Histoire littéraire: la rencontre entre André Breton et Aimé Césaire
08 December 2024

Histoire littéraire: la rencontre entre André Breton et Aimé Césaire

Chemins d'écriture
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À l’occasion du centenaire du Manifeste du surréalisme cette année, Chemins d’écriture revient, avec le Guadeloupéen Daniel Maximin sur la rencontre entre Breton et Césaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre le charismatique pape du surréalisme et Césaire, chantre et fondateur de la négritude, il y avait admirations mutuelles et complicités. Leur communion, raconte Maximin, a contribué à modeler l’imaginaire de l’époque.

L’histoire reste gravée dans la mythologie littéraire du XXe siècle. Ce fut la rencontre de deux géants de la littérature du siècle écoulé.

Circonstances

Nous sommes en 1941. Avec d’autres intellectuels et artistes menacés par la  France vichyste et la guerre, André Breton fuit l’Europe. À Marseille, il embarque à bord du Capitaine Paul Lemerle en partance pour les États-Unis. Le bateau fait escale à Fort-de-France où les exilés français sont contraints de séjourner pendant plusieurs semaines en attendant le passage du bateau qui doit les conduire à New York.

« Les exilés arrivent sains et saufs, raconte le romancier Daniel Maximin, dans une Martinique fasciste où ils sont accueillis à la sortie du bateau par les gendarmes qui les mettent dans un camp. Pas un camp de concentration, mais un camp où ils ne sont pas libres, avec simplement des horaires pour aller acheter leur nourriture ».

Rencontre

André Breton est l’un des rares voyageurs à bénéficier d’une autorisation à résider en ville. C’est en se rendant dans une mercerie pour acheter un ruban pour sa fille de cinq ans qui accompagnait le couple Breton, que le poète découvre le premier numéro de la revue Tropiques que venaient de lancer un groupe de jeunes professeurs au célèbre lycée Schoelcher, sous l’égide d’un certain Aimé Césaire.

En feuilletant le numéro, le poète tombe sur la préface. signée par Césaire, le principal animateur de la revue : « Où que nous regardons, l’ombre gagne. L’un après l’autre les foyers s’éteignent. Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre ».   

Breton se reconnaît dans cette proclamation. Il s’y reconnaît car ces lignes font écho à ce qu’il a pu lui-même ressentir lorsqu’il a quitté l’Europe où se répandait alors l’idéologie hitlérienne. Le numéro de Tropiques qu’il venait de découvrir comptait aussi des poèmes. Cette nouvelle poésie antillaise, en révolte contre la tradition « doudouiste » dominante de l’île, rejoignait les visées de révolution permanente du surréalisme et prônait le rejet des valeurs de la société bourgeoise. « La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas », clamaient les poètes dans Tropiques.

« Breton est subjugué par ce qu’il entend, poursuit Maximin. C’est exactement ce qu’il fallait dire. C’est extraordinaire. Il a compris aussi certaines choses du ratage surréaliste qu’il regrettait à ce moment-là, puisque quelque part, il n’avait pas réussi à faire la jonction entre Marx et Rimbaud. André Breton a reconnu que ce que lui cherchait et ce que lui avait quelque part raté, l’engagement, une poésie qui parle à tous et en même temps qui a une rigueur esthétique très grande dans la modernité la plus ouverte. Et il disait, mais voilà, ils l‘ont fait ».

Or qui sont ces « ils » auxquels Maximin fait référence ? Essentiellement, René Mesnil, Aimé et Suzanne Césaire son épouse, qui étaient les principaux animateurs de la revue Tropiques. Sous le nez et la barbe des Pétainistes qui administraient l’île à l’époque, ces auteurs courageux publient leur revue dissidente, avant-gardiste, soucieux d’inventer et de dire une antillanité authentique.

André Breton qui les rencontrera régulièrement pendant son séjour martiniquais, et découvrira l’île, ses mornes et ses forêts en leur compagnie, était sous le charme. C’est ce qui ressort de ses futurs écrits sur la Martinique et surtout de la préface qu’il écrira en 1947 pour la nouvelle édition du Cahier du retour au pays natal d’Aimé Césaire, ouvrage qu’il qualifie du « plus grand monument lyrique de ce temps ». Césaire, pour sa part, disait « d’avoir été fasciné » par Breton, par son « sens étonnant de la poésie », mais il refusait de se proclamer « surréaliste ».  

Admiration n’est pas imitation

Explication du sens de ce refus par Daniel Maximin : « C’est Breton qui a été subjugué par Césaire. Ce n’est pas Césaire qui a dit que maintenant je vais imiter le pape Breton qui va me dire comment nous devons écrire. Pour Césaire, il ne s’agissait pas d’imiter les surréalistes et de faire comme eux, comme ses aînés avant imitaient les Parnassiens tout en faisant attention qu’il ne faut qu’on voie des noirs dans nos poèmes, il faut que ce soit comme dans Leconte de Lisle, comme dans Hérédia, etc. Le surréalisme de tous ces jeunes écrivains, peintres, antillais, cubains, etc. n’est pas une copie de quelque chose qui a été donné par un manifeste français, mais qui est une expression de la plus grande authenticité et que le poète surréaliste vient reconnaître et célébrer. Césaire le dira : la venue de Breton m’a conforté dans ce que nous faisions, et non pas m’a indiqué ce qu’il fallait faire, parce que ce qu’il fallait faire, il l’avait fait. Breton c’était pas un maître, c’était un égal. C’est pour ça que cette rencontre a suscité quelque chose de très fort dans les deux sens. Césaire et les autres Antillais  n’avaient pas besoin de maîtres, ils étaient déjà dans leur propre maîtrise. Il ne s’agissait pas de tomber dans un nouveau colonialisme culturel ».

En effet, rétif à toute forme d’assimilation, Césaire se définissait comme un éternel rebelle. C’est en s’appuyant sur l’idée alors révolutionnaire de la « négritude » qu’il avait imaginée sur les bancs de la Sorbonne, avec son condisciple, le Sénégalais Senghor, que le poète du Cahier qui fut aussi maire de Fort-de-France et député de son île, a refondé pour longtemps la quête littéraire et politique de son peuple antillais.

Le Grand camouflage. Ecrits de dissidence (1941-1945) de Suzanne Césaire. Edition établie par Daniel Maximin. Editions du Seuil, 125 pages, 15 euros. (2015)