Gabriel Okundji, des tènèbres à la clairière
18 May 2025

Gabriel Okundji, des tènèbres à la clairière

Chemins d'écriture

About

Né au Congo-Brazzaville, mais installé dans la région bordelaise depuis plus de quatre décennies, Gabriel Mwènè Okoundji est considéré comme l’une des grandes voix de la poésie africaine francophone contemporaine. Avec une quinzaine de recueils poétiques à son actif, il s’inscrit dans la grande tradition de la poésie congolaise et s’impose comme le digne héritier des Tchicaya U’Tam-Si et des Tati-Loutard. Sa poésie d’initiation, mêlant le Congo et la Garonne, est empreinte d’une modernité étonnante et d’une élégance de dire propre aux plus grands.

 « Esprit du vent/ toi qui souffles au-delà du temps et de l’horizon / toi qui connais l’éternelle éternité du visage lunaire/ / toi qui connais l’étreinte de l’air fidèle au génie des mondes illimités / toi qui connais la saison pluvieuse qui amène les grandes pluies / toi qui connais l’âme forte d’une forêt qui cache la douleur par son propre nom par sa propre faune par sa propre flore/ parle donc de ta parole unique une fois pour toutes / esprit du vent accepte la bataille de cette flamme qui brûle dans la brûlure… »

Lyrique et puissante, cette adresse aux éléments, récitée par l’auteur en personne, ouvre L’âme blessée d’un éléphant noir, une anthologie poétique poignante d’authenticité et de ferveur, sous la plume du Congolais Gabriel Mwene Okundji. Ces vers donnent le ton de ce volume dans les pages duquel se déploie une imagination poétique et métaphorique sophistiquée, doublée d’une sagesse ancestrale, venue de la nuit des temps.

Depuis la publication de son premier recueil en 1996, Okundji s’est imposé comme l’un des poètes africains majeurs. Il est récipiendaire de nombreux prix littéraires, dont le Grand Prix littéraire d’Afrique noire. Autre preuve de la réputation grandissante du barde : il vient d’intégrer la prestigieuse collection Poésie/Gallimard qui réédite son recueil L’âme blessée d’un éléphant noir, paru une première fois il y a quelques années.

Ampili et Pampou

Né en 1962 à Okondo, dans un village au Congo-Brazzaville, il vit depuis plus de quarante ans en France, dans la région bordelaise où il exerce le métier de psychologue clinicien. Poète dans l’âme, l’homme a à son actif une vingtaine de titres, dont une quinzaine de recueils de poésie, aux titres évocateurs : Ne rien perdre, ne rien oublier, Graine d’errance, Comme une soif d’être homme, encore, Chants de la graine semée, Stèles du point du jour…, pour ne citer que les parutions les plus récentes. Ces titres orientent la lecture, annoncent une poésie peu commune, campée au carrefour du lyrique et de l’initiatique. La poésie d’Okundji convoque l’Afrique profonde dont le poète se proclame héritier.

« La poésie a commencé, raconte Gabriel Okundji, lorsque j’étais jeune. Je suis né dans le petit village d’Okondo. Puis je migre vers la capitale avec tout ce que ça comportait de vacarme. Alors, je me suis ressouvenu des moments de mon enfance où la sérénité berçait le quotidien. J’ai bâti le socle de ma poésie autour de mes deux muses : Ampili et Pampou, Ces deux diseurs d’essentiels ne possédaient pas la langue. Ce qu’ils m’ont appris, c’est de dire le conte, de chanter le proverbe, de pleurer l’énigme et de danser à la lumière du mot, afin qu’une fois tout cela accompli dans le corps, on puisse se sentir homme encore parmi les hommes. »

Dans la très belle et lumineuse préface que le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa a écrite pour présenter l’œuvre de son compatriote, on trouvera les secrets de l’écriture du poète, sa dette envers le duo Bernadette Ampili — une tante maternelle – et Pampou — un oncle -. À la fois muse et maître à penser d’Okoundji, ils initièrent le petit Congolais, alors qu’il grandissait dans la brousse, aux énigmes de la poésie et de la vie. L’importante place qu’occupe ce pays profond dans l’œuvre littéraire du poète n’est pas sans rappeler le « royaume d’enfance » senghorien. Au monde sérère du barde de la négritude correspond l’univers tégué dans lequel le Bordelais du Congo continue de puiser sa sève et son inspiration.

Les âmes parlent aux âmes

Comme il l’a fait pour écrire les poèmes de L’âme blessée d’un éléphant noir. Réparti en quatre cahiers, ce recueil exalte la beauté du « soleil en fuite » et « l’éclat de la lune dans le lait des éclairs ». Il est aussi question dans ces pages des blessures de la vie, de la fragilité des êtres et des ténèbres originelles bruissant des voix, des lamentations et d’autres signes des drames à venir ou déjà advenus.

 « Je convoque l’humain au travers de ces quatre cahiers à essayer de retrouver par moment de doute, par moments d’égarement, lorsque l’obscurité semble prendre le pas sur la part de la lumière nécessaire de lui dire non. Aucune obscurité n’est jamais totalement obscure. Il y a toujours une part de clairière. »

C’est justement la singularité de la poésie de Gabriel Okundji, de tracer le chemin vers la clairière, avec pour mission, comme le poète l’écrit dans les pages de son anthologie, de créer les conditions pour que « les âmes parlent aux âmes » « dans la parfaite harmonie des dialogues entre terre et ciel ».

L’âme blessée d’un éléphant noir, par Gabriel Mwènè Oukoundji. Collection « Poésie/Gallimard », 208 pages, 9,30 euros.