Le Dernier des arts de Fary Ndao est un conte moderne autour du combat entre le bien et le mal, avec pour thème de la politique et de ses abîmes. Cette histoire se déroule dans un pays de l’Afrique de l’Ouest qui rappelle furieusement le Sénégal natal de l’auteur. Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans le cambouis d’une campagne présidentielle en cours. Scandales, trahisons, tensions, tiraillement entre idéalisme et compromissions morales. Cela donne un récit construit au cordeau, avec un sens consommé d’économie de moyens et une maturité étonnante des propos. Fary Ndao, retenez ce nom, car vous en entendrez parler.
RFI : Fary Ndao, Le Dernier des arts est votre premier roman. Que raconte ce roman ?
C’est l’histoire d’un candidat à la présidentielle dans un pays de l’Afrique de l’Ouest. L’homme se retrouve au second tour, face à une présidente sortante. Et il se rend compte par inadvertance que des gens dans son cercle proche ont commis un acte qui est répréhensible d’un point de vue moral, mais qui peut lui permettre de gagner. Il est rongé par ce dilemme. Est-ce qu’il reste pur, mais il perd ou est-ce qu’il assume cet acte parce que cela lui permet peut-être de gagner. Tout le dilemme est là. Est-ce que ce qu’on fait en politique en vaut le coup, mais aussi le coût ? Quel coût humain, quel coût moral, cela nous coûte de nous engager pour la collectivité, c’est pour moi la grande question que je voulais traiter dans ce livre. Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse, mais au moins, j’ai essayé d’approfondir la question.
En fait, si je vous comprends bien, c’est la politique qui serait le « dernier des arts » ?
En réalité, le titre du livre, Le dernier des arts est le fruit d’un détournement d’une parole de Voltaire, qui dit que la politique est le dernier des métiers et le premier des arts. En disant cela, Voltaire sous-entend que la politique a une forme de noblesse absolue par rapport autres arts. Mais moi, ce que je voulais faire ressortir, c’était un peu le clair-obscur de la politique. Le fait de dire que la politique est l’art ultime, un art où il faut avoir acquis du savoir, travailler ses dossiers, être éloquent, être un tribun même parfois, mais c’est aussi un art où tous les coups sont permis, où on trahit parfois sa morale pour de plus grands objectifs, ou juste pour le fait d’avoir le pouvoir. C’est à la fois le dernier en terme moral, c’est le dernier de la classe parmi les arts, mais c’est aussi le dernier qu’on maîtrise, donc l’art ultime. Et donc pour moi, c’est le « dernier des arts ».
Or, le protagoniste de votre roman est un idéaliste…
Oui, mais il est vite rattrapé par la réalité. C’était ça, je pense, le but de ce livre, c’était de dire que quelque part nous sommes tous intéressés par la politique. Mais on en a tous aussi une image un peu péjorative parce qu’on ne voit que les actes des politiciens et pas les dilemmes auxquels ils sont confrontés. Il était important pour moi de présenter ces dilemmes-là, sachant que ces dilemmes se posent à moi, parce que quelque part j’envisage l’engagement politique dans le futur. Cette forme de questionnement était très présente dans mon esprit. Il fallait le sortir. Peut-être qu’il existe d’autres moyens plus simples pour le sortir que d’écrire un roman, mais c’est la voie que j’ai choisie.
On lira votre roman pour votre talent pour créer des personnages particulièrement mémorables et inspirants comme, par exemple, la figure du leader communiste Demba Diassé.
Demba Diassé m’a été inspiré par une figure marquante de la vie politique sénégalaise qui est Joe Diop, syndicaliste, entraîneur de football et marxiste, qui a lutté toute sa vie pour la cause du peuple. Il est encore en vie, allant sur ses 85 ans. Il a eu une vie d’engagements incroyable : il a voyagé à travers le monde, il s’est retrouvé dans des maquis communistes, a rencontré Mao, Fidel Castro. Ce personnage représente pour moi une forme de radicalité et une forme de joie assumée dans le combat. Il incarne ce que Camus dit dans L’homme révolté, il faut garder « l’intransigeance exténuante de la mesure ». Joe Diop, c’est ça, c’est quelqu’un qui est radical, qui dit tout son amour pour le peuple, surtout quelqu’un qui parvient à rester joyeux dans cette radicalité : il n’est pas consumé par son combat. D’ailleurs il n’est pas le seul leader communiste qui a marqué les imaginaires dans mon pays. Je rends un peu hommage à toute la gauche sénégalaise à travers le personnage de Demba Diassé.
Difficile de passer à côté des personnages de femmes qui illuminent les pages de votre roman. Je pense notamment à l’épouse du protagoniste, Zeynab, véritable femme puissante, mélange du Lady Macbeth et du Michelle Obama. Qui était votre modèle pour Zeynab ?
Il n’y avait pas de véritable modèle pour ainsi dire pour Zeynab. Il est vrai qu’elle constitue davantage un tandem qu’une « épouse de ». C’est une femme d’une grande intelligence, d’une grande finesse. On peut dire qu’au-delà de la passion charnelle ou autre que lui voue son mari, ce dernier la respecte du point de vue intellectuel et humain. Sur ce personnage féminin, une petite parenthèse qui vous éclairera sur ma démarche. En réalité, quand j’ai d’abord écrit sur Zeynab, mon intention était de raconter la condition des « femmes de », des « épouses de », notamment dans la vie politique. Il m’est alors arrivé, ce qui arrive souvent dans la fiction. En relisant les premières pages que je lui ai consacrées et les bribes de dialogues dans lesquels Zeynab reproche à son époux ses absences du foyer, j’ai pris conscience de son individualisme, sa force de caractère potentielle. J’ai donc voulu lui donner un rôle plus important dans l’intrigue, ce que les lecteurs découvriront en lisant le livre. En quelque sorte, ce personnage m’a conduit à changer de perspective, en me disant que l’on ne pouvait pas réduire les femmes à leur statut de « femme de ». Zeynab a son propre caractère, ses aspirations à elles, ses passions qui la distinguent de son mari. J’ai fait attention à ne pas trop lier les aspirations de mes personnages féminins à leurs conjoints ou à leurs amis mâles. C’est pourquoi s’agissant du personnage de la présidente sortante, Aminata Sophie Cissé, on ne sait pas si elle a un mari ou pas. Le mari de la présidente n’est jamais évoqué dans le roman.
Le Dernier des arts est un roman riche, complexe, mais ses lecteurs seront étonnés d’apprendre que son auteur vient d’une formation plutôt scientifique.
Oui, tout à fait. Je suis donc un scientifique, je suis ingénieur, géologue de formation, avec des études que j’ai menées en partie en France et une autre partie au Sénégal. J’ai par la suite repris des études en économie du pétrole, du gaz et de l’énergie à l’Institut français du pétrole. Mais en dehors de ça, j’ai une histoire particulière avec les lettres. J’ai souvent écrit, contribué, sur des blogs etc. J’ai eu une carrière d’artiste-slammeur pendant 11 années, 12 même, où j’ai fait de spectacles de poésie sur scène. J’ai même essayé de restituer cet aspect dans l’ouvrage où j’ai repris même quelques extraits de mes textes poétiques, prenant bien soin de les cacher.
Peut-on dire que vous êtes venu à la littérature par le slam ?
Le slam m’a aidé à travailler la langue, notamment mon rapport aux jeux de mots, aux doubles sens, aux allitérations, aux assonances. Pour ce qui est de la fiction, je crois que j’y suis arrivé par contamination au contact des amis comme Abdoulaye Sène, Elgas, Mbougar Sarr, Hamidou Anne, et quelques autres. C’est comme ça que je suis arrivé petit à petit à l’écriture, avec une envie grandissante d’écrire un roman. Ma première tentative qui date de 2018 a été avortée, avant que je ne reprenne la plume en septembre 2021, cette fois, pour construire une intrigue fondée sur le thème de la politique qui est, je reconnais, une obsession chez moi.
Le roman se clôt sur une fin ouverte, une fin qui est tout sauf résolution du drame qui traverse le roman. Pourquoi avoir fait un tel choix ?
J’ai fait le choix d’avoir une fin qui laisse la morale de l’histoire ouverte en réalité. Les choix moraux qui sont faits durant l’ouvrage ne pouvaient pas être justifiés ou sanctionnés à la fin du livre. Pour moi, il fallait laisser aux lecteurs la liberté de poursuivre la réflexion autour des choix moraux qui ont été faits par les protagonistes.
Le Dernier des arts, par Fary Ndao. Editions Présence Africaine, 350 pages, 17 euros.