Sur les traces du centenaire de James Baldwin, avec Boniface Mongo-Mboussa
22 September 2024

Sur les traces du centenaire de James Baldwin, avec Boniface Mongo-Mboussa

Chemins d'écriture
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À l’occasion des célébrations du centenaire de l’Américain James Baldwin, le critique littéraire franco-congolais Boniface Mongo-Mboussa fait le point au micro de RFI sur les combats et les interrogations de l’auteur entre autres de La Chambre de Giovanni et La Prochaine fois, le feu. Né en 1924 aux États-Unis et décédé en France en 1987, l’écrivain américain continue d’influencer les nouvelles générations d’Africains-Américains dont les plus éminents ont pour noms Barack Obama, Ta Nehisi-Coates, pour ne citer que ceux-là. Entretien avec Boniface Mongo-Mboussa dans Chemins d’écriture.

RFI : Pourquoi faut-il lire ou relire James Baldwin ?

Boniface Mongo-Mboussa : Je crois que Baldwin demeure très actuel parce que son œuvre est axée sur la question de l’identité. Or, la question de l’identité est capitale en ce moment précis. Il avait plusieurs identités et il les assumait toutes, tout en refusant toute forme d’assignation identitaire. Il était noir américain. C’est une identité qui n’était pas facile à porter dans les années 1930-40-50. Il est homosexuel, une identité qui n’était pas pour un Afro-Américain facile à assumer à cette époque. Baldwin est surtout quelqu’un qui était très lucide sur le monde, sur ‘être humain. Il n’était pas esclave de sa peau ou de son histoire. La plupart de ses amis étaient blancs. Il n’était pas dans la démarche des Black Panthers : tous les blancs sont méchants et tous les noirs sont beaux et jolis. Et donc, de ce point de vue, il nous intéresse parce qu’à notre époque, la question d’identité multiple est plus visible, alors que dans les années 1950, ce n’était pas le cas. Il fallait choisir : ou on est blanc ou on est noir. C’était très manichéen. Or, Baldwin, lui, refusait justement de choisir. Il avait un père qui était pasteur, qui détestait les blancs. Mais il a eu, de l’autre côté, une enseignante blanche qui lui avait ouvert vraiment les yeux sur le monde moderne. Alors, comment choisir !

Quels sont, diriez-vous, les principaux thèmes qui traversent l’œuvre de James Baldwin ?

Le sexe ou la sexualité est très importante. L’un de ses romans les plus connus La Chambre de Giovanni est centré sur la question de l’homosexualité.  Il y a très peu d’écrivains qui ont abordé cette question avec autant de lucidité. On connaît le cas d’André Gide. C’est pour ça sans doute que Gide a fasciné toute une génération. La particularité de Baldwin, c’est qu’il prend la question à bras le corps. Non seulement, le sexe, l’homosexualité, mais aussi l’homosexualité multiraciale. Et, c’est en cela qu’il est très important. L’autre grand thème dans l’œuvre de Baldwin, c’est celui de l’identité. Qu’est-ce qu’être noir américain, noir aux Etats-Unis. C’est une question qui traverse toute l’œuvre de l’écrivain. La cohabitation entre esclaves et esclavagistes est au cœur de ses écrits où en tant qu’essayiste ou romancier, il aborde la nécessité d’assainir les relations entre dominateurs et dominés pour bâtir une Amérique nouvelle. C’est une préoccupation centrale de Baldwin.

À Paris où Baldwin s’installe en 1948, il rencontre des intellectuels africains, notamment Aimé Césaire et Senghor. Mais en tant qu’Américain, il ne se reconnaît pas dans leur doctrine de négritude…

C’est en 1956 que le fossé se creuse, lorsqu’il assiste à la Sorbonne au premier Congrès des écrivains et artistes noirs, convoqué par Alioune Diop. Les deux vedettes de ce congrès s’appellent Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Il s’attaque à Senghor lorsque ce dernier affirme lors de son discours au Congrès que le monde noir a ses classiques littéraires. Ces classiques sont, du côté africain, L’enfant noir de Camara Laye et de l’autre Black Boy de l’Américain Richard Wright. Il cherche à définir les dénominateurs communs. Baldwin fera voler en éclats tout ce discours comparatiste de Senghor, pour rappeler que Black Boy est avant tout un roman afro-américain, qui plus est un roman issu du Sud des Etats-Unis. Il n’a rien à voir avec l’oralité africaine, a-t-il écrit dans son compte rendu du Congrès, ni sur le plan thématique ni sur le plan esthétique, comme l’affirme Senghor. Baldwin avait compris très tôt que l’Afrique était l’Afrique et les Afro-américains afro-américains.

S’il fallait lire un livre de Baldwin, quel serait selon vous le livre incontournable ?

Je dirais sans la moindre hésitation, La Chambre de Giovanni. C’est un roman qui raconte l’homosexualité. Qui plus est, il s’agit d’un amour multiracial. C’est un livre charnel, chaleureux, sensuel, poétique, mais surtout très très courageux. La sincérité en littérature est quelque chose de très important. On l’oublie souvent. Et ce livre, je conseillerais qu’on le lise pour comprendre Baldwin.