Le grand invité Afrique
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Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

Jeff Hawkins: «Trump fera un peu attention à l'Afrique dans le contexte d'une guerre froide avec la Chine»
20 January 2025
Jeff Hawkins: «Trump fera un peu attention à l'Afrique dans le contexte d'une guerre froide avec la Chine»

Aux États-Unis, c’est ce lundi 20 janvier que Donald Trump revient au pouvoir. Lors de son premier mandat, sa politique africaine n’avait pas laissé un souvenir impérissable. Jeff Hawkins a été l’ambassadeur des États-Unis en Centrafrique. Aujourd’hui, il est chercheur associé à l’IRIS, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, et enseigne à Sciences Po Paris. RFI lui a demandé ce qui allait changer dans la politique africaine des États-Unis avec Donald Trump…

RFI : Qu'est-ce qui va changer avec Donald Trump dans la politique africaine des États-Unis ?

Jeff Hawkins : Il y a deux réponses à cette question. Il y a ce qu'on craint et il y a ce qu'on pourrait espérer. Et donc ce qu'on pourrait craindre, c'est une continuation, une reprise de la position de Donald Trump lors de son premier mandat, c'est-à-dire un désintéressement quasi total pour le continent, avec cette différence assez importante, c'est que, à l'époque, lors du premier mandat, la machine continuait à tourner. Donc, même si le président n'y avait jamais mis les pieds, même si le président rencontrait très peu de chefs d'État africains, il y avait quand même une diplomatie, une assistance, un Pentagone derrière qui continuaient à interagir, et à s'engager avec l'Afrique. Cette fois-ci, ce qu'on pourrait craindre, c'est que non seulement le président ne s'y intéresserait pas, mais tout ce qui vient derrière aussi, ça risque de s'effacer. Et notamment, je pense à un Africain très influent à Washington en ce moment. En l'occurrence, Elon Musk, qui est chargé de couper les budgets de façon dramatique. Je pourrais très bien envisager par exemple une coupe importante de l'assistance américaine vis-à-vis de l'Afrique et même un retrait des forces américaines du continent. Il en reste quand même 2000 au moment où on parle. Donc, ça c'est à craindre. Sinon, on peut espérer peut-être que, dans le contexte d'une nouvelle guerre froide avec la Chine, il va plus que la dernière fois, faire un peu attention à l'Afrique.

Vu de Donald Trump, quels sont les pays africains qui comptent ?

Déjà en pourrait dire que les pays pétroliers, leNigeria, l'Angola, ça pourrait l'intéresser. Le Congo avec ses ressources minérales : le coltan, le cobalt et tout ça. Sinon, peut-être les pays où les Chinois sont particulièrement implantés, ou alors les pays où les Chinois risqueraient de s'implanter militairement. Donc, à un certain moment, et ça, c'était pendant l'administration Biden, on avait parlé d’une base chinoise possible en Guinée équatoriale par exemple, et on a vu tout de suite l'administration s'activer autour de cette question.

Vous avez parlé du Congo Kinshasa. L'administration Biden a été assez prudente ces derniers temps dans le conflit dans l'est de ce pays. Elle ne semble pas avoir exercé de pression particulière sur le Rwanda afin qu'il cesse son aide militaire aux rebelles du M 23. Qu'en sera-t-il à votre avis avec la nouvelle administration ?

Je ne sais pas, il y a déjà quelques noms qui ont été cités comme les responsables pour l'Afrique dans la nouvelle administration, pour l'instant pas confirmés, mais qui sont là dont monsieur Peter Pham qui a été envoyé spécial sous Donald Trump, la première fois, pour les Grands lacs. Et donc si cette personne arrive au département d’État comme responsable pour l'Afrique, c'est quelqu'un qui connaît déjà les dossiers.

Monsieur Pham qui est francophone ?

Oui.

L’un des échecs de Joe Biden en Afrique, c'est le basculement du Niger dans le camp de la Russie. Et le départ des troupes américaines de Niamey et d'Agadez. Est-ce que Donald Trump pourrait tenter un comeback au Sahel ?

Ça, c'est une question très intéressante, surtout étant donné un peu l’effondrement de la position française dans la région. Franchement, la collaboration dans le domaine de la sécurité entre la France et les États-Unis a été assez forte en Afrique. Donc c'est non seulement le retrait des quelque 900 troupes américaines de Niamey, d'Agadez, mais c'est aussi le départ des Français du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad.  Et donc, il y a une sorte de vide qui s'est créé, rempli notamment par les Russes, et je pense que l'administration Trump serait tentée d'intervenir un peu plus, sachant que Trump, on peut dire ce qu'on veut, mais ce n'est pas un interventionniste. Il est très peu attiré par des conflits à l'étranger.

Est-ce que Wagner est un épouvantail aussi bien pour monsieur Trump que pour monsieur Biden ?

Je l'espère bien. La présence russe sur le continent africain, c'est vraiment difficile. Contrairement aux Chinois qui représentent un concurrent réel et durable pour l'Amérique, la Russie, par contre, cherche à nous miner plutôt que d'établir des relations privilégiées avec les pays africains à proprement parler. Donc c’est vraiment dangereux, c'est sérieux et je pense qu'à Washington, on prend la menace de Wagner Group, d'Africa Corps, comme ça s'appelle maintenant, très au sérieux.

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Procès Martinez Zogo au Cameroun: «Aucun témoin, aucun accusé n'a été entendu jusqu'à présent»
17 January 2025
Procès Martinez Zogo au Cameroun: «Aucun témoin, aucun accusé n'a été entendu jusqu'à présent»

Au Cameroun, voilà deux ans jour pour jour que le journaliste Martinez Zogo a été assassiné. Depuis dix mois, 17 personnes comparaissent devant le Tribunal militaire de Yaoundé, le procès s'enlise dans des débats de procédure. Est-ce que ce tribunal "joue la montre" pour gagner du temps ? Le chroniqueur judiciaire Christophe Bobiokono est directeur de publication de l'hebdomadaire d'informations juridiques « KALARA ». En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Depuis le début du procès, il y a 10 mois, les débats s'enlisent dans des questions de procédure interminables. Est-ce que c'est voulu de la part du tribunal militaire ? 

Christophe Bobiokono : Alors, avec le temps, on peut effectivement penser que ce qui se passe est voulu. Parce qu'en ce moment, depuis à peu près 2 mois, le procès s'est quasiment arrêté au tribunal militaire de Yaoundé. Parce que les juges ont pris une décision et les questions posées par cette décision-là sont soumises à l'examen de la Cour d'appel du Centre. 

C'est à dire que le tribunal militaire a modifié l'ordonnance de renvoi, ce qui oblige un autre tribunal à se prononcer en ce moment, c'est ça ? 

Oui. 

Est-ce que depuis le début du procès, l'un des principaux acteurs, l'un des principaux témoins, a pu s'exprimer ? 

Aucun des témoins, aucun accusé n'a été entendu jusqu'à présent par rapport aux faits qui sont la cause de la procédure judiciaire. Ils ont simplement plaidé non coupable pour l'ensemble d'entre eux, lorsque la question leur a été posée. C'est tout ce qu'ils ont pu faire jusqu'à présent. 

Alors, parmi les 17 accusés, l'un des principaux est Justin Danwe, l'ancien numéro 2 des services secrets de la DGRE. Il serait passé aux aveux. Mais qui sont les commanditaires ? Je crois que c'est la grande question, et 3 autres personnalités importantes sont dans le box des accusés ? 

Tout à fait, ceux qui pourraient apparaître comme les commanditaires de l'affaire, ce sont l'ancien DG de la DGRE, Monsieur Léopold Maxime Eko Eko, Monsieur Jean-Pierre Amougou Belinga, qui était le patron du groupe l'Anecdote, et Monsieur Stéphane Martin Savom, qui est accusé de complicité d'assassinat, pour ce qui le concerne. 

Monsieur Savom, qui est le maire de la commune de Bibey, qui est dans la périphérie de Yaoundé. Et alors, toutes ces personnalités, l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga, l'ancien patron des Services Léopold Eko Eko et le maire de Bibey, Martin Stéphane Savom, tous plaident non coupables ? 

Tous les accusés ont plaidé non coupables, tous sans exception. Et cela signifie simplement que, même si certains reconnaissent certains faits, ils pourraient dire que ces faits-là n’ont pas été posés dans le cadre de la commission de l'infraction. 

Oui, je crois que le numéro 2 de la DGRE, Justin Danwe, reconnaît qu'il est impliqué dans l'enlèvement de Martinez Zogo, mais pas dans son assassinat. Est-ce que les 3 autres personnalités dont on a parlé reconnaissent, elles aussi, être impliquées dans l’enlèvement ? 

Ni monsieur Léopold Eko Eko, ni Jean-Pierre Amougou Belinga, ni le maire de Bibey, monsieur Stéphane Martin Savom ne reconnaissent leur implication dans ce qui s'est passé. Et on peut le comprendre, puisqu'ils ont plaidé non coupables. 

Alors, on connaît les luttes de clans, qui existent actuellement au sommet de l'État camerounais, est-ce qu'il y a des connexions entre ces luttes de clans et l'affaire Martinez Zogo ? 

Disons que le contenu des informations que nous avons pu compulser dans le cadre de l'enquête menée par la police, l'information judiciaire, ne donne pas trace de ces implications-là. Mais on peut dire que ces luttes de clans-là ont quand même influencé l’enquête elle-même. 

Pourquoi ? Parce que la première personne qui en parle est monsieur Léopold Eko Eko, dès sa première audition. Il laisse entendre qu'il est entre deux feux. Et il parle de manière très claire des clans qui combattent pour la succession du président Paul Biya. Et on sait très bien que Monsieur Léopold Eko Eko a été arrêté et, pendant qu'il était déjà en prison, a conservé le poste de DG de la DGRE, et ce n'est qu'à la suite  de la fameuse ordonnance de mise en liberté du 1ᵉʳ décembre 2023 que, finalement, le président de la République lui a ôté sa casquette de patron de la DGRE. Donc, on suppose qu'à ce moment-là, des influences politiques ont pu entrer en jeu pour permettre cette évolution des choses. 

Le Cameroun va rentrer en campagne électorale puisque la présidentielle est prévue au mois d'octobre. Est-ce que le procès pourrait se tenir en pleine campagne ? 

Bien sûr. Le temps de la justice n'est pas le temps de la politique. De toutes les façons, dès lors que personne pour l'instant ne pointe le président Biya dans ce qui s'est passé, sa responsabilité dans ce qui s'est passé, cela pourrait très peu influencer le débat politique. 

Alors, pour l'instant, le procès est suspendu dans l'attente d'une décision de la Cour d'appel du Centre, est-ce que les juges du tribunal militaire jouent la montre ? 

Oui, il apparaît que les juges du tribunal militaire jouent quand même la montre. Parce que certaines des parties avaient sollicité des audiences en session, ça signifie la possibilité pour le tribunal de connaître l'affaire pendant plusieurs jours d'affilée. Mais les juges n'ont pas trouvé nécessaire de répondre à cette question-là. En tout cas, ils ont repoussé cette demande-là. Donc, jusqu'à présent, les audiences sont séparées et sont tenues un jour toutes les trois semaines. Donc pour une affaire qui compte 17 accusés, ça peut durer de manière interminable. 

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Ukraine: l'épouse d'un Camerounais disparu appelle à «retrouver» son mari envoyé en mission par les Russes
16 January 2025
Ukraine: l'épouse d'un Camerounais disparu appelle à «retrouver» son mari envoyé en mission par les Russes

Les suites du témoignage que vous avez pu entendre mercredi sur notre antenne : celui d'un ressortissant camerounais combattant malgré lui comme supplétif de l'armée russe dans l'Est de l'Ukraine. Il dit avoir été dupé après avoir pensé se rendre en Russie sur la promesse d'un emploi de concierge dans un camp militaire. C'est aussi ce qui est arrivé à un autre ressortissant camerounais, dont l'épouse est sans nouvelles depuis fin juillet 2024. Un homme parti pour la Russie dans la promesse de gagner la Pologne. Faute d'argent, il a signé un contrat pour une formation militaire, envoyé en mission après seulement quelques semaines, à son corps défendant. Aujourd'hui, Linda, un prénom d'emprunt, souhaite alerter sur cette situation et dénoncer des intermédiaires douteux. Elle raconte son histoire.

RFI : Pourquoi votre mari a-t-il décidé de partir pour la Russie, quelles étaient ses intentions ? 

Linda : Déjà, il ne partait pas en Russie, il partait en Pologne. Mais le service d'immigration par lequel il avait fait la procédure lui a dit qu'il va d'abord s'arrêter en Russie, le temps pour eux de le relancer pour la Pologne. Bon, ils lui ont dit que quand il va arriver en Russie là-bas, il va travailler quelques mois. Ils ont dit qu'ils vont le loger, puis lui faire des papiers pour aller en Pologne. C'était une agence camerounaise. Il n’était pas trop entré dans les détails et ne m'avait pas tout expliqué. Il m'avait juste dit qu'il allait vivre chez un monsieur, le temps pour eux de lui trouver du travail là-bas en Russie. On lui a demandé d'avoir une somme d'argent : 1 million de FCFA. Qu'il lui fallait 1 million de FCFA, qu'ils vont convertir en roubles pour qu'il puisse s'en sortir les premiers temps là-bas en Russie. Bon, vu qu'il n'avait pas les 1 million, qu’il avait déjà payé le billet d'avion, ils lui ont proposé l'armée. La veille, ils lui ont fait miroiter le bon côté, les avantages de l'armée. [ils lui ont dit que ] c'est juste une formation, qu’il n'y avait aucun danger, et qu’il ne devrait pas avoir peur. 

Le 5 juin, il doit quitter Douala et le 4 juin, alors qu'il n'a pas le million qu'on lui demande pour son arrivée, on lui dit, tu viens quand même. Et si tu n'as pas les moyens c'est pas grave, tu peux aller faire une formation militaire pendant quelques mois, c'est ça qu'on lui a dit ? 

C'est ça en fait, c'est ça. 

Et à aucun moment on lui a dit qu'il irait combattre ? 

On ne lui a jamais dit ça. 

Il n'avait pas l'air inquiet ? 

Non, parce que le monsieur l'a mis en confiance. Bon, vu qu'il a compris qu'on va lui payer plus de 2 millions, je ne sais pas, ça lui a mis des étincelles dans ses yeux et il a fait le choix de l'armée. 

On est au mois de juin, il arrive à Moscou et donc il est envoyé dans un camp militaire. Qu'est-ce qu'il vous raconte ? 

Ils sont d'abord allés à Pskov. Ils étaient trois.  

Avec deux autres Camerounais 

Oui, deux autres Camerounais qu'il a rattrapé à l'aéroport. Là-bas, ils n'ont même pas fait 2 semaines. La situation était déplorable là-bas. Il me dit que vraiment c'est compliqué. Il n’y a pas moyen de dormir. Ce qu'on leur sert à manger n’est pas différent de la nourriture du chien. Bon, ils n'ont pas fait 2 semaines, ils sont ensuite allés à Donetsk. C'était quand même un peu mieux parce qu'ils avaient une chambre là-bas, ils avaient un lit et dans leur cuisine, ils avaient un frigo. Le frigo était rempli. 

Les conditions matérielles étaient meilleures. Le problème, c'est que Donetsk c'est juste à côté du front ? 

Voilà ! Moi, je ne savais pas. Lui-même ne savait pas, parce qu'il m'avait dit que d'après ses recherches, Donetsk est une des villes de l’Ukraine que la Russie a prises. Mais il me disait quand même qu'ils entendaient souvent les coups de feu. 

Et à quel moment il a compris qu'il allait devoir à son tour aller au combat ? 

Il m'avait appelé un soir, il m'avait dit que durant le rassemblement, les commandants, les supérieurs l'ont pointé du doigt et ils lui ont dit qu'ils vont bientôt aller en mission. 

Il avait fait 2 semaines de formation en tout et pour tout et on l'envoyait déjà ? 

On l’a envoyé déjà. Moi, j’avais tellement peur. Je lui ai dit que ça, c'est déjà de l'arnaque. Ce qu'il me disait, c'était de prier, parce qu'il me connaît comme une femme pieuse. Il a demandé de beaucoup prier pour lui. 

Donc, le 26 juillet à 17 h 00, il apprend qu'il part en mission ? 

Oui.  

Vers 20 h 30, vous discutez, il vous dit de prier pour lui, qu'il partait en mission pour 7 à 10 jours ?

Oui. 

Et c'est votre dernier contact ? 

C’est notre dernière conversation jusqu'à ce jour. 

Tout cela, il l'a fait pour venir en aide à sa famille, à votre famille ?

Ses parents sont tellement pauvres, c'était lui qui était le pilier de sa famille. Il est l'aîné d'une famille de 4 enfants. C'est lui qui payait la scolarité de ses petits frères, c’est lui qui envoyait l'argent à sa mère chaque semaine pour que sa mère puisse préparer à manger. Son père ne travaille plus parce qu'il a des soucis de santé. Il m'a laissé avec un bébé. À son départ, l’enfant avait à peine 2 mois. 

Qu'est-ce que vous demandez aux autorités de votre pays ? 

C'est de nous aider à le retrouver, même s'il est mort, et que si on le retrouve, même s'il est vivant, qu'on le rapatrie au pays. Ses parents souffrent vraiment depuis qu'il n'est plus là. Ses parents ne dorment pas. Sa mère m’appelle, chaque jour, elle pleure. Pareil pour son père. Tout le monde est dépassé, nous sommes tous inquiets. Vraiment, nous supplions l'autorité camerounaise à faire quelque chose pour nous. Parce que nous ne sommes pas les seuls. Il y a plusieurs familles aussi dans cette situation et que s’il y a moyen d'arrêter même les services d'immigration là, toutes ces personnes qui amènent leurs frères à la mort, si on peut même mettre la main sur ces gens pour les empêcher de continuer à faire du mal. 

 

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Angola: «L'instabilité à l'Est de la RDC peut avoir des effets négatifs sur le corridor de Lobito»
16 January 2025
Angola: «L'instabilité à l'Est de la RDC peut avoir des effets négatifs sur le corridor de Lobito»

Joao Lourenço est en visite d'État à Paris, où il sera reçu ce jeudi matin par son homologue français Emmanuel Macron. Que vient faire le président angolais en France ? Il espère y trouver un soutien pour diversifier son économie, trop dépendante du pétrole. Mais il compte aussi renforcer son partenariat politique avec la France, au moment où sa médiation entre le Rwanda et le Congo-Kinshasa traverse un trou d'air. Explications de Didier Péclard, professeur de sciences politiques et d'études africaines à l'Université de Genève. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : L'enjeu de cette visite de Joao Lourenço, il est d'abord politique ou économique ? 

Didier Péclard :  C'est un peu les deux, bien sûr, mais disons, sur le plan politique, ce qui est très important pourJoao Lourenço, c'est de continuer à se profiler comme un acteur important sur la scène africaine. L'Angola, depuis longtemps, cherche à être comme ça : cette puissance du milieu de l'Afrique avec le Nigeria au Nord et puis l'Afrique du Sud pour la partie australe. Et l'Angola, depuis la fin de la guerre civile en 2002, en fait, a fait beaucoup d'efforts pour se positionner comme un acteur important sur la scène africaine, ce qui sera encore renforcé cette année avec le fait que l'Angola prendra la présidence tournante de l'Union africaine. 

Alors justement, côté politique, Joao Lourenço a essuyé un échec le 15 décembre 2024 avec le refus du Rwandais Paul Kagame de se rendre à la conférence tripartite qui était prévue à Luanda avec le Congolais Félix Tshisekedi. Est-ce que Joao Lourenço ne va pas finir par se lasser d'essayer de faire la médiation entre le Congo et le Rwanda ? 

C'est possible effectivement, mais je crois qu'en même temps, c'est un enjeu très important pour l'Afrique. Et en tant que président de l'Union africaine, ce serait d'autant plus important d'arriver à obtenir un accord et, en même temps, je pense que d'obtenir un succès, ce serait vraiment quelque chose qui lui donnerait une stature internationale importante et qui lui permettrait aussi de s'extraire des difficultés politiques et économiques à l'intérieur du pays. Donc, je pense qu'il va continuer. C'est difficile, bien sûr, mais je pense plutôt qu'il continuera. 

Est-ce que Joao Lourenço a un intérêt politique ou économique interne pour l'Angola au fait qu'il y ait la paix entre le Congo et le Rwanda ? 

Pas directement, je pense, mais l'instabilité à l'est de la RDC peut avoir des effets négatifs sur un des projets phares actuels, qui est le fameux corridor de Lobito dont on a beaucoup entendu parler lors de la visite de Joe Biden récemment en Angola. Et là aussi, bien sûr, la stabilité est importante pour la poursuite de ce projet. 

Le corridor de Lobito est un enjeu économique très important pour le président angolais et Joe Biden, le président américain, l'a souligné lors de sa visite sur place le 2 décembre 2024. Est-ce à dire que l'Angola va s'éloigner de la Chine au profit d'une alliance avec les Occidentaux, comme les États-Unis et la France ? 

Bon, je crois que ça fait partie d'une stratégie de long terme, en fait, que des pays comme l'Angola poursuivent. Les régimes angolais sont passés maîtres dans l'art de jouer leurs alliances respectives, les unes contre les autres. Et je crois que le cas du corridor de Lobito s'inscrit tout à fait dans cette stratégie-là, c'est-à-dire que c'est d'abord un chemin de fer qui a été reconstruit grâce à des capitaux chinois et les entreprises chinoises dans les années 2000. Et, à la surprise de tout le monde, au moment où le gouvernement angolais a octroyé la concession pour l'exploitation de cette ligne pendant 30 ans, ce n'est pas un consortium chinois qui a remporté la mise, mais un consortium plutôt occidental. C'est un bon exemple, je crois, de la façon qu'a le régime angolais de s'allier alternativement ou de pencher alternativement, plutôt du côté occidental, plutôt du côté chinois, pour maintenir la pression sur ses différents alliés. 

Donc, si les États-Unis et l'Europe veulent faire de l'Angola un rempart contre l'influence de la Chine, ils se bercent d'illusion ? 

Oui, je crois. L'Angola reste le principal partenaire économique et financier de la Chine en Afrique subsaharienne. Il n'y a pas de raison de penser que ça va changer complètement. Simplement, cette idée qu'on a pu avoir que l'Angola ou le gouvernement angolais se livrait pieds et poings liés à la Chine est fausse. 

À l'heure où l'Afrique de l'Est est dominée par la présence chinoise, à l'heure où l'Afrique de l'Ouest est de plus en plus sous l'influence de la Russie, est-ce que l'Angola n'est pas l'une des dernières portes d'entrée en Afrique pour les Occidentaux ? 

C'est possible effectivement et je pense que Joao Lourenço a tout à fait saisi cela et va jouer cette carte. Mais tout en sachant bien que son propre intérêt ou l'intérêt du gouvernement angolais n'est pas de se mettre à dos ses partenaires chinois, bien au contraire. Il s'agit de continuer à avoir une bonne relation. D'ailleurs, la dette envers la Chine est colossale, donc ne serait-ce que pour cela, il est important aussi que les canaux de communication fonctionnent et que l'entente avec la Chine continue à être bonne. 

Lors de sa visite en Angola le mois dernier, le président américain Joe Biden a annoncé 600 millions de dollars supplémentaires pour construire le corridor de Lobito, est-ce que Donald Trump va poursuivre la même politique ? 

Il y a de fortes chances que ce soit le cas effectivement, parce que c'est un lieu important de la concurrence globale entre la Chine et les États-Unis. Donc, il y a fort à parier que cet investissement continuera effectivement et qu'en même temps la compétition continuera également. 

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Départ des troupes françaises du Tchad: «Le souverainisme est actuellement dans l’air du temps»
15 January 2025
Départ des troupes françaises du Tchad: «Le souverainisme est actuellement dans l’air du temps»

Au Tchad, après 65 ans de présence quasi continue, c'est au plus tard dans deux semaines, le 31 janvier 2025, que les troupes françaises doivent partir. Pourquoi le président tchadien Mahamat Idriss Déby a-t-il pris cette décision surprise le 28 novembre dernier ? La guerre civile au Soudan voisin est-elle l'une des causes de la brouille entre Ndjamena et Paris ? Hoinathy Remadji est chercheur principal et spécialiste du bassin du lac Tchad et de l'Afrique centrale pour l’Institut d'études de sécurité. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier, en s'exprimant d'abord sur les affrontements qui ont fait vingt morts le 8 janvier à Ndjamena.

RFI : Une semaine après, est-ce qu'on en sait un peu plus sur l'attaque du palais présidentiel de Ndjamena le 8 janvier dernier ?

Hoinathy Remadji : On n'en sait pas plus. Sauf que cette attaque a été menée par une vingtaine de jeunes. Une sorte de commando de fortune qui, contre toute attente, a pu pénétrer dans les prémices de la présidence avant d'être neutralisé.

Est-ce que ce n'était pas suicidaire ?

Évidemment, c'est très suicidaire pour un groupe de jeunes, pas très entrainés du tout et sans moyens militaires, de débarquer et d'essayer ainsi de prendre d'assaut la présidence. Totalement suicidaire.

« Ces jeunes pieds nickelés venaient des quartiers pauvres du sud de Ndjamena », a précisé le porte-parole du gouvernement. Qu'est-ce que signifie cette petite phrase ?

Le gouvernement va même plus loin en disant notamment, le ministre, « qu'il connaît leur ethnie d'origine mais qu'il ne voudrait pas en parler ». Mais dans le contexte tchadien, de telles allégations sont relativement problématiques parce que les quartiers de la ville de Ndjamena ont une géographie et une anthropologie propres. Donc indexer ainsi tout un quartier, il y a derrière en fait des risques de stigmatisation qui pourraient poser des problèmes.

Est-ce qu'il y a eu des arrestations ?

De source officielle, il n'y a pas encore eu d'arrestation. La rumeur enfle cependant autour de l'arrestation d'un général. Mais en l'absence de toute communication officielle, je pense qu'on en reste pour le moment à des conjectures.

Alors, en toile de fond de tous ces événements, il y a un fait historique… C'est, d'ici la fin de ce mois de janvier, le départ de tous les militaires français du Tchad. Avec le recul, quelle est à votre avis, la raison principale pour laquelle le président Mahamat Idriss Déby a pris cette décision le 28 novembre dernier ?

Le premier élément, c'est d'abord que le souverainisme actuellement comme argument politique est dans l'air du temps. Et le Tchad n'est pas le premier pays qui fait ce choix, il y en a beaucoup d'autres dans le Sahel notamment, c'est la première chose. Deuxièmement, il peut y avoir la question de l'engagement supposé ou faux du Tchad dans le conflit soudanais, dans un rôle qui ne siérait pas justement aux acteurs qui voudraient contribuer à la résolution de ce problème-là, notamment la France. Donc, il y a à voir certainement des différents éléments d'achoppement, peut-être déjà dans les relations entre le Tchad et la France, qui se seraient cristallisés avec des discussions lors du passage du ministre français des Affaires étrangères à Ndjamena.

Alors, vous l'avez dit, l'une des causes des frictions entre Ndjamena et Paris, c'est le soupçon des Français que le Tchad laisse transiter sur son territoire l'aide militaire des Émirats arabes unis aux rebelles soudanais du général Hemetti. Est-ce que cet éventuel appui aux Forces de soutien rapide pourrait être un vrai choix stratégique de la part du Tchad dans le conflit soudanais ?

Il est important de rappeler que ce soutien, donc supposé, est d'abord très fortement soupçonné par le pouvoir soudanais, qui dit aujourd'hui disposer des éléments de preuves de ce qui se passe à la frontière tchadienne. Et malgré les démentis du Tchad, le Soudan continue à insister. Et aujourd'hui que le Tchad se retrouve éventuellement à prendre parti dans ce conflit, je pense que stratégiquement, c'est un risque pour le Tchad, parce que, quelle que soit l'issue du conflit au Soudan, il y aura des impacts le long de la frontière et, dans une certaine manière, sur l'est du Tchad en matière humanitaire, de sécurité, mais aussi économique.

Un risque qui serait encore plus important si demain les rebelles des Forces de soutien rapide (FSR) perdaient la bataille au Soudan ?

Éventuellement, parce que si Hemetti venait à perdre la guerre face aux forces dirigées par le général al-Burhan, cela va d'abord aggraver l'instabilité de cette longue frontière par une dispersion des milices se battant contre les FSR, donc notamment les milices zaghawa, qui, parce que alliées à al-Burhan, verraient leurs positions renforcées.

À l'occasion de la fête de l'indépendance du Soudan, le 1ᵉʳ janvier dernier, le président tchadien a félicité son homologue soudanais, le général Abdel Fattah al-Burhan, malgré tous les reproches que celui-ci lui fait. Est-ce que c'est le signe que le Tchad cherche peut-être à rééquilibrer ses relations dans le conflit soudanais ?

Pendant que justement le Soudan continue sa diatribe diplomatique contre le Tchad à l'international, l'acte de Mahamat Idriss Déby est à saluer, parce qu’il y a plus à gagner pour les deux pays si le Tchad se place dans une position d'apaisement, une position pour contribuer à résoudre le conflit plutôt qu'à être accusé d'attiser le feu. Donc c'est très important, ce début de retour en fait du Tchad à des sentiments meilleurs. Espérons donc que, du côté du Soudan aussi, cela soit reçu comme tel et que des possibilités de négociations s'ouvrent entre les deux pays pour que le Tchad reprenne sa position de contributeur de paix au Soudan, plutôt qu'à continuer d'endosser, à tort ou à raison, l'habit de quelqu'un qui attise plutôt le feu dans ce conflit-là, dans un pays frère et voisin.

Présidentielle en Côte d'Ivoire: «Alassane Ouattara est suffisamment fort pour imposer le rythme dans son parti»
14 January 2025
Présidentielle en Côte d'Ivoire: «Alassane Ouattara est suffisamment fort pour imposer le rythme dans son parti»

Ira ? Ira pas ? En Côte d'Ivoire, le président Alassane Ouattara entretient le suspense sur sa candidature ou non à un quatrième mandat à l'élection du 25 octobre prochain. « À la date d'aujourd'hui, je n'ai pas encore pris de décision », a-t-il déclaré jeudi dernier à l'occasion de ses vœux au corps diplomatique. Mais qu'attend-il avant de se décider ? Est-il attentif, par exemple, à ce que va faire l'un de ses principaux adversaires, Tidjane Thiam, qui brigue l'investiture du PDCI ? Arsène Brice Bado enseigne au Cerap, qui est l'université jésuite d'Abidjan. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : « Je suis en pleine santé et désireux de continuer de servir mon pays, mais je n'ai pas encore pris de décision par rapport à la présidentielle de cette année », a dit Alassane Ouattara jeudi dernier. A votre avis, est-ce qu'il va y aller ou pas ?

Arsène Brice Bado : D'abord, c'était, disons, une affirmation étonnante parce qu'on s'attendait à autre chose. Là, il jette vraiment l'incertitude sur sa candidature et une incertitude qui semble davantage confirmer le désir d'un quatrième mandat. C'est ce que ça laisse entendre, finalement.

Alors beaucoup disent en effet qu'il sera candidat parce qu'il n'y a aucune autre personnalité du parti au pouvoir RHDP qui se dégage pour l'instant. Mais lui-même affirme qu'il y a tout de même une demi-douzaine de candidats virtuels dans son propre camp…

Oui, mais on ne voit personne émerger et il faut vraiment du temps pour avoir un candidat qui ferait le consensus. Et je pense que c'est ce qu'il manque. Et finalement, c'est ce qui va le pousser à pouvoir se présenter comme candidat. Parce que la demi-douzaine de candidats, même si on n'a pas les noms, ils ne semblent pas faire l'unanimité. En tout cas, on ne les voit pas.

Alors on parle quand même du vice-président Tiémoko Meyliet Koné qui a été gouverneur de la BCEAO ?

Oui, c'est vrai, il a un très bon CV, mais pourra-t-il faire l'unanimité du parti ? Apparemment ce n'est pas ce que l'on entend, ce n'est pas ce que l'on voit.

On parle du Premier ministre Robert Beugré Mambé ou du président de l'Assemblée nationale Adama Bictogo ?

Oui, c'est vrai que ce sont des personnalités possibles. Ils ont des carrures présidentielles. Mais encore une fois, est-ce que ces candidatures pourront avoir l'assentiment de l'ensemble du parti ? Est-ce que le RHDP pourrait s'unifier autour d'un seul candidat par rapport aux différentes rivalités que l'on perçoit par-ci par-là ? Même si ce sont des rivalités encore en sourdine.

Et le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, petit frère d'Alassane Ouattara ?

Oui, c'est aussi un nom qui est souvent évoqué. Mais là encore, est-ce qu’il pourrait faire l'unanimité du parti ? C'est ça le problème. Et donc je pense que tous ces candidats, il aurait fallu qu’on les mette en piste très tôt pour leur permettre, effectivement, de pouvoir rassembler et même de pouvoir aboutir à des compromis avec les autres prétendants et de bâtir une unité qui allait permettre au RHDP d'aller aux élections de façon confiante, sans le président Alassane Ouattara.

Le retour à Abidjan de l'ancien Premier ministre Patrick Achi comme ministre et conseiller spécial après quelque temps au FMI à Washington, est-ce que ce n'est pas le signe que ça pourrait être lui ?

Mais voilà, il y en a qui pensent qu'il serait un très bon candidat, d'autant plus qu'il est du sud. Mais en même temps, on n'est pas très sûr que les élites du nord pourraient accepter une telle candidature.

Alors pour vous, le fait qu'il y ait dans l'opposition un poids lourd en la personne de l'ancien ministre Tidjane Thiam qui sera le candidat probable du PDCI, est-ce que c'est une donnée qui va pousser Alassane Ouattara à être candidat ou au contraire à passer la main ?  

Il y a deux scénarios possibles. Je pense que la candidature forte de Tidjane Thiam peut avoir deux résultats contraires. Cela peut pousser peut-être Ouattara à lâcher prise parce que Tidjane Thiam a pratiquement le même cursus que le président Ouattara. Il a les mêmes connexions à l'international. C'est un technocrate. On a l'impression que c'est celui qui peut poursuivre l'œuvre du président Ouattara. D'un autre côté, ça signifie que le pouvoir va échapper au RHDP. Or, l'histoire récente entre le RHDP et le PDCI est une histoire mouvementée. Il y a pas mal de rancœurs de part et d'autre. Et que le pouvoir puisse passer à Thiam, je ne suis pas sûr que les élites du RHDP seront prêtes à ce changement.

Voulez-vous dire qu'Alassane Ouattara attend de voir quelle tournure va prendre la convention du PDCI qui va investir Tidjane Thiam avant de prendre sa décision lui-même ?

Je pense que c'est un élément important si jamais il veut se présenter et ne pas attendre. Mais à mon sens, c'est un élément important. Le candidat que va choisir le PDCI, cela va influencer, cela aura certainement des conséquences sur la candidature présidentielle du RHDP.

Et si Tidjane Thiam est investi avec beaucoup de voix, avec beaucoup d'enthousiasme au sein du PDCI, du coup, là, vous pensez qu’Alassane Ouattara ira au combat. C'est ça ?

Oui, pour conserver le pouvoir au RHDP. Il y a vraiment des rancunes tenaces entre les deux partis. Mais le président Ouattara est suffisamment fort. Je crois qu’il a les cartes entre les mains. Il peut imposer le rythme dans son parti.

Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»
13 January 2025
Ouganda: «L'arrestation de Kizza Besigye est une démonstration de force de Museveni»

À Kampala, c’est ce 13 janvier 2025 que doit reprendre le procès de l’opposant Kizza Besigye qui, selon son épouse, a été kidnappé il y a deux mois au Kenya, avant d’être transféré de force en Ouganda. Pourquoi le président Yoweri Museveni fait-il poursuivre son opposant historique par un tribunal militaire ? Est-ce parce qu’il en a peur, un an avant la présidentielle de février 2026 ? Florence Brisset-Foucault est maîtresse de conférence en sciences politiques à l’université Paris I et affiliée à l’université de Makerere, à Kampala. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Depuis le 20 novembre, l'opposant Kizza Besigye comparaît devant la justice militaire ougandaise pour « possession illégale d'armes à feu dans le but de déstabiliser la sécurité nationale ». Est-ce que ce chef d'accusation est crédible ? 

Florence Brisset-Foucault : Alors, ce n'est pas la première fois que Kizza Besigye a été accusé de collusion avec des rebelles armés pour renverser le gouvernement. Ça avait déjà été le cas en amont de l'élection présidentielle de 2006. À l'époque, les accusations n'avaient absolument pas tenu et il avait finalement été blanchi. Pour cette fois, on ne sait pas encore, mais en tout cas, ça fait partie de ces formes classiques de décrédibilisation de l'opposition, qui sont utilisées par le régime.

Alors ce qui frappe tout de même, c'est que Kizza Besigye, qui est médecin, qui est civil, comparaît devant un tribunal militaire ?

Oui, tout à fait, et ça, ça fait partie des nouveautés, je dirais, des quatre ou cinq dernières années en Ouganda. Et ça continue, même s’il y a quelques années, en 2022, il y avait eu une décision de la Cour constitutionnelle qui disait que c'était illégal de poursuivre des civils en Cour martiale. Mais ça se poursuit et il n'est pas le seul à être dans ce cas. Il y a quelques jours, son avocat, Eron Kiiza, qui est lui aussi un civil, a été condamné à neuf mois d'emprisonnement pour outrage à la Cour par une Cour militaire également, en quelques heures et visiblement en toute irrégularité.

Donc, ça ressemble à du harcèlement judiciaire ?

Kizza Besigye disait lui-même, il y a quelques années, qu'il avait été arrêté des dizaines de fois et qu'il avait arrêté de compter. Donc oui, je pense que ce qualificatif est tout à fait idoine.

L’épouse de Kizza Besigye, Winnie Byanyima, qui dirige le programme Onusida pour le monde entier, affirme que son mari a été kidnappé en novembre à Nairobi, puis transféré de force à Kampala. Ce n'est quand même pas très courant. Comment se fait-il que le Kenya ait laissé faire cela ?

Oui, Winnie Byanyima a parlé de « paradis des kidnappeurs » pour parler de la capitale du Kenya, Nairobi. Donc, c'est évidemment une formule très forte. Là encore, Kizza Besigye n'est pas le seul opposant étranger à avoir été arrêté récemment dans la capitale du Kenya. Il y a eu aussi des opposants turcs, sud-soudanais, rwandais, nigérians qui ont fait les frais de cette pratique. Concernant les Ougandais, ce n'est pas le seul non plus. En juillet dernier, il y a une trentaine d'opposants ougandais qui s'étaient rassemblés du côté de la ville de Kisumu, dans l'ouest du Kenya, qui ont été aussi arrêtés violemment, puis mis dans des camionnettes et transportés de l'autre côté de la frontière pour être ensuite emprisonnés en Ouganda, donc ça faisait longtemps que ce n'était pas arrivé.

Dans les années 1980-1990, le docteur Kizza Besigye était le médecin personnel de Yoweri Museveni. Mais, depuis 25 ans, il est son principal opposant. Il a aujourd'hui 68 ans, soit 12 ans de moins que le chef de l'État ougandais. Est-ce que Yoweri Museveni en a encore peur ?

C'est difficile à dire. Cette arrestation a surpris beaucoup de monde, parce que Besigye n'était plus tellement sur le devant de la scène politique, c'était une autre figure de l'opposition, Bobi Wine, qui avait pris la suite, notamment lors de l'élection présidentielle de 2021, la dernière élection présidentielle, et Besigye était plutôt en retrait. Donc, on a été un peu surpris de cette arrestation. Moi, la manière dont j'interprète les choses, c'est que c'est une démonstration de force et une manière pour Museveni de montrer que c'est toujours lui qui tient les règles du jeu.

À la présidentielle de l'an prochain, tout laisse penser que Yoweri Museveni, qui est aujourd'hui âgé de 80 ans, va se représenter pour un septième mandat. Quelles sont les chances de l'opposition face à lui ?

Les chances de l'opposition… Elle est extrêmement fragmentée, éclatée, avec beaucoup de mal à créer des liens et à s'accorder pour une candidature unique. En 2021, Besigye ne s'était pas présenté, ce qui avait permis à Bobi Wine, entre autres, d'avoir un score tout à fait correct de 35 %. En tout cas, un score qui correspondait au score de Besigye à l'élection de 2016. Donc on ne sait jamais. Mais étant donné le passé récent, je ne suis pas très optimiste pour l'opposition.

Depuis trois ans, l'un des fils de Yoweri Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, qui est chef d'état-major de l'armée ougandaise, aspire ouvertement à succéder à son père. Mais en septembre dernier, il a promis qu'il soutiendrait son père une dernière fois pour la présidentielle de 2026. Est-ce que ce fils impétueux n'est pas en train d'affaiblir le camp du président ?

Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a aussi un autre joueur dans cette arène autour de la question de la succession. C'est le gendre en fait, qui s'appelle Odrek Rwabwogo, qui est marié à la deuxième fille du président, la pasteure Patience Museveni Rwabwogo, et qui a été au départ assez critique de Museveni, puis qui s'est rapproché de lui. Et il y a quelques mois, il y a eu une violente dispute entre Muhoozi, donc le fils, et Rwabwogo, le gendre, sur les réseaux sociaux. Et beaucoup d'Ougandais interprètent cela comme étant une dispute par rapport à la question de la succession.

Soudan: «Les sanctions américaines contre le général Hemedti (FSR) sont symboliques» dit T. Vircoulon
10 January 2025
Soudan: «Les sanctions américaines contre le général Hemedti (FSR) sont symboliques» dit T. Vircoulon

Au Soudan, les paramilitaires des FSR sont accusés de génocide, une accusation formulée mardi par les États-Unis. « Les Forces de soutien rapide, FSR, et ses milices alliées ont systématiquement assassiné des hommes et des garçons sur une base ethnique, et ont délibérément ciblé les femmes et les filles de certains groupes ethniques pour les violer et leur faire subir d'autres formes de violence sexuelle brutales », a déclaré Anthony Blinken, le secrétaire d'État américain. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour utiliser ce terme de génocide ? Quelles conséquences peuvent avoir les sanctions contre le général Mohamed Hamdane Dogolo, dit « Hemedti », le commandant des FSR et contre les sociétés liées aux paramilitaires ? Éléments de réponses avec Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI.

RFI : Les États-Unis accusent officiellement les FSR de génocide. Sur quels faits se basent-ils ? On parlait jusque-là de crimes de guerre. Qu'est-ce qui a fait évoluer le département d'État américain ?

Thierry Vircoulon : Il y a eu des enquêtes sur les combats qui ont eu lieu au Darfour, notamment dès le début de la guerre en 2023. Et, il avait été clairement montré à cette époque que les Masalit, qui sont une tribu qui se trouve surtout dans la région de el-Geneina, au Darfour Ouest [au Soudan], avaient été particulièrement ciblés par les FSR et par des milices arabes alliées au FSR. Ce qui avait conduit à la fuite des Masalit au Tchad, dans la région d’Adré. Et donc, ces enquêtes ont mis en évidence que les Masalit avaient été ciblés en tant que tels et du coup les autorités américaines ont déduit qu'on était dans une situation qui pouvait être qualifiée de génocide.

Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour utiliser officiellement ce terme de génocide ?

Parce que les États-Unis ont lancé dès le début du conflit une tentative de médiation, que cette tentative de médiation a eu plusieurs rebondissements, mais elle a finalement échoué en août 2024. Et par conséquent, maintenant, ils ont décidé de faire évidemment monter la pression. Je pense qu'avant, ils n'avaient pas encore pris cette décision justement parce qu'ils voulaient préserver les chances de cette médiation.

Washington a annoncé en parallèle prendre une série de sanctions contre le chef des paramilitaires, Mohamed Hamdane Dogolo dit «Hemedti » et contre des sociétés liées aux FSR. Concrètement, est ce que ces sanctions peuvent faire évoluer le cours de cette guerre ou est-ce uniquement symbolique ?

Non, je pense que c'est surtout symbolique. Le général Hemedti a construit un empire financier, un empire économique, qui est en grande partie lié aux Émirats arabes unis et ce qui est très intéressant, c'est de voir que les 6 ou 7 entreprises qui viennent d'être sanctionnées par les États-Unis sont toutes des entreprises situées aux Émirats arabes unis. Et donc là, on peut dire que le Trésor américain en effet sanctionne un peu le cœur financier de l'empire économique de Hemedti.

Mais est-ce que ces sanctions contre ces sociétés peuvent avoir réellement un impact sur le financement des paramilitaires et sur la livraison d'armes ?

Le problème des sanctions, c'est toujours le même : c'est de savoir si elles seront appliquées ou non. Et comme en fait ces entreprises sont basées aux Émirats arabes unis, l'application des sanctions va beaucoup dépendre de l'attitude des autorités émiraties. Et en fait, depuis le début de ce conflit, il y a eu des échanges entre Washington et les Émirats arabes unis. Et Washington a essayé d'infléchir la position des Émirats arabes unis qui sont le principal soutien de Hemedti. Donc, avec ces sanctions, on sent qu'ils font aussi monter la pression sur les autorités émiraties.

On sait que les États-Unis vendent du matériel d'armement aux Émirats arabes unis. Avec ces sanctions, ces livraisons de matériels vont-elles pouvoir se poursuivre ?

Oui, parce que en fait la relation entre les États-Unis et les Émirats arabes unis est plus large que la question soudanaise, donc ça n'affectera pas les livraisons d'armes, etc.

Un mot sur Hemedti, le commandant des FSR, ancien chef de milices redouté au Darfour. On sait qu'il a tenté d'améliorer son image à l'international. Quelles peuvent être les conséquences pour lui de ces accusations et de ces sanctions ?

Ces sanctions, elles mettent en évidence publiquement ce que tous les spécialistes savaient : c'est-à-dire que le cœur de son empire économique se trouve à Dubaï. Donc, c'est ça l'effet principal et l'effet recherché : de mettre en évidence le lien économique fort qui existe depuis longtemps entre lui et les Émirats arabes unis.

Ces accusations des États-Unis interviennent quelques jours seulement avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. La future administration américaine pourrait-elle avoir une autre lecture de ce qui se passe aujourd'hui au Soudan ?

On va voir en effet comment ça va évoluer lorsque Trump rentrera dans le bureau ovale, parce que on dit beaucoup qu'il a des intérêts économiques, des intérêts d'affaires dans les monarchies du Golfe. Et donc, ça peut en effet conduire à des changements de politique. Il y a une vraie interrogation sur la politique qu'il va mener et la relation qu'il va avoir avec les monarchies du Golfe.

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