La Côte d’Ivoire veut être la championne africaine de l’économie circulaire – le pays d’Afrique de l’Ouest accueille le Forum international EcoCir à Abidjan du 15 au 18 octobre 2024. Objectif entre autres : sensibiliser les acteurs économiques à réinjecter les déchets dans le cycle de production. Exemple avec le district autonome de la capitale économique ivoirienne qui mène un projet avec la société BioAni. Depuis le début de l’année, la start-up agricole commercialise un engrais naturel produit avec des restes de fruits et légumes collectés sur les marchés et l’aide de mouches soldats noires.
De notre correspondant à Abidjan,
Deux centimètres de long, des ailes toutes noires et un appétit pour les légumes pourris, la mouche soldat noire, c'est « l'architecte de la révolution agricole », selon BioAni. Derrière le slogan, un bâtiment : un ancien élevage de poulets en batterie de la commune d'Abobo (au nord d'Abidjan), transformé en ferme pour ces insectes. Dans le hangar, 300 000 mouches soldats noires bourdonnent et se reproduisent sous quatre moustiquaires. « Nous les appelons des volières », rectifie Fatoumatou Fofana, l'entomologiste de BioAni. « À l'intérieur, il y a des pondoirs au-dessus duquel nous avons placé un "appât" [de déchets verts]. L'objectif, c'est de les faire pondre », explique-t-elle.
Chaque insecte pond de 500 à 600 œufs pendant leurs dix jours de vie. Ces œufs sont ensuite placés dans des bacs, sortes de « couveuses » où ils vont éclore. « C'est un peu notre nursery de larves », s'amuse Fatoumatou.
Jusqu'à deux tonnes de déchets alimentaires collectées chaque jour
La « révolution agricole », ce n'est pas un dîner de gala ; les larves sont chargées de dévorer les fruits et légumes invendus collectés sur les marchés alentours avec l'aide de transporteurs. Des choux, des tomates, ou encore des bananes moisies. C'est jusqu'à deux tonnes de déchets alimentaires qui seront broyées avec des restes de céréales, dans des machines low-tech entièrement conçues et assemblées en Côte d'Ivoire.
Le mélange visqueux, verdâtre et malodorant, est déversé ensuite dans des fosses d'environ trois mètres carrés et trente centimètres de profondeur. Il y en a une quarantaine sous le toit du hangar. Là, les larves arrivées à maturité sont ensuite rajoutées. « Elles vont mettre une semaine pour tout digérer, explique Fatoumatou Fofana. Et ensuite, on va tamiser : les déjections qui servent de fertilisant, et les larves engraissées. »
Du « frass » mais pas de paillettes
Ce sont donc les deux produits phare de BioAni : le « frass », les déjections des asticots qui sert d'engrais naturel. Un sable noir qui ressemble de loin à du café moulu. La ferme le vend à 200 francs CFA le kilo (0,3 euro), conditionné sous forme de sac de 35 kilos. BioAni en commercialise également une version mélangée avec du compost, le « fertifrass » plus facilement manipulable par les agriculteurs.
L'autre produit, ce sont les larves elles-mêmes – des aliments dédiés aux éleveurs de volaille et de porc – mais pas seulement : séchées, et vidées de leur huile, elles peuvent servir aux éleveurs de poissons, et ainsi répondre aux besoins de la filière piscicole ivoirienne, selon BioAni. La société estime que le pays importe près de 730 000 tonnes de poisson, pour 770 millions d'euros au total. Concrètement, une tonne de déchets alimentaires va permettre de produire environ 250 kilos de« frass », et 200 kilos de larves.
Problème : la société ne parvient pas encore à convaincre les fermiers ivoiriens d'adopter ses produits. « Ils préfèrent les produits chimiques », selon Togba Koné, le responsable commercial de la société. « Les fournisseurs les vendent moins cher par rapport au frass, de plus ces produits sont disponibles un peu partout, souligne-t-il. Il faut convaincre les fermiers d'utiliser le frass, en faisant des essais sur des parcelles tests et en expliquant les bienfaits de l'engrais naturel sur l'agriculture. »
Arthur de Dinechin, le fondateur de la startup, abonde : « Ce que nous vendons est produit localement, avec des déchets alimentaires que l'on peut trouver partout, et en plus, le frass va permettre à terme de régénérer les sols contrairement aux produits chimiques qui sont importés, utilisés de manière intensive et qui aboutissent à un appauvrissement des terres. » Toujours est-il que neuf mois après son lancement commercial, BioAni n'est pas encore rentable.
«
Améliorer notre souveraineté alimentaire »
Autre problème : la capacité limitée de BioAni. Pour le moment, la start-up ne peut transformer que deux tonnes de déchets alimentaires par jour, si les machines ne tombent pas en panne. Or, Abidjan à elle seule génère 4 000 tonnes de déchets alimentaires par jour selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
Pas de quoi refroidir le district autonome d'Abidjan à l'origine du projet avec son Institut pour l'économie circulaire (Léca). Dans son bureau proche du pont Henri Konan-Bédié, le chargé de suivi du projet, Jean-François Kakou Aka, en rappelle la logique : « Au moment de la pandémie de Covid, nous avons constaté les problèmes d'Abidjan pour s'approvisionner en nourriture – ce projet participe à améliorer notre souveraineté alimentaire. » À cela s'ajoute les objectifs de la région, égrenés par Jean-François Kakou Aka : « Améliorer la propreté et la salubrité, en évacuant les déchets des marchés et en utilisant des produits moins dangereux pour la santé ; promouvoir l'agriculture urbaine ; et aussi créer des emplois pour les jeunes. »
La volonté affichée du district autonome d'Abidjan et de Iéca est de répliquer le projet pilote de BioAni, notamment les unités de transformation des déchets avec les larves, et ce, dans les 13 communes de la capitale économique ivoirienne.