Dans les méandres d'une vie derrière soi, avec le Franco-Marocain Youness Bousenna
08 September 2024

Dans les méandres d'une vie derrière soi, avec le Franco-Marocain Youness Bousenna

Chemins d'écriture
About

Marc Pépin est journaliste au Figaro. Grand reporter, auteur de romans psychologiques à succès. À 58 ans, cet homme solitaire, douloureusement lucide sur soi-même, ses limites, fait le bilan de sa vie, remontant à l’enfance accablée d’ennui dans la banlieue parisienne. Les présences imparfaites est un premier roman ambitieux, existentialiste, à l’écriture resserrée et percutante qui dévoile le néant d’une vie sans but, sans aspérités. Son jeune auteur, Youness Bousenna est l’invité des Chemins d’écriture. Entretien.

Bonjour, Youness Bousenna. Les présences imparfaites est votre premier roman, plutôt un antiroman qui raconte sous la forme de confession les heurs et malheurs d’un homme sans qualité. Mais cet homme est aussi d’une grande lucidité sur lui-même, sur son époque. Expliquez-nous la logique de ce personnage ?

Youness Bousenna : Mon roman est construit sur deux tensions majeures. La première, c’est que ce Marc Pépin, qui est donc le personnage principal, est mû par une exploration, par une quête intemporelle et universelle qui est finalement latente, qui est au cœur de la condition humaine. En même temps, le rapport au temps se joue profondément sur un tableau générationnel ancré dans son époque. Cela la première tension. Et la seconde tension, c’est créer un roman du dedans par l’introspection. C’est-à-dire, on est sans arrêt finalement cloitré dans ce personnage et en même temps, c'est un roman du dehors, parce qu’on traverse le monde, on traverse l’époque. Le personnage essaie de propulser sa vie par cette énergie initiale qui est la colère qui le tire de son ennui d’adolescence. Des portes s’ouvrent à lui. La première porte, c’est le journalisme et le voyage, avec Irak et le Kirghizstan plus tard. Il y a une porte qui est celle de la spiritualité, une autre porte qui est le goût des autres. Et effectivement, une grande porte qui est celle de l’amour.

Mais les horizons se rebouchent à chaque fois et à un moment se produit la chute du personnage. Il va tomber socialement, tomber familialement et même tomber au sein de lui-même, jusqu’à ce que son corps même lui devienne étranger. Il dit : « Pour aimer la vie, il faut aimer autre chose que soi, les idées, les autres, mais moi, je n’aime rien d’autre que moi. » En fait, c’est là peut-être le nœud fondamental, c’est qu’on se rend compte que cet égo dominant, hégémonique, c’est finalement une haine de lui-même en fait, dont il ne peut se détacher.

Cette haine de soi enferme votre personnage sur lui-même, sur un monde essentiellement franco-français : la banlieue parisienne, par exemple, où il a grandi, l’ambiance cloîtrée du Figaro où il officie en tant que rédacteur en chef.

Je suis d’accord avec vous et en même temps pas d’accord. Je pense qu’il y a quelque chose de très français peut-être dans mon écriture, dans une forme de néo-classicisme, un peu. Mais, presque en contrebande, il y a vraiment une dimension mondiale puisqu’il y a deux grands voyages dans le roman. C’est l’Irak dans les années 1980, au moment de la guerre Iran-Irak, et le voyage en Kirghizstan, qui est un voyage qui se passe dans les années 2000. Et le narrateur est très loin d’être enfermé dans l’Occident pur. Car déjà par sa profession, puisqu’il est lui-même correspondant étranger, ce qui l’amène à voyager. De façon un peu souterraine, il est quand même travaillé par la position de l’Occident dans le monde. C'est un thème qui me tient à cœur parce que moi-même, je suis à la fois Marocain par mon père et français par mon lieu de naissance et par ma famille maternelle.

Un autre angle qui m’a beaucoup intéressé qui est l’anti-Orientalisme, c’est-à-dire qu’il arrive en Irak et en fait, il attend. Il le dit à un moment, je descends dans le tarmac et je m’attendais à voir Les Mille-et-une Nuits, Haroun al Rachid… En fait, il n’y avait que du goudron, un avion comme on voit un peu partout dans le monde. Cet anti-orientalisme façonne sa façon d’être profonde, celle de mon personnage.

La critique littéraire a qualifié votre livre de roman existentialiste. Jean Paul Sartre, Albert Camus, sont-ils vos modèles en écriture ?

Albert Camus, c’est un auteur qui m’a vraiment beaucoup marqué quand j’ai commencé à lire, à l’adolescence.  Mon roman est plutôt inspiré de la La Chute d'Albert Camus, c’est-à-dire la confession d’un anti-héros qui dit, en gros, j’ai réussi ma vie au sens social, mais je l’ai ratée au sens éthique, au sens humain. Il ne me reste que la confession et a lucidité comme seules armes pour essayer de sauver encore quelque chose. Et cela est une forme qui est vraiment celle de La Chute et qui se retrouve dans mon roman.

Je dirais qu’il y a aussi deux autres influences de Camus, mais qui ont été beaucoup moins conscientes. La première, c’est L’Étranger, puisque c’est un personnage qui peu à peu devient étranger à lui-même, à son époque, à son monde, mais aussi en fait à son corps. À un moment, il y a un passage dans L’Étranger où le personnage devient hypocondriaque, c’est-à-dire qu’il devient étranger à son propre corps et à son propre être. Donc, il y a quand même une tonalité qui peut faire penser à L’Étranger.

Et la troisième chose, c’est Le mythe de Sisyphe qui commence par cette phrase célèbre selon laquelle il n’y a qu’un problème philosophique sérieux, qui est le suicide. Mon personnage dit, c'est mon dernier texte, c’est la dernière chose que j’écrirai et elle n’est pas destinée à la publication. Et la question qui se pose, est-ce que finalement, c'est un texte qui est préalable à un suicide ou non ? Et, en fait, je laisse quelque part le lecteur choisir, parce que moi, je n’évoque jamais cette question frontalement. Pour moi, c’est une tension latente du roman et finalement, c'est au lecteur de déterminer si pour Marc Pépin, le personnage principal, la vie vaut encore d’être vécue. Est-ce qu’il y a encore un horizon possible ou non ?

Vous êtes vous-même journaliste. Écrire est votre métier, mais l’expérience d’écrire de la fiction est différente. C’était une expérience douloureuse ? exaltante ?

Cela a été une expérience transformatrice et je pense que c’est finalement ce qu’on attend tous de l’écriture : c’est s’élever finalement un peu au-dessus de son quotidien, au-dessus de ses jours. Avoir un peu cette part, on va dire à soi, et cette part peut être d’éternité, comme le dirait un Albert Camus. Et moi, c’est vrai que ma spécificité, c’est d’avoir une pratique de l’écriture qui soit quotidienne puisque, en tant que journaliste de presse écrite, j’écris beaucoup.

Il y a une complémentarité dans ces deux écritures, c’est-à-dire que justement, mon écriture journalistique, plutôt que de retenir une écriture littéraire, je crois qu’elle la libère de toutes les contraintes journalistiques. Et c’est pour cela que même si mon livre est très nourri par son époque, tous les passages qui évoquent des époques passées, par exemple la guerre Iran-Irak, toutes les batailles sont réelles. J’ai fait un travail minimal de documentation, mais c’est tout. C’est un espace de liberté dont j’ai besoin et dans lequel j’ai justement besoin du moins possible d’informations pour que la dimension créative et la sensation du lâcher prise soient d’autant plus fortes et profondes.

Les Présences imparfaites, par Youness Bousenna. Éditions Rivages, 206 pages, 19,50 euros