? 2026 apportera peut-être la réponse.

L'analyse de Charlotte Emlinger, économiste au CEPII

Charlotte Emlinger, du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), explique qu'on peut mesurer l'impact des sanctions sur les flux commerciaux. Les résultats montrent une baisse importante des échanges entre la Russie et les pays sanctionnateurs, tant à l'export qu'à l'import.

Mais la Russie contourne

"Après, est-ce que ça a vraiment un impact pour la Russie ? C'est une autre question puisque la Russie a pu se tourner vers d'autres fournisseurs."

Le paradoxe des biens stratégiques

Paradoxe majeur : "Quand on regarde les données, on se rend compte que la Russie a continué d'importer ses biens stratégiques et non seulement elle a continué de les importer, mais elle les a même encore plus importés. Pourquoi ? Parce qu'elle en a encore plus besoin, parce qu'elle est en guerre."

Ces autres fournisseurs, essentiellement la Chine, fournissent ces biens à des prix plus élevés qu'auparavant.

Les limites des "smart sanctions"

Les sanctions ciblées ("smart sanctions") visent à éviter les dommages collatéraux sur les populations. Mais Charlotte Emlinger constate qu'elles ne marchent "pas très très bien" :

    Difficile de vraiment cibler Effets d'externalité sur le reste de l'économie Le gouvernement russe compense, ce qui coûte au contribuable russe au final

Exemple : cibler une banque impacte tous les ménages russes qui dépendent de ce système financier.

EUROPE : COURSE AUX ARMEMENTS ET NOUVEAUX DÉFIS

200 milliards d'euros mobilisés

Face à la menace russe devenue "une menace pour la France et pour l'Europe" selon les autorités, l'UE mobilise près de 800 milliards d'euros pour la défense et la résilience. "C'est un moment pour l'Europe et nous sommes prêts à monter en puissance," affirme la Commission.

La multiplication des espaces d'affrontement

Julien Malizard, économiste de la défense, souligne une transformation majeure : "Aujourd'hui, on a une multiplicité des espaces d'affrontements. Dans le domaine spatial, dans le domaine du cyber, dans le domaine des fonds sous-marins. Et en fait, ça ne remplace pas les domaines traditionnels (terre, air, mer), ils ne font que se rajouter aux domaines classiques."

Conséquence : des investissements supplémentaires dans chacun de ces domaines, des investissements coûteux et pas forcément prévus.

L'intelligence artificielle militaire

La création récente de l'AMIA (Agence ministérielle pour l'intelligence artificielle de défense) illustre ces nouveaux besoins. "C'est important de pouvoir se dire qu'on va maîtriser les technologies pour l'intelligence artificielle avec les applications pour la défense."

Mais ces investissements créent des effets de substitution dans des enveloppes budgétaires déjà utilisées pour d'autres programmes. D'où l'importance de l'échelle européenne pour atteindre la taille critique nécessaire.

 

🇪🇺 L'EUROPE : INNOVATION EN PANNE ET SOUVERAINETÉ FRAGILE

L'analyse de Jean Tirole, Prix Nobel d'économie 2014

Le prix Nobel d'économie français analyse les conséquences pour l'Europe. Les droits de douane de 15% acceptés par les Européens sont "inouïs" et créent une double inefficacité économique :

    Renchérissement des coûts dans les pays Incitation au repli sur soi et fin de la division internationale du travail

Un désordre structurel ?

Jean Tirole parle plutôt d'un "repli sur soi" : des zones où on se refait confiance, avec des échanges relativement libres, et entre zones, c'est plus compliqué. L'incertitude créée paralyse les industriels qui ne savent plus où investir pour leurs usines. "C'est un système inefficace, fondamentalement."

L'économiste espère qu'après le départ de Trump, le monde reviendra à la raison, mais reconnaît : "Je l'espère. Mais nul ne peut parier."

Le constat accablant du rapport Draghi

Le vrai problème européen est structurel. Le rapport Draghi a posé un constat accablant que tout le monde a aimé mais qui "n'est pas très suivi" : l'Europe souffre d'un "déficit total d'innovation".

Malgré les talents en quantité, ce ne sont pas les Européens qui possèdent les grandes plateformes tech ou biotech, ni les start-ups de rupture. "Nous sommes devenus une économie de deuxième plan du point de vue de l'innovation de rupture," déplore Tirole.

Absence de souveraineté

"On n'a pas de souveraineté militaire, on n'a pas de souveraineté économique. Et donc on peut se laisser imposer beaucoup de choses. Et je ne vois pas aujourd'hui, en particulier dans le débat français, mais aussi dans le débat européen plus généralement, beaucoup d'enthousiasme pour dire : comment se fait-il qu'on soit à la traîne d'un point de vue technologique ?"

Citation clé :

"L'Europe a un déficit total d'innovation. Nous sommes devenus une économie de deuxième plan. On n'a pas de souveraineté militaire, on n'a pas de souveraineté économique." — Jean Tirole, Prix Nobel d'économie 2014

💵 LE DOLLAR ET LES CRYPTOMONNAIES : LA PARADE DE TRUMP

Renforcer le dollar par les actifs numériques

Pour contrer un possible affaiblissement du dollar dû à ses politiques, Trump a trouvé une parade audacieuse : le Genius Act de juillet 2025 adosse le dollar à des actifs numériques. L'objectif est d'augmenter la demande pour le dollar et donc de le renforcer. Actuellement, environ 199% des stablecoins sont adossés au dollar. Cela permet aux États-Unis de continuer à profiter de leur privilège monétaire pour financer leur déficit.

Conflits d'intérêts

Jean Tirole critique cette stratégie : l'administration américaine est très impliquée financièrement, à titre personnel, dans les bitcoins et les stablecoins. Mais il y a aussi une dimension politique internationale : contrôler l'émission des stablecoins renforce la domination monétaire américaine.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : LA BATAILLE DES GÉANTS

Une concurrence mondiale féroce

Entre l'Américain OpenAI et le Chinois DeepSeek, la concurrence s'annonce féroce pour les prochaines années. Mais d'autres acteurs majeurs émergent en Europe, en Afrique subsaharienne, au Maghreb et au Moyen-Orient, prêts à s'allier pour développer ces technologies et défendre leur souveraineté.

Station F : un écosystème attractif

Roxanne Varza, directrice de Station F (incubateur international de start-up à Paris), témoigne : "Depuis le début, on est très international. Il y a 65 nationalités représentées ici. Parmi les pays les mieux représentés, on trouve les États-Unis juste derrière la France, le Royaume-Uni, l'Italie, le Maroc et la Corée du Sud."

Les écosystèmes traditionnels (Silicon Valley, New York, Londres) deviennent parfois moins attractifs avec les changements géopolitiques. La France peut donc attirer de plus en plus de start-ups.

Des doutes sur la rentabilité

Des investisseurs commencent à émettre des doutes sur la rentabilité des entreprises de l'IA. Ce n'est pas récent : Goldman Sachs avait déjà questionné la rentabilité de ces levées de fonds l'été 2024.

Mais Roxanne Varza reste confiante : "Je pense que dans cet écosystème, on voit toujours une espèce d'optimisme et on veut toujours faire émerger des nouveaux modèles, des nouveaux projets, des nouvelles technologies finalement. Donc les levées de fonds continuent et vont continuer."

CLIMAT : L'AFRIQUE EN PREMIÈRE LIGNE

Intégrer l'environnement dans toutes les politiques

Ileana Santos, consultante franco-togolaise et co-fondatrice de "Je m'engage pour l'Afrique", appelle à un changement de paradigme : "Aujourd'hui, on se rend compte que les politiques se disent : le plus important c'est l'éducation, c'est la santé. Alors qu'en fait le sujet de l'environnement doit être intégré. Ça doit être une vision totalement intégrée et arrêter de choisir entre l'un et l'autre. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est les deux en fait."

Le problème du financement climatique

Sur le continent africain, les banques ne sont pas encore au niveau sur les enjeux de financement climatique. "Le rendement est plutôt de long terme et ils vont préférer parfois avoir des projets qui sont dits plus rentables." Un changement de logiciel est nécessaire, et le secteur privé doit prendre ses risques en investissant sur le temps long.

Sous-financement de l'adaptation

Le problème majeur : "On sous-finance les sujets d'adaptation climatique et on va plutôt vers l'atténuation. Et peut-être qu'en fait, il faut anticiper. Il faut qu'on arrête d'attendre que les inondations [arrivent] et qu'on se demande qu'est-ce qu'on fait."

Les chiffres sont éloquents. Exemple du Ghana : 4% des fonds vont à l'adaptation, 87% vont à l'atténuation.

Citation clé :

"Il faut arrêter d'attendre les inondations pour se demander qu'est-ce qu'on fait. On va arrêter de subir, on va anticiper. Et surtout, peut-être, il faut essayer d'enlever les intermédiaires entre les financements et les bénéficiaires finaux." — Ileana Santos, consultante en stratégie

La diminution de l'aide au développement

Dans un contexte de contraintes budgétaires, la diminution des crédits de l'aide au développement semble devenir une tendance lourde en Afrique et ailleurs, compliquant encore la situation.

 

ÉMANCIPATION FINANCIÈRE DES FEMMES

15% d'écart de patrimoine en France

Karine Gbianza, ancienne cadre de L'Oréal, publie un "Guide de l'émancipation financière" (Dunod) qui révèle des inégalités persistantes. En France, l'écart de patrimoine entre hommes et femmes reste de 15%.

Un apprentissage personnel

"Lorsque j'ai commencé à travailler, je suis passée d'un revenu d'étudiante à un vrai salaire. Et c'est lors de ces premiers mois que je me suis rendue compte que je n'avais pas les compétences nécessaires pour gérer l'argent que je recevais et que ni l'école ni ma famille ne m'avaient appris à prendre ce sujet en main."

Des biais dès l'enfance

Des études en France et aux États-Unis montrent que les petites filles reçoivent moins d'argent de poche que les petits garçons. On observe aussi des biais de genre dans la manière de récompenser financièrement les enfants : "On a tendance à donner un peu plus d'argent aux petits garçons que les filles."

"Et ça les conditionne très tôt finalement, à recevoir moins d'argent et aussi à être moins souvent récompensées lorsque, notamment, elles font du bon travail."

L'immobilier comme levier

Pour Karine Gbianza, l'immobilier a été un déclic : "Véritablement aujourd'hui un pilier de mon patrimoine. L'immobilier, lorsqu'il est bien acheté, lorsqu'on utilise le levier du crédit, permet véritablement d'accélérer le développement du patrimoine d'une personne."

Citation clé :

"C'est essentiel de prendre la responsabilité du développement de ses propres finances et surtout de ne pas se mettre en position d'attente d'une situation ou d'une personne providentielle pour venir prendre en main ce sujet à notre place." — Karine Gbianza, auteure du Guide de l'émancipation financière