Sur les routes d’Alabama et d’Aklako, avec la primo-romancière Raphaëlle Red

Sur les routes d’Alabama et d’Aklako, avec la primo-romancière Raphaëlle Red

RFI
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About this episode

Raphaëlle Red est une toute nouvelle voix en lettres africaines, une voix prometteuse. Elle livre avec Adikou, son premier roman, une méditation poignante et poétique sur l’identité et le métissage. Raconté comme un road-trip initiatique, le récit de l’héroïne éponyme du roman entraîne le lecteur sur les chemins escarpés d’Alabama et du pays éwé réparti entre le Ghana et le Togo. Entretien.

RFI : Raphaëlle Red, peut-on dire que le métissage est le thème central de votre roman, Adikou ?

Raphaëlle Red :  Oui, Adikou est une réflexion sur le métissage, de la même manière que c’est une réflexion sur la question du mythe de l’origine unique. Je pense que le métissage permet une sensibilité particulière pour le fait qu’on a plusieurs êtres en soi, comme la narratrice dans le roman le dit à un moment. Mais en même temps, le fait d’avoir plusieurs êtres en soi, le fait d’être double, d’être multiple, ça concerne bien plus d’hommes et de femmes que seulement des personnes métisses. Je crois que c’est important de reconnaître qu’on a tous et toutes peut-être plusieurs identités en nous. Et c’est toujours intéressant de les faire discuter et de faire partir en voyage ensemble. 

Mais la quête de votre héroïne Adikou est aussi une révolte.

Je pense que dans la quête d’Adikou ce qui est intéressant, c’est qu’au fur et à mesure qu’elle avance, l’objet de sa quête devient de plus en plus flou, parce que les paramètres eux-mêmes se révèlent être faux. Adikou se met en route pour chercher une espèce d’origine, un endroit où on lui a dit qu’elle se sentirait chez elle. Or plus elle avance, plus elle se rend compte qu’elle ne croit pas tellement à l’idée selon laquelle elle serait assise entre deux chaises et que ce serait ça son problème. On lui a dit qu’il faudrait qu’elle sache d’où elle vient et qu’alors tout irait bien, etc. Mais sa prise de conscience la conduit à se révolter contre cette idée d’une origine et d’une identité fixes. 

Vous-même, vous êtes métisse. S’agit-il d’un roman autobiographique ? Adikou, c’est un peu vous, non ?

L’émotion et les interrogations sont autobiographiques, car elles me sont très personnelles. Mais le terme d’autobiographie, c’est un terme avec lequel je ne suis pas très à l’aise. Je ne suis pas sûre de comprendre ce que ce terme signifie. Déjà, la distinction entre certaines écritures autobiographiques et non autobiographiques ne tient pas debout. Je me dis que ce serait un exercice mental très très compliqué d’écrire d’une manière qui n’a absolument rien à voir avec soi. Par exemple, quand bien même j’écrirais une science-fiction mettant en scène une histoire d’amour qui se passe au XXVIIe siècle, ce serait obligatoirement autobiographique dans la mesure où cette histoire d’amour serait empreinte de l’idée que je me fais de l’amour. Je réfléchis beaucoup à cette notion d’autobiographie.  

On est frappé dès les premières pages par votre emploi d’une narration à deux voix, sans doute pour signifier cette conscience d’être double qu’ont parfois les personnes métisses. Cette adéquation entre le fond et la forme est une prodigieuse trouvaille.

En fait, ce livre a connu beaucoup de changements, beaucoup de réécritures. Une constante toutefois : il y a toujours eu plusieurs instances narratives. Dans une des nombreuses versions, j’avais même une voix collective, plus ancestrale, qui racontait une grande partie de l’histoire. Pour moi, d’avoir plusieurs voix, c’était poser la question qui a la parole, à qui appartient l’histoire, qui a le droit de la raconter. Ça m’intéressait aussi de passer par le texte pour vraiment questionner cette notion d’autorité sur l’histoire.

Pourquoi, Raphaëlle Red, il vous a fallu six ans pour écrire ce roman ?

 J’ai mis six ans, car je devais trouver de quoi parlait dans cette histoire au fur et à mesure que je l’écrivais ou plutôt j’acceptais que ce ne soit pas exactement le roman que j’avais envie d’écrire, qui a fini par être écrit et tout ça prend du temps. 

Est-ce que l’écriture est une expérience douloureuse pour vous ?

En fait, ce qui est douloureux, c’est plutôt l’impulsion, l’écriture du premier jet. C’est le moment où les choses sont en train de se poser, sans que je comprenne ce qui est en train de se poser en réalité. Je pense que par la suite, le retravail sur le texte, le fait de peaufiner, de tailler les phrases, c’est moins douloureux. Cette étape demande certes plus de travail, mais émotionnellement, je me sens plus seule car il y a désormais un lecteur potentiel. Tout mon travail consiste à mieux communiquer ma pensée à ce lecteur qui est à l’horizon. La solitude est moins existentielle. La douleur de l’écrivain est dans la solitude.

Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

Tout d’abord, par l'histoire, par l'envie d'en raconter, l'envie d'en inventer aussi. Depuis très longtemps, je m’emploie à inventer des histoires pour moi-même, à les imaginer, à les visualiser. Je suis fascinée par la capacité que nous avons à imaginer des mondes, à rêver, à rêvasser. C’est la première impulsion. Ensuite, quand j'étais adolescente, je me suis mise à écouter beaucoup du rap, beaucoup de rap, que j’écoute encore aujourd’hui. Pour moi, cette musique relève de l’art. Je pense en particulier au rap des années 2000 et même celui des années 2010. Je m’inspire des rappeurs, car ils maîtrisent l’art de raconter et ont la capacité de nous faire voyager à travers un album. Leur musique révèle une vraie construction narrative, avec des intros, des outros, des interludes, des changements de registres, tout en restant dans une certaine cohérence. Pour résumer, l’imagination, la lecture et le rap ont façonné mon envie d’écrire.

Adikou, par Raphaëlle Red. Éditions Grasset, 220 pages, 19,50 euros.