Une nouvelle rentrée littéraire démarre à partir de cette deuxième moitié du mois d’août. Plusieurs grandes signatures d’Afrique et du monde noir se retrouvent parmi les nouveautés s’apprêtant à envahir les rayons des librairies dès le 19 août. Chemins d’écriture de ce dimanche fait le point sur les livraisons attendues du monde Afrique et de sa diaspora.
Ils s’appellent Gaël Faye, Raphaël Confiant, Alaa El-Aswany, Véronique Tadjo, Ananda Devi… Poids lourds des lettres d’Afrique et de sa diaspora, ils ont rendez-vous à Paris où paraîtront leurs nouvels opus à la faveur de la rentrée littéraire d’automne qui vient de démarrer. Pour mémoire, entre la deuxième quinzaine d’août et mi-octobre, on attend la sortie de 459 titres en littérature générale. Parcourant la liste des parutions programmées pendant cette période, il est difficile de ne pas être frappé par la place grandissante des auteurs d’Afrique et du monde noir dans l’actualité éditoriale française.
Trois romans africains font partie des poids lourds de la rentrée 2024 : Jacaranda du Franco-rwandais Gaël Faye, Houris de l’Algérien Kamel Daoud ou encore La Bastion des larmes du Franco-Marocain Abdellah Taïa. Mastodontes de la francophonie littéraire, les trois auteurs ont marqué, chacun à sa façon, les imaginaires.
Un sens consommé du tragiqueKamel Daoud est entré en littérature en 2014 avec la réécriture de L’Etranger de Camus et depuis il explore les non-dits de l’histoire algérienne.Il a campé l’intrigue de son nouveau roman dans les années 1990 lorsque les islamistes ont fait plonger l’Algérie dans une guerre civile sanglante. Quant à Abdellah Taïa, auteur d’une œuvre foisonnante, ses récits puisent leur matière dans les crises de l’imaginaire marocain, comme dans son nouveau roman Le Bastion des larmes qui interroge les silences et les mensonges de l’histoire du royaume chérifien à travers le récit du retour au pays natal d’un exilé marocain.
Le troisième poids lourd africain est Gaël Faye, qu’on ne présente plus… L’auteur du Petit pays, paru il y a 8 ans, est archi-connu, à la fois comme écrivain et comme rappeur. Dans son second roman Jacaranda, qui paraît ces jours-ci, il revient sur le génocide des Tutsis au Rwanda, raconté à travers le prisme de la famille, avec un sens consommé du dramatique et du tragique, comme en témoigne l’extrait de Jacaranda qui suit.
« Stella s’était précipitée dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. Son ami, son enfance, son univers. Les hommes aux machettes étaient sales, luisants de sueur, satisfaits d’eux-mêmes. Elle avait poussé un cri de terreur avant de tomber à genoux dans l’herbe, la main pressée sur son ventre, le visage en feu. Depuis ce jour, Stella est internée. »
IncontournablesParmi les autres titres phares de cette rentrée 2024, on citera volontiers Kif kif hier de la Franco-algérienne Faïza Guène. Ce titre a une histoire. C’est un clin d’œil au premier roman Kif kif demain avec lequel cette auteure a fait son entrée en littérature il y a vingt ans. Dans ce nouvel opus, le lecteur renoue avec l’héroïne du premier roman de l’auteure. Malgré le poids des années, Doria n’a rien perdu de sa tchatche ni de sa lucidité sociale. C’est un roman à la fois jouissif et grave.
Je voudrais citer aussi Les Présences imparfaites de Youness Bousenna, un premier roman aux allures de confessions douces-amères sur fond de guerre, échec professionnel et cynisme. Journaliste littéraire lui-même, spécialiste de Camus, Bousenna emporte l’adhésion grâce à son écriture ambitieuse, exigeante, soucieuse d’écarter de ses pages tout sentimentalisme de bon aloi.
Enfin, La nuit s’ajoute à la nuit de la Mauricienne Ananda Devi. Publiée dans la collection « Ma nuit au musée » des éditions Stock, ce livre n’est pas un roman, mais a été inspiré par une nuit mémorable que l’auteur a passée dans la prison lyonnaise de Montluc, devenue un musée, où furent incarcérés Jean Moulin, les enfants juifs d’Izieu avant leur déportation, mais aussi des criminels de guerre français et allemands. Le récit de Devi est une méditation profonde, à la Malraux sur l’Histoire et ses détours. En avant-goût, voici un court extrait.
« Je suis assise en face de la cellule où sont affichées les noms et les enfants d’Izieu. Les échos s’installent et se répondent entre moi qui écris et les photos des enfants qui me regardent. Ils passeront une nuit à Montluc, 44 enfants terrorisés. Il n’y a eu ni rachat ni pardon, en leur dernière heures, ni des hommes ni des dieux. »
Domaine étrangerLe monde noir entre en scène aussi par le biais des littératures étrangères. En effet, la littérature étrangère qui compte cette année près de 150 titres, accueille plusieurs auteurs montants ou connus de l’Afrique et du monde noir.
C’est le cas de l’Egypte qui est représentée par le grand Alaa El-Aswany. Le grand maître des lettres égyptiennes livre avec son nouveau roman Les arbres d’Alexandrie un récit magistralement ficelé, bâti autour de la nostalgie populaire pour les années Nasser. Du Nigeria, nous parvient le très beau L’envol des lucioles du jeune Abubakar Adam Ibrahim qui raconte le parcours initiatique de son héros artiste-peintre à la recherche des fantômes du passé.
Enfin, il est difficile en cette année du centenaire de la naissance de James Baldwin de fermer les yeux à la puissance et l’intensité de l’épopée africaine-américaine. L’univers afro-américain est revisité : sous forme de saga familiale dans Les fantômes de Brooklyn par son jeune at talentueux auteur Tyriek White, sous forme de mythologie urbaine dans Les Egarés par Ayana Mathis, l’auteure qui avait conquis le public français il y a dix ans, on se souvient, avec Les douze tribus d’Hattie, un premier roman devenu culte, et, finalement, sous forme d’autofiction dans Gens de couleur qui sont les mémoires du célèbre Henry Louis Gates Jr., ancien professeur au Département d’études africaines et afro-américaines de Yale et, ami et mentor de Barack Obama.
Enfin, pour toucher la quintessence du monde afro-américain, on lira la biographie de James Baldwin que publient les éditions Gallimard. Le centenaire de cet auteur emblématique de l’Amérique noire a conduit les éditeurs à rééditer ses romans et ses essais devenus des classiques. Parions que beaucoup saisiront cette opportunité pour découvrir ou relire l’œuvre de ce rebelle devenu monument.