Entre le réel et surréel dans le Zimbabwe contemporain, avec l'écrivain Shimmer Chinodya
26 January 2025

Entre le réel et surréel dans le Zimbabwe contemporain, avec l'écrivain Shimmer Chinodya

Chemins d'écriture
About

Au menu des « Chemins d’écriture » ce dimanche, Shimmer Chinodya, romancier, nouvelliste du Zimbabwe. Avec une dizaine de titres à son actif, Chinodya s’est imposé comme un auteur majeur des lettres africaines. Il est récipiendaire de nombreux prix littéraires, et son recueil de nouvelles « Peut-on se parler et autres histoires » est son premier ouvrage à paraître en français.

L’œuvre du Zimbabwéen Shimmer Chinodya est un « hymne à la vie », écrit Annick Garache-Gouvernel, traductrice de son recueil de nouvelles Peut-on se parler et autres histoires, qui vient de paraître dans la langue de Voltaire. Fine connaisseuse du monde littéraire zimbabwéen, la traductrice raconte dans sa postface au recueil, l’art exceptionnel de son auteur.

Avec à son actif, une dizaine de titres, dont romans et nouvelles, Shimmer Chinodya, écrit sa traductrice, « compose au fil de son œuvre un monde poétique vivant où tout et correspondances, son écriture est tour à tour violente et réticente. Econome, elle creuse au laser de l’ironie dan les angoisses de l’âme humaine et, tout en décrivant avec précision le monde extérieur tel qu’il est, fait surgir un autre monde, un autre possible, qui semble exister en parallèle. C’est tout un peuple qui vit dan les livres de  Shimmer Chinodya ».

Un conteur né

L’homme est un conteur né, comme en témoignent ses romans qu’il a fait paraître depuis les années 1980. Son tout premier roman Dew in the morning (La rosée du matin, en français) qu’il a écrit à l’âge de 17 ans, ou encore son opus magnum Harvest of Thorns (La récolte des épines) portant sur la guerre d’indépendance au Zimbabwe, l’ont imposé comme une voix majeure des lettres africaines. Ses romans racontent avec un souci d’urgence la fragilité du quotidien, mêlant avec brio émotions et événements, le réel et le surréel.

Cette voix perspicace et sensible du romancier, on la retrouve dans les nouvelles qui viennent de paraître, qui sont à la fois des témoignages et analyses psychologiques et sociales des vies évoluant dans le Zimbabwe post-indépendance. Il faut lire aussi ces nouvelles pour l’atmosphère lourde de sens et de prémonitions que l’auteur réussit à créer dès les premiers mots de ses récits comme dans la nouvelle Cascade, emblématique de la narration maîtrisée et sinueuse de cet auteur.

« Au premier abord, il semblait n’être qu’un de ces insupportables frimeurs qu’on rencontre autour d’un braai [le barbecue des Afrikaners NDLR]– ceux qui connaissent toutes les histoires et anecdotes qui courent. (…) Ils se font payer des verres, regardent les partenaires des autres, et se brÜlent les doigts sur le porc grillé des autres. Celui-ci, vingt-cinq ans environ, petit, mince, était plutôt sympathique, audacieux, peu soucieux de son apparence, avec, malgré tout, son téléphone portable accroché à son jean. »

Ainsi commence Cascade dont l’action est menée avec beaucoup de brio, à travers une écriture très visuelle. L’histoire que raconte cette nouvelle est représentative de l’atmosphère qui règne dans ces pages, entre réalisme cru et le basculement dans le surréel, voire le fantastique. Ici, l’action se déroule dans un braai où un jeune homme mi-ivre, mi fanfaron, se vante de ses conquêtes féminines. « Le narrateur, il est autour d’un barbecue-là, explique la traductrice. Il ne sait pas quoi faire, il s’ennuie, il se rapproche de tout un petit groupe qui écoute quelqu’un qui raconte des histoires. L’histoire c'est qu'il prend des filles dans sa voiture, il veut passer un bon moment avec elles. Ils boivent la bière, prennent des drogues et tout ça. Puis, elles lui disent : 'Allez, on va aller à cet endroit qu’on connaît'. Ils y vont, ils s’y baignent, et puis, d’un seul coup, une des filles se transforme en sorcière. Il se passe quelque chose d’incroyable, qui fait peur, c’est le monde de l’étrange ou du fantastique d’un seul coup. »  

Un panorama de préoccupations

Les onze nouvelles que comporte ce recueil offrent un panorama des préoccupations de l’auteur qui vont de la guerre à l’enfance cruelle, en passant par les injustices et inégalités sociales, incarnées par des personnages attachants qui « parlent le langage simple de la terre et de la vie », comme l’écrit la traductrice dans sa postface. D’ailleurs, les thèmes abordés dans ces nouvelles sont déjà présents dans les romans qui ont lancé la carrière de l’auteur, comme Dew in the Morning ou encore Harvest of Thorns, qui n’ont pas encore été publiés en français.

Shimmer Chinodya est né en 1957 dans un milieu modeste, dans le township de Gweru, petite bourgade du centre du Zimbabwe, qui s’appelait alors la Rhodésie. Son père qui travaillait pour un commerçant indien s’est saigné à blanc pour assurer à ses deux fils une bonne éducation. D’après la légende, ce père qui était un amoureux de l’écrit, avait l’habitude de récupérer des livres lors de ses pérégrinations en ville. C’est dans la bibliothèque paternelle, composée de trois étagères de livres, que le jeune Shimmer a lu ses premiers classiques. Ils lui ont inculqué le goût de l’écriture et cette conviction qu’il a faite depuis sienne, selon les mots de l’auteur en personne : « la mission principale de l’art est d’élever et de vivifier l’esprit ».

Élever et vivifier l’esprit, c’est-ce que réussissent superbement les onze nouvelles du recueil de nouvelles de Chinodya. Le lecteur en sort grandi, renseigné sur les façonnements d’un monde si loin et pourtant si proche.

► Peut-on se parler et autres histoires, par Shimmer Chinodya. Traduit par Annick Garache-Gouvernel. Ediitons Project’îles, 185 pages, 16 euros.