
Franco-Algérienne, Aïda Amara est journaliste. Avec ma tête d’arabe est son premier roman. Le soir du 13 novembre 2015, Aïda Amara, prenait un café avec ses amis à Paris, sur la terrasse du restaurant le Petit Cambodge lorsque les terroristes ont ouvert le feu. La suite, c’est l’Histoire avec un grand « H ». Pour Aïda Amara, le traumatisme de l’attentat a rouvert des plaies psychiques profondes, conduisant la jeune femme à s’interroger sur sa condition franco-algérienne. Le poids de l’événement l’oblige à se reconstruire morceau par morceau, puisant sa force dans le récit des combats de sa famille dans l’Algérie coloniale et celui de leur traversée de la guerre et de ses abominations. En cinquante brefs chapitres, organisés comme autant de sketches partagés entre l’Algérie et Paris, le passé et le présent et le tragique et l’ironique, Aïda Amara raconte sa quête identitaire qui la conduit de la survie à la renaissance. Une romancière est née. Entretien.
RFI : Vous livrez avec votre roman Avec ma tête d’arabe un magnifique texte sur l’identité, l’identité franco-algérienne, comme l’attestent les pages que vous y consacrez à Ménilmontant où vous avez grandi. On pourrait peut-être commencer cet entretien par la lecture d’un bref passage tiré de cet extrait ?
Aïda Amara: « J'ai grandi dans le 20ᵉ arrondissement de Paris, à Ménilmontant, comme l'a si bien chanté Maurice Chevalier. C'est là que j'ai laissé mon cœur. C'est là que je viens retrouver mon âme. Ménilmontant et le vingtième font partie intégrante de mon identité. De la même façon que ma mère vient d'Annaba et mon père d’Ihitoussene. Je viens de Ménilmontant, petit village parisien qui m'a toujours protégé du racisme. Les équipes éducatives et les associatifs que je fréquentais souvent avec mon père, utilisaient tous le même terme pour désigner les jeunes du quartier : " les enfants ". Quand ils se sentaient d'une humeur plus titi parisien, c'était : " les gamins ". Je n'ai jamais retrouvé une telle mixité ailleurs. Dans les autres arrondissements populaires parisiens, d'une rue à l'autre, l'ambiance change radicalement. Mais dans le vingtième, noirs, arabes, juifs, musulmans, asiatiques, blancs, bourgeois ou prolétaires, on vit ensemble. Tout n'est pas rose, bien sûr, mais tout le monde y partage un sentiment d'appartenance envers ce quartier. »
Merci pour cette lecture. La question d’identité apaisée traverse de long en large les 250 pages de votre ouvrage. Pourquoi ne pas avoir commencé par Ménilmontant plutôt que par les terribles attentats du Bataclan perpétrés par ceux que vous appelez « nos monstres » ?
Je n'ai pas commencé par Ménilmontant, parce qu’en fait, la Genèse de ce roman, c'est une déflagration dans ma vie, ce sont les attentats du 13 novembre et c'est cet événement qui va en fait me faire exploser et me lancer dans cette quête de tous les petits morceaux de mon identité au sens large du terme. Je commence par les attentats pour cette raison, parce que c'est l'an zéro. C'est à ce moment-là que, comme un arbre un peu chahuté dans la tempête, je vais chercher quelque chose de solide. Je vais chercher mes racines. Et mes racines, ce sont mes parents, ce sera l'Algérie.
L’Algérie est en effet très présente dans ces pages. Diriez-vous que votre projet était de retrouver à travers l’écriture vos racines algériennes ?
Quand j'ai commencé à écrire, mon ambition était d’écrire. Je trouve que dans un essai, on a une volonté très claire, alors que dans un roman, ou en tout cas dans la forme un peu hybride de ce livre, je ne sais pas s'il y a une intention, à part peut être l'intention de témoigner, de raconter juste une histoire. Celle d'une enfant d'immigrés, comme il y en a des millions en France. C'était aussi une manière de se remettre dans l'histoire, d'ancrer les personnes qu'on a souvent effacées de l'Histoire. Je parle beaucoup de Taous, ma grand-mère paternelle, par exemple. Taous est devenue veuve pendant la guerre d'indépendance algérienne. Elle a élevé ses enfants et a nourri, caché, soigné des maquisards, des résistants. On parle beaucoup des combattants, des gens qui ont pris les armes. Ces femmes-là, je trouve qu'elles ont été un peu effacées de l'Histoire, surtout en France où on en parle très peu. Moi, cette histoire coloniale, je ne l'ai pas apprise à l'école. Je l'ai apprise dans ma famille. C'était important pour moi de les ancrer, à ma petite échelle évidemment. Et là, cette fois-ci peut-être, c'est ancré avec un « e » dans l’histoire française.
Dans Avec ma tête d’arabe, les violences et traumatismes déchaînés par les attentats du 13 novembre 2015 répondent en écho aux violences de la guerre d’Algérie. Que suggère ce rapprochement ?
Je ne fais pas de sociologie, donc je n'irai pas jusqu'à établir des liens. Ce n'est pas mon rôle. Mais par contre, clairement, oui, il y a un fil à tirer et c'est le fil de la violence. Je l'explique à un moment dans le livre. Je dis que je devais être la première génération à ne pas voir des gens mourir. En fait, je me suis rendu compte, dans cette solitude qu'est le traumatisme, que je n'étais évidemment pas seule, et que mon père, lui aussi, avait vu des gens – et des cousins notamment – se faire exécuter par l'armée française quand il était petit. Ma grand-mère, c'est pareil. C'était une sorte de violence transgénérationnelle que j'avais envie d’explorer. Il y a quelque chose qui s'est transmis.
Récit ? Roman ? Autobiographie ? Essai ? Comment faut-il qualifier votre livre ?
Ce livre, c'est avant tout un récit de transmission. On a décidé avec mon éditrice Marie Herman de l’appeler « roman ». Toute une partie se passe en Algérie coloniale et puis en France, dans les années 1970-1980, puisque je parle aussi de l'arrivée de mon père à Paris. Donc de la vie d'un immigré algérien en France. Je n'étais pas née à ce moment-là. Je n'ai pas vécu non plus la guerre d'indépendance algérienne. Tout ça, ça ne pouvait qu’être imaginé, même si j'ai récolté les témoignages de ma famille sur ces années. On m’a raconté comment mon père a été élevé par sa mère parce que son père avait été tué par les harkis et l'armée française quand il avait cinq ans. Et moi, pour ma part, j'ai été élevée par mon père parce que ma mère est décédée quand j'étais jeune. Voilà la lignée, avec les trous qu'elle comporte, qui sont liés à la grande histoire et à la petite histoire. Mais la question qui s'est posée, c'est comment j'allais raconter mon père et ma grand-mère et l'Algérie de l’époque. Or cela me semblait beaucoup plus vivant de les raconter comme de la fiction. Après, je ne vais pas me cacher derrière mon petit doigt. Tout ce qui concerne un peu mon expérience en France, oui, c'est une forme de récit autobiographique. Mais comme il y a plusieurs parties dans ce livre, je trouvais ça plus juste de l'appeler « roman ». Ce format s'est tout de suite imposé à moi. Cette forme un peu romanesque, c'est aussi ce que j'aime aussi lire.
Enfin, il y a aussi une part de provocation dans votre livre, dont témoigne le titre : Avec ma tête d’arabe. Vous reprenez le cliché, un peu comme l’ont fait les poètes africains en leur temps avec des mots comme « nègres » et « négritude »…
Exactement. En fait, quand je dis « arabe », c'est évidemment comment on est perçu en France. C'est aussi un terme que l'on utilise pour souvent nous dévaloriser. J’utilise pour provoquer. Je l'explique dans le roman, c’est aussi un peu comme ça que j'ai été élevée par mon père dans l’idée de toujours provoquer les personnes qui essayent de nous assigner à des identités qui ne sont pas forcément les nôtres. Donc oui, quand je dis « arabe », c’est comme je l’explique dans le livre. Voilà une gifle que je retourne à l'envoyeur. Évidemment que c'est voulu, c'est travaillé. Avec ma tête d’arabe, c'est le cliché que j'essaye de déconstruire pendant tout le livre et d'expliquer qu'en fait, on est tellement plus que ça. En moi, il y a une part d'Algérie. En moi, évidemment, il y a une part de France et une part de Paris. Même l'Algérie en moi, elle est multiple parce que mon père est kabyle, donc il se considère comme berbère. Il n'est pas arabophone. Sa langue maternelle, c'est le kabyle. Donc il y a tellement de choses. Et évidemment, en grandissant en France, on est aussi bourré de contradictions. Nos identités sont tellement riches que parfois, c'est très compliqué de les contenir dans un terme.
Avec ma tête d'arabe, par Aïda Amara. Éditions Hors d'Atteinte, 240 pages, 21 euros.