Dans son nouveau roman Le sens de la fuite, la Marocaine Hajar Azell brosse le portrait d’une jeune femme journaliste franco-algérienne, sur fond des chaos des révolutions arabes que celle-ci est venue couvrir pour les médias de France et de Navarre. Un roman d’apprentissage et d’éducation dans lequel la grande Histoire se mêle à la petite pour raconter les rêves en suspens de la jeunesse contemporaine du Sud.
La romancière marocaine Hazar Azell aime à raconter qu’elle a été « sauvée par les livres ». Native de Rabat, partageant sa vie aujourd’hui entre le Maroc et la France, l’écrivaine trentenaire se souvient comment les Victor Hugo, les Zola, les romans russes, mais aussi les Agatha Christie et les Harry Potter que ses parents médecins l’encourageaient à lire étaient devenus ses compagnons de route, au même titre que cet océan omniprésent dans la ville de bord de mer où elle a grandi. On ne saura pas de quoi ces livres l’ont sauvée, mais l’intéressée a expliqué que sans ces lectures, elle n’aurait vraisemblablement jamais écrit. « Enfant introvertie, j’ai découvert à travers les livres le monde fascinant qui évoluait en dehors des murs de la maison parentale », confie-t-elle.
Aujourd’hui, à son tour, elle met en scène les heurs et malheurs du monde dans ses livres à elle. Jeune trentenaire, diplômée de philosophie et de management, Hazar Azell est l’auteure de deux romans prometteurs et poignants de vérité. La romancière s’est fait connaître en publiant il y a trois ans aux éditions Gallimard L’envers de l’été, son très beau premier roman. C’était un récit incandescent sur les sombres secrets qui taraudent un village méditerranéen, écrasé sous le poids des silences. Une société, entre révolte et soumission.
À la recherche des traces des printemps arabesDélaissant le huis clos familial, le nouvel opus de mademoiselle Azell, Le sens de la fuite plonge le lecteur dans le tumulte des révolutions arabes. Les capitales sont prises d’assaut. Descendus dans les rues par centaines de milliers, les jeunes manifestent pour chasser les tyrans afin que leurs rêves de liberté puissent enfin s’épanouir.
Revenant sur la genèse de son roman, Hajar Azell raconte que l’idée est née de son souci non pas de faire le bilan de ces révolutions, mais de retrouver les traces des événements dans l’inconscient collectif des peuples.
« Ca fait quatorze ans, explique-t-elle, que ces printemps sont terminés. En 2011, j’avais 18 ans et je venais d’arriver en France. C’est un moment qui m’a beaucoup marquée. Comme j’étais jeune à l’époque, je n’ai pas pu tout saisir. Du coup, j’avais envie d’y revenir, mais cette fois-ci par la fiction. Je trouve ça génial quand on écrit, on vit des choses. Vraiment, j’ai eu l’impression de vivre la révolution égyptienne. C’était comme une manière de revenir aux sources pour comprendre ces trajectoires que je voyais autour de moi. Je voulais trouver un alias romanesque pour raconter ce moment qui, moi, m’avait touché. C’était vraiment ça ma démarche, de documenter en quelque sorte par la fiction ce moment-là. »
Beyrouth, Le Caire, Alep, OranHajar Azell nous fait vivre les drames et les soubresauts des révolutions à travers les yeux de la jeune Alice, alias romanesque de l’auteur, vibrante de passions et assoiffée de vivre. Jeune journaliste française, Alice veut rendre compte des aspirations des révolutionnaires avec fidélité. Elle est passée par Beyrouth, le Caire, puis Alep, avant d’atterrir à Oran dont sa famille est originaire. Dans ces pages algériennes, la grande Histoire rejoint la petite, lorsqu’Alice se remémore les ambitions de son père disparu et son désespoir de ne pas su réaliser ses rêves.
Roman historique, roman familial, Le sens de la fuite est aussi une réflexion poignante sur l’exil et la fuite, comme le souligne l’auteure Hazar Azell. « En fait, mon roman raconte trois fuites de trois personnages qui fuient des choses différentes, dans des sens différents et qui ont en quelque sorte le sens de la fuite, ont l’habitude de fuir. Et ça m’intéressait d’interroger qu’est-ce qui fait que des gens décident de changer de vie du jour au lendemain. Et je pense que c’est des pulsions qu’on a tous en nous. Mes personnages, ils osent le faire et ils sont portés par un mouvement irrésistible vers quelque chose, un amour, une révolution. En quelque sorte, c’était une sorte d’éloge de la fuite que je voulais faire aussi dans ce roman pour montrer en quoi nos fuites et nos errances peuvent petit à petit dessiner un chemin dans le monde et vers soi. »
Fuir n’est plus toutefois le dernier mot de l’histoire que raconte ce roman crépitant d’une énergie joyeuse. Parvenue au terme de son apprentissage et de retour à Paris, Alice sait que le contraire de fuir n’est pas rester, mais vivre. Chemin faisant, elle a fait sienne la philosophie de vie des hommes rencontrés sur les barricades d’ici et d’ailleurs, sans jamais vraiment oser s’engager. Ils lui disaient : « Quand tu rencontres la vie, ne la laisse pas filer, invite-la chez toi. »
Revenue de loin dans un sens à la fois littéral et métaphorique, riche des rêves qu’elle a vu se fracasser sur le champ des révolutions inachevées, Alice, osera-t-elle franchir le pas ?
Extrait
« Rabiê avait quitté l’Algérie en 1973, où il était éditeur. En France, il ne trouva pas de travail dans ce domaine. Alice avait peu d’images de son enfance. Elle gardait pourtant un souvenir très net du visage de Rabiê. Quand il revenait du marché aux puces , chargé de livres anciens. (…) En voyant Rabiê ranger ses livres, Lydia, sa mère se lamentait. Il n’était toujours pas éditeur, il gagnait mal sa vie, il avait oublié de rapporter du pain. Mais des livres, ça, il en avait : des dizaines et des dizaines qui, mis bout, par centaine. (…) Sa bibliothèque était son seul trésor. Parfois, il disait qu’il voulait être enterré avec et chuchotait à Alice : comme les pharaons dans leurs tombeaux… »
Le sens de la fuite, par Hazar Azell. Editions Gallimard, 215 pages, 20 euros.