Auteure des Douze tribus d’Hattie, un grand roman américain de ces dernières années, qui connut un immense succès populaire lors de sa parution en 2012, Ayana Mathis est considérée comme l’héritière de la riche tradition littéraire afro-américaine. Elle publie aux éditions Gallmeister son second roman, Les Égarés, qui raconte, à travers des récits de trois générations d’hommes et de femmes marginalisés, les combats des Afro-Américains pour la liberté et la dignité.
Ayana Mathis est la star montante des lettres africaines-américaines. Mathis s’est fait connaître en publiant en 2012 son premier roman Les Douze tribus d’Hattie.
Les Douze tribus est un récit épique sur la migration des Africains-Américains, qui a commencé dans les années 1920, avec six millions d’hommes et de femmes fuyant le Sud où les lois Jim Crow régissaient la vie au quotidien. Ce roman qui mêle l’histoire, la mythologie et des combats contemporains contre le racisme et la misère, a connu un immense succès, comme en témoigne sa sélection en 2012 dans le book club d’Oprah Winfrey, la prêtresse de la littérature populaire aux États-Unis. Aux dires de l’auteure, le succès de ce premier roman a été pour elle enivrant, mais aussi handicapant.
Saga familiale et récit historiqueLes Égarés est le titre du second roman d’Ayana Mathis, qui vient de paraître en traduction française cet automne. À la fois saga familiale et récit historique, ce nouveau roman de Mathis est ancré dans l’histoire de la communauté noire aux États-Unis au XXe siècle. « Il m’a fallu dix ans pour écrire ce roman où l’histoire et la fiction vont main dans la main, confie l’auteure à l’antenne de RFI. J’ai passé beaucoup de temps à imaginer les personnages et leurs rapports avec l’Histoire à l’œuvre. »
L’intrigue des Égarés est bâtie autour de trois protagonistes appartenant à la même famille, sur fond de l’histoire turbulente des communautés africaines-américaines en bisbille avec le pouvoir et la majorité blanche. Dutchess, la grand-mère, est déterminée par ses combats contre les suprémacistes blancs à Bonaparte, au cœur de l’Alabama, où elle lutte pour sauvegarder la spécificité de sa ville historique incorporée, fondée en 1868, par des esclaves libérés. Ava, sa fille, évolue parmi les activistes radicaux des années 1980 et partage la vie du chef d’un mouvement anarco-écologiste noir qui l’entraîne sur le chemin de marginalisation et d’auto-destruction. Troisième et principal protagoniste du roman, Toussaint a treize ans, séparé de ses parents et engagé dans sa propre quête. Il incarne la promesse du lendemain, libéré des fantômes du passé.
Le roman s’ouvre sur la marche de l’adolescent vers son propre destin. « Toussaint Wright arriva dans Ephraim Avenue avec un sac à dos sur l’épaule et une entaille sanglante sur la joue. Il avait treize ans. Deux ans plus tôt, un incendie avait ravagé le 248 d’Ephraim Avenue où il vivait. Le feu avait détruit pratiquement tout ce qu’il aimait. Depuis, Toussaint était passé par un bon nombre de foyers – des centres d’hébergement, des familles d’accueil, le presbytère d’une femme pasteur qu’il connaissait – mais il finissait toujours par s’enfuir. Il resta un long moment dans Ephraim Avenue, regardant les feuilles jaunies tomber du chêne. »
Ce passage tiré du prologue donne le ton de ce roman, entre solennité et fragilité, entre la fuite en avant d’un gamin sans avenir et la symbolique d’un nom qui n’est pas sans rappeler Toussaint Louverture, le général haïtien qui défia la formidable armée de Napoléon. Ce n’est sans doute pas accidentel si le roman s’ouvre sur le nom de ce révolutionnaire d’Haïti, pays où l’esclave noir se mit debout pour la première fois, comme l’a écrit Aimé Césaire.
Conteuse hors pairRésolument campé dans l’Histoire, Les Égarés frappent aussi par ses personnages hauts en couleur et en colères, déterminés par leurs passions et leurs contradictions. Diplômée de l’atelier d’écriture de l’université d’Iowa, Ayana Mathis est une conteuse hors pair, qui en deux romans a réussi à se hisser au niveau des plus grands. Elle est considérée comme l’héritière de Toni Morrison, mais son style qui mêle le lyrisme et l’analytique n’est pas dépourvu d’originalité et d’inventivité.
Les Égarés, par Ayana Mathis. Traduit de l’anglais par François Happe. Editions Gallmeister, 528 pages, 25,90 euros.