Soleils invincibles de Bamba Ndiaye est un récit où se disent, avec retenue et une parfaite maîtrise, les blessures et les expériences de l’exil, écrit Boubacar Boris Diop. Un premier roman qui explore avec brio l’expérience de la jeunesse africaine contemporaine. Poignant et prometteur.
Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye est un jeune homme étonnant, débordant d’énergie, de vitalité et d’initiatives. Né en 1993, il a fait ses études secondaires au Sénégal, puis au Prytanée militaire de Kadiogo, au Burkina Faso. Il est bardé de diplômes. À trente ans, il est diplômé de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, de Sciences-Po Paris, de l’université Paris-Saclay, de l’ENA, de l’université de Paris-Dauphine et prépare, au moment où nous racontons son histoire, un diplôme de droit à Boston-College, aux États-Unis, spécialisé dans le contentieux des investissements. Parallèlement à ce parcours académique chargé, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye tient depuis dix ans un blog intitulé « Assumer l’Afrique », qui célèbre le continent africain à travers son histoire et ses grands hommes et femmes.
Et ce n’est pas tout. L’homme est aussi un amoureux des mots. Venu à la littérature par la poésie, il a à son actif une dizaine de recueils et livre avec Soleils invincibles, paru cette année aux éditions Présence Africaine, son premier roman. La métaphore du soleil est omniprésente dans la littérature africaine, mais sous la plume de ce primo-romancier, elle n’est pas ironique comme dans Les soleils des indépendances, mais renvoie à une quête inextinguible de liberté et de dignité, comme l’explique l’auteur.
« Au début, c’était Les déchets de la terre, un clin d’œil à Fanon et ses Damnés de la Terre. C’était aussi un clin d’œil à une autrice majeure, Aminata Sow Fall, autrice de La Grève des bàttu. On oublie souvent que ce roman avait pour sous-titre « Les déchets humains ». On parle parfois de l’Afrique ou des Africains ou des migrants en ces termes, avec tous les pays qui veulent fermer les frontières à nos ressortissants, et même parfois l’océan rejette nos cadavres. J’avais besoin de sortir de cette métaphore dégradante, défaitiste. Je voulais une incarnation plus forte, plus valorisante. Pour moi, « Soleils », c’est toutes ces personnes, où qu’elles se trouvent sur la planète, qui s’évertuent à imposer leur dignité ».
Un désir brûlant de libertéDramane, le personnage principal du roman est de ceux-là. Les vicissitudes de sa vie, jalonnée d’échecs et de déceptions ne sont pas parvenues à le réduire en état de déchets humains ni à tuer son désir brûlant de liberté. C’est ce que racontent les 377 pages de Soleils invincibles.
Le roman s’ouvre sur l’expulsion de Dramane vers son pays natal, encadré par deux policiers de Cissane, le pays européen où le personnage était parti faire des études supérieures. Revenu chez lui, dans la République de Biomo, pays fictionnel qui ressemble beaucoup au Sénégal, il est confronté à des drames familiaux. Son père meurt de chagrin, causé par l’échec de son fils à réussir sa vie dans le pays des blancs. Ses sœurs sont contraintes de quitter le foyer familial pour avoir défié le code d’honneur.
Pour échapper au poids familial, Dramane se lance dans un projet fou consistant à regagner Cissane, son pays de rêve, en passant par le désert et la mer, des voies aussi clandestines que dangereuses. Son aventure est vouée à l’échec, mais le roman se clôt sur une note d’espoir, avec la promesse pour le personnage de retrouver sa dignité en œuvrant pour « donner chair et souffle » à son pays natal.
« L’ambition de ce texte, explique Bamba Ndiaye, c’était justement de raconter l’Afrique dans le temps long. L’immigration ou le racisme sont des portes d’entrée et ce n’est pas pour rien que le roman commence par là. Mais on se rend très vite compte que l’histoire se déporte en Afrique où se situe le cœur de l’histoire. Les relations ou les tensions familiales, le poids du silence dans les interactions familiales, la notion d’amitié, la notion de dégradation ou en tout cas de déclassement social, tous ces thèmes constituent le cœur du roman. »
Les armes miraculeuses de la littératureIl y a quelque chose du Cahier de retour au pays natal d’Aimé Césaire dans ce premier roman, campé au carrefour du politique et du littéraire. L’auteur aime à répéter citant le barde martiniquais qu’il est « l’héritier de tous ceux qui considèrent la littérature comme une arme, comme un moyen de lutte et comme un moyen aussi de réinvention des possibles ».
Soleils invincibles est un premier roman ambitieux. Malgré ses quelques longueurs et sa structure peu fluide, ce roman captive les lecteurs, en suscitant la réflexion sur l’exil et l’enracinement qui sont au cœur des débats de notre temps. L’écriture de Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye peut être incisive, riche en observations et en émotions comme le passage ci-après évoquant les retrouvailles du héros avec sa mère, au retour de son séjour cissanais.
« Ma mère sursaute en me voyant franchir la porte. Son corps longiligne se déploie vers le ciel, tandis que son visage reste enveloppé par l’obscurité. Une obscurité fine, fragile, mais acharnée, qui résiste à la pleine lune. Le vent froid remue son ample boubou. Et fait flotter son foulard de tête, dont elle a toujours disposé les deux pans comme des ailes de papillon. Des profondeurs de son corps, droit et immobile, fusent ses mots, qui me parviennent avec le tonnerre du Jugement dernier ».
Modèle de résilience, la maternelle Thérèse a attendu avec patience le retour de son fils, et a soigné son mal-être sans lui poser la moindre question sur ses années de dérive et son oubli des siens. Elle a protégé ses filles contre la colère de son mari et tente de protéger sa famille contre la disette et le chômage en vendant des beignets au marché. Avec Thérèse, Bamba Ndiaye nous donne un personnage littéraire mémorable de grandeur d’âme, de générosité, d’intelligence aussi de la même ampleur psychique que la Grande Royale sous la plume de Cheikh Hamidou Kane ou Souveraine magnifique d’Eugène Ebodé.
Et si c’était Thérèse, le véritable « Soleil invincible » de ce roman ?
Soleils invincibles, par Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye. Présence Africaine, 377 pages, 20 euros.