Retour au Rwanda, avec le Franco-Rwandais Gaël Faye
15 September 2024

Retour au Rwanda, avec le Franco-Rwandais Gaël Faye

Chemins d'écriture
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Gaël Faye est musicien, mais aussi écrivain. Son premier roman Petit pays, paru en 2016, a connu un succès planétaire, révélant un romancier talentueux et d’une sensibilité touchante.  Bouleversant et maîtrisé, son second roman, Jacaranda, qui vient de paraître aux éditions Grasset, entraîne le lecteur dans le Rwanda post génocide où un peuple tente de s’élever au-dessus de ses tragédies individuelles et collectives pour faire de nouveau société.

Huit ans après la publication de son premier roman Petit pays qui l’a installé comme l’une des grandes voix montantes de l’Afrique, le Franco-Rwandais Gaël Faye poursuit avec son nouveau roman Jacaranda son exploration de l’histoire en mouvement de la région de l’Afrique des Grands Lacs dont il est issu et où il vit depuis une trentaine d’années. Alors que dans son premier opus, l’écrivain donnait la parole à un adolescent franco-rwandais exilé dans la banlieue parisienne et qui, du fond de son exil, évoquait le Burundi où il a grandi, son « coin de paradis » anéanti par la guerre civile, Jacaranda raconte une quête des origines campée, cette fois, dans le Rwanda contemporain qui est le pays natal de la mère du personnage principal.

Il y a du Cahier au pays natal césairien dans ce roman, même si le Rwanda n’est pas le pays natal stricto sensu du narrateur, mais il y a une communauté de démarches visant à reprendre possession du passé, et à donner sens, comme le fait le personnage de Jacaranda, en plongeant dans ce pays qu’il a reçu en héritage, un pays lui-même taraudé par les drames de son passé dont la mémoire demeure encore douloureusement vivace.

« Même si mes deux romans ont des personnages en commun, Jacaranda n’a pas été pensé comme la suite du Petit pays, mais comme deux pièces d’un vaste puzzle transnational composé d’histoires entremêlées d’exils et de familles issues de part et d’autres des frontières rwando-burundaise », confie l’auteur Gaël Faye au micro de RFI.

Jacaranda

Jacaranda est un grand roman qui porte la marque de fabrique de Gaël Faye. On y retrouve son écriture puissante, mais qui raconte avec des mots simples nos fragilités, nos drames, nos tâtonnements pour s’élever au-dessus des traumatismes collectifs dont la pesanteur accable nos mémoires. On est frappé par l’économie de moyens formidablement efficace de cet auteur, qui n’est pas pourtant un écrivain professionnel, mais qui est venu à l’écriture par la poésie et la chanson. Jacaranda, c’est le nom de ce magnifique arbre qu’on associe aux pays des Grands Lacs africains. L’image de cet arbre foisonnant aux feuilles mauves et aux fleurs violettes orne la couverture du livre.

Or, comme on peut l’imaginer, ce titre n’a pas été choisi pour faire beau. Ce choix est stratégique, motivé sans doute par le souci de l’auteur d’installer son lecteur d’emblée dans la géographie du récit. Son originalité réside surtout dans la symbolique du jacaranda qui renvoie au Rwanda où se déroule l’action du roman. Jacaranda incarne jusque dans la sonorité de son suffixe où il ne manque que le « w » du Rwanda.

« Je n’ai jamais vraiment pensé à ce possible rapprochement entre « jacaranda » et « Rwanda », reconnaît Gaël Faye. Mais, il est vrai quand on me demande quel est mon mot préféré dans la langue française, j’ai toujours répondu - et cela depuis longtemps - que c’était « jacaranda ». C’est sans doute parce que mon inconscient entend le « w » caché dans « jacaranda », mais je m’en suis jamais rendu compte. Toutefois je sais qu’on écrit plus avec son inconscient qu’avec son conscient… »

Porte sur l’abîme

Situé dans les années post-génocide, Jacaranda raconte surtout les silences, les drames tus, les horreurs ensevelies au tréfonds des âmes devenues muettes. Le silence règne dans la famille du protagoniste du roman. Ce protagoniste, c’est Milan. Jeune adolescent franco-rwandais, Milan est collégien à Versailles et ne connaît pas sa famille maternelle rwandaise. Sans doute pour protéger son fils de la haine et du ressentiment qui l’a poussée à quitter son pays, la mère de Milan ne lui a jamais parlé du Rwanda et du conflit interethnique qui ensanglante le pays périodiquement.

C’est par les images des massacres vues à la télé que l’adolescent entend parler du génocide des Tutsis pour la première fois. Il n’a pas les clefs pour comprendre ce qui se passe dans ce pays, jusqu’au moment où un jeune cousin de sa mère, survivant du génocide, est recueilli chez eux à Versailles. Les cauchemars et les souffrances de Claude qui partage sa chambre, ouvrent la porte sur cet abîme qu’est le Rwanda pour Milan.

Finalement, c’est en se rendant à Kigali, d’abord avec sa mère, puis seul, que le jeune homme prend la véritable mesure du traumatisme profond laissé par le génocide. Un passé qui ne passe pas. Il y a quelque chose de quasi initiatique dans le parcours de Milan, qui conduit ce dernier à reconstituer le drame de sa mère, sur fond de la dérive collective de tout un peuple, partagé entre survivants et bourreaux depuis le génocide. Seul le jacaranda, témoin des vicissitudes de l’Histoire, se tient debout.

L’Histoire, en effet, est aussi un important protagoniste de ce roman. L’intrigue de Jacaranda est campée dans le Rwanda post-génocide, mais l’auteur convoque aussi le passé, à travers un casting multigénérationnel. À travers une histoire quasi centenaire, Gaël Faye nous invite à revisiter un Rwanda foisonnant où se rencontrent et s’affrontent colons, colonisés, Belges, Français, métis, Hutus, Tutsis. Cela donne un récit humainement fort et foisonnant.

Pudeur et sincérité

Gaël Faye connaît bien l’histoire du Rwanda, un pays où il vit depuis trente ans, avec femme et enfants. Pourtant, comme il le confie, ce livre sur le Rwanda après le génocide « a été un livre assez difficile à écrire émotionnellement ». Et d’ajouter, « écrire ce qui s’est passé au Rwanda, la reconstruction, la capacité des survivants à continuer leur propre existence sans penser au génocide tout le temps, d’écrire ce défi absolument invraisemblable de la cohabitation entre victimes et bourreaux. Et tout ça, j’ai simplement essayé d’écrire ce défi absolument invraisemblable de la cohabitation, avec pudeur et de la sincérité. J’essaye d’utiliser une langue débarrassée de toute fioriture. Je veux simplement cheminer avec mes personnages au plus près d’eux. »

Ces personnages évoqués dans la citation ci-dessus sont les véritables héros de ce roman. Ils survivent à l’ombre des jacarandas qui se dressent entre ténèbres et lumière, célébrant la beauté fragile d’une humanité paradoxale.

Jacaranda, par Gaël Faye. Editions Grasset, 288 pages, 20,90 euros.