Les mille vertus des livres racontées par des écrivains dans un manifeste
20 April 2025

Les mille vertus des livres racontées par des écrivains dans un manifeste

Chemins d'écriture

About

À l’occasion du récent Salon africain du livre de Paris, les éditions mauriciennes L’Atelier des nomades ont réédité leur Manifeste pour la lecture, qui réunit 16 auteurs francophones d’Afrique et de l’océan Indien pour célébrer la lecture et la littérature. Le volume rassemble témoignages, récits, portraits et poèmes. Ces 16 textes disent haut et fort que les livres ne sont pas des objets inertes, mais des présences, nos compagnons de vie. 

À quoi sert la lecture ? Comment les livres nous font grandir, en nous arrachant à notre morne et répétitif quotidien ? Telles sont quelques-unes des questions qui traversent le Manifeste, un bref volume d’une centaine de pages que l’on lira d’une seule traite.

Corinne Fleury revient sur la genèse du projet : « Le projet était réellement d’offrir des témoignages et des récits d’auteurs de la francophonie pour raconter comment est-ce qu’ils sont venus à la lecture. En fait, en plus d’être éditrice, je suis aussi organisatrice d’un festival du livre jeunesse qui se déroule tous les deux ans à Maurice. Dans ce cadre-là, je rencontre de nombreux lecteurs, enseignants et médiateurs du livre. Et, à chaque fois, il y a un peu ce sentiment que la lecture n’est peut-être pas suffisamment démocratisée dans le sens où la lecture est cantonnée aux écoles dans un cadre strictement scolaire et pédagogique, alors que le livre nous accompagne tout au long de la vie. Qui d’autres que les écrivains pour parler des mille vertus des livres ?  Voilà, le projet du manifeste, c’est vraiment parti de ce constat-là. »

On aura compris, promouvoir, démocratiser la lecture, telle est l’ambition de ce manifeste qui se propose de sortir le livre du cadre scolaire et pédagogique. Les livres sont des « compagnons de notre voyage de vie », proclament les auteurs réunis dans ce volume.

La déchirure

L’ouvrage s’ouvre sur un témoignage poignant par la Mauricienne Ananda Devi. Il s’agit d’un récit de cinq à six pages où elle revient sur ses toutes premières lectures, dont Les Aventures de Pinocchio. À mi-chemin entre album et titre de la collection rose, ce livre était devenu le livre de chevet de la petite fille de trois ans qu’elle était alors, se souvient la romancière. « Je l’aimais d’amour », écrit-elle, ajoutant qu’elle ne s’en séparait jamais. Alors, quand a fallu s’en séparer, la déchirure l'a marquée à un point où, à 60 ans passés, la Mauricienne s'en souvient encore comme si c’était hier.

« Un grand ciel violet s’étire au-dessus d’un bateau. La mer est houleuse, toute noire. Sur le quai, je tiens la main de ma mère. D’une voix grêle, j’appelle, j’appelle encore ; ma voix est vite emportée par le vent. Et, là-bas, un petit garçon s’éloigne avec un livre, mon livre : il va embarquer sur ce bateau. […] Le bateau quitte le quai pour la Réunion. La nuit les emporte. Une nuit bleue, traversée de nuages. Je rentre à la maison, inconsolable. » Ainsi commence « La robe rouge », la nouvelle d’Ananda Devi dans Le Manifeste, qui est sans doute l’un des moments les plus délicieux et émouvants de ce recueil.

L’ouvrage comporte en tout 16 textes, qui se signalent à l’attention par leur variété de sensibilités et de genres. En prose, en poésie et en prose poétique, ils illustrent avec beaucoup de talent et d’originalité la thèse centrale du livre : la lecture est un antidote contre l’ennui et la solitude. Comme le rappelle par exemple la romancière ivoirienne Véronique Tadjo dans son texte en vers : « Si tu aimes les livres/ Si tu les acceptes dans ta vie/Tu ne t’ennuieras jamais/La solitude s’en ira à petits pas », écrit l’auteure de La Reine Pokou et autres romans qui font le bonheur des lecteurs de littérature africaine.

Sur la route d’Ankétrabé

Difficile de ne pas évoquer les pages inoubliables que consacre l’écrivain Franco-mahorais Nassuf Djailani à l’importance du livre et de la lecture dans sa vie. Son texte se présente sous forme de Lettre adressée « à l’élève au fond de la classe qui avait des mots plein le ventre et qui a du mal à les sortir sans que son élan soit empêché par une espèce de timidité ».

Ce texte est bien sûr un autoportrait. À travers le dialogue qui s’instaure dans ces pages avec l’élève destinataire de sa missive, Nassuf Djailani retrace son propre parcours au milieu des contingences de la dure condition coloniale de son île natale mahoraise, avec pour seuls alliés les livres et leurs mots constitutifs qui ont représenté, comme l’écrit l’auteur, « des êtres fondamentaux dans mes choix futurs ». 

Pour Djailani, « les mots sont des vaisseaux qui prolongent la rencontre. Une maison où il ne fait jamais silence. J’ai marché longtemps au milieu de la forêt des mots pour la comprendre, l’éprouver, l’expérimenter, m’en satisfaire ». Son récit conduit l’auteur à Mayotte où il a grandi. Il parle du « sacré des mots » dont la quête le conduisait tous les matins de « la vallée de l’Andriagna où habitait (sa) mère pour grimper à pied tout l’intérieur du bois qui relie la partie basse du village au quartier Ankétrabé sur les hauteurs ». C’est sur ces hauteurs que se trouvait son collège où la confrontation quotidienne avec les mots, les livres, le savoir, lui a permis d’échapper à sa propre timidité, à ses propres enfermements, se souvient l’écrivain.

« Et c'est ça que j'ai voulu raconter aussi, parce que, explique l’auteur de Daïra pour la mer. Cet enfant existe, cet élève du fond de la classe, il y en a tellement et c'est un peu en fraternité avec lui ou avec elle que j'ai écrit cette petite nouvelle pour lui dire : "Tu n'es pas seul en fait, Il suffit que tu ouvres un livre, que tu lises une phrase et tu pars. Et tu n'es pas tout seul parce qu'il y a des êtres de papier, il y a des personnages qui peuvent être des frères et qui peuvent te parler de toi, de ta condition". Et on se sent moins seul en fait, quelque part. » 

Antidote contre la solitude, le livre demeure un formidable vecteur du savoir en ce temps des iPhone et de Facebook. Ainsi parlent les Ananda Devi, les Véronique Tadjo, les Blaise Ndala, les Jennifer Richard, les Gaël Octavia, les Nassuf Djailani et les autres. Le monde serait indéchiffrable sans les livres, car les livres savent ce que nous ne savons pas encore : telle est sans doute la leçon de ce lumineux Manifeste pour la lecture.

Manifeste pour la lecture, collectif. Atelier des nomades, 94 pages, 5 euros.