Littérature: entre marginalités et fulgurances, avec l’Afro-Allemande May Ayim
17 November 2024

Littérature: entre marginalités et fulgurances, avec l’Afro-Allemande May Ayim

Chemins d'écriture
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Marquée du sceau d’indocilité et de mélancolie, la poésie de l’Afro-Allemande (Afrodeutsche) May Ayim a enchanté l’Américaine Audre Lorde et la Française Maryse Condé. Blues en noir et blanc est le premier recueil de poèmes de la poétesse, précocement disparue, est désormais disponible en français.

C’est un volume de poésies à la couverture bleue nuit : Blues en noir et blanc, par l’Afro-Allemande May Ayim. La cinquantaine de poèmes en vers libres que compte le recueil, au ton souvent ironique et combatif, raconte des vies en noir et blanc, en butte au mépris et au racisme au quotidien. Bilingue, allemand-français, l’ouvrage est préfacé par l’Antillaise Maryse Condé, qui revient sur la voix de May Ayim, « dont le timbre, écrit-elle, porte les traces de blessures très vieilles, encore ouvertes… doucement douloureuse ».

« Je serai / tout de même / africaine / même si vous / me / préférez / allemande / et serai tout de même / allemande / même si / ma noirceur / ne vous convient pas / je ferai / encore un pas de plus / jusqu’à la dernière marge / là où sont mes sœurs / où se tiennent mes frères /  / notre / liberté / commence… »

Les vers cités ci-dessus, puisés dans le poème Sans limites et sans honte du recueil présenté ici, sont représentatifs de l’écriture indocile et captivante de la poétesse. Être ou ne pas être Africaine, un dilemme qui nourrit la poésie de cette auteure.

Née à Hambourg

De père africain et de mère allemande, celle-ci est née à Hambourg, en 1960. Son enfance fut peu heureuse, partagée entre l’abandon et l’incompréhension, comme le rappelle la traductrice Lucie Lamy. « Son père est Ghanéen et au moment où elle naît, son père est en Allemagne pour un séjour temporaire. Il est là pour faire des études de médecine et sa mère, elle, est danseuse. Elle ne souhaite pas garder cette enfant. Ils l’abandonnent. Autant son père va chercher à avoir des contacts avec elle, même quand elle est enfant, dans sa famille d’accueil, autant sa mère a refusé tout contact. »

Installée à Berlin à partir des années 1980, c’est essentiellement à travers l’écriture et son activisme politique en faveur des causes allant du féminisme à celle des migrants, en passant par la question de l’identité noire diasporique, que May Ayim s’est fait connaître. Son livre d’essais Farbe Bekennen, adapté d’un mémoire de fin d’études universitaires consacré à l’histoire de la diaspora africaine en Allemagne, s’est imposé comme un ouvrage majeur sur la condition noire. Mais c’est sans doute à travers la poésie, qu’elle écrit depuis les années 1980 et qu’elle performe dans des festivals littéraires, que May Ayim a donné la vraie mesure de son talent d’écrivaine, comme l’explique Jean-Philippe Rossignol, traducteur de May Ayim.

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« Elle écrit son premier poème, elle a 18 ans, qui s’appelle Jérusalem. Son travail va être mêlé tout le temps entre reconnaissance des individus noirs en Allemagne au moment de la réunification de l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Et un autre versant, qui est l’activité d’écriture, l’écriture poétique. Elle va toujours mener les deux de front, à la fois l’activisme, le militantisme et en même temps, elle fait des festivals de poésie. Elle écrit, elle publie Blues en noir et blanc et elle voulait de plus en plus être reconnue comme poétesse. »

Décédée en 1996, Ayim est l’auteure de deux recueils de poèmes, blues en noir et blanc, paru en 1995 et d’un recueil posthume en cours de traduction. C’est une poésie engagée qui décortique les préjugés et interroge l’impensé colonial. May Ayim croyait dans le pouvoir subversif de la parole poétique.

« Spoken word »

Dans Blues en noir et blanc, les thématiques vont de l’affirmation identitaire aux turbulences de l’amour, en passant par la différence, le racisme et la marginalisation des Afro-descendants en Allemagne. L’activisme se double ici d’une quête d’économie de moyens et d’efficacité, avec pour modèles les poètes afro-américains du « spoken word » qui ont fait résonner un lyrisme concret et vocal. C’est une parole émancipatrice, celle de May Ayim, entre marginalités et fulgurances.

« On peut utiliser le mot "marginal", explique la traductrice Lucie Lamy, même si elle voulait faire bouger les représentations de la centralité et la marginalité. Elle avait une association qui s’appelait Literatur fraulein (femmes de littérature) dans laquelle elle a essayé, avec d’autres femmes, de faire entendre des voix de la littérature écrite par des femmes et notamment des femmes immigrées ou noires, ce qui les rendait marginales justement aux de la société allemande. Je pense que, justement parce que c’est une voix marginale qu’elle nous a particulièrement interpellés ou qu’on avait envie d’aller vers elle. Enfin, marginale, elle a quand même un vrai écho en Allemagne aujourd’hui. Ce n'est pas non plus une littérature qui est confidentielle. Ses combats sont restés, sa poésie aussi. Et May Ayim meurt très jeune en 1996. Et donc, elle n’a pas eu le temps de voir cette évolution. »

Atteinte de problèmes psychiatriques graves et d’une sclérose en plaques, May Ayim s’est donné la mort le 9 août 1996 en sautant du quatorzième étage de l’immeuble où elle vivait à Berlin. Elle avait tout juste 36 ans.

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Blues en noir et blanc, par May Ayim. Traduit de l’anglais par Lucie Lamy et Jean-Philippe Rossignol. Ypsilon éditions. 2022, 253 pages, 22 euros.