Retour sur la bouleversante quête des origines des «Brown babies», avec la Réunionnaise Fabienne Jonca
23 March 2025

Retour sur la bouleversante quête des origines des «Brown babies», avec la Réunionnaise Fabienne Jonca

Chemins d'écriture

About

Fabienne Jonca est une auteure réunionnaise et Brown baby est son premier roman. Inspiré des événements réels, ce roman raconte un récit incandescent de quête, de désespoir existentiel, du temps perdu et retrouvé. La plume alerte et magique de cette primo-romancière nous fait pénétrer dans les abîmes et exaltations de l’existence humaine.

Fabienne Jonca est l’auteure de livres pour enfants, de cuisine et a aussi produit des podcasts. D’origine catalane, elle vit à la Réunion depuis plus de 30 ans. Brown Baby, paru à L’Atelier des nomades, une maison d’édition mauricienne, est son premier roman. C’est un premier roman émouvant, poignant, basé sur un épisode historique peu connu du monde francophone.

Pour ce premier roman, l’auteure s’est inspirée de la tragédie des enfants métis, nés et abandonnés en Allemagne, entre les années 1945-1955. Dans une interview accordée à RFI, elle a raconté comment elle a eu vent de ce drame en regardant un documentaire sur le sujet réalisé par une documentariste afro-américaine.

« Il y a quelques années – c’était en 2017-2018 -, se souvient-elle, je travaillais sur un projet de documentaire sur l’Afrique du Sud et sur les Cape Coloured, donc les Métis sud-africains. J’ai vu un documentaire sur les Brown Baby et ce sujet méconnu a été une telle obsession pour moi que j’ai voulu donner voix à ces "brown babies". Assez vite s’est imposé un premier personnage, puis un deuxième. Ce sont ces personnages qui m’ont inspiré cette histoire. Mais j’ai fait aussi énormément de recherches puisque c’est un roman sur un fond historique. Pour moi, le propos étant qu’on peut vivre la vie qu’on veut, on sera toujours rattrapé par la grande histoire. »

La grande histoire dont parle l’auteure réunionnaise, c’est la Seconde Guerre mondiale et ses répercussions. C’est dans ce contexte que s’est déroulé le drame des « Brown babies », soit 7 000 enfants métis nés en Allemagne au lendemain de la guerre. Ces enfants étaient nés des liaisons, très mal-vues, entre femmes allemandes et les soldats Afro-américains affectés en Europe.

Sous des pressions sociales et matérielles, nombre de ces enfants ont été abandonnés par leurs mères, puis placés dans des orphelinats ou adoptés par des familles noires aux États-Unis. La plupart de ces « Brown babies » découvriront leurs origines en devenant adultes, sans jamais parfois réussir à retrouver leurs parents. C’est cette histoire tragique d’errance et de quête des origines que donne à lire Fabienne Jonca, mais en la ré-imaginant sous le mode fictionnel. 

Un « tremblement de taire »

Le roman Brown Baby part en effet des événements réels, mais pour que ses lecteurs francophones puissent s’identifier à cette histoire, la romancière en a situé l’intrigue dans le Paris des années 1950. Son protagoniste Sam est un Métis Afro-américain. Il a cinq ans, quand il débarque en France avec ses parents qui ont fui la ségrégation et le racisme au quotidien dans l’Amérique de Jim Crow. « We would be less Black here », répétait le père du gamin pour rassurer sa femme dépressive, inquiète de devoir refaire sa vie dans un pays étranger.

La famille s’installe à Paris, dans le quartier des artistes et des musiciens à Saint-Germain-des-Prés, puisque le père Charly est trompettiste. Il joue dans des clubs de jazz où les lecteurs croisent les Miles Davis, les Juliette Gréco et Boris Vian, entre autres. Mais l’essentiel de l’action de ce roman se déroule plutôt dans l’arrière-cour, où les protagonistes évoluent au milieu d’un petit peuple de prolétaires cosmopolites et solidaires. Sam grandit entouré de la chaleur de cette « famille de cœur » constituée par ses parents dans leur pays d’adoption.

 « Je m’en suis rendue compte - a posteriori - que tous les personnages qui entouraient Sam et sa famille venaient d’ailleurs - du Portugal, de Pologne, d’Italie. C’était un voisinage à l’image de ce que moi, j’ai connu lorsque, à l’âge de 20 ans, je suis venue m’installer à Paris, quittant ma Catalogne natale », confie Jonca.

Le monde s’effondre

La solidarité des voisins et l’affection des siens n’empêcheront pas toutefois Sam de connaître le drame et le désarroi lorsqu’il découvre qu’il était un enfant adopté, abandonné par ses parents biologiques. Il fait partie de la cohorte des « Brown babies » métis, nés de la guerre. Le monde s’effondre alors pour le jeune homme, à peine sorti de l’adolescence.

Cet effondrement des certitudes de son héros a inspiré à l’auteure quelques-uns des plus beaux passages de ce roman : « Il fut pris d’un abyssal vertige, écrit-elle. Il n’avait plus d’identité. Plus de corps. Sam avait disparu. Et qui était Samuel ? D’où venait-il ? D’où venait cette singulière couleur de peau ? Qui étaient ses parents ? Des Américains ? Des Allemands ? Pourquoi l’avaient-ils abandonné ? (…) Ce tremblement de terre avait englouti ses frêles certitudes et mis à jour une douleur jusque-là insoupçonnée. Il avait besoin de plonger dans cette terre éventrée, cette blessure béante, à la recherche de ses racines. Savoir qui se cachait sous sa peau était désormais fondamental. »

La quête des origines de Sam constitue le cœur brûlant de ce récit, raconté avec un sens consommé du tragique, rare dans un premier roman. Brown baby est aussi un roman d’une grande dextérité narrative, avec un côté très visuel, voire cinématographique dans sa narration. « Je suis passionnée de cinéma et surtout de documentaires », a-t-elle confié au micro de RFI. D’ailleurs, son projet, au départ, c’était d’écrire un scénario pour un film, mais elle a finalement opté pour le roman. « Mais avant même de commencer à écrire, les scènes du livre m’apparaissaient devant les yeux, ajoute-t-elle. C’était extrêmement visuel. Je voyais mes personnages se déplacer. Je voyais le décor. »

Bonheur de lecture

Bref, Brown Baby est un roman passionnant à tous égards. Voici trois raisons pour ne pas le rater. Primo, pour découvrir cette histoire des « Brown babies » à la fois tragique et humainement riche, qui nous fait plonger dans des abîmes et des exaltations de l’existence. Deuxièmement, pour le bonheur de lecture. La narration ici est ludique, inventive, avec des chapitres intitulés d’après des œuvres d’art, des titres de morceaux de jazz ou encore des titres de livres.

Enfin, il faut le lire parce que l’écriture de Fabienne Jonca est délicieusement poétique. L’auteure aime à répéter que Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud et Tom Verlaine sont ses poètes de chevet : le trio veille sur elle et a présidé à l’écriture de son premier roman.

Comment s’étonner alors que c’est en déclamant Charles Baudelaire que le protagoniste pleure la disparition de son premier amour, donnant aussi voix à sa quête des origines qui l’habite inconsciemment depuis toujours :  « Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? / Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! / Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, / Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »

►Brown Baby, par Fabienne Jonca. L’Atelier des nomades, 252 pages, 18 euros.