Ukraine: une guerre contre nature
Podcast
About this episode
La guerre est une catastrophe humanitaire, mais les conséquences des conflits armés sur la biodiversité sont innombrables et parfois irréversibles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a un an ne fait pas exception.
Des explosions, des incendies, des pollutions… L’Ukraine est un champ de bataille, et les champs agricoles sont troués d'innombrables cratères provoqués par l’impact des bombes. La guerre est un désastre humain, économique et écologique. Plus de 20 000 obus seraient tirés chaque jour en Ukraine. Des bombes remplies de produits toxiques qui polluent l’air, la terre et l’eau.
« Avec les bombardements, tout le relief va être bouleversé et des éléments toxiques peuvent se retrouver enfouis », décrit Guillaume Decocq, professeur en sciences écologiques à l’Université de Picardie, qui a travaillé sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. « Les bombes, même après la fin du conflit, vont libérer des composés – c’est donc une pollution des sols et si on restaure les terres après-guerre et qu’on cultive des denrées alimentaires, des plantes vivrières, beaucoup de ces éléments risquent de se retrouver dans les cultures, donc dans l’alimentation humaine in fine. »
Mais il y a plus grave. Ces terres empoisonnées risquent de contaminer la plus vitale des matières premières : l’eau. « Tout ce qui se retrouve dans le sol peut libérer des composés qui vont être entraînés avec l’eau de pluie en profondeur, jusqu’à atteindre la nappe phréatique », poursuit Guillaume Decocq, directeur de recherche CNRS en écologie.
Le poison de la guerreQuand vient la paix, une guerre plus sournoise se poursuit contre la nature. Les obus plantés dans le sol se dégradent avec le temps, laissant échapper mercure ou arsenic… En France, un siècle après la Première Guerre mondiale, la pollution va même en s’aggravant. Les champs de bataille sont truffés de bombes à retardement. « Les conséquences de la guerre sont à la fois immédiate et sur le très long terme. C’est un petit peu le problème des zones de conflit : on en prend pour longtemps, pour très longtemps », résume Guillaume Decocq. L’Ukraine, envahie par la Russie le 24 février 2022, n’échappera pas à ce scénario.
L’Ukraine représente 6% du territoire européen, mais 35% de la faune et de la flore du continent et de nombreuses réserves naturelles et zones humides à la réputation internationale. Des espèces endémiques pourraient disparaître. « Il y a des plantes et des animaux rares, endémiques, qu’on ne trouve que dans une très petite zone, là où il y a des combats. Nous ne sommes pas sûrs que ces espèces survivront jusqu’à la fin de la guerre », estime ainsi Oleksii Vasyliuk, à la tête du Groupe ukrainien pour la conservation de la nature qui a recensé deux espèces animales (une fourmi et un hamster) et 21 espèces de plantes inscrites dans le Livre rouge des espèces menacées en Ukraine désormais en danger de mort.
Oiseaux migrateurs et dauphinsL’Ukraine se trouve aussi sur la plus importante route migratoire d’Europe centrale pour les oiseaux.« Un grand nombre d’oiseaux migrent vers l’Afrique ou passent l’hiver dans la région de Kherson, mais ils ne peuvent pas manger ni rester là quand il y a des combats. Leur population risque de diminuer parce qu’ils ne peuvent pas hiverner et migrer comme ils le faisaient depuis de milliers d’années. »
Une année de guerre en Ukraine a déjà causé 35 milliards de dollars de dommages environnementaux, selon le gouvernement ukrainien. En novembre dernier, le président Volodymyr Zelensky accusait la Russie d’« écocide », après le cri d’alarme d’un scientifique ukrainien pour les dauphins de la mer Noire. Plusieurs dizaines de cadavres de dauphins ont été retrouvés le long des côtes. Les mammifères marins pourraient avoir été désorientés par les puissants sonars qui équipent les navires de guerre et les sous-marins. Le chiffre de 50 000 dauphins tués a été avancé, une extrapolation que l’écologue Oleksii Vasyliuk trouve très exagérée, et impossible à vérifier ou affiner « car il est impossible de mener des recherches en mer ou même sur le rivage. La côte est soit minée, soit occupée. »
La nature, victime de la guerre, est aussi une arme de guerre. Juste après l’invasion, les autorités ukrainiennes ont dynamité un barrage sur la rivière Irpin, dans la banlieue de Kiev. La zone a été inondée, l’armée russe a dû reculer. Kiev a été sauvée. Aujourd’hui encore, les habitants ont les pieds dans l’eau, et une zone humide pourrait subsister, riche en biodiversité. Mais pour le reste, l’économie de guerre ignore la protection de la nature et les normes environnementales. « Où hier encore, il y avait des steppes et des prairies préservées, on y fait de l’agriculture et on y exploite les matières premières pour la reconstruction : coupes de bois, carrières…, constate Oleksii Vasyliuk. Malheureusement, la guerre nuit à la nature, là où il y a des combats, mais aussi dans les territoires qui sont épargnés. »