Le bon Denis est le titre du nouvel opus de Marie NDiaye. Publié dans la collection « Traits et portraits » et campé entre fiction et autobiographie, l’ouvrage aborde les secrets de famille des Ndiaye. Les admirateurs de l’auteure des Trois femmes puissantes retrouveront dans ces pages la tonalité et l’imagination audacieuse de cette romancière au souffle faulknérien. Voici le premier des deux volets que nous consacrons au nouvel ouvrage de la romancière.
Conteuse hors pair des heurs et malheurs de nos sociétés modernes, de nos préjugés, de nos peurs, mais aussi de nos rêves qui forgent nos vécus au quotidien, Marie NDiaye est une auteure envoûtante. Les critiques évoquent la magie de son écriture, l’élégance et la force de son phrasé à nul autre pareil, comme en témoigne encore une fois le nouveau livre que l’écrivaine vient de faire paraître. Son titre : Le bon Denis.
Autoportrait littéraire, Le bon Denis s’ouvre sur une phrase quasi-proustienne, longue et poétique. « Lorsque, après avoir longuement hésité, pris peur, renoncé, enfin, je rassemblai mes forces pour demander à ma mère, dont la lucidité peu à peu s’en allait, si elle se rappelait certaine scène encore douloureuse à mon cœur d’adulte, elle me fixa d’un œil éberlué, offensé, empli d’indignation vertueuse… » Et la phrase continue, cheminant avec grâce et assurance jusqu’à la fin du paragraphe. Elle est riche en propositions, en trébuchements aussi, et en virgules contre lesquelles le souffle s’appuie pour prendre son élan avant de s’élancer de nouveau dans le labyrinthe de la narration.
On est touché par la musicalité de la phrase, son cheminement tout en hésitations et pourtant si maîtrisé. S’agit-il de l’inspiration pure ? Ou est-ce le résultat d’un long travail sur le style, sur l’écriture ? La réponse fuse. « Les deux. Le flot vient très spontanément. Après la musicalité de la phrase, je la travaille, mais ce qui vient en premier, c’est une sorte d’inspiration. La phrase me vient et après je fais mon métier, qui consiste à la travailler. »
« Quant au riche avenir »Son métier d’écrivaine, plutôt d’artisane de l’écriture, Marie NDiaye la pratique depuis fort longtemps. Cette année, cela fait exactement quarante ans qu’elle a publié son premier roman Quant au riche avenir. C’était en 1985, alors qu’elle était encore mineure et lycéenne dans la banlieue parisienne. On raconte que, impressionné par le manuscrit reçu par la poste, Jérôme Lindon, patron légendaire des Editions de Minuit, est lui-même venu attendre l’adolescente à la sortie de son lycée pour faire signer le contrat.
Avec à son actif plus d’une vingtaine de romans, de pièces de théâtre, de contes pour enfants, Marie NDiaye s’est imposée depuis comme l’une des auteures les plus importantes de sa génération. Dans sa besace les récompenses les plus prestigieuses du monde littéraire français : Goncourt, Fémina, pour ne citer que ceux-là. Les récits que raconte Marie NDiaye puisent en grande partie leur inspiration dans la propre condition de leur auteure, celle d’une jeune femme métisse franco-africaine abandonnée par son père et élevée par une mère beauceronne.
Une sorte de fantômeÀ mi-chemin entre roman et autofiction, le nouvel opus de Marie NDiaye ne déroge guère à la règle. L’ouvrage est paru dans la célèbre collection « Traits et portraits » des éditions Mercure de France, qui a fait sa réputation en remettant au goût du jour l’autoportrait littéraire. La collection donne la parole à des écrivains et artistes venus d’horizons divers et privilégie l’autobiographique et la réflexion des auteurs sur leur propre parcours. Le bon Denis est le second volume que publie Marie NDiaye dans cette collection, après avoir livré il y a vingt ans un étonnant Autoportrait en vert – c’est son titre – consacré à sa mère. Cette fois, c’est le père africain, disparu de la scène familiale, qui est au cœur du dispositif narratif du nouveau titre.
« Le père disparu est le thème de ce livre », confirme Marie NDiaye. Et de continuer : dans les deux sens du terme : le père envolé comme le père mort. Mais, c’est aussi le beau-père disparu, le père de substitution, mais Denis c’est aussi un frère. Le bon Denis, c’est au sens où qui est le vrai quoi. En fait, la figure, le nom, l’image d’un certain Denis traversent les quatre fragments de ce récit. Et Denis devient peut-être le prénom d’une figure idéale, mais trouble aussi. C’est une sorte de fantôme. »
La présence fantomatique de Denis, père de substitution, hante les pages de ce nouveau livre. Ses traits se superposent à la figure du père réel, mais absent, marginalisé dans cette œuvre des origines que bâtit patiemment Marie NDiaye depuis quatre longues décennies. Avec constance et art.
Constance et art seront les thèmes du second volet de cette chronique consacrée à l’art de la narration chez celle que la critique a pris l’habitude d’appeler la « plus grande écrivaine contemporaine française ».
Le bon Denis, par Marie NDiaye. Coll. « Traits et portraits », éditions Mercure de France. 127 pages, 17,50 euros.