Taraudée par le désir et sa quête existentielle inassouvie, la jeune Leyla déambule dans les rues de Paris recherchant le sens de sa vie à bâtir. L’action de L’Extase se déroule sur une journée, rythmée par les aspirations et les frustrations du personnage dérivant sur les chemins du monde. Il y a quelque chose de joycien dans ce premier roman fort et prometteur où la poésie cohabite avec l’autofiction, la beauté avec la crudité du « remugle de fin de jouissance ». Son auteur, Monia Aljalis est Tunisienne, native de Paris. Entretien.
Bonjour, Monia Aljalis. Que raconte L’Extase ?
Je dirais qu’il s’agit d’une journée d’errance spirituelle d’une femme qui ne trouve pas ce qui soit susceptible de la satisfaire et qui est en quête de ce qui va la satisfaire. Ce roman est un mélange entre une recherche de désir et une recherche d’élévation spirituelle, d’où L’Extase.
La quête de Leyla est aussi une quête identitaire. Elle est tiraillée entre ici et là-bas, mais comme le dit le narrateur, elle « ne peut être ni d’ici ni de là-bas »…
Dans le cas de Leyla, c’est une quête de sens qui est effectivement liée à sa quête d’identité. Or, comme ce que lui offre la société moderne occidentale ne lui convient pas, mais ce que la tradition orientale de sa famille, de ses parents, ne lui convient pas non plus, elle oscille entre les deux. C’est pour ça qu’elle n’est ni d’ici, ni de là-bas. Elle refuse, Leyla, comme beaucoup de personnes dans son cas, à faire un choix et à se laisser emporter par l’une ou l’outre de ses deux cultures. Je n’avais pas pour but forcément de présenter un tiraillement lié à deux cultures, que ce soit la culture orientale ou la culture occidentale. Je voulais présenter quelque chose d’un petit peu plus large. Le tiraillement de Leïla touche en vérité quasiment toutes les personnes qui ont dû à un moment ne serait-ce que changer de lieu de vie. C’est une expérience universelle et j’ai voulu la présenter à travers un personnage pour lequel ce déchirement est extrême.
Le déchirement est incarné aussi par le personnage tiraillé entre désir et quête spirituelle dans le poème du Persan Mansur al-Hallaj sur le « jardin de significations », que vous avez mis en exergue à l’ouverture du roman.
Disons que j’ai choisi cet exergue et en particulier ce texte-là parce que Hallaj qui est un mystique, il est en recherche de Dieu dans un rapport presque amoureux et il le voit dans tout l’espace qui l’entoure. D’où cette affaire de jardin de signification. Pour moi, le personnage de Leyla est dans cette recherche-là, même si elle n’arrive pas complètement à s’ouvrir à ce que lui apporte l’espace autour d’elle, la ville, ses amis, ce que lui propose la vie moderne, ou ce que lui proposent aussi ses parents. En tout cas, à la fin, elle y tend, mais elle n’y arrive pas complètement.
En attendant, Leyla arpente frénétiquement les rues de Paris, multipliant amours et peines. Que représente Paris où se déroule l’action du roman ?
Paris, c’est presque un personnage de ce roman. Paris est là pour faire comme un miroir à ce personnage de Leyla, c’est-à-dire qu’il lui renvoie à la fois cette fange, cette décadence dans laquelle elle tombe et en même temps cette recherche d’une renaissance spirituelle ou mystique. J’ai voulu faire de Paris un lieu de perdition, avec des espaces interlopes, avec des figures un peu marginalisées. Pour moi, cet espace de Paris a quelque chose de mystique.
Leyla, c’est un peu vous, non, Monia Aljalis ?
En vérité, pas tout à fait. Je me suis prise comme modèle sociologique, c’est-à-dire que j’ai pris le modèle familial qui est le mien, le travail de mes parents, le modèle des frères, les amis aussi, mais ça s’arrête là. C’est-à-dire que la vie que Leyla mène n’est pas tout à fait la vie que je mène moi-même. C’est, si vous voulez, peut-être une version extrêmement exagérée de ce qu’aurait pu être ma vie si je m’étais laissé porter par un certain nombre d’excès, ce qui n’est pas le cas.
Pourquoi écrivez-vous ?
Ah… j’écris parce que j’ai besoin de soulever le voile et c’est à travers le langage que ça se passe. C’est une expérience très individuelle, même si je l’offre aux autres. J’espère qu’ils y trouveront quelque chose d’intéressant.
Merci, Monia Aljalis.
L’Extase, de Monia Aljalis. Editions du Seuil, 184 pages, 19 euros.