
«Être ou ne pas être», questionnement au cœur du livre de la primo-romancière Sephora Pondi
Chemins d'écriture
Lame est une comédienne montante, influenceuse, égérie des marques, au corps flamboyant, désiré, sexualisé. Elle est l’héroïne d’Aval, un premier roman à l’écriture incandescente, tiraillé entre le dilemme hamletien de « To be or not to be ». Ce premier roman remarquable, remarqué, est signé Sephora Pondi. Originaire de Douala, mais née dans la banlieue parisienne, Pondi ressemble à son personnage. Elle est aussi actrice, transfuge de classe, ambitieuse, talentueuse. Entretien.
RFI : Avant d’être romancière, vous vous êtes fait connaître comme actrice, scénariste. Comment êtes-vous venue au théâtre ?
Sephora Pondi : Mes premiers pas dans le théâtre remontent à l'enfance. J'habitais dans une ville où il y avait une MJC, comme dans beaucoup de villes de banlieue parisienne et d'ailleurs. C'était très, très précieux d'avoir ces endroits, ces centres aérés, les MJC, les bibliothèques, les médiathèques, tout ce que le service public peut fournir comme facilités. Des facilités particulièrement précieuses pour une enfance comme la mienne, qui avait besoin d'évasion. C'était vraiment en le faisant que je suis venue au théâtre. Et puis après, le théâtre a disparu de ma vie pendant plus de dix ans. C’est ensuite au lycée qu’il est réapparu, à l’initiative d’une surveillante, devenue depuis une amie. Elle a ouvert une classe de théâtre au lycée et j'en ai fait partie. Et disons que le charme a opéré.
J’ai lu dans un entretien que vous avez accordé que votre intérêt pour le théâtre est née de votre rencontre avec Stanislas Nordey, l’immense metteur en scène. Racontez-nous.
Oui, en effet, cela s’est passé quelques années après, j’avais alors entre 19-20 ans. Je me suis retrouvée un soir au Théâtre de la Colline où j’étais allée voir un spectacle qui s'appelle Par les villages de Peter Handke, qui était mis en scène par Stanislas Nordey. La pièce m'a coupé les jambes, vraiment. Je sanglotais sur mon siège. Vraiment, j'étais dans un état de transe, je trouvais ça fantastique. Enfin bref, j'ai trouvé ça merveilleux. C'est comme ça que tout a commencé.
Vous signez avec Avale un premier roman remarquable et remarqué. Quand on est comédienne comme vous, qui plus est pensionnaire de la Comédie-Française, trouve-t-on facilement le temps pour écrire ?
Il se trouve qu'il y a quand même plusieurs personnes de la troupe qui ont réussi. Mais je me demande comment elles font, parce que moi, personnellement, je n’ai pas dormi la nuit. Il faut trouver des subterfuges.
Votre subterfuge à vous a été d’écrire la nuit, si je comprends bien ?
Absolument. Je pense que ça se sent dans les lignes, que c'est vraiment un roman de nuit.
D’où sans doute ce goût pour le thriller…
Absolument, oui. Le sujet était là depuis le début. Je savais qu'il allait être question d'une jeune femme qu'on avale ou qu'on dévore, et évidemment il était question de la menace qui justement va la dévorer. A l'origine, c'était un texte de théâtre que je voulais écrire, un monologue de théâtre sur une actrice engloutie par une foule et qui racontait post-mortem comment elle s'est retrouvée dans la bouche de milliers de personnes. Et finalement, cette menace s'est matérialisée en un seul homme, qui s’appelle Tom dans le roman.
Des thrillers, vous en avez beaucoup lus ?
Mon goût pour les thrillers est né, entre autres choses, de ma fascination pour un épisode de South Park qui est une série animée, qu’avec certains de mes amis, on regardait beaucoup quand on était au lycée. Dans cet épisode, Britney Spears était au cœur d'une sorte de complot mystico-politique. Elle était traquée par des villageois qui voulaient la sacrifier pour faire repartir les moussons. Et j'avais trouvé ça fascinant. D’autant qu’il y avait tout un imbroglio complètement délirant à l'image de South Park, autour de l'idée que Britney Spears puisse être la victime d'un sort, d'une malédiction ancienne qui la rendrait à la fois extrêmement désirée par le monde entier et en même temps, cela la mettrait complètement en danger. Cette histoire m'a fascinée et j'ai donc tourné autour de cette thématique-là pendant plusieurs années. C'est un peu le point de départ de l’Aval.
Aval est un roman de prédation et d’apprentissage de la vie. Ce qui frappe au premier abord, c’est le renversement des rôles entre barbarie et civilisation, blanc et noir. L’anthropophage n’est pas celui qu’on imagine…
Tout à fait. Oui, il y a tout un imaginaire raciste autour d'une pseudo- anthropophagie des personnes noires, et j'étais heureuse de déplacer la prédation hors du corps attendu. Pour le coup, l'inspiration m'est un peu venue du film de Jordan Peele qui s'appelle Get Out, qui est un de mes films préférés. On y suit un jeune homme, photographe afro-américain new-yorkais, qui part dans la famille de sa nouvelle compagne, qui se trouve être blanche, et il se rend compte qu’il est au cœur d'un cercle de personnes très malfaisantes qui ont envie de lui enlever ses yeux, de lui enlever sa force de regard qui est essentielle puisqu'il est photographe. Et cela, que la prédation soit de ce côté-là, cela me plaisait énormément. Et il y a aussi effectivement, la question de la couleur de la peau. J'étais contente de l’aborder sous une forme symbolique, allégorique. J’étais heureuse de ne pas être littérale et premier degré, parce qu'il fallait que ça reste de la littérature quand même.
Avec Avale, vous n’avez pas voulu non plus donner un roman autobiographique, même si votre protagoniste a quelque chose de vous. Vous préférez dire que Lame et Sephora Pondi sont « au même endroit ». Cela mérite une explication.
Cela voulait dire qu'on était au même endroit et dans les mêmes questionnements par rapport au fait de à la fois donner son image et en même temps d'avoir peur qu'on nous la dérobe. J'estime que je fais partie des gens qui sont relativement protégés du danger d'être de la marge, d'être noir, d'avoir un physique comme le mien, pour avoir grandi plutôt dans des villes populaires. Mais ça m'intéressait d'ailleurs d'aller chercher le côté lumineux de la force par rapport à ces questions-là. Toutes ces spécificités font de Lame un être attirant et pas un être repoussé. C'est important pour moi de rendre un personnage noir désirable et pas seulement ostracisé ou rejeté.
Pourquoi écrivez-vous, Sephora Pondi ?
Parce que ça me fait… parce que ça me rend verticale !
Avale, par Sephora Pondi. Éditions Grasset, 224 pages, 20 euros.